Réf. : Cass. civ. 2, 4, arrêts, 7 mars 2024, n° 21-19.475 N° Lexbase : A41372SZ, n° 21-19.761 N° Lexbase : A41302SR, n° 21-23.230 N° Lexbase : A41362SY, n° 21-20.719 N° Lexbase : A41312SS, FS-B
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par Yannick Ratineau, Maître de conférences à l’Université Grenoble Alpes, Co-directeur de l’Institut d’Études Judiciaires de Grenoble, Co-directeur du BACAGe (Bulletin des Arrêts de la Cour d’Appel de Grenoble),Centre de Recherches Juridiques – EA 1965
le 18 Septembre 2024
Mots-clés : appel • péremption d’instance • clôture de la mise en état • fixation des plaidoiries • diligence des parties • conseiller de la mise en état • défaillance
Par quatre arrêts rendus le 7 mars 2024, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation procède à un revirement de sa jurisprudence relative à la péremption d’instance en cause d’appel. La solution nouvelle pose comme principe qu’en appel avec représentation obligatoire en circuit long, lorsque les parties ont chacune conclu dans le délai qui leur est imposé, non seulement la péremption ne court plus à leur encontre, mais encore n’ont-elles plus, en pareille hypothèse, à demander au conseiller de la mise en état (CME) de clôturer la mise en état et fixer les plaidoiries.
À l’ère des réseaux sociaux, l’information, même de nature juridique, circule à très grande vitesse. Nous en voulons pour preuve le fait que les quatre arrêts rendus par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 7 mars 2024 ont déjà fait l’objet de très nombreux commentaires en ligne, principalement par des avocats qui, de concert, ont salué ce revirement de jurisprudence relatif à la péremption d’instance en cause d’appel. Pour comprendre l’enthousiasme – que nous ne partageons pas totalement – suscité à la lecture – le plus souvent rapide des commentateurs connectés – des quatre arrêts du 7 mars 2024, il convient de se rappeler que, jusqu’à présent, la Cour de cassation considérait qu’il revenait aux parties d’assumer la charge – et par voie de conséquence, le risque associé – de l’allongement des délais de clôture de la mise en état et de fixation de leur affaire pour les plaidoiries. La raison ? En cause d’appel, les textes imposent des délais impératifs aux parties et à leurs avocats pour déposer leurs premières conclusions [1], et il leur appartient de faire toute diligence utile pour faire avancer l’instance jusqu’à son terme [2]. Si après l’échange des premières conclusions, les parties estiment être en état de plaider leur affaire, elles peuvent solliciter du conseiller de la mise en état (CME) la clôture de la mise en état et la fixation de l’affaire pour les plaidoiries. La demande des parties a pour effet d’interrompre le délai de péremption qui courait, et provoque le départ d’un nouveau délai dès lors que la demande des parties n’a pas d’effet suspensif [3]. À ce stade, il serait donc logique de penser que c’est alors au juge de faire avancer l’affaire en fixant la clôture de la mise en état et les plaidoiries, dans un délai de quinze jours à compter de l’expiration des délais donnés aux parties pour conclure, comme le lui impose le Code de procédure civile [4]. Si le CME clôt la mise en état et fixe les plaidoiries, il est de jurisprudence constante que la direction de la procédure échappe alors aux parties, et la péremption ne court plus [5]. Mais dans le cas contraire, aussi curieux et injuste [6] que puisse être cette solution, la Cour de cassation a toujours considéré que tant que l’affaire est « à fixer », la péremption court… De fait, les parties, bien qu’elles aient été diligentes, sont malgré tout sanctionnées, non pas en raison de leur propre défaillance, mais en raison de celle du CME qui, le plus souvent en raison de rôles d'audience d'ores et déjà complets, est dans l’impossibilité matérielle de fixer l'affaire dans un délai inférieur à deux ans [7]. C’est précisément sur cette solution que la Cour de cassation revient à l’occasion d’un magistral revirement de jurisprudence qu’elle opère au sein de quatre arrêts rendus en rafale le 7 mars 2024, pour dire que, si le CME ne clôture pas la mise en état et ne fixe pas les plaidoiries, la péremption ne court pas contre les parties.
En l’espèce, les quatre arrêts portent sur des affaires qui présentent une configuration similaire en ce qu’elles concernent toute l’hypothèse dans laquelle il est fait appel d’un jugement qui va suivre le circuit ordinaire avec mise en état. Dans chacune des affaires, chaque partie va conclure dans son délai initial, mais aucune ne sollicite la clôture de la mise en état et la fixation des plaidoiries du CME, qui, de son côté, ni ne clôture ni ne fixe. Conformément à la solution classiquement retenue par la Cour de cassation en pareille hypothèse, dans trois affaires sur quatre, la sanction ne s’est pas faite attendre, et les cours d’appel ont considéré que les instances en question étaient périmées. Il est à noter ici qu’au sein des arrêts commentés, une cour d’appel a fait de la résistance – ou a anticipé le revirement de la Cour de cassation – en considérant qu’à compter de l’instant où « les parties avaient accompli les charges procédurales leur incombant, et en l'absence de diligences particulières mises à leur charge par le conseiller de la mise en état, […] la péremption n'était pas acquise » [8], ce qui a justifié le rejet du pourvoi par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation. Dans les trois autres arrêts, la deuxième chambre civile, au visa de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales N° Lexbase : L7558AIR, et des articles 2 N° Lexbase : L1108H4S, 386 N° Lexbase : L2277H44, 908 N° Lexbase : L2401MLI, 909 N° Lexbase : L7240LEU, 910-4 N° Lexbase : L9354LTM et 912 N° Lexbase : L7245LE3 du Code de procédure civile, ces quatre derniers dans leur rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 dit « Magendie » [9], a prononcé la cassation des décisions rendues par les cours d’appel au motif qu’« il résulte de la combinaison de ces textes, interprétés à la lumière de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, qu'une fois que les parties ont accompli toutes les charges procédurales leur incombant, la péremption ne court plus à leur encontre, sauf si le conseiller de la mise en état fixe un calendrier ou leur enjoint d'accomplir une diligence particulière ».
La deuxième chambre civile de la Cour de cassation consacre finalement l’idée selon laquelle la péremption ne peut courir contre les parties dès lors qu’elles n’ont plus de diligence utile à effectuer en vue de faire avancer l'affaire. C’est précisément la solution qu’elle retenait déjà dans l’hypothèse où le CME avait fixé l’affaire pour clôture et plaidoiries [10]. Il faut donc comprendre que la solution est donc étendue à l’hypothèse dans laquelle le CME aurait dû le faire. Si les quatre arrêts rendus le 7 mars 2024 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation ont suscité l’enthousiasme, le temps est-il réellement aux réjouissances ? En effet, une analyse approfondie de ces arrêts, qui dépasse donc leur lecture rapide et suppose davantage que quelques lignes publiées tout aussi rapidement sur les réseaux sociaux pour en chanter les louanges, nous conduit à faire preuve de davantage de prudence, et par voie de conséquence, de moins d’enthousiasme. Les raisons ? Les fondements de ce revirement (I) et ses conséquences (II).
I. Les fondements du revirement
Nous l’avons écrit, les trois arrêts de la deuxième chambre civile ayant donné lieu à cassation ont été rendus sous un visa identique rédigé comme suit : « Vu l’article 6, §, 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et les articles 2, 386, 908, 909, 910-4 et 912 du Code de procédure civile, ces quatre derniers dans leur rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 ». À partir de ce visa, la Cour de cassation rappelle plusieurs principes que nous ne listerons pas ici afin de ne pas alourdir inutilement la lecture de ce commentaire. Ce visa interpelle car il semble fonder tout à la fois, non seulement la nécessité pour la Cour de cassation de revirer sa jurisprudence antérieure, mais également la solution nouvelle en vertu de laquelle, « il résulte de la combinaison de ces textes, interprétés à la lumière de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qu'une fois que les parties ont accompli toutes les charges procédurales leur incombant, la péremption ne court plus à leur encontre, sauf si le conseiller de la mise en état fixe un calendrier ou leur enjoint d'accomplir une diligence particulière ». Or, il sera observé que tous les textes visés par la Haute juridiction ne participent pas directement à l’élaboration de la solution nouvelle. Il en est ainsi de l’article 6, § 1, de la Convention européenne qui joue simplement un rôle d’aiguilleur dans la recherche de la solution retenue par la Haute juridiction. Il en va de même de certains articles du Code de procédure civile, notamment les articles 2, 386, 908 et 909 dont on peut admettre qu’ils ne sont pas d’un grand intérêt immédiat par la construction de la solution nouvelle, même si l’article 2 figure au titre des principes directeurs du procès civil. Dès lors, quel intérêt pour la Haute juridiction de viser ces textes, si ce n’est parer la solution nouvelle d’une certaine majesté censée pallier, peut-être, le fait que le fondement juridique du revirement auquel il est procédé au sein des arrêts commentés est ailleurs que dans ce visa.
En effet, les arrêts du 7 mars 2024 mettent fin à une solution jurisprudentielle qui s’était fermement installée, comme en témoigne les solutions retenues par les trois cours d’appel dont les décisions ont été cassées. En conséquence, si le revirement de jurisprudence auquel procède la deuxième chambre civile de la Cour de cassation était fondé sur une remise en question de la jurisprudence antérieure, notamment au regard de son caractère profondément injuste, l’on aurait pu légitimement s’attendre à ce que la Haute juridiction opère un bilan de cette dernière au sein d’une motivation enrichie dans laquelle elle aurait pu en souligner les défauts, les faiblesses, et pourquoi pas aussi, les mérites, si tant est qu’il y en ait eu, autrement dit les raisons objectives la conduisant à revirer sa solution. Pourtant, ni éloge, ni critique de sa jurisprudence antérieure dans aucun des quatre arrêts rendus le 7 mars 2024. La solution antérieure est simplement exposée, pour rappel. Le fondement du revirement de jurisprudence n’est pas donc pas à rechercher dans une remise en question de la solution antérieure résultant d’une prise de conscience de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation de la pertinence des critiques dont elle faisait l’objet. Non, à suivre le raisonnement proposé, le revirement auquel elle procède n'est pas du tout motivé par les faiblesses de sa jurisprudence antérieure, mais plutôt par les évolutions du droit positif, et à ce titre, elle ne manque pas de souligner dans les arrêts commentés que « le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 a inséré, dans le Code de procédure civile N° Lexbase : L2696LEL, un nouvel article 910-4 qui impose aux parties, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, de présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 N° Lexbase : L7036LEC et 908 à 910 N° Lexbase : L2403MLL, l’ensemble de leurs prétentions sur le fond ». Sauf qu’à ce stade, l’on peine à comprendre en quoi cette évolution du droit positif, à elle seule, impose le revirement de jurisprudence auquel il est procédé… Pour le comprendre, il faut poursuivre la lecture des trois arrêts jusqu’au passage où la deuxième chambre civile, se fondant sur des auditions réalisées sur le fondement de l'article 1015-2 du Code de procédure civile N° Lexbase : L3783LDH, en l’occurrence celles du Bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris, du président du Conseil national des barreaux, et du président de la conférence des premiers présidents de cour d’appel, explique que la demande de fixation de l’affaire formulée par les parties « se révèle, dans de nombreux cas, vaine lorsque la cour d’appel saisie se trouve dans l’impossibilité, en raison de rôles d’audience d’ores et déjà complets, de fixer l’affaire dans un délai inférieur à deux ans ». Tout s’éclaire !
Le fondement du revirement de jurisprudence auquel il est procédé dans les arrêts du 7 mars 2024 résulte donc du constat opéré par l’ensemble des acteurs judiciaires de l’impossibilité pour les cours d’appel de respecter le délai de fixation des plaidoiries issu du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 ! La cause de cette impossibilité est connue, identifiée de longue date, et récemment rappelée [11] : la justice n’a plus les moyens de remplir son rôle dans des conditions décentes. Cela est vrai pour la justice pénale, mais plus encore pour la justice civile qui connaît un lent déclassement se traduisant par un allongement des délais de jugement ainsi qu’un amoindrissement de la qualité des décisions rendues. Si le constat est opéré pour la première instance, il l’est aussi devant les cours d’appel. C’est donc bien le constat de la faillite des cours d’appel qui fonde le revirement de jurisprudence, et le constat de leur impossibilité d’appliquer les évolutions du droit positif issues du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017. Si les cours d’appel disposaient des moyens humains et matériels leur permettant de remplir leur rôle, en d’autres termes ici, si les CME étaient véritablement en capacité de fixer les affaires dans le délai Magendie requis par les textes, il n’est absolument pas certain que la seule réforme opérée par le décret du 6 mai 2017 aurait conduit la deuxième chambre civile à abandonner sa jurisprudence antérieure. De ce point de vue, il nous semble que le véritable fondement juridique du revirement de jurisprudence auquel il est procédé par les arrêts du 7 mars 2024 réside dans le respect, par la Haute juridiction, du principe à valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice [12], qui n’est curieusement pas visé par la Cour de cassation dans les quatre arrêts commentés. Or, le rôle de la justice civile est avant tout d’être au service de la réalisation des droits privés. Lorsque les moyens qui lui sont dévolus ne lui permettent pas de remplir son rôle, le principe de bonne administration de la justice impose au juge d’adapter l’interprétation qu’il fait des règles de droit aux réalités de leur mise en œuvre au sein des juridictions afin que les solutions qu’il retient ne deviennent pas un obstacle à la garantie et à la réalisation des droits des justiciables qui sont l’objectif premier de la justice civile. Reste que, lorsqu’un revirement de jurisprudence se fonde, comme c’est le cas ici, sur un constat de faillite de l’institution judiciaire, il nous semble difficile de se réjouir ou de se montrer enthousiaste. Cela nous semble d’autant plus vrai lorsque l’on sait que ces quatre arrêts ne constituent en réalité qu’une “rustine“ prétorienne laissant intact le problème de fond que la dernière réforme issue du décret n° 2023-1391 du 29 décembre 2023 N° Lexbase : L9662MK3 [13] ne solutionnera pas : celui de la durée des procédures civiles en appel !
II. Les conséquences du revirement
La solution retenue par les quatre arrêts du 7 mars 2024 pose désormais comme principe qu’en appel avec représentation obligatoire en circuit long, lorsque les parties ont chacune conclu dans le délai qui leur est imposé, non seulement la péremption ne court plus à leur encontre, mais encore n’ont-elles plus, en pareille hypothèse, à demander au CME de clôturer la mise en état et fixer les plaidoiries, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation indiquant expressément que « lorsque le conseiller de la mise en état n’a pas été en mesure de fixer, avant l’expiration du délai de péremption de l’instance, la date de la clôture ainsi que celle des plaidoiries, il ne saurait être imposé aux parties de solliciter la fixation de la date des débats à la seule fin d’interrompre le cours de la péremption. » La haute juridiction réserve toutefois deux hypothèses dans lesquelles la solution nouvelle ne trouverait pas à s’appliquer : en premier lieu, lorsque le CME fixe un calendrier de procédure, comme l’y autorise l’article 912 du Code de procédure civile ; en deuxième lieu, lorsque le CME enjoint aux parties de réaliser des diligences particulières, comme l’y autorise l’article 3 du même code N° Lexbase : L1111H4W. Ces réserves soulèvent une série de questions auxquelles il est plus ou moins aisé de répondre.
Il est possible de considérer que les réserves formulées par la Cour de cassation ont pour effet de maintenir la jurisprudence antérieure lorsque le CME clôture la mise en état et fixe les plaidoiries, de sorte que la direction de la procédure échappe aux parties et la péremption ne menace plus [14]. En outre, si les parties sollicitent du CME une clôture de la mise en état et la fixation des plaidoiries, puisque la péremption ne court plus contre les parties dans l’attente d’une initiative du CME, leur demande – devenue inutile avec les arrêts du 7 mars 2024 – ne pourra pas avoir pour effet de réenclencher le mécanisme de la péremption. Quid en revanche si les parties décident de conclure à nouveau, de leur propre initiative, après l’expiration des délais qui leur sont imposés ? La réponse est moins évidente à apporter. En effet, la jurisprudence décide qu’à compter de l’instant où le CME n’a ni clôturé ni fixé un calendrier, les parties peuvent toujours conclure en invoquant de nouveaux moyens jusqu’à la clôture de la mise en état [15]. Il est possible de considérer que les parties ont encore des moyens à ajouter au soutien de leurs prétentions, voire même des prétentions à ajouter, lesquelles peuvent être recevables sur le fondement de l’article 910-4, alinéa 2, du Code de procédure civile [16]. Dans cette hypothèse, les parties semblant reprendre la direction de la procédure, cela pourrait avoir pour effet, a priori, de faire repartir la péremption à compter du dépôt des nouvelles conclusions. Cette analyse n’est toutefois pas satisfaisante dans la mesure où l’article 912 du Code de procédure civile place le sort de la procédure entre les mains du CME ! Il peut donc clôturer la mise en état et fixer les plaidoiries – et dans cette hypothèse, il nous semble que la péremption ne menace pas dans l’attente de la décision du CME [17] – ou, constatant que les parties ont encore des moyens à ajouter au soutien de leurs prétentions, voire même des prétentions à ajouter, arrêter un calendrier. Si la pratique du « calendrier 912 » n’est pas très répandue en pratique, la direction de la procédure revient aux parties le temps du calendrier, et dans ce cas, la péremption court à compter de la décision du CME. Au terme du calendrier, soit les parties restent silencieuses, soit elles demandent au CME de clôturer la mise en état et fixer les plaidoiries. Mais dans ce cas, l’on pourrait être tenté de considérer que la péremption court à l’encontre des parties qui doivent demander la clôture de la mise en état et fixer les plaidoiries, laquelle interrompt mais ne suspend pas, conformément à la jurisprudence classique. Toutefois, la lecture des trois arrêts du 7 mars 2024 ayant conduit à la cassation des décisions rendues par les cours d’appel montre qu’une autre lecture est possible, la Cour de cassation considérant qu’« une fois que les parties ont accompli toutes les charges procédurales leur incombant, la péremption ne court plus à leur encontre. » De fait, sauf hypothèse dans laquelle le CME fait le choix de proroger les délais fixés dans le calendrier, ce que lui permet l’article 781 du Code de procédure civile N° Lexbase : L9319LTC en cas de cause grave et dûment justifiée, sur renvoi de l’article 907 du même code N° Lexbase : L3973LUP, il est possible de considérer que les parties parvenues au terme du calendrier ont accompli toutes leurs charges procédurales. Dans ce cas, il nous semble que la configuration est similaire à celle dans laquelle les parties ont conclu dans les délais et attendent la décision du CME sur la suite de la procédure. Les mêmes causes devant produire les mêmes effets, il nous semble que la même solution devrait être appliquée, de sorte que la direction de la procédure repasserait au CME au terme du calendrier qu’il a déterminé et il lui appartiendrait, à nouveau, soit de clôturer la mise état et de fixer les plaidoiries, soit de proroger les délais, soit de prévoir un nouveau calendrier, soit d’enjoindre aux parties la réalisation de diligences particulières. Il nous semble donc que la péremption ne courrait plus à l’encontre des parties et il ne saurait leur être imposé de solliciter la clôture de la mise en état et la fixation des plaidoiries. Comme il a déjà été observé : « cette interprétation présenterait de surcroît l’avantage de décourager les CME qui envisageraient d’imposer systématiquement aux parties un calendrier de procédure, même fictivement, à seule fin de rendre aux parties la direction de la procédure et avec elle le risque de la péremption, pour les obliger in fine à formuler une demande de clôture et fixation » [18]. Par prudence, nous ferons le choix de recommander aux professionnels de solliciter la clôture de la mise en état et de fixer les plaidoiries dans cette hypothèse, même si, comme le professeur Maxime Barba l’indique, « il n’est pas exclu que la Cour de cassation étende son revirement à ce cas et neutralise aussi le cours de la péremption pour les parties arrivées en bout de “calendrier 912“ » [19].
Une dernière question se pose toutefois : celle de l’extension de la solution nouvelle en première instance. Cette dernière semble difficile, voire impossible. La solution nouvelle posée dans les arrêts rendus le 7 mars 2024 est adossée aux articles 908, 909, 910-4 et 912 du Code de procédure civile car, c’est parce que les parties doivent conclure dans des délais impératifs en concentrant leurs prétentions que la direction de la procédure repasse au CME à l’expiration desdits délais, lequel doit alors exercer son office de clôture de la mise en état et de fixation des plaidoiries ou de détermination d’un calendrier de procédure. Rien de tout cela n’existe en première instance ! Aucune logique Magendie à l’œuvre, aucun principe de concentration des prétentions au premier jeu de conclusions, et mieux encore, le Code de procédure civile ne connaît aucun équivalent à l’article 912 pour la première instance. La solution nouvelle puise ses racines dans les effets que la rigidité de la procédure d’appel, dans un contexte de manque de moyens chronique empêchant les cours d’appel de fixer les plaidoiries dans les délais imposés par le décret Magendie du 6 mai 2017, a sur la garantie et la réalisation des droits des justiciables. Si la première instance manque cruellement de moyens, et voit également ses délais de jugement s’allonger, la rigidité de la procédure d’appel ne s’y retrouve toutefois pas, de sorte qu’il n’y aucune raison d’y transposer la solution nouvelle relative à la péremption d’instance issue des arrêts du 7 mars 2024. Reste que l’hypothèse d’une généralisation de la solution nouvelle ne saurait être définitivement exclue dès lors que les arrêts du 7 mars 2024 visent, outre l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, l’article 2 du Code de procédure civile qui figure au rang des principes directeurs du procès civil.
Pour l’avenir, il sera observé que la jurisprudence nouvelle établie par les arrêts du 7 mars 2024 ne sera nullement impactée par l’entrée en vigueur, à compter du 1er septembre 2024, des dispositions du décret n° 2023-1391 du 29 décembre 2023 N° Lexbase : L9662MK3, l’article 912 du Code de procédure civile n’évoluant pas en substance. Il pourrait en revanche en être différemment en raison du projet de décret portant diverses mesures de simplification de la procédure civile, dit « Magicobus » [20]. En l’état, le projet prévoit de pourvoir généralement la demande de clôture de la mise en état et de fixation des plaidoiries d’un effet suspensif du cours de la péremption, effet qui sera sans doute révoqué si une partie s’oppose à la clôture et à la fixation, et qui sera sûrement révoqué au cas d’un refus du CME ou du juge de la mise en état (JME). Si ce projet devait aboutir, la jurisprudence nouvelle de la deuxième chambre civile serait vraisemblablement brisée puisqu’il appartiendrait invariablement aux parties de solliciter la clôture de la mise en état et la fixation des plaidoiries, laquelle suspendra en revanche le cours de la péremption à coup sûr. Reste qu’il est tout aussi loisible au pouvoir réglementaire de consacrer la solution nouvelle de la Cour de cassation tout en affirmant, de manière générale, l’effet suspensif de la demande de clôture de la mise en état et de fixation des plaidoiries au regard du cours de la péremption… Comme on peut le voir, l’avenir de la solution nouvelle posée par les arrêts du 7 mars 2024 est pour le mois incertain, et nous y voyons là une raison de plus de ne pas totalement partager l’enthousiasme général que la publication de ses arrêts sur le site internet de la Cour de cassation a suscité…
À retenir : En appel avec représentation obligatoire en circuit long, lorsque les parties ont chacune conclu dans le délai qui leur est imposé, non seulement la péremption ne court plus à leur encontre, mais encore n’ont-elles plus, en pareille hypothèse, à demander au CME de clôturer la mise en état et fixer les plaidoiries. |
[1] CPC, art. 905-2 N° Lexbase : L7036LEC – CPC, art. 908 N° Lexbase : L7239LET – CPC, art. 909N° Lexbase : L7240LEU.
[2] Cass. civ. 2, 16 décembre 2016, n° 15-27.917, FS-P+B+I N° Lexbase : A2215SXC.
[3] Cass. civ. 2, 1er février 2018, n° 16-17.618, FS-P+B N° Lexbase : A4857XCU.
[4] CPC, art. 912 N° Lexbase : L7245LE3.
[5] Cass. civ. 2,12 févr. 2004, n° 01-17.565, FS-P+B N° Lexbase : A2681DBW – Cass. civ. 2,16 décembre 2016, n° 15-26.083, FS-P+B+I N° Lexbase : A2368SXY.
[6] Il ne s’agit pas ici de faire référence à une quelconque justesse technique, mais bien à la notion d’équité.
[7] Cass. civ. 2,16 décembre 2016, n° 15-27.917, FS-P+B+I précité.
[8] Cass. civ. 2,7 mars 2024, n° 21-20.719, FS-B N° Lexbase : A41312SS.
[9] Décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile N° Lexbase : L2696LEL.
[10] Cass. civ. 2,12 février 2004, n° 01-17.565, FS-P+B précité.
[11] Rapport du comité des États généraux de la justice, Rendre justice aux citoyens, Ministère de la Justice, avril 2022.
[12] C. Serrano, J. Esquenazi, M.-F Bénard, La bonne administration de la justice, Actes du colloque du 7 avril 2022, coll. LEJEP, Université de Cergy-Pontoise, 2023.
[13] Décret n° 2023-1391 du 29 décembre 2023 portant simplification de la procédure d’appel en matière civile N° Lexbase : L9662MK3 – C. Lhermitte, Réforme de la procédure d’appel : vous vouliez de la simplification ? vous aurez de la lisibilité, Lexbase Droit privé, janvier 2024, n° 969 N° Lexbase : N7909BZX – E. Vergès, Panorama de procédure civile 2023, Lexbase Droit privé, mars 2024, n° 976 N° Lexbase : N8602BZM – M. Barba, R. Laffly, « Simplification » de la procédure d’appel en matière civile, Dalloz-Actualités, 1er févr. 2024. – N. Gerbay, Le décret n° 2023-1393 du 29 décembre 2023 portant simplification de la procédure d’appel en matière civile : nouveautés et points de vigilance, Procédures 2024, Étude 1. – K. Leclere Vue, L. Veyre, « Réforme de la procédure d’appel en matière civile : explication de texte », D. 2024, 362.
[14] Cass. civ. 2,12 février 2004, n° 01-17.565, précité.
[15] Cass. civ. 2,20 octobre 2022, n° 21-17.375, FS-B N° Lexbase : A50918QM – v. déjà : Cass. civ. 2,4 juin 2015, n° 14-10.548, F-P+B [LXB=A2279KM].
[16] CPC, art 910-4.
[17] En ce sens également : M. Barba, Revirement sur la péremption d’instance : un beau moment de justice, Dalloz-Actualités, 20 mars 2024.
[18] M. Barba, « Revirement sur la péremption d’instance : un beau moment de justice », précité.
[19] M. Barba, op. cit.
[20] M. Lartigue, Simplification de la procédure civile en première instance : les mesures prévues dans le projet de décret Magicobus 1, Gaz. Pal., 13 févr. 2024, 4.
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