Réf. : Cass. civ. 3, 30 mai 2024, n° 22-16.447, FS-B+R N° Lexbase : A97735DC
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par Vincent Téchené
le 05 Juin 2024
Le moyen par lequel une partie à un bail commercial s'oppose à une demande en fixation du prix du bail renouvelé à la valeur locative au motif que les parties sont convenues d'un loyer comprenant une part variable, sans prévoir de recours au juge des loyers commerciaux pour fixer la part fixe ou le minimum garanti à la valeur locative, s'analyse en une défense au fond et non en une fin de non-recevoir. Si les parties à un bail commercial qui stipule une clause de loyer variable manifestent, en principe, une volonté d'exclure une fixation judiciaire du prix du bail renouvelé à la valeur locative, il en va autrement lorsqu'elles ont exprimé une volonté commune contraire. Dès lors, même en l'absence d'une clause expresse de recours au juge des loyers commerciaux, il appartient à celui-ci, lorsqu'il est saisi d'un tel moyen de défense au fond, de rechercher cette volonté commune contraire, soit dans le contrat, soit dans des éléments extrinsèques. Enfin, le fait que toute contestation sur le prix d'un bail renouvelé ne se résolve pas par une fixation judiciaire à la valeur locative et puisse, aboutir au maintien du loyer antérieur, ne méconnaît pas le droit d'accès au tribunal consacré par l'article 6, § 1, de la CESDH mais procède de l'autonomie de la volonté des parties.
Faits et procédure. Le 26 avril 1966, une SCI a donné à bail des locaux commerciaux pour une durée de vingt-cinq ans moyennant un loyer fixé en fonction du coût de l'investissement.
En cours de bail, par avenant du 8 mars 1979, les parties sont convenues d'augmenter le loyer et d'insérer une clause selon laquelle le loyer annuel ne pourra être inférieur à 1,50 % du chiffre d'affaires hors taxes réalisé par le preneur dans les locaux entre les 1er janvier et 31 décembre de chaque année.
Par jugement du 7 juin 1996, les parties n'ayant pu fixer amiablement le prix du bail renouvelé, le loyer a été fixé judiciairement. Par avenant du 16 juin 1997, les parties se sont ensuite accordées pour retenir comme montant du loyer la somme fixée par le juge et pour stipuler une clause identique à celle précitée. Par avenant du 11 janvier 2001, elles sont convenues d'une augmentation du loyer et ont maintenu ladite clause.
Par avenant du 30 juin 2003, après avoir rappelé l'historique de leurs relations contractuelles, les parties se sont accordées sur le renouvellement du bail pour une durée de douze ans, moyennant un loyer annuel minimum garanti fixé à la somme de 247 623,20 euros par an hors taxes et hors charges et pour reconduire ladite clause.
Le 24 mars 2015, la locataire a sollicité le renouvellement du bail à compter du 1er avril 2015. Le 23 juin 2015, la bailleresse a accepté le principe du renouvellement.
Par mémoire préalable du 29 mars 2017, la bailleresse a sollicité la fixation du prix du bail renouvelé à la somme de 800 000 euros par an aux motifs que le bail expiré avait été conclu pour une durée de douze ans et que, dès lors, le loyer n'était pas plafonné et qu'il devait être fixé à la valeur locative.
À défaut d'accord, par acte du 18 octobre 2018, elle a assigné la locataire devant le juge des loyers commerciaux en fixation du prix du loyer renouvelé.
Par mémoire en réponse du 30 novembre 2018, la locataire a sollicité une fixation du prix du bail renouvelé à la somme de 545 000 euros et l'étalement de la hausse du déplafonnement.
Puis, par mémoire rectificatif du 11 avril 2019, elle a soulevé l'incompétence du juge des loyers commerciaux et l'irrecevabilité de la demande de la bailleresse, arguant que le loyer binaire était régi uniquement par la volonté des parties.
Décision. C’est dans ces conditions que la Cour de cassation, par un moyen relevé d’office censure l’arrêt rendu par la cour d’appel d’Aix-en-Provence (CA Aix-en-Provence, 24 février 2022, n° 19/1762 N° Lexbase : A50727PK, V. Téchené, Lexbase Affaires, mars 2022, n° 710 N° Lexbase : N0868BZ8).
Elle rappelle notamment qu’ il résulte des articles L. 145-33 N° Lexbase : L5761AI9 à L. 145-36 N° Lexbase : L0894ING du Code de commerce, qu'à défaut d'accord des parties sur le montant du loyer du bail renouvelé, celui-ci est fixé judiciairement à la valeur locative.
Par ailleurs, selon l'article R. 145-23 du Code de commerce N° Lexbase : L4149LTT, les contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé sont portées, quel que soit le montant du loyer, devant le président du tribunal judiciaire ou le juge qui le remplace. Les autres contestations sont portées devant le tribunal judiciaire qui peut, accessoirement, se prononcer sur ces demandes.
Ensuite, aux termes de l'article 71 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1286H4E, constitue une défense au fond tout moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée, après examen au fond du droit, la prétention de l'adversaire. Aux termes de l'article 122 du même code N° Lexbase : L1414H47, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix et la chose jugée.
La Haute juridiction constate que le pourvoi pose la question préalable de la qualification du moyen soulevé par l'une des parties à un bail commercial pour s'opposer à une demande en fixation du prix du bail renouvelé à la valeur locative, au motif que les parties sont convenues d'un loyer comprenant une part variable sans prévoir de recours au juge des loyers commerciaux pour fixer la part fixe ou le minimum garanti à la valeur locative.
L'article R. 145-23 du Code de commerce étant applicable à toute demande en fixation du prix d'un bail renouvelé sans exclusion pour les baux stipulant un loyer comprenant une part variable, un tel moyen s'analyse en une défense au fond et non en une fin de non-recevoir.
En conséquence, pour la Cour de cassation, le juge des loyers commerciaux ne peut déclarer irrecevable une telle demande, mais doit l'examiner au fond.
La Cour de cassation constate qu’il en découle une autre question relative à l'office du juge des loyers commerciaux saisi d'une contestation portant sur le prix du bail renouvelé d'un loyer comprenant une part variable.
Elle rappelle que sur ce point, la jurisprudence a évolué. En dernier lieu, la Cour de cassation a jugé que lorsque les parties sont convenues d'un loyer comprenant un minimum garanti et une part variable, elles peuvent prévoir, par une clause du contrat, de recourir au juge des loyers commerciaux pour évaluer, lors du renouvellement, ce minimum garanti à la valeur locative (Cass. civ. 3, 3 novembre 2016, n° 15-16.826, , FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4695SCU, J.-P. Dumur, Lexbase Affaires, novembre 2016, n° 488 N° Lexbase : N5296BW3 ; Cass. civ. 3, 29 novembre 2018, n° 17-27.798, FS-P+B+I N° Lexbase : A9307YNZ, B. Brignon, Lexbase Affaires, décembre 2018, n° 576 N° Lexbase : N6762BXQ).
En effet, d'une part, les dispositions du Code de commerce relatives à la fixation du prix du bail renouvelé étant supplétives de la volonté des parties, celles-ci sont libres de déterminer des conditions de fixation du prix du bail renouvelé excluant une fixation judiciaire à la valeur locative, d'autre part, le juge des loyers commerciaux ne peut déterminer qu'une somme fixe et ne peut modifier la clause de loyer variable, reconduite dans le bail renouvelé.
Si les parties qui stipulent une clause de loyer variable manifestent ainsi, en principe, une volonté d'exclure une fixation judiciaire du prix du bail renouvelé à la valeur locative, il en va autrement lorsqu'elles ont exprimé une volonté commune contraire.
Dès lors, pour la Haute juridiction, même en l'absence d'une clause expresse de recours au juge des loyers commerciaux, il appartient à celui-ci, lorsqu'il est saisi du moyen de défense au fond de rechercher cette volonté commune contraire, soit dans le contrat, soit dans des éléments extrinsèques.
Ainsi, le fait que toute contestation sur le prix d'un bail renouvelé ne se résolve pas par une fixation judiciaire à la valeur locative et puisse aboutir au maintien du loyer antérieur, les parties pouvant toujours exercer leur droit d'option, ne méconnaît pas le droit d'accès au juge consacré par l'article 6 § 1 de la CESDH N° Lexbase : L7558AIR.
La Cour de cassation censure alors l’arrêt d’appel qui a déclaré irrecevable la demande en fixation judiciaire du loyer renouvelé.
En effet, la locataire ne soulevait pas une fin de non-recevoir mais une défense au fond et la cour d'appel devait restituer son exacte qualification à ce moyen et rechercher, comme le lui demandait la bailleresse, si les parties n'avaient pas exprimé une volonté commune, en cas de désaccord, de voir fixer judiciairement le prix du bail renouvelé à la valeur locative.
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : La clause-recettes du bail commercial, L'exclusion des mécanismes légaux de fixation du prix du bail renouvelé en présence d'une clause recettes au contrat de bail commercial, in Baux commerciaux (dir. J. Prigent), Lexbase N° Lexbase : E8942AEW. |
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