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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 27 Mars 2014
A l'origine, l'idée d'assurer le paiement de transactions uniquement par l'intermédiaire d'un réseau "pair à pair", sans que l'unité monétaire n'ait pour équivalence un bien matériel, un métal précieux, et encore moins la garantie étatique de sa valorisation, apparaît, au mieux comme originale et épiphénoménale, au pire comme fantasque, voire dangereuse. En effet, Bitcoin se passe de toute infrastructure centralisée pour tenir les comptes des montants détenus et pour assurer les transactions. C'est un ordinateur du réseau qui, de manière aléatoire, contrôle la tenue des comptes de chaque titulaire et recense l'état des transactions passées. Par ailleurs, sans rapport avec l'économie réelle, se voulant détachée de toute contingence bancaire, la valeur du bitcoin varie selon l'usage économique qui en est fait et le marché des changes. La seule garantie systémique réside, alors, dans les protocoles cryptographiques associés, qui permettent, en principe, de contrôler l'identité véritable des personnes titulaires des compte et opérant des transactions quelconques.
Finalement, on l'aura compris, à part le rejet des systèmes bancaires traditionnels, de la gouvernance financière et de l'Etat, comme créateur de monnaie et Autorité de contrôle, ce libertarisme cache un libéralisme absolu puisque s'appliquent, ici, la loi marchande et spéculative la plus primaire, depuis Adam Smith : la rareté crée la valeur. Le nombre de bitcoin étant prédéterminé de manière algorithmique, plus l'unité de monnaie est utilisée, plus elle est recherchée voire rare, plus sa valeur d'usage est grande, plus le profit spéculatif est important. Tant est si bien que la valeur du bitcoin a pu gagner 400 % entre les mois de janvier et de mars 2013 ; pour perdre 35 % de sa valeur en une nuit de décembre 2013, à la suite d'une mise en garde de la Banque populaire de Chine et de la Banque de France... La volatilité du bitcoin est avérée. Et, rien, absolument rien, ne peut venir au secours des titulaires des comptes Bitcoin (un demi-million dans le monde), qui se verraient lésés à la suite de la défaillance des sociétés gérant les réseaux en cause ; à la suite d'une absence d'information et de conseil réguliers sur le fonctionnement du système de paiement ; à la suite de l'usurpation de leur identité sur le réseau.
En effet, comme évoqué supra, la clé de voûte du système réside dans cette croyance en l'étanchéité du réseau, aux protocoles cryptographiques. Mais, les promesses n'engagent que ceux qui les reçoivent : et, l'incrédulité commande la plus grande prudence lorsque l'on invoque la sécurité informatique. Si quelqu'un a réussi à créer un protocole réputé inviolable, quelqu'un, dans le monde, s'attachera à prouver sa fébrilité, ses failles, voire usera de ses défaillances pour escroquer les titulaires des comptes. Il n'y a pas plus d'inviolabilité des comptes bancaires traditionnels que des comptes Bitcoin. C'est la malheureuse expérience récemment vécue par Mt Gox, une des principales plates-formes d'échange et de conservation de bitcoins, dont les failles ont permis la spoliation informatique de milliers de comptes. La société a donc fermé et s'est, dès lors, placée sous la protection de la loi sur les faillites au Japon. Les milliers de titulaires de comptes sur la plate-forme ont, de facto, perdu l'équivalent de centaines de milliers d'euros (puisque le bitcoin profite du marché des changes classique), sans qu'un Etat ne puisse couvrir une partie des pertes, comme la majorité d'entre eux avait pu l'organiser ou le proposer lors de la crise monétaire de 2008.
Alors, les Autorités bancaires nationales et internationales se réveillent peu à peu et prennent conscience de la dangerosité d'un tel système de paiement entièrement virtuel et créé ex nihilo du cerveau d'un ou d'un groupe d'informaticiens anonymes... D'autant que le système est opaque et échappe à toute règle de contrôle ; attisant, dès lors, l'intérêt des organisations criminelles malmenées par les mesures anti-blanchiment et autres obligations de transparence.
Et, la France prend le cortège de la raison bancaire. Il faut dire que la prochaine ordonnance en la matière tachera, notamment, de mettre en oeuvre un régime prudentiel allégé pour certains établissements de paiement ; de transposer la Directive 2013/36 du 26 juin 2013, concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d'investissement ; de mettre en conformité de la législation française avec le Règlement n° 575/2013 du 26 juin 2013, concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d'investissement ; de transposer la Directive 2011/89 du 16 novembre 2011 en ce qui concerne la surveillance complémentaire des entités financières des conglomérats financiers ; de mettre en conformité la législation française avec le Règlement n° 1024/2013 du 15 octobre 2013, confiant à la BCE des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit... Contrôle prudentiel et surveillance complémentaire sont bien les maître-mots de la finance d'aujourd'hui... Alors, un système de paiement entièrement dérégulé... Pensez donc !
Il est certain que l'empathie pour le milieu bancaire n'est pas flamboyante ; à force de mea culpa, d'encadrement, de règles prudentielles et de contrôle permanent, la confiance pourrait bien revenir petit à petit et purger les années de doutes suscitées par la toxicité d'emprunts mal ficelés pour crédules non avertis. Et, l'on voit mal, pour le coup, la pertinence d'un système monétaire dérégulé, affranchi de toute sérieuse garantie quant aux dépôts et aux échanges, pour établir la confiance nécessaire pour amorcer l'économie de demain. L'esprit communautaire animant positivement les réseaux d'échange sur internet ne suffit pas à garantir la stabilité de la confiance, quand il arrive, parfois, à créer ce premier climat de confiance nécessaire, comme ce fut le cas avec Bitcoin.
Alors, entre les montages spéculatifs des golden boys et la naïveté des réseaux d'échange monétaire "pair à pair", il y peut-être la nécessité de revisiter le système bancaire pour le rendre tout simplement plus appréhendable par le commun, et donc susciter plus volontiers la confiance. L'investissement dans des cheptels est sans doute une idée, remise au goût du jour, bien que de prime abord farfelue, des plus opportunes et symptomatiques. On apprend alors que l'investissement dans un cheptel de vaches laitières obtient un rendement de 4 à 5 % l'an, contre 1,25 % pour le Livret A ! Le coût d'une vache est raisonnable (1 630 euros) et sa production connaît peu la crise : le lait ne tombe pas ! L'option "produit annuel" permet de mettre en vente chaque année les bêtes devenues adultes. L'option "croissance du troupeau" permet la conservation des génisses supplémentaires. De cette manière, l'investissement ajoute des bêtes à son cheptel. Avec un achat de départ de dix bêtes, le cheptel aura doublé en 21 ans ; et la valeur du cheptel d'autant... le tout sous couverture d'assurance en cas de perte de tout ou partie du cheptel ! Bref, "la chose [va] à bien par son soin diligent". Le seul risque serait alors de confier sa fortune à "Perrette [qui] sur sa tête ayant un Pot au lait / Bien posé sur un coussinet / Prétendait arriver sans encombre à la ville", écrirait La Fontaine.
Alors, qu'allons-nous créer de nouvelles monnaies numériques, pour investir sur des marchés volatiles et complexes, quand le rendement est, encore et toujours, assuré par la propriété de cheptels... comme c'est le cas depuis la révolution agricole néolithique, il y a 10 000 ans !
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