Réf. : Cass. civ. 1, 31 janvier 2024, n° 22-17.117, F-B N° Lexbase : A79132HK
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par Laura Chesnel, Commissaire de justice
le 26 Avril 2024
Mots-clés : expulsion • procès-verbal • inscription de faux • preuve • commissaire de justice • acte authentique • force probante
S’il est bien évidemment admis que les constatations réalisées personnellement par le commissaire de justice font foi jusqu’à inscription de faux, le surplus des mentions présentes dans ses actes peut se heurter à la simple démonstration de la preuve contraire.
Deux notions se font alors face, avec lesquelles le praticien doit être le plus rigoureux possible : l’incontestable par essence, faisant foi jusqu’à inscription de faux (CPC, art. 303 N° Lexbase : L1932H4C et suivants), donnant lieu à communication au ministère public, et donc engagement possible d’une procédure pénale) et le contestable par nature, faisant foi jusqu’à preuve contraire, bien plus facile à mettre en œuvre.
L’arrêt commenté aujourd’hui touche au cœur du métier de commissaire de justice : les constatations.
Une société avait obtenu une autorisation d’occupation temporaire du domaine public, consistant en un hangar, cette autorisation courant jusqu’au 31 décembre 2014.
La société s’est maintenue dans les lieux et l’établissement public n’a eu d’autre choix que de saisir le tribunal administratif de Bordeaux pris en sa formation des référés, qui a enjoint à la société d’évacuer ledit hangar, au plus tard le 30 juin 2015 et que faute pour elle d’avoir libéré les locaux à cette date, l’établissement public pourrait procéder à la libération des lieux avec le concours de la force publique, le tout aux dépens de la société.
Suivant procès-verbal d’expulsion des 26, 27 et 28 octobre 2015, il a été procédé à l’expulsion de la société.
Il est intéressant de noter tout d’abord qu’eu égard à l’importance des biens présents sur place, l’expulsion s’est déroulée sur trois jours.
D’ailleurs, sur le procès-verbal de tentative d’expulsion du 22 juillet 2015, l’huissier de justice instrumentaire indiquait : « Les portes des hangars étaient ouvertes et à travers les parois vitrées, j'ai pu constater que le local était rempli d'une quantité de biens stockés incommensurable ».
Les diligences relatées dans ce procès-verbal d’expulsion que l’on pourrait qualifier de marathon sont tout autant incommensurables :
- les opérations ont été réalisées en présence d’huissiers de justice (ce qui ne surprendra à ce stade aucun lecteur), d'un commandant de police, d’un serrurier, d’un déménageur et de cinq témoins ;
- l'occupant présent n'indiquant pas d'adresse où faire transporter les biens garnissant les lieux, ils ont été acheminés dans les locaux d’une société situés à Saint-Jean d'Illac,
- un inventaire du mobilier enlevé et transporté a été dressé sur onze pages,
- les bonbonnes de gaz et cuves à fioul pour certaines apparemment pleines n'ont pas été transportées leur transport étant dangereux et leur stockage interdit,
- les opérations ont nécessité 11 camions, dont un poids lourd de 36 tonnes qui ont effectué soixante-quinze rotations pour une volumétrie estimée à 1 300 m3,
- le chargement de chaque camion a fait l'objet d'un contrôle et de l'apposition de scellés,
- le soir, le site a été mis en sécurité par le serrurier et fermé par huissier de justice, et un agent de sécurité a assuré une garde pendant deux nuits,
- le débiteur est arrivé sur le site vers 10h15 le 26 octobre 2015 pour en repartir le même jour à 18h30 environ ; sur l'invitation des huissiers, aidé de plusieurs personnes, il est resté présent sur le site toute la journée pour emballer et emporter par ses propres moyens quelques mobiliers et autres papiers personnels et administratifs,
- le débiteur s'est présenté sur le site le 27 octobre et a été invité à quitter les lieux en raison de son comportement perturbateur ; il ne s'est pas présenté le 28 octobre.
Le procès-verbal d'expulsion a été signifié au débiteur le 3 novembre 2015.
L'acte mentionne : « je vous rappelle qu'il vous fait défense, sous les peines de droit, de pénétrer, hors les cas prévus par la loi, dans les locaux ».
Puis, par procès-verbal du 18 novembre 2015, le matériel a été restitué à la société. Cet acte mentionne que le gérant de la société, accompagné de l’huissier de justice, « a effectué des prises de vue photo des différents ensembles des biens qui ont été stockés dans le hangar par rubrique. La présente restitution est faite sous réserve formulée par le réceptionnaire qui effectuera par ses soins un inventaire détaillé plus tard ».
La société a assigné l’établissement public devant le juge de l’exécution de Bordeaux pour voir obtenir la restitution de frais d’exécution qui selon elle sont injustifiés en contestant, notamment, la volumétrie du mobilier déménagé et les frais exposés au titre de ce volume.
La cour d’appel d’Agen a suivi la décision du tribunal d’instance d’Agen en condamnant la société au paiement des entiers frais exposés dans cette affaire, à l’exception des frais relatifs au procès-verbal de constat dressé le 18 novembre 2015, car la cour d’appel a rappelé « qu'en l'absence d'appel, la cour n'est pas saisie de la disposition du jugement condamnant le Grand Port Maritime de Bordeaux à rembourser la somme de 729,20 € au titre du procès-verbal de restitution du 18 novembre 2015. »
Si la cour d’appel d’Agen a confirmé en tous autres points la validité du procès-verbal d’expulsion, lequel fait foi selon elle jusqu’à inscription de faux dans sa globalité, le débiteur n’a pas entendu l’argumentation de la Cour et a donc formé un pourvoi en cassation pour demander la restitution de l’ensemble des frais de déménagement exposés dans cette affaire. (les 729,20 € ci-dessus évoqués)
Selon le débiteur, les mentions relatives au volume des biens transportés ne sont pas des constatations purement matérielles, mais une simple déduction mathématique, de sorte que cette mention n’a pas à être contestée par la procédure d’inscription de faux : il s’agit simplement d’apporter la preuve contraire.
Elle base son argumentaire sur l’article 1371 alinéa 1er du Code civil N° Lexbase : L1029KZ7, lequel dispose : « L'acte authentique fait foi jusqu'à inscription de faux de ce que l'officier public dit avoir personnellement accompli ou constaté. »
Et sur le texte fondateur de notre profession, à savoir l'article 1er, alinéas 1 et 2, de l'ordonnance n° 45-2592, du 2 novembre 1945 N° Lexbase : L8061AIE, relatif aux « constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter », et faisant foi « jusqu'à preuve contraire ».
La Cour de cassation, le 31 janvier 2024, a suivi ce raisonnement en rappelant qu'un procès-verbal d'expulsion ne fait foi jusqu'inscription de faux que de ce que l'huissier de justice dit avoir personnellement accompli ou constaté, et non de ce qu'il en déduit et que « les constatations relatives à la volumétrie déduites de celles relatives aux transports effectués ne faisaient foi que jusqu'à preuve contraire ».
Cette longue remise à plat des faits passée, il est temps de s’interroger sur la portée des mentions présentes dans les actes dressés par les commissaires de justices, en rappelant la distinction entre la valeur authentique et la simple force probante. L’illustration des faits jugés par la Cour de cassation prendra alors son sens dans cette seconde partie.
I. De la suprématie des mentions d’un acte authentique et de ses dangers
L’acte dressé par le commissaire de justice comporte des mentions ayant valeur authentique, valeur suprême dans l’administration de la preuve (A). Elle peut toutefois, malgré sa supériorité, faire l’objet de contestations (B).
A. L’authenticité, gage de sûreté maximale
L’acte authentique, sans surprise aucune, se trouve au sommet de la chaîne des moyens de preuve par écrit.
L’article 1369 du Code civil N° Lexbase : L1031KZ9 dispose, en son alinéa premier : « L’acte authentique est celui qui a été reçu, avec les solennités requises, par un officier public ayant compétence et qualité pour instrumenter ».
Il faut également rappeler que les commissaires de justice sous les seuls habilités à effectuer des « constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter. »
Plus important encore, l’article 5 du décret n° 2021-1625 du 10 décembre 2021 relatif aux compétences des commissaires de justice N° Lexbase : L9442L9L dispose : « Le commissaire de justice, ou le clerc habilité aux constats, effectue lui-même les constatations prévues au 2° du II de l'article 1er de l'ordonnance du 2 juin 2016 susvisée. Il se rend personnellement sur les lieux du constat. »
Avant la loi « Béteille » du 22 décembre 2010 N° Lexbase : L9762INU, les constatations « purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter » alors effectuées par les huissiers de justice, n’avaient comme toute valeur que celle de « simples renseignements ».
La loi « Béteille », offrait alors à la profession un cadeau de Noël avancé, en mettant sur un piédestal les constatations (sauf en matière pénale où cette valeur de simple renseignement reste d’actualité), lesquelles font désormais « foi jusqu’à preuve contraire ».
La confiance du législateur est la bienvenue et le constat est aujourd’hui la référence en termes d’administration de la preuve.
Les actes dressés par les commissaires de justice, sont, d’une certaine façon, hybrides : ils ne sont que partiellement authentiques.
L’authenticité se retrouve, sans grande surprise, dans la date de l’acte, l’identification du commissaire de justice instrumentaire, ainsi que sa signature.
Ces trois mentions font foi jusqu’à inscription de faux.
La Cour de cassation a eu l’occasion de le rappeler à plusieurs reprises en ce qui concerne la date de l’acte [1] [2] et je renvoie à l’analyse qu’en a faite mon confrère Sylvian Dorol dans l’ouvrage droit et pratique du constat d’huissier [3].
Cette force authentique se retrouve par ailleurs dans chacun des actes rédigés par les commissaires de justice au quotidien, eu égard aux mentions de l’article 648 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6811H7E.
Il faut également souligner que le caractère authentique s’attache à l’existence de la réquisition et l’identité du requérant, les mentions relatives à la signification : ainsi par exemple, la mention que le destinataire de l’acte habite à l’adresse indiquée [4], les démarches ayant permis de signifier l’acte (avis de passage déposé en boîte aux lettres et lettre simple subséquente, ou encore la mention d’avoir rencontré un voisin ou un commerçant)[5] [6] [7], ou même encore la mention, dans un procès-verbal de constat, que le commissaire de justice avait relaté dans son constat avoir convoqué une partie[8].
L’acte du commissaire de justice bénéficie, dans les mentions reconnues comme étant authentiques, d’une supériorité notable : là est d’ailleurs son intérêt.
Cependant, cette supériorité des mentions reconnues comme authentiques peut être mise à mal par la procédure d’inscription de faux, et par elle seule. À défaut d’invoquer une telle chose, ces mentions ne sauraient être remises en cause.
B. L’authenticité contestée et contestable
L’authenticité trouve sa limite dans la procédure d’inscription de faux, telle qu’énoncée par l’article 1371 alinéa 1er du Code civil N° Lexbase : L1029KZ7, lequel dispose :
« L'acte authentique fait foi jusqu'à inscription de faux de ce que l'officier public dit avoir personnellement accompli ou constaté. »
Cette procédure est d’autant plus impactante que la sanction est très lourde et même aggravée au vu de la qualité d’officier public et ministériel du commissaire de justice :
« Le faux commis dans une écriture publique ou authentique ou dans un enregistrement ordonné par l'autorité publique est puni de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende.
L'usage du faux mentionné à l'alinéa qui précède est puni des mêmes peines.
Les peines sont portées à quinze ans de réclusion criminelle et à 225 000 euros d'amende lorsque le faux ou l'usage de faux est commis par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public agissant dans l'exercice de ses fonctions ou de sa mission. »
Il importe peu que le faux soit involontaire ou qu’il soit sans conséquence sur la procédure en elle-même : la simple existence du faux suffit à caractériser et à justifier d’agir en inscription de faux.
Ainsi, la cour d’appel de Versailles, le 20 novembre 2003 [9], a eu à statuer sur une procédure d’inscription de faux. En l’espèce, une saisie-vente a été diligentée et le débiteur s’est inscrit en faux au motif que l’acte mentionnait la présence de deux témoins, dont l’un n’était pas présent lors des opérations de saisie, mais était resté en dehors du lieu de la saisie.
L’argumentaire de l’huissier instrumentaire tenait en ce que les témoins n’étaient finalement pas nécessaires pour la régularité de la procédure puisque le débiteur était présent pour les opérations et que dès lors, l’acte n’était pas entaché de nullité.
La cour d’appel censure ce raisonnement : selon elle, dans la procédure d’inscription de faux, la contestation porte sur « la véracité des énonciations insérées par l'officier public dans l'acte authentique ». Elle poursuit son argumentation en indiquant que la fausseté d’une mention doit s’apprécier « indépendamment de toute considération tenant à la validité de l'acte ou à son efficacité » et conclut qu’un procès-verbal mentionnant la présence de deux témoins, alors qu’un seul y a assisté, est nécessairement entaché de faux, peu important que leur assistance n’ait finalement pas été nécessaire pour assurer la régularité des opérations de saisie.
La Cour de cassation a d’ailleurs eu ce même raisonnement dans une autre affaire, jugée le 7 mars 2006 [10], à propos encore une fois d’une saisie-vente et l’assistance non continue de deux témoins.
En somme, la régularité de la procédure ne saurait couvrir une fausse allégation.
La Cour de cassation a par ailleurs rendu un arrêt très intéressant, en date du 25 février 2016 [11], qui a fait l’objet d’une publication au bulletin, portant tant sur les mentions arguées de faux que sur le caractère volontaire ou non du faux commis par l’huissier de justice instrumentaire.
Dans cette affaire, la cour réaffirme que l’exactitude des mentions doient s’apprécier en considération de leur réalité et non de leur incidence sur la validité de la procédure, comme cela a déjà été rappelé.
La cour affirme également que la qualification de faux invoquée à l’égard des mentions caractérisées comme authentiques ne suppose pas la conscience, par l’huissier de justice instrumentaire, du caractère inexact des constatations jugées fausses. Le caractère volontaire ou involontaire importe peu : le fait qu’une mention soit fausse se suffit à lui-même.
De même, la cour affirme que pour qualifier un acte authentique de faux, il n’y a pas à prouver l’existence d’un préjudice qui résulterait du caractère inexact des constatations jugées comme fausses.
Cette procédure touche tous les officiers publics et ministériels : la Cour de cassation a eu à juger, le 17 juin 2015 [12], un notaire qui avait inscrit dans son acte avoir reçu un acte de vente en son étude alors que l’acte avait en réalité été passé en l’étude d’un autre notaire. La conséquence est lourde : l’acte de vente a purement et simplement été annulé.
Pour autant, il faut nuancer la portée d’une telle accusation, car la personne qui s’inscrirait en faux à tort, s’expose elle aussi à une lourde sanction énoncée par l’article 305 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6812LEZ:
« Le demandeur en faux qui succombe est condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés. »
En somme, les mentions ayant valeur authentique ont une valeur absolue qui n’a d’égale que la sanction qui pèse sur l’officier public et ministériel qui commettrait volontairement ou non un faux dans ses écritures.
Le surplus des mentions des actes du commissaire de justice a une force probante, certes, mais atrophiée de cette aura conférée par l’authenticité.
II. Une force probante amoindrie pour les mentions n’étant pas considérées comme authentiques
La loi « Béteille » est venue modifier la nature des constatations des commissaires de justice : de simples renseignements, elles font foi jusqu’à preuve contraire.
Cette force probante n’égalant pas le caractère authentique, l’inscription de faux ne peut être mise en œuvre.
Il n’en demeure pas moins que l’acte dressé par le commissaire de justice demeure une valeur sûre en termes d’administration de la preuve et conserve une valeur probante inégalée notamment liée à notre statut (A), mais pouvant être remise en cause par simple démonstration de la preuve contraire (B), comme l’a confirmé la Cour de cassation ce 31 janvier 2024.
A. La force probante des constatations purement matérielles
Le statut du commissaire de justice, officier public et ministériel, implique nécessairement une probité, un professionnalisme, une indépendance et une impartialité connue et reconnue de tous, notamment dans le milieu judiciaire.
La formulation que le commissaire de justice est « l’œil du juge » n’est pas erronée et témoigne de la confiance qu’ont les magistrats dans leurs actes.
Le Code de déontologie, issu du décret n° 2023-1296 du 28 décembre 2023 N° Lexbase : L9092MKX, en ses articles 2 et 3, illustre parfaitement la rigueur qui est celle de la profession de commissaire de justice ; d’ailleurs, il y est fait mention des constats :
« Art. 2. – Officier public et ministériel, le commissaire de justice conserve en toutes circonstances la plus stricte indépendance dans l’exercice de ses missions d’auxiliaire de justice, afin de garantir l’impartialité subjective et objective qui est le fondement de la confiance qu’on lui porte. Il s’interdit tout conflit d’intérêts et prend toutes mesures nécessaires pour le prévenir ou le faire cesser. En cas de doute, il s’abstient ou en réfère au président de la chambre régionale ou interrégionale dont il relève. »
« Art. 3. – Le commissaire de justice exerce ses fonctions avec probité et rigueur, dans le strict respect de la règle de droit. Il s’interdit de faire ou de laisser accomplir par autrui des opérations qui lui sont interdites par son statut ou par ses obligations déontologiques. Il apporte son concours au service public de la justice en veillant notamment au respect du principe du contradictoire ainsi qu’à la préservation de la preuve lorsqu’il procède à des constats. Il veille avec humanité à la stricte proportionnalité de ses actes. »
Le commissaire de justice se doit de décrire, en toute objectivité, ce qu’il voit.
Il peut bien évidemment agrémenter ses constatations de photographies ou de vidéos, mais celles-ci ne doivent être qu’un support à ses constatations.
La Cour de cassation a pu juger que les constatations purement matérielles ne peuvent pas faire l’objet d’une procédure d’inscription de faux, à la différence des mentions ayant force authentique. [13]
Dans l’affaire jugée ce 31 janvier 2024, la Cour de cassation a donc validé le fait que les « constatations relatives à la volumétrie déduites de celles relatives aux transports effectués ne faisaient foi que jusqu’à preuve contraire. »
Le procès-verbal d’expulsion contenait un inventaire tenant sur onze pages et il y était précisé que lors des opérations de transport, les biens garnissant les lieux ont été acheminés dans un entrepôt ; lequel acheminement a nécessité onze camions, dont un poids-lourd de 36 tonnes, lesquels ont effectué 75 rotations pour une volumétrie estimée à 1300 m3 (ce qui ne représente, pour les plus sportifs des lecteurs, qu’un peu plus de la moitié du volume d’eau d’une piscine olympique, si celle-ci fait 2 mètres de profondeur : en pareil cas, on nage dans un bassin contenant 2500 m3 d’eau) et qu’enfin le chargement de chaque camion a fait l’objet d’un contrôle et d’apposition de scellés.
Il est intéressant de voir que la Cour de cassation n’a écarté que la seule volumétrie estimée, laquelle n’a pas été mesurée avec précision ni constatée objectivement, tandis que les biens ont été inventoriés et cet inventaire n’est pas remis en cause.
En soi, le débiteur conteste la facture liée aux frais de déménagement, laquelle est elle-même liée au volume, et non pas la procédure d’expulsion en son bien-fondé.
Quelles preuves contraires auraient pu être produites dans cette affaire pour renverser la volumétrie alléguée dans le procès-verbal d’expulsion ? De manière générale, comment combattre la force probante de nos constatations ?
B. La démonstration de la preuve contraire
Il pourrait s’agir d’un procès-verbal de constat, quand bien même les constatations réalisées concomitamment par deux commissaires de justice, chacun représentant une partie, sont censées être identiques.
S’il s’avérait que l’un des deux commissaires de justice en présence ne constatait pas les mêmes faits, il pourrait aussi s’agir soit d’une erreur ou d’une omission, laquelle pourrait alors être reconnue comme telle.
Le constat contraire annihilerait, par preuve contraire, les constatations initiales : « si ce n’est toi, c’est donc ton frère… »
Mais dans le cadre d’une expulsion, cela ne peut être envisagé.
La cour d’appel d’Agen, dans sa décision, n’est pas avare de précisions à ce sujet, quand bien même elles n’ont pas été retenues :
Il avait été fait appel à un expert, maître en l’art du calcul des volumes.
Ainsi, il était par exemple illustré :
« Le calcul par l'expert de la capacité de stockage du rez-de-chaussée, retient que la surface utile au sol était de 1512 m², qu'elle supportait 101 racks d'une surface de 260 m², comportant quatre niveaux, soit un volume de stockage de 1040 m3, mais, à la différence du calcul opéré pour l'étage, exclut tout stockage à même le sol, pour retenir, sur la base d'un taux de remplissage de 50 ou 70 %, une capacité de stockage comprise entre 520 et 728 m3, alors qu'il ressort du procès-verbal de constat des 26, 27 et 28 octobre 2015, qui fait foi jusqu'à preuve contraire, que les racks étaient garnis et que de nombreux mobiliers étaient déposés sur le sol.
Or en tenant compte de la surface utile du sol du rez-de-chaussée, écartée à tort, la surface de stockage est de :
- surface au sol : 1512 m² soit 1252 m² déduction faite de l'emprise des racks,
- surface des racks : 1040 m²
- surface de l'étage : 161 m²
Ce qui représente une surface totale de 2453 m², et en prenant pour base, ainsi que l'a fait l'expert, un stockage d'1 m3 pour 1 m3, une capacité de stockage de 2453 m3, soit, en appliquant le coefficient d'occupation le plus faible retenu par l'expert, de 50 %, pour tenir compte d'une inoccupation partielle, et des espaces dédiés à d'autres usages, une capacité de stockage de 1226,5 m3.
Ce volume approche donc celui qui a été constaté par l'huissier. »
Il a d’ailleurs été jugé qu’un rapport d’expert pouvait écarter les constatations d’un commissaire de justice. Sur ce point, je renvoie à la décision citée par mon confrère Sylvian Dorol, préalablement déjà nommé et cité. [14]
Pour conclure, il est intéressant de voir que ce n’est pas la volumétrie en tant que telle qui a été censurée par la Cour de cassation, celle-ci ayant d’ailleurs été, au stade de l’appel, confirmée par expert.
Ce qui a été censuré, c’est la simple déduction faite par le commissaire de justice d’un tel volume, au travers de calculs de camions, de tournées et de contenance de chacun des camions, alors même que les biens étaient, initialement, lors de la tentative d’expulsion, d’un volume « incommensurable », puis ont pu être estimés à 1300 m3.
Les constatations doivent être matérielles, et le demeurer purement.
Dès lors, quelle solution pourrait-on envisager lorsque l’on se retrouve face à une situation aussi exceptionnelle et la présence de « 11 camions, dont un poids-lourd de 36 tonnes qui ont effectué 75 rotations » ?
Il est possible de préciser, tout d’abord, de quel type étaient ces camions : on ne transporte pas exactement la même chose en Fiat Ducato ou en Citroën C15.
Puis, en partant du type de camion ou fourgonnette utilisé, indiquer le volume utile maximum possible de chaque véhicule : un Ducato – ou tout autre utilitaire de manière générale - ayant un volume utile, de 10 à 17m3 suivant sa configuration, là où l’infatigable C15 ne propose qu’environ 2 m3 de volume utile.
De cet état de volume utile, il pourrait être opportun d’indiquer si celui-ci est rempli au maximum, à la moitié… Pour en déduire le volume du chargement sur cette rotation.
Et consigner ce remplissage à chacune des rotations.
L’usage d’un poids-lourd de 36 tonnes vient également semer la confusion puisque l’on ne parle plus de volumétrie, mais de tonnage, donc deux référentiels différents.
D’ailleurs, là encore, un 36 tonnes peut très bien contenir un seul mètre cube de marchandises, tout comme être parfaitement rempli.
L’interprétation ou la déduction ne peuvent rentrer en ligne de compte et c’est ce qu’a affirmé la première chambre civile ce 31 janvier 2024 : c’est l’approximation et le manque de précision dans le volume qui sont sanctionnés.
Par suite, seuls les frais exposés au titre du volume du mobilier déménagé sont jugés comme indus par le débiteur : les fameux 729,20 euros.
À retenir La procédure d’expulsion est l’une des plus sensibles et sujette à contestations multiples, notamment quant au déroulement des opérations, mais également pour tout ce qui touche à l’inventaire du mobilier et à son transport. Il convient d’être le plus exhaustif possible dans les faits relatés, notamment l’inventaire, quand cela est matériellement et factuellement réalisable (notamment en cas de personnes souffrant du syndrome de Diogène : l’accumulation de biens de faible valeur, ou sans valeur, et le mauvais état des biens et du logement font qu’il est presque impossible de dresser un inventaire complet) en ce sens, maître Arnaud Léon a parfaitement illustré ce sujet dans la revue Lexbase Contentieux et Recouvrement, en mars 2023 [15]. Bien évidemment, l’exhaustivité de l’inventaire passe également par des photographies, voire des vidéos. Cet arrêt apporte un éclaircissement sur le contenu et la précision des méthodes utilisées pour lister et évaluer le plus précisément possible le volume des biens déplacés. Il conviendrait alors de consigner la volumétrie la plus exacte possible de chacune des rotations et se référer au volume utile du type de véhicule utilisé pour le transport. Par extension, il est donc admis de penser que la déduction par l’addition d’allées et venues de camions n’est pas suffisante pour la matérialisation des faits, tant pour la procédure d’expulsion que pour les constatations au sens général du terme. |
[1] Cass. civ. 3, 22 février 2006, n° 05-12.521, FS-P+B N° Lexbase : A1902DNR.
[2] Cass. civ. 2, 20 novembre 1991, n° 90-15.591 N° Lexbase : A5370AHD.
[3] S. Dorol, Droit et pratique du constat d’huissier, LexisNexis, Collection droit & professionnels.
[4] Cass. crim., 9 décembre 2008, n° 07-88.027, FS-P + F N° Lexbase : A1604ECE.
[5] Cass. civ. 2, 2 avril 1990, n° 89-10.933 N° Lexbase : A4318AHE.
[6] Cass. civ. 1, 23 janvier 2007, n° 05-20.287, F-P + B N° Lexbase : A6830DT7.
[7] Cass. civ. 2, 26 septembre 2013, n° 12-23167, F-D N° Lexbase : A9436KL3.
[8] Cass. civ. 1, 19 décembre 2006, n° 05-12.756, FS-P + B N° Lexbase : A0885DTX.
[9] CA Versailles, 20 novembre 2003, n° 2002-04993 N° Lexbase : A8892DBX.
[10] Cass. civ. 1, 7 mars 2006, n° 04-11.542 F-P+B N° Lexbase : A4964DN8.
[11] Cass. civ. 1, 25 février 2016, n° 14-23.363, F-P+B N° Lexbase : A4409QDN.
[12] Cass. civ. 1, 17 juin 2015, n° 14-13.206 FS-P+B. N° Lexbase : A5318NLK.
[13] Cass. civ. 3, 20 décembre 2018, n° 17-23.658, F-D N° Lexbase : A6547YRW.
[14] CA Lyon, 17 janvier 2017, n° 15/03901 N° Lexbase : A1054S9W.
[15] A. Leon, Sort et transport des meubles en matière d’expulsion, Revue Lexbase Contentieux et Recouvrement, mars 2023, n° 1 N° Lexbase : N4715BZN.
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