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par Patrick Gielen, Secrétaire de l’UIHJ, Huissier de justice Belgique (Modero Bruxelles)
le 27 Mars 2024
Mots-clés : exécution forcée • huissier de justice • convention européenne des droits de l’Homme • accès aux données patrimoniales • registres et bases de données.
Cet article examine l'importance de l'accès aux informations du débiteur dans l'exécution forcée des décisions de justice en Belgique. L'efficacité de l'huissier de justice dépend de sa connaissance du patrimoine du débiteur, essentielle au respect de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. La Belgique offre un accès efficace aux données patrimoniales via divers registres tels que le Registre national, le Registre des étrangers, la Banque-Carrefour des Entreprises, et d'autres. Cependant, l'accès aux comptes bancaires reste complexe. Malgré cela, la Belgique maintient un accès privilégié aux données patrimoniales, soulignant l'importance de cette mission pour les huissiers de justice en tant que garants de l'exécution des décisions judiciaires.
La question cruciale de l'accès aux informations du débiteur se pose inévitablement dans le contexte de l'exécution forcée des décisions de justice. L'efficacité de l'huissier de justice dans sa mission de recouvrement dépend largement de la connaissance approfondie du patrimoine du débiteur.
Cet article explore cette dynamique complexe, soulignant son importance fondamentale pour le respect de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme et des libertés fondamentales N° Lexbase : L7558AIR (CEDH) qui garantit le droit à l'exécution des décisions judiciaires définitives.
L'article 6 de la CEDH, consacrant le "droit à un tribunal", établit que l'exécution des décisions judiciaires est essentielle à ce droit. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, notamment les arrêts Scordino contre Italie (2006) [1] et Hornsby contre Grèce (1997) [2], confirme cette affirmation. Toutefois, l'exécution forcée doit respecter des délais raisonnables, comme souligné dans l'arrêt Bourdov contre Russie (2002) [3], évitant ainsi la violation de la Convention.
Le patrimoine du débiteur se divise en deux catégories : le patrimoine positif, représentant ce qu'il possède, et le patrimoine négatif, regroupant l’ensemble de ses dettes.
Avant d'engager toute mesure d'exécution, l'huissier de justice doit évaluer la solvabilité de l'intéressé en considérant la différence entre le patrimoine positif et négatif.
De plus, il doit déterminer, en fonction de ce résultat si une exécution forcée est utile. En effet, une exécution forcée ne peut avoir lieu que dans l’hypothèse ou une partie débitrice ne veut pas payer et est solvable. Une fois que l’huissier de justice à décider de poursuivre l’exécution forcée il doit encore employer la mesure d'exécution la plus efficace pour le cas spécifique.
Il ne peut faire ces choix que dans l’hypothèse où il connaît, avec la plus grande certitude, l’état du patrimoine du débiteur, que ce dernier soit négatif ou positif.
L'exécution forcée est uniquement envisageable si le débiteur présente une solvabilité suffisante et refuse de respecter la décision judiciaire. En l'absence de ces conditions, des alternatives telles que la médiation, la conciliation, le recouvrement amiable ou l'intervention des services sociaux doivent être envisagées. L'accès aux données patrimoniales devient ainsi crucial pour éviter des procédures longues et coûteuses.
La Belgique, à la suite de la réforme de 2014, offre un accès efficace aux informations nécessaires à l'huissier de justice. L'article 519 §3 du Code judiciaire belge souligne le devoir d'information de l'huissier envers le créancier et le débiteur, incluant la possibilité d'accéder aux registres même avant d'entamer une procédure d'exécution.
Cette approche proactive permet d'orienter le créancier vers des solutions judiciaires ou amiables.
La Belgique dispose d'une gamme complète de registres et de bases de données, offrant à l'huissier de justice une vision exhaustive du patrimoine du débiteur.
L'article 5, 4° de la loi du 8 août 1983 organisant un Registre national des personnes physiques permet aux huissiers de justice d'accéder à des informations cruciales telles que :
Cette consultation, réalisée de manière informatisée via la plateforme e-huissier de justice, facilite la localisation du débiteur et une analyse approfondie de sa situation.
L'huissier de justice peut, lorsqu’il peut justifier d’une mission, accéder à certaines données du Registre des étrangers, permettant la localisation du lieu de travail des frontaliers.
Cette information est précieuse pour trouver des solutions, notamment dans le cas de saisies de salaires.
La loi du 16 janvier 2003 a créé la Banque-Carrefour des entreprises, offrant des informations complètes sur les personnes morales et physiques exerçant une activité économique en Belgique.
Cette base de données, accessible au public, est un outil essentiel pour localiser les personnes morales de droit belge ainsi que de toute personne physique ou association qui, en Belgique, exercent une activité économique et professionnelle, sans oublier les établissements publics.
Elle contient les informations suivantes :
Ce fichier centralise divers avis, dont ceux de saisie, délégation, cession, règlement collectif de dettes, protêt, et expulsion. L'accès à ce fichier est réglementé, mais il constitue une source importante d'informations sur le patrimoine négatif du débiteur.
La consultation de ce fichier est permise à l’huissier de justice en justifiant de la poursuite d’une procédure de recouvrement au fond à la condition qu’il dispose, à cet effet, d’un mandat judiciaire le chargeant, même à titre conditionnel, de diligenter une telle procédure.
L'huissier de justice a un accès en ligne complet au répertoire de la DIV. Pour pouvoir consulter la DIV il faut une double finalité :
Cet accès a été étendu récemment par la loi du 13 avril 2019 entré en vigueur le 6 mai 2022.
Désormais outre la consultation en cas de saisie d’un véhicule, l’huissier de justice peut consulter la DIV dans les cas suivants :
Par ailleurs, il convient de garder à l’œil que le titulaire de la plaque n’est pas nécessairement le propriétaire du véhicule. Dès lors, l’immatriculation au nom d’une personne ne constitue jamais qu’une présomption permettant d’estimer le patrimoine du débiteur.
La nouvelle loi sur le gage a établi un registre des gages purement électronique, accessible au public sans justification particulière. Cette ressource permet d'obtenir des informations sur le patrimoine négatif du débiteur.
Le Registre naval belge enregistre les données liées aux navires, offrant une vision du patrimoine positif du débiteur. Les informations incluent l'enregistrement des navires, les actes de propriété, et les saisies éventuelles.
L'accès en ligne aux registres du Cadastre, autorisé par la Commission Vie Privée, permet à l'huissier de justice de déterminer les biens immobiliers à saisir. Cette ressource est essentielle dans les procédures de saisie-conservatoire et de saisie-exécution immobilière.
Les registres publics de la conservation des hypothèques répertorient les sûretés réelles immobilières et les inscriptions de gage sur fonds de commerce.
Accessibles moyennant une redevance, ces registres offrent une vue d'ensemble du patrimoine positif et négatif du débiteur.
La conservation des hypothèques est un registre officiel accessible au public moyennant une redevance, et les données doivent être recherchées sur la base de l’identité de la personne concernée.
Ce registre est donc consultable à tout moment, sans devoir justifier d’une finalité particulière.
Créé en 2009, ce registre centralise les données de tous les contrats de mariage. Accessible à toute personne justifiant d'un intérêt, il fournit des informations précieuses pour évaluer la solvabilité du débiteur.
L'accès aux comptes bancaires est plus complexe, nécessitant une demande de saisie arrêt conservatoire, généralement initiée par un avocat devant le juge des saisies.
Bien que cette démarche soit indirecte, le règlement européen sur la saisie des comptes bancaires a ouvert des possibilités, soulignant l'influence des réglementations européennes sur le droit national belge.
L'huissier de justice a accès à la Banque-Carrefour de la sécurité sociale. Cette banque de données est chargée de conduire, d'organiser et d'autoriser les échanges de données sociales entre les banques de données.
Cette ressource offre des renseignements complets sur les allocations sociales d’une multitude d’institutions.
Conclusion : En conclusion, la Belgique jouit d'un accès privilégié aux données patrimoniales, permettant aux huissiers de justice d'adapter et d’affiner leurs procédures d'exécution avec précision. Cependant, la quête d'un accès plus direct au registre des comptes bancaires reste un enjeu majeur. En tant que garants de l'exécution des décisions judiciaires, les huissiers de justice revendiquent l'importance de cette mission dans le maintien d'un État de droit, soulignant la nécessité d'une ouverture accrue aux données pour renforcer l'efficacité et la justesse des procédures. |
[1] CEDH, 6 mars 2007, Req. 43662/98, Scordino c/ Italie N° Lexbase : A4403DUM.
[2] CEDH, 19 mars 1997, Req. n°18357/91, Hornsby c/ Grèce N° Lexbase : A8438AWG.
[3] CEDH, 15 janvier 2009, Req. 33509/04, Bourdov c/ Russie N° Lexbase : A1014XY9.
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