Réf. : Cass. com., 10 mai 2024, n° 22-20.439, F-B N° Lexbase : A01875BK
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N9530BZY
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par Thierry Favario, Maître de conférences, Université Jean Moulin Lyon 3
le 06 Juin 2024
Mots clés : cautionnement • autorisation • directoire • conseil de surveillance • délégation
Si le président du directoire a le pouvoir d’exécuter une décision prise par le directoire, le cas échéant, pour certains actes au nombre desquels le cautionnement, en vertu d’une autorisation donnée au directoire par le conseil de surveillance, il ne peut, en l’absence d’une telle décision, décider par lui-même de consentir un engagement de caution au nom de la société que s’il a reçu du directoire délégation pour ce faire.
Festina lente. Si la vie des sociétés se conjugue généralement avec la rapidité de la prise de décision, la loi leur impose ponctuellement une certaine lenteur s’agissant de la conclusion d’actes revêtant une particulière gravité. Le séquençage de la décision qui en découle impose alors à chacun des intervenants un strict respect de ses attributions. L’efficacité de l’acte en dépend et le présent arrêt de la Cour de cassation, ci-dessus référencé, en offre une illustration topique au cas particulier du cautionnement accordé par une société anonyme (SA) de forme « dualiste ».
Des faits de l’espèce retenons que le 13 avril 2010, une banque a consenti un prêt à une SARL que garantissait le cautionnement d’une SA de forme « dualiste » (dont la direction s’articule autour d’un directoire et d’un conseil de surveillance). Rencontrant ultérieurement des difficultés, la SARL fut mise en redressement puis en liquidation judiciaires. La suite est un classique des prétoires : la banque assigna la société caution en paiement ; cette dernière se défendit en opposant la nullité de son engagement. Le bras de fer judiciaire s’engageait. La société caution perdit sur le fond, une cour d’appel la condamnant à payer à la banque une certaine somme. Elle forma cependant un pourvoi en cassation et l’emporta sur le droit. La Cour de cassation censurait en effet l’arrêt d’appel au visa des articles L. 225-66, alinéa 1er N° Lexbase : L5937AIQ, L. 225-68, alinéa 2 N° Lexbase : L2150LYB, et R. 225-53 N° Lexbase : L2161LYP du Code de commerce. Les dispositions visées renseignent assez sur la nature du problème posé : le cautionnement passé par le président du directoire était-il régulier au regard des strictes règles d’octroi d’un tel acte, applicables au cas d’une SA « dualiste »? On sait que ces règles impliquent l’intervention successive du conseil de surveillance, du directoire et du président du directoire. Si la Cour de cassation explicite ici la solution qui résulte de la combinaison de ces règles, sa pleine compréhension supposera cependant des incursions au-delà et en deçà de la solution : au cœur (I) et autour de la solution (II) en somme.
I. Au cœur de la solution
L’explicitation de la solution suppose de plonger au cœur de la complexe machinerie régissant l’organisation du pouvoir de direction lato sensu au sein de la SA de forme « dualiste ». L’examen des principes commandant la solution (A) précédera ainsi celui de la difficulté traitée in casu (B).
A. Les principes de solution
Dans le cadre d’une SA de forme « dualiste », l’octroi d’une caution (ainsi que d’un aval ou d’une garantie, y incluant une lettre d’intention [1]) suppose l’articulation des trois pouvoirs suivants : autoriser l’acte, ce qui incombe au conseil de surveillance (C. com., art. L. 225-68, al. 2 [2]), décider de passer l’acte, pouvoir dévolu au directoire (ce dernier n’étant aucunement lié par l’autorisation éventuellement obtenue et pouvant toujours renoncer à l’acte), exécuter l’acte, prérogative relevant en principe du président du directoire comme représentant légal de la société (C. com., art. L. 225-66, al. 1er). L’arrêt sous examen a le mérite de formuler pareille articulation dans une présentation à rebours (§ 8) tout en la rattachant aux dispositions légales qui la structurent : le président du directoire a le pouvoir d’exécuter une décision prise par le directoire, le cas échéant, pour certains actes au nombre desquels le cautionnement, en vertu d’une autorisation donnée au directoire par le conseil de surveillance. Les trois pouvoirs sont ainsi bien présents et le séquençage rigoureusement établi. Il est à observer qu’en toute logique, à l’exercice de chacun de ces pouvoirs devrait correspondre une décision formalisée : un procès-verbal du conseil de surveillance autorisant l’octroi du cautionnement, un autre du directoire décidant d’octroyer ce dernier et la signature de l’acte par le président du directoire. Le directoire n’a par ailleurs pas à déléguer au président le pouvoir de conclure l’acte : ce dernier tient ce pouvoir de sa qualité de représentant légal de la société. L’interdépendance des actes n’est pas sans rappeler le mécanisme de la chaîne de délégations en ce qu’elle est susceptible d’influer sur l’efficacité de celui concluant la chaîne. Tel était du reste le problème en l’espèce.
B. La difficulté à traiter
À suivre la chronologie des faits, le conseil de surveillance de la société avait bien autorisé le directoire à se porter caution de la société débitrice principale. Un procès-verbal du 6 octobre 2009 était en ce sens. Ledit procès-verbal, dont l’arrêt reproduit des extraits, n’est du reste pas exempt de reproches. S’il autorise le directoire pour que la société se porte caution de la SARL, ce qui relève effectivement de son pouvoir, on peine cependant à comprendre comment le conseil de surveillance peut conférer « tous pouvoirs au directoire à l’effet de signer tous actes, percevoir toutes sommes, accorder les garanties demandées et généralement faire le nécessaire » : on ne peut en effet « conférer » que le pouvoir dont on dispose et le conseil de surveillance n’a certainement pas celui de signer un acte de cautionnement [3]. Peu importe en l’espèce. La cour d’appel [4] estima en effet de manière téméraire « qu’il ne résulte d’aucun texte, ni des statuts de la société […], que le président du directoire de celle-ci, lequel, aux termes de l’article L. 225-66 du Code de commerce comme de l’article 18-3 de ses statuts, représente la société dans ses rapports avec les tiers, doive lui-même être habilité par une décision spéciale du directoire à conclure l’acte de caution que le directoire a été autorisé à passer par le conseil de surveillance ». Autrement écrit, le directoire n’avait en l’espèce pas pris la décision d’accorder le cautionnement alors que l’autorisation lui a été donnée à lui et à lui seul, tandis que le président avait, lui, bien conclu, au nom de la société pareil acte. Dans la chaîne de décisions exposée précédemment, un maillon manque – « décider » – ce qui conduit logiquement à la censure de l’arrêt d’appel. La Cour de cassation énonce en effet de manière générale que le président du directoire « ne peut, en l’absence d’une telle décision [du directoire], décider par lui-même de consentir un engagement de caution au nom de la société » et juge, au cas particulier, que faute d’avoir constaté « l’existence d’une décision du directoire d’autoriser le cautionnement, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».
Le schéma ici dessiné par la Cour de cassation, didactique, indique le principe de la marche à suivre en cas d’octroi d’un cautionnement, d’un aval ou d’une garantie par une SA de type « dualiste ». Il clarifie le rôle respectif de chacun et confère à la censure une assise solide. Il serait cependant erroné de réduire l’arrêt sous examen à cette seule clarification.
II. Autour de la solution
La solution formulée dépasse en effet le cadre étroit de l’espèce y apportant « un petit truc en plus » que n’imposait pas nécessairement la résolution du litige présent (A). À bien y réfléchir, il y a également un petit truc en moins dans cette solution, qui devrait pourtant se révéler nécessaire à la résolution future dudit litige (B).
A. Le « petit truc en plus »
La solution de l’arrêt sous examen précise que si le président du directoire ne peut, en l’absence d’une décision prise par le directoire, décider par lui-même de consentir un engagement de caution au nom de la société, il en va différemment « s’il a reçu du directoire délégation pour ce faire ». Cette faculté résulte de l’article R. 225-53, alinéa 4, du Code de commerce N° Lexbase : L0188HZY selon lequel « le directoire peut déléguer le pouvoir qu’il a reçu [du conseil surveillance] en application des alinéas précédents ». La logique à l’œuvre s’expose alors aisément : le conseil de surveillance peut autoriser ponctuellement le directoire à donner un cautionnement déterminé (ou un aval ou une autre garantie) ou lui confier une autorisation globale dans des limites qu’il fixe (C. com., art. R. 225-53, al. 1er), étant ici précisé que cette autorisation globale ne peut être supérieure à un an (C. com., art. R. 225-53, al. 2). Disposant d’une telle autorisation de décider de conclure les actes visés, le directoire peut déléguer ce pouvoir à son président ou à une autre personne dans des conditions qu’il fixe. Le triptyque autorisation, décision, exécution demeure, mais son déroulement est contracté : le président par exemple peut, au terme de la délégation accordée, décider de donner (ou pas) le cautionnement (comme délégataire) et passer l’acte correspondant (comme représentant légal de la société) le cas échéant. Le moyen au pourvoi qui soutenait qu’il revient « au directoire de déléguer, à son président ou à toute autre personne, les pouvoirs qu’il tient de l’autorisation du conseil de surveillance de conclure un cautionnement » a conduit la Cour de cassation à apporter cette précision et à restituer au mécanisme de la délégation sa juste portée : cette dernière est une alternative au schéma envisagé précédemment, permettant d’estomper le rôle du directoire et d’accélérer corrélativement la conclusion des actes. L’exposé de ce mécanisme ne s’imposait cependant pas pour apprécier la conformité de l’espèce au droit puisque la référence à une possible délégation est absente de la raison de la censure (§ 10: « en se déterminant ainsi, sans constater l’existence d’une décision du directoire d’autoriser le cautionnement […] »). La Cour de cassation avait manifestement à cœur de clarifier l’intégralité du dispositif relatif à l’octroi d’un cautionnement dans le cadre d’une société anonyme de forme « dualiste », quitte à aller au-delà de ce qu’imposait le seul traitement du litige.
B. Le « petit truc en moins »
Si, à la suite de cette cassation, la cour de renvoi admet la violation des règles d’octroi du cautionnement litigieux, se posera alors la question de la sanction applicable à l’acte. Le présent arrêt est muet sur la nature de cette sanction. Il est certain que le président du directoire qui octroie un cautionnement sans y avoir été valablement autorisé ou sans bénéficier d’une délégation excède ses pouvoirs et ne peut donc engager la société. En l’espèce, la société caution avait invoqué la nullité de son engagement (§ 2). Or, la Cour de cassation admet de longue date comme sanction l’inopposabilité de la caution à la société émettrice [5]. Cette position se retrouve également dans des décisions de cours d’appel plus récentes [6] et peut, avec les précautions qui s’imposent, être rapprochée de la règle qu’énonce l’article 1156, alinéa 1er, du Code civil N° Lexbase : L0874KZE. La différence des sanctions n’est pas anodine : la nullité – relative – pourrait éventuellement être confirmée par une décision ultérieure de la société, non l’inopposabilité. Il n’est pas rare cependant de plaider en doctrine en faveur de la nullité comme sanction idoine du cautionnement donné en violation des règles légales impératives gouvernant l’octroi d’un tel acte dans les sociétés anonymes [7]. La cour d’appel de renvoi aura donc à se prononcer sur la sanction appropriée le cas échéant.
En conclusion, d’aucuns pourraient légitimement soutenir que le fait qu’une société puisse se prévaloir d’une irrégularité dont elle est la cause pour se soustraire à ses engagements heurte l’esprit de justice. Ce serait cependant omettre que le cautionnement n’est pas un engagement anodin et que les règles légales ont pour objet de protéger l’intégrité du consentement de la personne morale en pareil cas. Ce serait oublier que la Cour de cassation a depuis longtemps énoncé que « le bénéficiaire du cautionnement doit vérifier si, au moment où il est souscrit, cet engagement réunit les conditions exigées en matière de droit des sociétés » [8], imposant ce faisant implicitement, mais nécessairement un devoir de vigilance particulier à ce bénéficiaire. En revanche, dès lors que la réduction du pouvoir décisionnel du président du directoire l’est dans l’intérêt de la société et que le premier est censé être le garant du respect des règles, qu’il ne puisse être sanctionné en pratique [9] s’il les ignore pourrait se discuter. Mais ceci est une autre histoire.
[1] Cass. com., 14 avril 2021, n° 19-14.694, F-D N° Lexbase : A79924PP.
[2] Pour une analyse du mécanisme de l’autorisation, v. S. François, Le consentement de la personne morale, LGDJ, t. 601, 2020, n° 237 et s.
[3] Comme le relève S. François, thèse préc., n° 242 : « le pouvoir de l’organe autorisant se réduit uniquement à une alternative : accepter ou refuser l’acte envisagé par le dirigeant ».
[4] CA Paris, 5-6, 22 juin 2022, n° 20/12517 N° Lexbase : A472278E.
[5] Cass. com., 11 juillet 1988, n° 87-11.209, publié au Bulletin N° Lexbase : A4007AGI – Cass. com., 8 décembre 1998, n° 96-11.542, inédit N° Lexbase : A8808AGC.
[6] Par ex. : CA Paris, 5-8, 18 octobre 2011, n° 10/24058 N° Lexbase : A0516H8M : « la sanction du non-respect de l’article L. 225-68 est l’inopposabilité de l’acte concerné à la société et non pas, comme le soutient la société [X], sa nullité relative » – adde. CA Paris, 2-2, 14 mars 2019, n° 17/19911 N° Lexbase : A8217Y3Q.
[7] Par ex. : A. Cerles, note ss. Cass. com., 21 janvier 2014, n° 12-29.452, F-P+B N° Lexbase : A9802MCZ, RD bancaire et fin., 2014, n° 3, comm. 95 et les références citées.
[8] Cass. com., 8 décembre 1998, n° 96-11.542, préc.
[9] Cass. com., 20 octobre 1998, n° 96-15.418, publié au Bulletin N° Lexbase : A5458AC7.
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