Lexbase Contentieux et Recouvrement n°5 du 29 mars 2024 : Voies d'exécution

[Le point sur...] La réforme du droit OHADA du recouvrement

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par Claire Séjean-Chazal, Professeur à l'Université Sorbonne Paris Nord, Membre du comité scientifique de la revue Lexbase Contentieux et recouvrement

le 16 Avril 2024

Mots-clés : OHADA • acte uniforme • AUPSRVE • procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution


 

Le 17 octobre 2023, à Kinshasa, le Conseil des Ministres de l’OHADA [1] a adopté un nouvel acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution (AUPSRVE) [2]. Ce nouveau texte, entré en vigueur le 16 février 2024 et applicable aux procédures ouvertes à compter de cette date, abroge pour l’avenir les règles issues du précédent AUPSRVE du 10 avril 1998.

Cette réforme est notable à plus d’un titre. Elle l’est tout d’abord à raison de son intérêt évident pour les praticiens, qui scrutent déjà les nouveaux articles. Rien d’étonnant, quand on sait que c’est le plus usité des onze actes uniformes, et qu’à lui seul il est à l’origine de plus de 70 % du contentieux porté devant la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA). Cet engouement, peu habituel pour le droit de l’exécution, s’explique vraisemblablement par le fait que l’efficacité du recouvrement est une pierre d’angle de la réussite de l’objectif de l’OHADA, à savoir « garantir la sécurité juridique des activités économiques, afin de favoriser l'essor de celles-ci et d'encourager l'investissement » [3]. Or, sans la garantie de procédures de recouvrement efficaces et sûres, il ne peut y avoir de véritable développement de l’investissement.

Cette réforme est notable également par le défi d’harmonisation qu’elle a su relever, dans une matière pour laquelle on sait que les États sont souvent peu enclins à abandonner leur souveraineté. C’est cette difficulté de rechercher, et de trouver, un accord entre les dix-sept États-membres qui explique en grande partie que l’ancien AUPSRVE n’avait pas fait jusqu’ici l’objet d’une révision, contrairement à la plupart des autres actes uniformes. Cela explique également que le processus de réforme ait été particulièrement long, alors qu’il avait été entamé il y a longtemps en raison des critiques de la pratique et du développement de jurisprudences contra legem.

Les objectifs affichés par cette réforme sont de faciliter davantage les procédures de recouvrement des créances commerciales dans les États-membres de l'OHADA, en offrant une réglementation plus claire, des procédures plus rapides et plus efficaces. Sans prétendre à l’exhaustivité, irréaliste dans le cadre de ces colonnes, la présente étude se propose de présenter quelques mesures phares répondant aux objectifs affichés de sécurité (I), de célérité (II) et d’efficacité (III) de ce nouveau droit du recouvrement, tout en envisageant les préoccupations déjà soulevées, alors que l’AUPSRVE vient à peine d’entrer en vigueur.

I. Sécurité

La sécurité juridique est un des objectifs fondamentaux des droits de tradition continentale, qui y répondent notamment par la technique de la codification. Cela se traduit par des dispositions écrites, au sein d’un plan organisé, avec le cas échéant des définitions, et l’énoncé de règles de principe qui permettront de résoudre des questions issues de dispositions particulières. Le nouvel AUPSRVE se conforme à cette technique législative, par la consécration d’un chapitre préliminaire, intitulé « dispositions communes ».

Ce chapitre, en son article 1er, détermine textuellement le champ d’application de l’acte, ce qui n’avait pas été fait dans le précédent. Positivement, l’acte « s’applique aux procédures d’injonction de payer et d’injonction de délivrer ou de restituer, aux saisies conservatoires et aux voies d’exécution » ; négativement, il ne s’applique pas « aux saisies de navires ou d’aéronefs [… au] recouvrement des créances publiques ; [aux] mesures conservatoires prévues par d’autres actes uniformes ». L’article 1-1, quant à lui, donne une liste de définitions des termes utiles à l’application de l’acte, tel que « cahier des charges », « jour ouvrable », « signification », ou encore « tiers saisi ».

Des « Dispositions générales » se retrouvent également en tête du Livre II sur les voies d’exécution.

Au sein de ces dispositions communes, il faut souligner que certaines posent de nouvelles règles uniformes, là où il était jusqu’à présent renvoyé aux droits nationaux. Un tel renvoi était nécessairement cause d’insécurité en raison du risque de divergences dans l’application des procédures communes. Ainsi, les nouveaux articles 1-9, 1-10 et 1-11 déterminent désormais de manière unifiée les modalités de la signification à personne. De la même manière, le nouvel article 51 donne une liste de biens uniformément considérés comme insaisissables dans tous les États-membres. Le recul du renvoi aux lois nationales ne peut être qu’un facteur de sécurité juridique [4].

Quant au nouvel article 30, il a vocation à réduire la forte insécurité liée au contentieux nombreux et changeant relatif aux immunités d’exécution. Cette disposition consacre textuellement la faculté de renonciation au bénéfice de l’immunité, qui n’était que jurisprudentielle [5]. Mais surtout, elle s’efforce de donner une définition des personnes bénéficiant de l’immunité, comme étant « les personnes morales de droit public », consacrant ainsi la jurisprudence « Togo Telecom » [6]. Elle accompagne cette définition d’une liste non exhaustive de personnes morales considérées comme publiques (État, collectivités territoriales, établissements publics). Pourtant, derrière ces progrès, des insécurités demeurent. En effet, l’absence de la notion d’« entreprise publique » inquiète. La liste n’étant pas exhaustive, cet « oubli » signifie-t-il que les entreprises, constituées sous une forme de droit privé, mais au capital desquelles prend part une personne morale de droit public, pourront désormais bénéficier de l’immunité d’exécution ? La stabilité récente de la jurisprudence de la CCJA [7] laisse espérer que ce ne sera pas le cas, sous peine de voir renaître une insécurité liée à la volonté discrétionnaire des États.

Pour finir, évoquons le nouvel article 1-16. Il consacre, à titre de principe directeur encadrant les vices de forme [8], les règles « pas de nullité sans texte » et « pas de nullité sans grief », cette dernière n’existant jusqu’alors que dans le cadre de la saisie immobilière [9]. Ainsi, le juge ne sera plus un « distributeur automatique de nullité » [10], et devra vérifier l’existence réelle d’un préjudice avant d’anéantir un acte de procédure. Décourageant les actions dilatoires, cette mesure devrait également s’avérer gage de célérité.

II. Célérité

La célérité est une des principales promesses faites par l’AUPSRVE, dans le but de remédier aux statistiques selon lesquelles il faudrait 180 jours pour être payé sur le continent africain.

À ce titre, on peut relever que la réforme consacre l’équivalence des formes papier et électronique des actes [11], ainsi que la possibilité, aux côtés de la traditionnelle signification papier, d’une signification par voie électronique [12]. Au-delà de la modernisation, cette faculté de dématérialisation des procédures vise vraisemblablement à les simplifier et les accélérer, afin d’éviter notamment la lenteur d’une signification papier à personne. Cependant, cette innovation paraît unanimement utopique à l’heure actuelle, compte tenu de la réalité de terrain de la zone OHADA.

Mais surtout, pour accélérer les procédures, de profondes innovations ont été faites en terme de délai dans l’ensemble de l’acte uniforme. C’est le cas en particulier dans la procédure d’injonction de payer, dont nombre de praticiens se détournent actuellement en raison de sa lenteur. Chaque étape de cette procédure est désormais assortie d’un délai, nouveau ou raccourci : l’article 5 prévoit que le magistrat doit rendre « l’ordonnance dans les trois jours de sa saisine » ; le nouvel article 8 instaure ensuite un délai de dix jours pour payer ou former opposition à compter de la signification de ladite ordonnance (contre quinze auparavant [13]) ; la tentative de conciliation doit alors être intentée dans les quinze jours suivants la désignation du juge chargé de cette mission [14] ; en cas d’échec de la conciliation entraînant une décision rendue au fond, le délai d’appel passe de trente à quinze jours à compter du prononcé de la décision, et le greffe doit transmettre le dossier « à la juridiction d’appel compétente dans un délai de dix jours à compter de la signification qui lui a été faite de l’acte d’appel » [15] ; la juridiction d’appel doit enfin se prononcer dans les « deux mois à compter de la première audience qui ne peut se tenir plus d’un mois à compter de la réception du dossier » [16]. Quoique ces nouveautés paraissent aller dans le sens d’une célérité accrue des procédures, quelques points peuvent faire douter de cette réalité. En premier lieu, dans un délai, la durée n’est rien sans son point de départ ; or quand le point de départ d’un délai, qui se veut court, est « la désignation du juge », la réalité du terrain peut faire craindre que la procédure ne soit que théoriquement accélérée. En second lieu, aucune disposition ne prévoit de sanction lorsqu’un juge ne respectera pas les délais qui lui sont impartis par les textes. Une sanction professionnelle n’est pas une piste envisageable utilement, car, à l’image des dispositions pénales, elle serait laissée à la discrétion des États-membres et aboutirait potentiellement à une sanction à dix-sept vitesses… Le Docteur Emmanuel Douglas Fotso plaide en faveur de la transposition de la jurisprudence de la CCJA rendue en matière de saisie immobilière, selon laquelle à expiration du délai la juridiction est réputée dessaisie, ce qui implique que tout arrêt rendu au-delà dudit délai est nul et de nul effet [17]. Si cette jurisprudence a le mérite de proposer une sanction, elle ne permet pas de faire respecter l’exigence de célérité. A l’inverse, considérer que le défaut de décision équivaut à un rejet implicite permettrait de respecter l’objectif poursuivi, mais au détriment d’une bonne administration de la justice.

On l’aura compris, pour ce qui est de la célérité, les innovations textuelles ne suffisent pas à rassurer. Dans l’attente de pouvoir déterminer ce que pourront concrètement faire les magistrats, mais également de connaître une éventuelle position de la CCJA, la pratique risque de continuer à se détourner de la procédure d’injonction de payer. À défaut, ils pourront espérer un recouvrement efficace grâce aux nouvelles saisies consacrées dans le nouvel AUPSRVE.

III. Efficacité

Pour que le recouvrement soit fructueux, il faut permettre au créancier d’aller chercher la valeur là où elle se trouve dans le patrimoine de son débiteur. Ceci implique à la fois de s’adapter à l’évolution et à la réalité des fortunes. Pour y parvenir, le nouvel AUPSRVE consacre de nouvelles saisies spéciales, répondant à ces deux desseins.

Tout d’abord, parmi ces nouvelles saisies, certaines s’adaptent simplement à l’évolution des fortunes, comme c’est généralement le sens des réformes des procédures civiles d’exécution, en organisant des procédures propres à certains biens. Ainsi, les articles 152-16 à 152-26 organisent la saisie des biens placés dans un coffre-fort ; les articles 236 et suivants, sur la saisie des droits d’associés et valeurs mobilières, sont étendus aux autres titres négociables ; un nouveau titre VII bis voit le jour, organisant aux articles 245-1 et suivants une procédure spéciale relative à la saisie du fonds de commerce, dont la valeur peut désormais servir à désintéresser un créancier en dehors de l’existence d’un nantissement.

Les autres nouvelles saisies sont, quant à elles, consacrées dans le but de permettre au droit OHADA de s’éloigner du droit français, qui a pu paraître (trop ?) longtemps son modèle, et de s’adapter aux réalités du continent africain. Voit ainsi le jour la possibilité, au sein de la saisie-attribution, de saisir des « avoirs en monnaie électronique dont le débiteur peut disposer en effectuant un retrait, un paiement ou un transfert » [18], objet dont le chapitre préliminaire donne la définition à l’article 1-1, soulignant de ce fait sa nouveauté. Sont ainsi officiellement saisissables les monnaies proposées par les opérateurs téléphoniques, qui remportent un franc succès en pratique.

Mais surtout, le nouvel AUPSRVE consacre la possibilité pour un créancier de saisir le bétail, à titre conservatoire ou exécutoire. Après une définition, à l’article 1-1, de ce qu’il faut entendre par « bétail » au sens de l’AUPSRVE, ce ne sont pas moins de vingt-cinq articles qui organisent le régime applicable à la saisie de ces animaux ayant une valeur marchande, que ceux-ci soient entre les mains du débiteur ou d’un tiers, qu’ils doivent être déplacés pour le pâturage malgré leur indisponibilité, qu’ils donnent lieu à un croît, ou encore que leur entretien rende nécessaire la saisie concomitante de pailles, fourrages ou de grains.

À peine entré en vigueur, le nouvel acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution suscite déjà des craintes quant à l’application de certaines innovations. Il faudra donc prêter attention à la pratique des créanciers (ou de leurs conseils), aux diligences des magistrats nationaux, et aux positions de la CCJA. Dans cette attente, n’oublions pas de saluer le travail d’harmonisation et de modernisation proposé par le législateur OHADA.


[1] Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires.

[2] Publié au journal Officiel de l'OHADA le 15 novembre 2023.

[3] Préambule du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, Port-Louis, 17.10.1993.

[4] Une même évolution se retrouve dans les régimes spéciaux. Par exemple, toute décision rendue sur opposition dans la procédure d’injonction de payer est désormais susceptible d’appel, alors que l’ancienne version de l’article 15 renvoyait au droit national des Etats parties.

[5] L. Pongo-Wonya, Les immunités d’exécution à la lumière de la jurisprudence de la jurisprudence de la CCJA, Ohada.com, Ohadata D-23-06.

[6] CCJA, 1ère ch., n° 43-2005, 7 juillet 2005.

[7] V. notamment CCJA, 1ère ch., n° 060/2022, 3 mars 2022 : « le seul fait pour une société privée de bénéficier des subventions de l’Etat, ne lui confère pas le bénéfice de l’immunité. Aucune société ne peut être à la fois anonyme et personne de droit public. Le fait qu’une société soit investie d’une mission de service public et que l’Etat ait une participation au capital ne change en rien sa nature de société anonyme donc de droit privé soumise, comme telle aux conditions d’exécution des sociétés de droit privé ».

[8] Pour les vices de fond, l’article 28-4 AUPSRVE n’impose pas de justifier d’un grief pour obtenir la nullité.

[9] Anc. art. 297 al.2.

[10] G.S. Tsetsa, Regards sur la réforme de la saisie immobilière en droit OHADA, Ohada.com, Ohadata D-23-23.

[11] AUPSRVE, art. 1-5.

[12] AUPSRVE, art. 1-8.

[13] Délai repris à l’article 10 AUPSRVE, qui prévoyait précédemment un délai de quinze jours.

[14] AUPSRVE, art. 12.

[15] AUPSRVE, art. 15 al.6

[16] AUPSRVE, art 15 al.7.

[17] CCJA, 2Ch., n° 96/2022, 9 juin 2022.

[18] AUPSRVE, art. 153.

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