Réf. : TJ Paris, JEX, 11 janvier 2024, deux jugements, n° 20/81791 N° Lexbase : A32602D4, n° 23/00185 N° Lexbase : A32582DZ
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par Bertrand Jost, Docteur en droit, Maître de conférences à l'Université Sorbonne Paris Nord
le 29 Mars 2024
Mots-clés : clauses abusives • juge de l’exécution • contrôle • compétence • autorité de chose jugée
Lorsque l’exécution forcée est fondée sur un acte notarié exécutoire, le juge de l’exécution est compétent pour contrôler le caractère abusif des clauses du contrat (illustration). En revanche, lorsque l’exécution forcée est fondée sur une décision de justice, le juge de l’exécution peut-il contrôler le caractère abusif des clauses du contrat si le premier juge ne l’a pas fait ? La Cour de cassation est saisie pour avis, même si elle a déjà répondu à cette question.
1. Que le droit de l’Union européenne ait autorité sur le droit national, c’est une chose que l’on ne discute plus guère. L’arrêt fondateur de la ci-devant Cour de justice des communautés européennes, « Costa c/ E.N.E.L », énonce « qu’issu d’une source autonome, le droit [dérivé] ne pourrait […] se voir judiciairement opposer un texte interne quel qu’il soit, sans perdre son caractère communautaire, et sans que soit mise en cause la base juridique de la Communauté elle-même » [1]. Dans la hiérarchie des normes, donc, la loi nationale est primée par le droit de l’Union, primaire ou dérivé. On sait que s’ensuivent des contrôles de conventionnalité qui peuvent entraîner ponctuellement la neutralisation de la première au profit du second, et que la Cour de cassation, alignée sur la Cour de justice [2], impose aux juges du fond de relever d’office certaines règles communautaires si elles ne sont pas spontanément invoquées par les parties [3], et modifie sa propre jurisprudence en fonction [4].
2. Deux jugements rendus par le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris le 11 janvier 2024 viennent illustrer le souci d’effectivité du droit de l’Union européenne en matière de clauses abusives [5]. Dans les deux cas, il était question de prêts de sommes d’argent non remboursés, l’établissement de crédit mettant en œuvre les voies d’exécution afin d’obtenir son dû après avoir activé des clauses permettant la déchéance du terme. Dans les deux cas, la question du caractère abusif de ces clauses et, partant, de la validité d’une partie du contrat, était posée : on sait en effet que la Cour de cassation a récemment illustré que de telles clauses sont susceptibles d’être illicites au regard du droit de la consommation, selon leurs modalités [6].
Les espèces, pour le reste, divergent, et les enseignements des jugements diffèrent. Le premier [7], rendu à propos d’un titre exécutoire notarié, est principalement relatif à l’étendue de la compétence du juge de l’exécution (I) ; le second [8], rendu à propos d’un titre exécutoire juridictionnel, est principalement relatif au rapport entre le juge de l’exécution et l’autorité de chose jugée (II). L’un et l’autre ont ceci de remarquable qu’ils surviennent au stade de l’exécution forcée : la validité du contenu du contrat est (ou serait) appréciée in extremis.
I. Contrôle du caractère abusif d’une clause et compétence du juge de l’exécution
3. Dans la première affaire, la banque est munie de deux actes notariés, revêtus de la formule exécutoire. La principale question est celle de la compétence du juge de l’exécution pour apprécier la validité des negotiums justifiant les poursuites. L’article L. 213-6 du Code de l’organisation judiciaire N° Lexbase : L7740LPD dispose que « le juge de l'exécution connaît […] des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit à moins qu'elles n'échappent à la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire ». Sa compétence est, sur ce point, exclusive [9], ce qui interdit toute prorogation [10].
4. Nécessité d’un contrôle. Il est certain qu’un contrat dont l’instrumentum est un acte notarié peut être affligé de causes de nullité, qu’elles relèvent du contrôle subjectif du contrat (une partie peut avoir commis une erreur, été victime d’un dol voire d’une violence, excédé le périmètre de sa capacité juridique malgré la vigilance du notaire) ou du contrôle objectif (le contenu du contrat peut être incertain ou illicite). Le risque est d’autant plus grand que le notaire n’est pas muni d’un pouvoir de supervision clairement défini à l’égard de la validité des actes qu’il instrumente : devoir de conseil mis à part, il « ne fait qu’identifier des engagements dont il n’a pas la maîtrise » [11] (ce que rappelle au demeurant le jugement [12]) alors qu’il les revêt de la formule exécutoire [13] et leur donne le « privilège d’action parée » [14].
Par ailleurs, les droits nés d’un tel contrat peuvent être prescrits, cédés, compensés – sans prétendre à l’exhaustivité. Tout cela a, bien sûr, une incidence décisive sur les voies d’exécution qui en procèdent.
Dès lors, deux observations s’ensuivent : il faut, d’abord et c’est l’évidence, qu’un juge connaisse des difficultés relatives à tout ou partie de ces contrats qui sont exécutoires sans décision de justice [15] ; il est logique, ensuite, que ce juge soit celui de l’exécution puisque c’est à ce stade que les difficultés se manifesteront.
5. Compétence du juge de l’exécution. Au lendemain de la création du juge de l’exécution [16], la Cour de cassation eut néanmoins une interprétation restrictive de sa compétence : en 1995, elle est d’avis qu’il « ne peut se prononcer sur la nullité d'un engagement résultant d'un acte notarié exécutoire, invoquée en raison de l'absence prétendue d'une des conditions requises par la loi pour la validité de sa formation » [17], mais ne développe guère le raisonnement qui lui permet de parvenir à cette conclusion malgré l’article L. 311-12-1 (devenu L. 213-6 N° Lexbase : L7740LPD) du Code de l’organisation judiciaire. Il s’en suivait alors que, pour toutes les difficultés relatives au « soubassement contractuel » [18] de l’exécution forcée, des questions préjudicielles et, partant, des sursis à statuer étaient nécessaires.
En 2009, toutefois, survient le revirement espéré : encourt la cassation la décision d’un juge de l’exécution qui refuse de contrôler la validité des actes notariés au motif qu’il n’en a pas la compétence [19]. Le titre exécutoire n’est plus, pour les juges de l’exécution, un « monument intouchable » [20]. Dans la répartition des compétences – car c’est bien de compétence qu’il est question, et non de pouvoir juridictionnel, contrairement à ce que peut laisser croire la rédaction du jugement, – le juge de l’exécution connaît de façon exclusive de la validité des actes notariés exécutoires et, plus généralement, de toutes les difficultés relatives à leur exécution [21]. Il est donc parfaitement cohérent que le réputé non-écrit, qui sanctionne les clauses abusives en lieu et place d’une nullité partielle, soit également entre ses mains [22]. À cet égard, la décision rendue par le juge de l’exécution parisien semble à l’abri de toute critique.
6. Le contrôle au cas d’espèce. En va-t-il de même du contrôle exercé en l’espèce ? L’emprunteur avait été défaillant à l’égard de l’un de ses emprunts, et encourait pour cette raison la déchéance du terme. Le contrat, toutefois, bien qu’il imposât au prêteur de mettre en demeure son cocontractant avant d’invoquer la clause, laissait le préavis à sa discrétion. Pour cette seule raison, la clause est qualifiée d’abusive. Toutefois, la banque invoquait un argument qui ne manquait pas d’intérêt : à la suivre, il fallait prendre en compte la manière dont la clause avait été mise en œuvre. Or pas moins de quatre mises en demeures avaient été adressées à l’emprunteur, la première en octobre 2021 et la dernière en novembre 2022, la déchéance du terme n’ayant été prononcée qu’en décembre 2022. C’est dire qu’en réalité, le consommateur avait eu amplement le temps de régler les impayés. Las ! Le juge prend uniquement en compte l’aspect discrétionnaire du préavis, qui, pourtant, a peut-être été de facto plus favorable au consommateur que s’il avait été préfix en vertu de la convention de prêt. A donc été exercé un contrôle essentiellement formel du déséquilibre contractuel, au détriment de l’appréciation concrète des circonstances de la cause. La formulation de la clause prime sa mise en œuvre.
Cette approche se peut comprendre. Sur le plan théorique d’abord, contempler les circonstances de l’exécution pour qualifier la clause aurait été contradictoire avec l’idée que la licéité de cette dernière doit être appréciée lors de la conclusion du contrat (ce qu’exige l’article L. 212-1 du Code de la consommation N° Lexbase : L3278K9B) car il est, malgré les particularités du réputé non-écrit, question de validité [23]. De plus, puisque le contrat est un acte de prévision, il importe que l’une des parties ne soit pas laissée dans l’ombre de l’arbitraire de l’autre, même si cette dernière pourrait faire un usage tout à fait mesuré de ses prérogatives contractuelles, en despote éclairé [24].
Sur le plan pratique, ensuite, une approche aussi formelle incitera les banques échaudées à prévoir dans leurs contrats des délais explicites et raisonnables – huit jours étant insuffisants, à suivre la jurisprudence de la Cour de cassation [25] – afin que les clauses de déchéance du terme ne soient pas réputées non écrites. Il faut cependant bien cerner l’exacte portée concrète de ces débats. Même si la clause est qualifiée d’abusive et neutralisée, l’inexécution d’un contrat de prêt reste susceptible d’être sanctionnée par la résolution, qui conduirait au remboursement anticipé du capital et des intérêts échus, ainsi qu’au versement d’une indemnité forfaitaire [26]. Le prêteur perdra cependant, en raison de l’éradication de la clause, le bénéfice de l’indemnité conventionnelle. De surcroît, quittant le périmètre du titre exécutoire, il ne pourra pas engager directement les poursuites sur le patrimoine de l’emprunteur défaillant. Les clauses trop imprécises dans leur formulation sont donc à éviter !
II. Contrôle du caractère abusif d’une clause et autorité de chose jugée
7. Bien plus complexe est la seconde affaire. Dans la première, le prêteur disposait d'un acte notarié exécutoire; il disposait ici d’une ordonnance portant injonction de payer, contre laquelle n’avait été formée aucune opposition par le débiteur. La créance ayant été cédée à une société de recouvrement, ce dernier est confronté, plus de quinze ans après le procès, à l’exercice des procédures civiles d’exécution à son encontre [27].
Se pose alors la question du caractère abusif de la clause de « résiliation » conventionnelle du contrat devant le juge de l’exécution. On comprend qu’en l’espèce le déséquilibre soit caractérisé, la stipulation permettant la résolution sans préavis du contrat pour inexécution [28], ce qui rend le capital, les intérêts échus et la pénalité conventionnelle aussitôt exigibles.
Mais si le juge de l’exécution exerçait le contrôle attendu de lui, cela impliquerait de sa part l’annulation (ou la modification), en dehors des voies de recours prévues à cet effet, de l’ordonnance portant injonction de payer – ce que demandait d’ailleurs le débiteur.
8. Autorité de la chose jugée. Une telle décision pourrait se heurter à l’autorité de la chose jugée dont le titre exécutoire est revêtu. On sait qu’un juge ne peut – hors des voies de recours – connaître de nouveau des mêmes prétentions (objet et cause) entre les mêmes parties prises en les mêmes qualités [29]. Et pour le juge de l’exécution spécifiquement, l’article R. 121-1 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L8665LYL dispose qu’il « ne peut ni modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites, ni en suspendre l'exécution ».
En l’espèce, toutefois, la subtilité est que les premiers juges n’ont pas tranché la question du caractère abusif des clauses. Et l’opposition du débiteur étant irrecevable en raison de son caractère tardif, ils ne le feront jamais.
Se pose donc principalement la question du périmètre de la chose jugée. Les moyens de défense que le débiteur n’a pas soulevés dans une première instance sont-ils soumis à l’autorité négative qui la recouvre ? La bilatéralisation de la jurisprudence « Césaréo » [30] répond à cette question : le défendeur doit soulever tous les moyens de défense utiles dès la première instance [31] et, selon la première chambre civile, formuler même à cette occasion toutes ses demandes reconventionnelles [32] ! Or invoquer le caractère réputé non écrit d’une clause de déchéance du terme face aux exigences du créancier prêteur qui n’a pas encore été payé est, de façon relativement certaine, une défense au fond comme peut l’être l’exception de nullité lorsque celui qui l’invoque ne cherche qu’à esquiver tout ou partie du contrat, sans rechercher un avantage supplémentaire [33].
Dès lors, la question du caractère abusif de la clause ne saurait être soulevée utilement devant le juge de l’exécution, car elle se heurterait à l’autorité de chose jugée de la première décision : il fallait s’en prévaloir devant le juge ayant rendu l’ordonnance portant injonction de payer, grâce à l’opposition permettant le rétablissement du contradictoire, ce qui n’a pas été le cas.
9. Indifférence du caractère non contradictoire de l’ordonnance rendue par le premier juge. Au demeurant, le fait que la première instance ait été non contradictoire n’est pas déterminant, dès lors que le débiteur a bénéficié d’une voie de recours pour rétablir cette exigence cardinale du procès. La situation serait similaire si le débiteur avait, dans une instance contradictoire, omis de soulever la question devant les premiers juges, puis n’avait pas formé de pourvoi pour leur reprocher de n’avoir pas relevé la question d’office.
10. Exigences supranationales. À ce stade, les choses sont assez claires. C’est sans compter sur les exigences de la Cour de justice de l’Union qui, pour assurer la protection du consommateur et l’éviction des clauses abusives, a refusé que l’autorité de chose jugée fasse obstacle au contrôle par le juge de l’exécution dans une affaire très similaire à la nôtre quoique italienne [34].
Le juge de l’exécution de Paris, pris entre le marteau européen et l’enclume de l’autorité de chose jugée, choisit de saisir la Cour de cassation pour avis : peut-il contrôler la validité des clauses du contrat sous-jacent à une décision de justice ? Et dans l’affirmative, que peut-il faire à l’égard de cette décision ?
Étant donné la position de la Cour de justice de l’Union européenne, la question posée peut sembler rhétorique. Ite, missa est ? Sans doute car, en réalité, même si le juge de l’exécution parisien semble l’ignorer, la position de la Cour de cassation est déjà arrêtée, du moins sur le premier volet : la deuxième chambre civile, dans un arrêt rendu le 13 avril 2023, a énoncé que « lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à la créance dont le recouvrement est poursuivi sur le fondement d'un titre exécutoire relatif à un contrat, le juge de l'exécution est tenu, même en présence d'une précédente décision revêtue de l'autorité de la chose jugée sur le montant de la créance, […] pour autant qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, d'examiner d'office si les clauses insérées dans le contrat conclu entre le professionnel et le non-professionnel ou consommateur ne revêtent pas un caractère abusif » [35].
Osons malgré tout apporter quelques éléments de discussion, théoriques d’abord, pratiques ensuite.
11. Éléments théoriques. Sur le plan théorique, d’abord, on peut soutenir que le souci d’effectivité du droit de l’Union ne doit pas se transformer en impérialisme. Que le juge national ait le devoir de relever d’office les règles relatives aux clauses abusives, il n’y a là rien que de très naturel si on considère qu’elles sont d’ordre public et que les législateurs (national et européen) tiennent particulièrement à ce qu’elles soient appliquées, malgré l’ignorance, les oublis ou les manœuvres des justiciables. Que l’omission par un juge d’une telle règle puisse être sanctionnée par la réformation ou l’annulation grâce aux voies de recours, on peut s’en féliciter. En revanche, que les règles procédurales et, notamment, l’autorité de chose jugée dont le rôle pacificateur est essentiel, soient redéfinies dans le cas particulier des clauses abusives pour assurer spécifiquement l’effectivité du droit de l’Union, on peut s’en émouvoir.
Il n’est pas excessif, en effet, d’énoncer que la Cour de justice de l’Union veut mettre en place un système de contrôle des clauses abusives que l’on peut qualifier de total : toutes les échappatoires doivent être verrouillées [36]. Le juge saisi le premier – ainsi que les juges saisis après lui grâce aux voies de recours, le cas échéant – doit étudier d’office le caractère abusif des clauses dans les contrats de consommation présentés devant lui ; et s’il y manque, le juge de l’exécution prendra le relais au stade de l’exécution forcée de la décision !
Mais où s’arrêter ? Si le juge de l’exécution lui-même manque à son devoir de contrôle d’office, le consommateur pourrait-il saisir de nouveau un autre juge pour contester aussi bien le titre exécutoire que les voies d’exécution exercées contre lui, au motif que l’autorité de chose jugée ne doit pas faire obstacle à la protection qui lui est due contre les clauses abusives ? Et si le consommateur exécute spontanément la première décision de justice, peut-il ensuite saisir un juge car il a découvert qu’il a été victime de clauses abusives ?
De plus, si la porte est entrouverte avec les clauses abusives, qui peut dire où s’arrêtera le mouvement de rétractation de l’autorité de la chose jugée dans le droit de consommation ? Par capillarité, faudra-t-il s’interroger de façon plus générale sur l’incidence du caractère d’ordre public des règles de droit à l’égard du périmètre de la chose jugée ? Autrement dit et plus concrètement, faudra-t-il refuser que les décisions soient définitives tant que ces règles n’auront pas été scrupuleusement respectées ? Et, dans cette éventualité, faudra-t-il distinguer entre l’ordre public national et les règles européennes [37] ?
Peut-être faut-il prendre garde à ne pas « confondre la substance et la procédure » [38], même si les deux sont indéfectiblement liées. Si la prohibition des clauses abusives est substantielle, l’autorité de chose jugée est procédurale. S’il faut réviser le périmètre de la seconde (et l’on sait que la jurisprudence « Césaréo » ne fait pas l’unanimité), n’est-ce pas indépendamment de la première ? N’est-ce pas, autrement dit, à l’égard de l’ensemble des justiciables qu’il faut le faire, pour des considérations de bonne justice, et non au seul profit des consommateurs confrontés à des clauses abusives ? Or, à cet égard, veut-on vraiment qu’un défendeur puisse contester en dehors des voies de recours une décision en se fondant sur un nouveau moyen de droit, qu’il aurait pourtant pu invoquer en défense dès le premier procès ? Le trop n’est-il pas l’ennemi du bien ?
Par ailleurs, si l’on se félicite volontiers de l’existence d’un droit protecteur en matière de consommation, où les rapports de force sont structurellement inégaux, il faut sans doute se garder que celui-ci ne devienne définitivement un « droit de classe », c’est-à-dire un corpus de règles qui permette au consommateur de bénéficier de règles avantageuses en toutes circonstances, aussi bien dans la détermination des droits que dans leur réalisation. Un certain équilibre est nécessaire – et notamment au cours du procès, l’égalité devant la justice étant tout de même un principe fondamental de notre société. Où l’on retrouve de nouveau cette inquiétude d’une confusion entre le droit substantiel et le droit procédural : si le premier peut être déséquilibré au profit d’une catégorie de personnes, ne faut-il pas que le second soit égalitaire ?
On peut tout de même se rassurer sur un point : le juge de l’exécution (puisque, à ce stade, c’est de lui qu’il s’agit) ne pourrait être un degré de juridiction supplémentaire (car c’est bien ce dont il est question) qu’en l’absence de contrôle effectivement exercé par les premiers juges ; en aucun cas, il ne pourrait substituer son appréciation à celle des juges dont la décision sert de titre exécutoire, si ceux-ci avaient déjà contrôlé le caractère abusif des clauses [39]. Mais, puisque l’effectivité de sa protection prime les considérations procédurales, quid si le consommateur découvre que le premier juge (ou le juge de l’exécution) n’a pas respecté une jurisprudence bien établie dans son appréciation de la clause et que les délais des voies de recours sont épuisés ? Faut-il alors écarter l’autorité de chose jugée, et non plus se contenter d’en restreindre le périmètre ?
12. Éléments pratiques. Sur le plan pratique, ensuite : s’il se confirme que la Cour de cassation prend le parti d’une protection renforcée des consommateurs en dépit de l’autorité de chose jugée, quelles seront les conséquences ?
Le cas d’espèce ayant donné lieu à la saisine pour avis est particulièrement exemplaire. L’ordonnance servant de titre exécutoire au créancier a été rendue à une époque où les règles de l’Union sur les clauses abusives n’avaient pas encore acquis leur autorité actuelle ; plus exactement, la Cour de cassation, que personne ne venait alors contredire, interdisait aux juges du fond de relever d’office les règles protectrices des consommateurs [40]. Les règles procédurales ont changé [41] mais les décisions déjà irrévocables à ce moment étaient, jusqu’à récemment, protégées : d’une part, à leur égard, valaient les règles procédurales en vigueur à leur époque (c’est encore le cas), et, d’autre part, le périmètre de l’autorité de la chose jugée empêchait de les remettre en cause hors des voies de recours (ce n’est plus le cas). Le revirement de jurisprudence en cours permettra de discuter de nouveau, en dehors des voies de recours, la validité des clauses du contrat (les décisions récentes assurant le succès du débiteur en matière de déchéance du terme). Que de procès susceptibles d’être rouverts ! Tant de décisions que l’on croyait définitives, d’un seul coup ébranlées ! Où l’on voit que l’autorité de chose jugée est une matière volatile, qui doit être manipulée avec précaution [42]. Si l’on peut envisager (non sans de sérieuses réticences) que le juge de l’exécution soit un degré supplémentaire de juridiction en l’état actuel du droit et à droit constant (car les premiers juges auraient dû relever d’office le caractère abusif des clauses), on peine réellement à l’admettre lorsque les premiers juges n’étaient tenus de rien [43] ! Et dans tous les cas, que restera-t-il de la foi des créanciers dans leurs titres exécutoires juridictionnels [44] ?
Au demeurant, même si le créancier a tardé à réaliser ses droits, c’est bien le débiteur qui n’a pas formé opposition dans les délais [45]. Autrement dit, si la question des clauses abusives n’a pas été traitée, c’est, avant tout, de son fait ! Il serait excessif de prétendre que le droit français laisse les consommateurs sans défense ; il leur revient de profiter des voies de recours qui leur sont offertes et dont ils sont informés [46]. La question revient, lancinante : faut-il multiplier les planches de salut ? Où s’arrêter ? Rappelons que la Cour de justice a énoncé que « le principe d’effectivité [de la protection communautaire] ne saurait néanmoins aller jusqu’à suppléer intégralement […] la passivité totale du consommateur concerné » [47]. Ne faudrait-il pas se référer plutôt à sa passivité face aux voies de recours ?
13. C’est pour toutes ces raisons qu’on peut espérer que la Cour de cassation saisira l’occasion d’engager la discussion avec la Cour de l’Union européenne. Qui vivra verra !
À retenir
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[1] CJCE, 15 juillet 1964, aff. 6/64, Flaminio Costa c/ E.N.E.L., Recueil de la jurisprudence de la Cour, p. 1160.
[2] Pour les clauses abusives dans les contrats de consommation, v. CJCE, 4 juin 2009, aff. C-243/08, Pannon GSM Zrt c. Erzsébet Sustikné Győrfi N° Lexbase : A9620EHR, spéc. n° 32 (alors que la Cour avait, auparavant, reconnu la faculté pour le juge de relever d’office ce moyen de droit : CJCE, 27 juin 2000, aff. C-240/98 et C-244/98, Océano Grupo Editorial et Salvat Editores c/ Rocío Murciano Quintero, spéc. n° 26 N° Lexbase : A5920AYW).
[3] Pour les clauses abusives, la règle est aujourd’hui inscrite dans la loi (C. conso, art. R. 632-1 al. 2 N° Lexbase : L0942K9R). Adde Cass. civ. 1, 29 mars 2017, n° 15-27.231, FS-P+B+I N° Lexbase : A6069UMQ, Bull. civ. 2017.I.92, n° 77 ; n° 16-13.050, FS-P+B/R/I N° Lexbase : A6072UMT, Bull. civ. 2017.I.93, n° 78, à propos d’arrêts rendus par des cours d’appel avant la réforme. Sur ce point, v. infra, n° 6. Adde J.-D. Pellier, Retour sur l’office du juge en matière de crédit à la consommation, AJ contrat 2020.469. Également, à propos des textes relatifs à la responsabilité du fait des produits défectueux (Cass. mixte, 7 juillet 2017, n° 15-25.651 N° Lexbase : A8305WL8, Bull. civ. Mixte 2017.5, n° 2, RTD civ. 2017.829, obs. Usunier, RTD civ. 2017.872, obs. Jourdain, RTD civ. 2017.882, obs. Gautier, JCPG 2017.1355, n° 9, obs. Libchaber, CCC 2017/11, comm. n° 219, note Leveneur) ou à la garantie de conformité (Cass. civ. 1, 19 février 2014, n° 12-23.519, F-D N° Lexbase : A7696MER, Gaz. Pal. 2014.1735, note Mayer).
[4] Par exemple, à propos du rôle exonératoire de la faute de la victime en matière de transports ferroviaires (Cass. civ. 1, 11 décembre 2019, n° 18-13.840, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A6762Z7L, Bull. civ. 2019/12.236, RTD civ. 2020.119, obs. Jourdain, JCPG 2010.10, note Delebecque, CCC 2020/3, comm. n° 37, note Leveneur).
[5] Directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs N° Lexbase : L7468AU7.
[6] Cass. civ. 1, 22 mars 2023, n° 21-16.476, F-D N° Lexbase : A22519ZE, Bull. civ. 2023/3, p. 321 et 380 (à propos d’une clause de d’exigibilité anticipée en cas de non-respect d’une échéance, sans mise en demeure ni préavis) et Cass. civ. 1, n° 21-16.044, F-D N° Lexbase : A22879ZQ, Bull. civ. 2023/3, p. 383 (à propos d’une clause de résolution/résiliation pour inexécution, mise en œuvre après mise en demeure mais au terme d’un préavis de huit jours, considéré comme insuffisant), D. 2023.1877, obs. Synvet, RTD com. 2023.430, obs. Legeais, CCC 2023/5, comm. n° 89, note Bernheim-Desvaux, Dalloz actu. 29 mars 2023, obs. Hélaine.
[7] TJ Paris, JEX, 11 janvier 2024, n° 23/00185 N° Lexbase : A32582DZ.
[8] TJ Paris, JEX, 11 janvier 2024, n° 20/81791 N° Lexbase : A32602D4.
[9] COJ, art. L. 213-6 N° Lexbase : L7740LPD « le juge de l’exécution connaît, de manière exclusive », etc. ; CPCEx, art. R. 121-1 al. 1er N° Lexbase : L8665LYL « en matière de compétence d'attribution, tout juge autre que le juge de l'exécution doit relever d'office son incompétence ».
[10] CPC, art. 49 N° Lexbase : L0569I8L et 51 N° Lexbase : L5777LT7.
[11] R. Perrot, note sous Cass. avis, 16 juin 1995, n° 09-50.008, RTD civ. 1995.693.
[12] TJ Paris, JEX, 11 janvier 2024, n° 23/00185, p.7 : « La loi n’impose pas au notaire de s’assurer de l’absence de clauses abusives dans les contrats qu’il reçoit en la forme authentique ».
[13] Et en fait, par conséquent, des titres exécutoires (CPCEx, art. L. 111-3, 4° N° Lexbase : L3909LKY).
[14] A. Leborgne, Droit de l’exécution, Voies d’exécution et procédures de distribution, Dalloz, 3e éd., 2019, n° 432.
[15] Sur ce point, v. CJUE, ord. 14 novembre 2023, aff. C-537/12 et C-116/13, Banco Popular Espanol SA et Banco de Valencia SA N° Lexbase : A27852SX, spéc. n° 60.
[16] Loi n° 91-650 du 9 juillet 1991, portant réforme des procédures civiles d’exécution (art. 7) N° Lexbase : L9124AGZ, entrée en vigueur le 1er janvier 1993 (art. 97).
[17] Cass. avis, 16 juin 1995, n° 09-50.008 N° Lexbase : A7379CHR, Bull. civ. avis, 1995.6, n° 9, RTD civ. 1995.691, obs. Perrot ; Adde Cass. avis, 14 février 1997, n° 09-60.014 N° Lexbase : A4012CH3, Bull. civ. avis, 1997.1, n° 2.
[18] R. Perrot, ibid.
[19] Cass. civ. 2, 18 juin 2009, n° 08-10.843 N° Lexbase : A2954EIA, Bull. civ. 2009.II.153, n° 165, RTD civ. 2009.577, obs. Perrot, D. 2009.2525, obs. Avena-Robardet, JCPG 2009.191, note Desdevises et Mérand, JCPE 2010.1036, n° 3, obs. Simler, RDBF 2009/5, comm. n° 155, note Legeais.
[20] R. Perrot, note sous Cass. civ. 2, 9 septembre 2010, n° 09-16.538, F-P+B N° Lexbase : A9576E88, Procédures 2010/9, comm. n° 373.
[21] Cass. civ. 2, 9 septembre 2010, n° 09-16.538, F-P+B, Bull. civ. 2010.II.133, n° 149, Procédures 2010/11, comm. n° 373, note Perrot, RDBF 2020/6, comm. n° 228, note Piedelièvre (encore à propos d’un prêt notarié).
[22] Sur ce sujet, v. S. Gaudemet, La clause réputée non écrite, th. Paris 2, Economica, 2006, préf. Y. Lequette.
[23] Cependant, il n’est pas rare que les circonstances ultérieures permettent de purger un acte (ou une clause) de ses vices, même sans manifestation de volonté explicite en ce sens… Ainsi, notamment, l’acte conclu par un incapable peut-il être consolidé par la démonstration du profit retiré (C. civ, art. 1151 N° Lexbase : L0862KZX).
[24] Au demeurant, d’autres outils auraient pu être exploités, par exemple pour sanctionner la déloyauté dans l’usage des prérogatives contractuelles (v. par exemple Cass. com., 10 juillet 2007, n° 06-14.768, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A2234DXZ Bull. civ. 2007.IV.217, n° 188, Les Maréchaux, RTD civ. 2007.773, obs. Fages, CCC 2007/12, comm. n° 294, note Leveneur, D. 2007.2839, note Stoffel-Munck, D. 2007.2844, note Gautier, JCPG 2007.II.10154, note Houtcieff). Adde L. Molina, La prérogative contractuelle, th. Paris 1, LGDJ, 2022, préf. L. Aynès, spéc. n° 285 et s.
[25] Cass. civ. 1, 22 mars 2023, n° 21-16.044, FS-B N° Lexbase : A06929KT, Bull. civ. 2023/3, p. 383, précité.
[26] Pour les crédits immobiliers, C. conso, art. L. 313-51 N° Lexbase : L3281K9E ; pour les crédits à la consommation, C. conso, art. L. 312-39 N° Lexbase : L3280K9D.
[27] Depuis 2008, le délai de prescription des décisions de justice exécutoires est de dix ans (CPCEx, art. L. 111-4, al. 1er N° Lexbase : L5792IRX). Or la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 N° Lexbase : L9102H3I, portant réforme de la prescription en matière civile, est applicable aux prescriptions en cours au jour de son entrée en vigueur (celle-ci ayant eu lieu le 19 juin 2008, lendemain de sa publication au JORF). À compter de ce jour, le prêteur avait donc dix ans pour agir en exécution de l’ordonnance portant injonction de payer. Le jugement évoque toutefois des actes interruptifs de prescription, ce qui explique que les voies d’exécution aient pu être engagées en janvier 2019 puis en octobre 2020, plus de quinze ans après la décision de justice.
[28] Comp. supra, n° 2.
[29] C. civ, art. 1355 N° Lexbase : L1011KZH.
[30] Ass. Plén., 7 juillet 2006, n° 04-10.672, Bull. civ. AP 2006.21, n° 8, D. 2006.2135, note Weiller, RDI 2006.500, obs. Malinvaud, RTD civ. 2006.825, note Perrot, Dr. et proc. 2006.348, obs. Fricero, JCPG 2006.I.183, n° 15, obs. Amrani Mekki. Adde P. Mayer, Réflexions sur l’autorité négative de chose jugée, Mél. Héron, LGDJ, 2008, p. 331 ; C. Bouty, Rép. Proc. Civ. Dalloz, V° Chose jugée, mars 2018, n° 635 et s. et n° 626 ; A. Posez, Le principe de concentration des moyens, ou l’autorité retrouvée de la chose jugée, RTD civ. 2015.283.
[31] Cass. com., 20 févr. 2007, n°05-18.322, Bull. civ. 2007.IV.52, n° 49, Procédures 2007/6, comm. n°1 28, note Perrot.
[32] Cass. civ. 1, 1er juillet 2010, n° 09-10.364, F-P+B+I N° Lexbase : A5810E3L Bull. civ. 2010.I.141, n° 150 (nullité d’un contrat et responsabilité) ; Cass. civ. 1, 12 mai 2016, n° 15-13.435, F-P+B+I N° Lexbase : A6869RNQ, Bull. civ. 2016.I.120, n° 107 (à propos d’une injonction de payer n’ayant fait l’objet d’aucune opposition). La troisième chambre civile n’a pas la même approche de la question : v. par exemple, Cass. civ. 3, 17 juin 2015, n° 14-14.372, FS-P+B N° Lexbase : A5145NL7 Bull. civ. 2015.III.57, n° 59 (nullité et restitutions).
[33] Conformément à l’article 64 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1267H4P. Adde Ass. Plén., 22 avril 2011, n° 09-16.008 N° Lexbase : A1066HP8, Bull. civ. AP 2011.22, n° 4, D. 2011.1870, note Deshayes et Laithier, RTD civ. 2011.795, obs. Théry.
[34] CJUE, 17 mai 2022, aff. C-693/19 et C-831/19, SPV Projekt 1503 Srl, n° 50 et s., spéc. n° 68, D. 2022.1162, obs. Poissonnier, D. 2023.616, obs. Poillot, D. 2023.1282, obs. Pellier. Le même jour, des décisions allant dans le même sens étaient rendues pour d’autres pays de l’Union (Espagne, Roumanie), comme le rappellent les juges du Tribunal judiciaire de Paris.
[35] Cass. civ. 2, 13 avril 2023, n° 21-14.540 FS-B+R N° Lexbase : A02289P7, Bull. civ. 2023/4.186, 199, 233, D. 2023.1282, obs. Pellier, RTD civ. 2023.730, obs. Cayrol, à propos d’une clause prévoyant une monnaie de compte étrangère dans un contrat de prêt. Adde, en matière d’admission des créances dans une procédure collective, ce qui est un cas peut-être un peu particulier, Cass. com., 8 février 2023, n° 21-17.763, FS-B N° Lexbase : A97209BM Bull. civ. 2023/2.68, 166, 293, 384, n° 23, D. 2023.1715, n° 6, obs. Cagnoli, RTD civ. 2023.730, obs. Cayrol (cité par le jugement étudié).
[36] À ce propos, v. également CJUE, 4 mai 2023, aff. C-200/21, BRD Groupe Société Générale et Next Capital Solutions N° Lexbase : A70519SX, spéc. n° 42, Dalloz actu. 15 février 2024, obs. Hélaine : est contraire au droit communautaire la disposition nationale qui ne laisse au consommateur que quinze jours pour former opposition à l’exécution forcée et discuter le caractère abusif d’une clause devant le juge de l’exécution, même si ce consommateur dispose par ailleurs d’un recours supplémentaire et spécifique pour faire déclarer la clause abusive.
[37] Comp. R. Libchaber, obs. sous Cass, mixte, 7 juillet 2017, n° 15-25.651 N° Lexbase : A8305WL8, JCPG 2017.1355, n° 9.
[38] R. Libchaber, obs. préc., p. 2343.
[39] Cela ressort clairement des motifs de la CJUE dans la décision du 17 mai 2022 précitée (v. n°65). La Cour de cassation l’affirme d’ailleurs explicitement dans les décisions qu’elle a déjà rendues sur le sujet : Cass. com., 8 février 2023, n° 21-17.763, n° 23, précité ; Cass. civ. 2, 13 avril 2023, n° 21-14.540, précité, n° 23.
[40] Cass. civ. 1, 15 février 2000, n° 98-12.713 N° Lexbase : A3612AUC, Bull. civ. 2000.I.34, n° 49, D. 2000.275, obs. Rondey, RTD com. 2000.705, obs. Bouloc.
[41] Ce n’est qu’en 2008 que le législateur intervient pour briser cette jurisprudence et offrir aux juges du fond une faculté (loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 N° Lexbase : L7006H3U, dite « loi Châtel », modifiant l’article L. 141-1 anc. du Code de la consommation N° Lexbase : L1630K7I). La décision « Pannon » de la CJCE (v. supra, n° 1) ne date que de 2009 et l’article R. 632-1 du Code de la consommation de 2016 N° Lexbase : L0942K9R (décret n° 2016-884 du 29 juin 2016 N° Lexbase : L0525K9C). Quant à l’arrêt « Carteret », qui vient solennellement sous-entendre que le juge est tenu de relever d’office les règles d’ordre public, il ne date que de 2007 (Ass. Plén., 21 décembre 2007, n° 06-11.343 N° Lexbase : A1175D3W, Bull. civ. AP 2007.21, n° 10, D. 2008.1102, note Deshayes, JCPG 2008.II.10006, note Weiller, JCPG 2008.I.138, n° 9, obs. Amrani Mekki, RTD civ. 2008.317, obs. Gautier, RDI 2008.102, obs. Malinvaud, CCC 2008/4, comm. n° 92, note Leveneur, Procédures 2008/3, comm. n° 71, note Perrot).
[42] Rappelons, au demeurant, que sur le fondement de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, le Conseil constitutionnel considère que « si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit […], c'est à la condition de poursuivre un but d'intérêt général suffisant et de respecter […] les décisions de justice ayant force de chose jugée » (décision n° 2010-2 QPC du 11 juin 2010, n° 21-22). Qu’en est-il des revirements de jurisprudence ? S’ils sont indéniablement rétroactifs lorsqu’ils concernent les règles substantielles, peut-on admettre qu’ils fragilisent les décisions de justice irrévocables lorsqu’ils concernent les règles procédurales (encore que la limite soit, dans leur cas, le caractère irrévocable de la décision et non l’octroi de la force de chose jugée – sur ce sujet, v, Ass. Plén., 2 avril 2021, n° 19-18.814, Bull. civ. AP 2021/4.83, D. 2021.1164, note Haftel, RTD civ. 2021.607, obs. Deumier) ? À l’heure où la modulation dans le temps des revirements de jurisprudence est à l’honneur (quoiqu’elle soit encadrée : F. Terré et N. Molfessis, Introduction générale au droit, Dalloz, 15e éd., 2023, n° 602), on peut sérieusement en douter. Peut-être est-ce sur ce point qu’il aurait fallu interroger la Cour de cassation.
[43] Sachant, au demeurant, que la jurisprudence « Césaréo » (2006), et surtout sa bilatéralisation en 2007 (v. supra, n° 8), auront rassuré le créancier dans un premier temps sur le périmètre de la chose jugée ! En termes de sécurité juridique, on admettra que ce n’est guère idéal, même si nul n’a droit à une jurisprudence figée…
[44] Et comment la position de la Cour de justice s’accorde-t-elle avec la protection des « biens » par la Cour européenne des droits de l’Homme ? On sait que celle-ci protège les espérances légitimes des justiciables qui se trouvent en situation juridiquement irrégulière durable (CEDH, 30 novembre 2004, Req. 48939/99, Oneryildiz c/ Turquie N° Lexbase : A0928DE4; 27 novembre 2007, Req. 21861/03, Hamer c. Belgique N° Lexbase : A8567DZC) ; que dire de celles des créanciers qui se trouvent en situation durable régulière ?
[45] On peut raisonnablement penser que le créancier avait procédé correctement à la signification de l’ordonnance : avant la réforme de 2022 (décrets n° 2021-1322 du 11 octobre 2021 N° Lexbase : L4794L83 et n° 2022-245 du 25 février 2022 N° Lexbase : L5564MBP), le créancier ne pouvait obtenir l’apposition de la formule exécutoire que s’il justifiait de cette formalité (CPC, art. 1422 anc. N° Lexbase : L6364H7T ; Adde . Brahic-Lambrey, Rép. Proc. Civ., V° Injonction de payer, septembre 2013, n° 64 et s.), et l’ordonnance qui n’aurait pas été signifiée dans les six mois aurait été non avenue (CPC, art. 1411 al. 2 anc., règle toujours d’actualité). Toutefois, dans l’hypothèse où l’ordonnance n’aurait pas été signifiée à personne, le délai d’opposition aurait couru à compter du premier acte remplissant cette condition formelle (CPC, art. 1416 N° Lexbase : L6356H7K). À lire le jugement, c’est donc au plus tard en janvier 2019 (date de délivrance du premier commandement de payer) que le débiteur aurait eu connaissance de l’ordonnance. Or l’opposition n’a été formée qu’en novembre 2020 ! Désormais, l’ordonnance est signifiée alors qu’elle est déjà recouverte de cette formule (CPC, art. 1410 N° Lexbase : L5419L89 et 1411 N° Lexbase : L5922MBX).
[46] En matière d’injonction de payer, le débiteur est en effet informé de la possibilité qui lui est ouverte de former opposition, et les délais sont aménagés lorsque l’ordonnance ne lui a pas été signifiée à personne (CPC, art. 1413 N° Lexbase : L5418L88 et 1416 N° Lexbase : L6356H7K).
[47] CJUE, 1er octobre 2015, aff. C-32/14, ERSTE Bank Hungary Zrt c. Attila Sugár {"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 26339743, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "CJUE, 01-10-2015, aff. C-32/14, ERSTE Bank Hungary Zrt. c/ Attila Sug\u00e1r", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A8521NRZ"}}, n° 62.
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