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par Sylvian Dorol, Commissaire de justice associé (Venezia), Directeur scientifique de la revue Lexbase Contentieux et recouvrement, Expert près l’UIHJ, et Guewen Le Cloerec, Commissaire de justice (Venezia)
le 26 Avril 2024
Mots-clés : commissaire de justice • saisie-attribution • commandement de quitter les lieux • contentieux locatif • état des lieux • procédures civiles d’exécution • constat
La revue Lexbase Contentieux et Recouvrement vous propose de retrouver la cinquième chronique illustrée par les plus récentes décisions jurisprudentielles sous la forme d’un contenu original rédigé par Sylvian Dorol et Guewen Le Cloerec.
I. Procédures civiles d’exécution
- TJ Bordeaux, Jex droit commun, 12 mars 2024, n° 23/08559 N° Lexbase : A62152UQ
- CA Paris, 1, 10, 22 février 2024, n° 23/05886 N° Lexbase : A03772QZ
- CA Paris, 1, 10, 7 mars 2024, n° 23/11663 N° Lexbase : A87692TX
- CA Lyon, 22février 2024, n° 20/06309 N° Lexbase : A03462QU
- TJ Paris, PCP JCP fond, 14 février 2024, n° 23/04623 N° Lexbase : A97852MD
- TJ Paris, 3ème chambre, 3ème section, 13 mars 2024, n° 20/10831 N° Lexbase : A87682UB
I. Procédures civiles d’exécution
Se prévalant d’une contrainte en date du 18 août 2023, un créancier a fait diligenter une saisie sur les comptes bancaires de son débiteur, régulièrement dénoncée.
Par acte de commissaire de justice en date du 13 octobre 2023, le débiteur a fait assigner le créancier devant le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Bordeaux afin de bénéficier de délais de paiement et subsidiairement de voir annulée la mesure de saisie. En effet, il fait valoir que la saisie-attribution a été réalisée sur un compte joint mais n’a pas fait l’objet d’une dénonciation à sa conjointe cotitulaire, impliquant la nullité de cet acte. Le créancier ne partage bien évidemment pas cet avis et soutient que la saisie-attribution est valide, l’absence de dénonciation au tiers cosaisi n’étant pas sanctionnée par la nullité ou la caducité du procès-verbal de saisie.
Pour fonder sa décision, le juge retient tout d’abord que l’article R. 211-22 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L2228ITP fait obligation au commissaire de justice réalisant la saisie-attribution sur un compte joint de dénoncer cet acte au cotitulaire. S’il ignore l’identité de celui-ci, l’établissement bancaire accomplit cette diligence qui n’est pas prescrite à peine de caducité et de nullité. Néanmoins, en l’espèce, le procès-verbal ne fait pas ressortir l’identité du cotitulaire. Le juge en conclut que le défaut de cette mention et de dénonciation postérieure à cette personne n’étant pas sanctionné, il ne peut en être tiré un motif d’annulation de la mesure de saisie pratiquée.
Une saisie-vente des biens meubles corporels a le plus souvent lieu au domicile du débiteur. Cependant, l'article L. 221-1 du Code des procédures civiles d'exécution N° Lexbase : L5851IR7 prévoit expressément l’hypothèse où la saisie doit avoir lieu chez un tiers. En pareille circonstance, la mesure est préalablement examinée et autorisée le cas échéant par le juge de l’exécution.
Dans l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 22 février 2024, il était justement reproché au commissaire de justice de n’avoir pas demandé l’autorisation de saisir au juge de l’exécution. Pour comprendre ce reproche, il faut reprendre l’argumentation du débiteur. Ce dernier faisait valoir en premier lieu que l'adresse où avait eu lieu la saisie n'était pas son domicile, mais une élection de domicile purement administrative pour les besoins de la procédure judiciaire au fond, qui correspondait au siège des sociétés dont il est le président. Il soutenait résider à une autre adresse (et produisait son avis d’imposition pour le prouver), et critiquait l’absence de diligence du commissaire de justice pour s'assurer de la réalité du domicile avant de procéder à la saisie.
La cour d’appel valide cependant la saisie-vente, pour trois motifs notamment.
D’abord, après avoir retenu que la charge de la preuve de l’erreur sur la réalité du domicile reposait sur le débiteur et non sur le créancier, la cour d’appel de Paris juge qu’un avis d'imposition sur le revenu ne constitue nullement un quelconque justificatif de domicile et encore moins de résidence.
Ensuite, elle souligne que le créancier, et bien que la charge de la preuve ne lui incombe pas, verse au débat les extraits Kbis de quatre sociétés dirigées par le débiteur qui font tous apparaître que le domicile personnel de ce dernier est l’adresse du lieu de la saisie.
Enfin, la cour d’appel retient qu’il résulte de l'acte de signification de l'arrêt du 26 mai 2021 portant commandement de payer aux fins de saisie-vente en date du 11 octobre 2021 que cet acte a été signifié au débiteur au lieu de la saisie critiquée par dépôt à l'étude, l'huissier de justice ayant mentionné que le nom était inscrit sur la boîte aux lettres et sur l'interphone et que le gardien avait confirmé le domicile. De même, lors de la signification de l'itératif commandement du 20 septembre 2022, le commissaire de justice mentionne que le nom de M. [Ad] est inscrit sur la boîte aux lettres et l'interphone, et l'adresse confirmée par le facteur. Enfin, le créancier produisait un courriel du commissaire de justice indiquant qu'il avait contacté par téléphone le syndic de l'immeuble du lieu de la saisie-vente qui lui avait confirmé que le débiteur habitait bien à cette adresse.
Elle en conclut qu’il résulte clairement de l'ensemble de ces éléments, comme l'a très justement retenu le premier juge, qu'en dépit de ses dénégations, le débiteur habite bien au lieu de la saisie-vente. Dans ces conditions, il n'était nullement nécessaire pour le commissaire de justice de solliciter l'autorisation préalable du juge de l'exécution pour procéder à la saisie-vente en application de l'article L. 221-1 alinéa 3 du Code des procédures civiles d'exécution, et ce d'autant plus qu'en tout état de cause, cette autorisation n'est nécessaire que si les biens du débiteur saisi se trouvent dans des locaux d'habitation, ce qui ne vise que des lieux habités par une personne physique et non les locaux d'une société.
Il est fréquent qu’une société loue des locaux à une autre adresse que celle de son siège social. En cas d’impayé, l’assignation en expulsion sera alors délivrée par un commissaire de justice au lieu du siège social, et non dans les lieux loués.
En l’espèce, l’expulsion d’une société des lieux qu’elle louait a été prononcée en justice. Un commandement de quitter les lieux lui a été signifié conformément à la loi. Par précaution, ce commandement a été signifié à l’adresse du siège social et aux lieux loués.
La société critique cet acte au motif qu’il ne précise pas l’adresse des lieux visés par l’expulsion, et que son information était donc incomplète. Se posait donc la question suivante « Un commandement de quitter les lieux doit-il comporter l’adresse des lieux visés par l’expulsion lorsqu’ils sont différents du lieu de signification ? »
À la lecture de l’article R. 411-1 du Code des procédures civiles d'exécution N° Lexbase : L2511IT8, cette mention n’est pourtant pas prévue par les textes, ce qui peut paraître étrange. Erreur du législateur à charge pour le juge de la réparer ?
Bien que l’article R. 411-1 du code précité ne prévoit pas que l’adresse des lieux visés par l’expulsion soit une mention obligatoire du commandement de quitter les lieux, il est évident que cela peut porter préjudice si le débiteur est mal informé, et donc empêché de s’exécuter volontairement. La Cour d’appel de Paris valide cependant la procédure au motif que le jugement d’expulsion qui fondait le commandement de quitter les lieux désignait expressément les lieux visés par l’expulsion.
L’enseignement à tirer de cet arrêt est que le commissaire de justice peut s’en tenir à la lettre des textes, bien qu’en pratique, les commissaires de justice rappellent dans le commandement de quitter les lieux l’adresse exacte des lieux visés par l’expulsion.
Il n’appartenait pas au juge de suppléer l’étrange carence du législateur dans les mentions obligatoires du commandement de quitter les lieux, qui avait pourtant conscience de l’importance du lieu de signification puisqu’un tel acte ne peut être délivré à domicile élu.
En pratique, afin d’éviter pareilles contestations, il peut être recommandé d’indiquer les lieux visés par l’expulsion dans le commandement de quitter les lieux quand ils sont différents du lieu de signification.
Qu’est-ce qu’un bon constat d’achat ? Facile : celui-où le commissaire de justice n’achète pas le produit !
La devinette est facile et la réponse connue depuis plus de 10 ans [1], mais a dû être rappelée par la cour d’appel de la capitale des Gaules le 22 février dernier. Mais il ne faut pas tancer l’huissier de justice instrumentaire puisque le procès-verbal de constat d’achat date en l’espèce du 13 mai 2015.
En l’espèce, l’officier public et ministériel avait acheté le produit lui-même, comportement critiqué par la partie adverse, qui critique cet acte en visant l'article 1 de l'ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 N° Lexbase : L8061AIE (les huissiers de justice peuvent, commis par justice ou à la requête de particuliers, effectuer des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter). La cour d’appel lyonnaise suit sa critique en jugeant que l'achat par l'huissier de l'article argué contrefaisant dépasse en effet la simple constatation matérielle, quand même l'officier ministériel s'abstiendrait-il d'émettre un avis sur les conséquences de fait ou de droit de son constat, et caractérise partant la violation de l'article 1 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 et l'excès de pouvoir, dont la sanction réside dans l'annulation de l'acte, sans qu'il soit besoin que l'irrégularité cause grief.
Cette solution s’explique notamment par le fait que l’expression « constatations purement matérielles » doit s’entendre comme « toute situation personnellement constatée par l’huissier de justice au moyen de ses sens, et qu’il n’a pas provoquée par une opération intellectuelle de nature à troubler sa qualité de tiers neutre, indépendant et impartial » [2]. Or, conclure une vente suppose la manifestation d’une volonté juridique, et donc une forme d’opération intellectuelle[3].
De plus, si le commissaire de justice achetait lui-même le produit litigieux, il devrait se présenter à l’occupant des lieux, exposer sa mission, et requérir son accord pour que les constatations soient dressées, ce qui est incompatible avec le constat d’achat qui, bien souvent, initie une procédure de saisie-contrefaçon où l’effet de surprise est crucial.
Un des affres du constat est son lieu, et le commissaire de justice a comme spectre la violation de domicile (hors titre exécutoire).
Il est constant, et la loi le permet (CCH. art. L. 126-14 [LXB= L1706MAG]), qu’il peut accéder aux parties communes afin de signifier un acte ou exécuter une décision de justice… Mais qu’en est-il lorsqu’il faut accéder aux parties communes dans le cadre d’un constat ? La loi est silencieuse sur ce point, et cela semble donc exclu.
Requis par un des occupants de l’immeuble ou un des copropriétaires, cela ne pose pas de problème (CA Limoges, 20 mars 2018, n° 17/00464 N° Lexbase : A804237Y, Loyers et copr., 2018, comm. 114, obs. B.Vial-Pedroletti). Mais quid lorsque le constat est demandé par un tiers comme c’était le cas dans l’espèce tranchée par la juridiction de proximité de Paris, le 14 février dernier.
En l’espèce, un bailleur avait fait délivrer un congé pour reprise à son locataire, qui avait donc quitté les lieux. Peu de temps après, le locataire évincé s’aperçoit que son ancien logement a fait l’objet de travaux et est proposé à nouveau à la location avec un loyer plus élevé. Il conteste donc le bien-fondé du congé et mandate un commissaire de justice pour se rendre dans les parties communes de son ancien immeuble (le jugement est silencieux mais il est plausible de penser qu’il fallait constater les noms sur boîte aux lettres et tableau des occupants qui devaient donc être différents du bénéficiaire de la reprise dont l’identité est indiquée dans le congé à peine de nullité). Etrangement, l’officier public et ministériel accède à sa demande et dresse le constat. L’acte est bien évidemment critiqué par le bailleur au motif que l’huissier qui est entré dans le hall de l’immeuble pour dresser son constat ne disposait pas d’une autorisation judiciaire pour pénétrer dans un lieu privé.
À cet argument, le juge répond que dans la mesure où le Code de la construction et de l’habitation en son article 126-14 autorise l’accès des huissiers de justice aux boîtes aux lettres des immeubles et que le hall de l’immeuble ne constitue pas un domicile, il n’y a lieu d’écarter ladite pièce des débats.
Le fondement juridique de la décision est étonnant puisque cet article ne s’applique pas aux constats… Il sera intéressant de lire l’arrêt de la Cour d’appel parisienne si le jugement est contesté puisqu’il a été rendu en premier ressort.
Il existe des jugements délicieux à lire, et celui rendu le 13 mars dernier en fait partie. Non en raison de la plume, mais en raison de la connaissance technique des constats informatiques dont les magistrats ont fait preuve dans cette décision.
La question qui se posait était simple : si, pour réaliser un constat sur internet, un commissaire de justice doit respecter des prérequis fixés par la jurisprudence, qu’en est-il si cet officier public constate la présence de fichiers informatiques sur un disque dur ou télécharge simplement des applications sur une tablette (ce qui nécessite une connexion internet, mais sans navigation) ?
Sauf erreur de l’auteur, il n’existait aucune jurisprudence sur ce point précis, ce pourquoi cette décision est très intéressante.
En effet, elle vient affirmer, après une analyse précise des procès-verbaux de constat que les prérequis nécessaires à un constat sur internet ne s’appliquent pas lorsqu’il s’agit de constater des fichiers présents sur un disque dur. Pourquoi ? Parce que les juges indiquent que ces prérequis sont nécessaires uniquement pour permettre de s’assurer de l’intégrité des informations rapportées, ce qui est inutile s’agissant d’informations présentes sur un disque dur (dans ce cas, il est d’usage d’afficher les propriétés du document, voire d’en calculer l’empreinte numérique).
Poussant le raisonnement à son paroxysme, la juridiction parisienne pousse la logique jusqu’à ne pas appliquer l’obligation des prérequis du constat internet au téléchargement d’une application. Cela peut s’expliquer par le fait que, en téléchargeant une application, le commissaire de justice ne se rend pas sur internet, mais utilise une fonctionnalité autonome qui, elle, se connecte à internet.
Le jugement ne s’arrête pas là et son caractère remarquable ressort de deux autres éléments. D’abord, elle valide expressément le constat sur internet réalisé depuis une tablette numérique sous réserve du respect des prérequis techniques du constat internet : c’est une première puisqu’il n’y avait pas encore eu de décision sur l’utilisation d’une tablette numérique pour un constat internet (alors même que des milliers de constats sont ainsi réalisés chaque année…). Ensuite, la décision est intéressante en ce qu’elle distingue les constatations et le constat. En d’autres termes, elle ne prononce pas la nullité du procès-verbal, mais met à l’écart des débats seulement 3 pages du procès-verbal. Il convient de s’en féliciter car « on ne jette pas le bébé avec l’eau du bain »…
S’il faut regretter une seule chose à la lecture de ce jugement, c’est qu’il n’a pas été fait application de la théorie de la dévaluation de la force probante du constat internet imparfait pour sauver les constats sur internet étonnamment réalisés sans prérequis. Il sera possible de se rassurer que, certainement, aucune des écritures n’y faisait référence. À voir ce que dira la cour d’appel parisienne si elle est saisie.
[1] Cass. civ. 1, 20 mars 2014, n° 12-18.518, FS-P+B N° Lexbase : A7370MHG : Bull. civ. 2014, n° 1018 ; Procédures 2014, comm. 133, p. 12, obs. R. Perrot.
[2] S. Dorol. JCl. Encyclopédie des Huissiers de Justice, Bloc Preuve, Fasc. 30, V° Les constats, n° 4.
[3] Cass. civ. 1, 20 mars 2014, n° 12-18.518, FS-P+B N° Lexbase : A7370MHG : Bull. civ. 2014, n° 1018 ; Procédures 2014, comm. 133, p. 12, obs. R. Perrot.
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