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par Juliette Mel, Docteur en droit Avocat au barreau de Paris, M2J Avocats et Thi-Minh N’Guyen, Docteur en droit, Juriste, M2J Avocats
le 06 Mars 2024
Mots-clés : CCMI • contrat d’entreprise • maîtrise d’œuvre • condition suspensive • terrain • propriété • droits réels • travaux réservés • chiffrage • résiliation • indemnité forfaitaire contractuelle • réception tacite • réserves • responsabilité du constructeur • désordres retard de livraison • pénalités de retard • garantie de livraison
La profession est en crise. Nombreux sont les constructeurs de maisons individuelles qui risquent la déconfiture cette année, mais encore selon les prochaines années à venir. Pour autant, la jurisprudence demeure toujours aussi sévère dans l’interprétation des dispositions légales et règlementaires, pour l’essentiel d’ordre public, particulièrement protectrices des accédants à la propriété, comme en témoignent les dernières décisions de la Cour de cassation et de différentes cours d’appel, relevées dans la présente chronique.
Le régime du contrat de construction de maison individuelle (CCMI) est instauré depuis l’adoption de la loi n° 90-1129 du 19 décembre 1990 relative au contrat de construction d’une maison individuelle. Plus de trente ans ont été passés, le CCMI devient un outil essentiel et indispensable pour tous les constructeurs qui construisent des maisons ne comportant pas plus de deux logements.
L’emploi des modèles de CCMI avec des clauses type est courant, voire obligatoire dans la mesure où les marchés privés aux fins de construire une maison peuvent être requalifiés en CCMI par le juge, en fonction du périmètre de la mission de l’entrepreneur. Dans son arrêt en date du 12 décembre 2023 (CA Toulouse, 12 décembre 2023, n° 20/02839 N° Lexbase : A06692EI), la cour d’appel de Toulouse a confirmé la décision rendue par le juge en première instance en ce qu’il qualifie le contrat d’entreprise sous intitulé « contrat de maîtrise d’œuvre » en CCMI, malgré l’insertion d’une clause dans ce contrat qui indique que le maître d’ouvrage conclut directement des marchés en lots séparés avec les entreprises de divers corps d’état. Le juge a retenu qu’en réalité, le maître d’œuvre a suggéré les choix des entreprises, avec des recommandations personnelles, au maître d’ouvrage et présenté un descriptif des différents lots du marché des travaux et une fiche détaillée listant des différents corps d’état, afin de conclure que la mission réelle du maître d’œuvre n’est pas compatible avec un contrat de maîtrise d’œuvre et de le requalifier en CCMI.
Dès lors, les obligations de l’entreprise en charge de la construction d’une maison individuelle sont hautement exigées. L’emploi d’un CCMI dans ce type d’opération est fortement recommandé.
Il sera présenté, ci-après, une sélection des décisions rendues par la Cour de cassation ainsi que les juridictions du fond, lors de trois derniers mois, à propos de la conclusion du CCMI (I), de son exécution (II) et enfin au sujet des responsabilités de différents acteurs intervenants à la conclusion du CCMI (III).
I. La conclusion du CCMI
La conclusion du CCMI est soumise aux conditions suspensives, dont les droits du maître d’ouvrage sur le terrain (A), et doit comporter des éléments obligatoires parmi lesquels se trouve le chiffrage des travaux réservés (B).
A. Les droits réels sur le terrain du maître de l’ouvrage
La validité du CCMI dépend de la réalisation des conditions suspensives, en application des dispositions de l’article L. 231-4, I, du Code de la construction et de l’habitation (CCH) N° Lexbase : L7279AB9.
Fait partie des conditions suspensives, la condition sur les droits réels du maître d’ouvrage à l’égard du terrain lors de la signature du CCMI. Soit le maître d’ouvrage possède un titre de propriété, soit il bénéfice des droits réels permettant de construire lors qu’il s’agit d’une promesse de vente.
Dans son arrêt du 7 février 2024 (CA Paris, 4, 5, 7 février 2024, n° 21/09726 [LXB=A73312L4), la cour d’appel de Paris a estimé, en retenant que lors de la signature du CCMI, la promesse de vente du terrain n’a pas été signée par tous les promettants, que le maître d’ouvrage n’avait pas bénéficié d’une promesse de vente valable et, en conséquence, déclaré que le CCMI signé est nul.
B. Le chiffrage des travaux réservés
Le prix du CCMI est composé du coût des travaux à la charge du constructeur et, dans plusieurs cas, du chiffrage des travaux dits « réservés » dont le maître d’ouvrage se réserve l’exécution. Il reste donc, dans certains cas, des travaux qui s’avèrent indispensables à l’implantation et à l’habitabilité de la maison, mais non prévus, ni dans le coût des travaux à la charge du constructeur, ni dans le chiffrage des travaux réservés à la charge du maître d’ouvrage. La position de la Cour de cassation à propos de la prise en charge de ces travaux est claire : le coût des travaux indispensables et non chiffrés parmi les postes des travaux figurant sur la notice descriptive obligatoirement annexé au contrat est réputé compris dans le coût forfaitaire à la charge du constructeur.
Dans un arrêt en date du 21 décembre 2023 (Cass. civ. 3, 21 décembre 2023, n° 22-14.740, F-D N° Lexbase : A66652A4 ; v. J. Mel, Lexbase Droit privé, n° 970, 18 janvier 2024 N° Lexbase : N8090BZN), la Haute juridiction a, encore une fois, confirmé sa position, en condamnant, sans renvoi, in solidum, le constructeur et son garant de livraison à payer le maître d’ouvrage le coût des travaux d’aménagement d’accès au chantier qui sont indispensables à l’implantation de l’immeuble mais non prévus et non chiffrés dans la notice descriptive.
II. L’exécution du CCMI
Les décisions présentées ci-après concernant les situations particulières lors de la phase d’exécution du CCMI, à savoir la résiliation du CCMI après la réalisation des conditions suspensives (A) et la réception tacite (B).
A. La résiliation du CCMI après la réalisation des conditions suspensives
Il arrive que le maître d’ouvrage demande la résiliation du CCMI pour ses propres raisons, et avant le démarrage des travaux en demandant la restitution par le constructeur des sommes déjà versées. Toutefois, dans un contexte où l’ensemble des conditions suspensive sont réalisés et le constructeur s’est déjà investi dans l’avancement des travaux, il est question pour le constructeur le paiement du coût de son travail réalisé, ainsi que l’indemnité en dédommageant ce que ce dernier aurait pu gagner.
Tel fut le cas de l’affaire dans laquelle la cour d’appel de Paris a rendu son arrêt le 13 décembre 2023 (CA Paris, 4, 5, 13 décembre 2023, n° 20/14623 N° Lexbase : A73322DW). Malgré la réalisation des conditions suspensives, le maître d’ouvrage a tenté l’action en nullité du CCMI pour obtenir le remboursement des sommes versées. La cour a rejeté les demandes de voir prononcer la nullité et la résolution judiciaire du CCMI formées par le maître d’ouvrage, ordonné la résiliation du CCMI en appliquant la clause spécifique du contrat de construction dans les termes suivants « cette clause vise à compenser l’exercice d’une faculté de résiliation accordée au maître d’ouvrage », pour enfin accorder au constructeur l’indemnité forfaitaire contractuelle en cas de résiliation du contrat par le maître d’ouvrage.
B. La réception tacite
La réception permet au maître d’ouvrage de prendre possession de l’ouvrage et au constructeur de solder son marché. Quand elle est prononcée avec réserve, le solde du prix sera donc consigné avec l’accord du constructeur, dans l’attente que ce dernier lève les réserves. Il s’agit d’un rendez-vous aux fins de réception de l’ouvrage et à l’issue de ce rendez-vous, un procès-verbal de réception pourrait être établi et signé par les deux parties, sans ou avec réserve.
Toutefois, il se peut que ce rendez-vous n’ait pas lieu et aucun procès-verbal de réception ne soit établi, et que le maître d’ouvrage prenne quand-même possession de la maison. Dans ce cas, il est donc question d’évoquer la réception tacite. La Cour de cassation a retenu, aux termes de son arrêt du 21 décembre 2023 (Cass. civ. 3, 21 décembre 2023, n° 22-15.655, F-D N° Lexbase : A65992AN), la volonté non équivoque du maître d’ouvrage de recevoir l’ouvrage en ce qu’il a pris possession des maisons au mois de juillet 2009 et réglé, au 1er octobre 2009, le solde de la facture « en ce compris la retenue de garantie de 5% », pour fixer la réception tacite « à la dernière de ces dates ».
III. Les responsabilités des acteurs intervenants à la conclusion du CCMI
Hormis les parties contractuelles, d’autres intervenants jouent un rôle indispensable lors de la conclusion du CCMI, tel est le cas du garant de livraison. Le maître d’ouvrage, en payant son marché, peut réclamer le dédommagement de son préjudice en mettant en cause soit la responsabilité du constructeur (a), soit de la responsabilité du garant de livraison (b), ou des deux.
A. La responsabilité du constructeur
Au titre du CCMI, le constructeur exécute les prestations détaillées dans les documents contractuel, moyennant le prix payé. Il s’agit donc de sa responsabilité contractuelle. Toutefois, la responsabilité du constructeur peut être recherchée dans le résultat de son travail, lorsque ces travaux sont affectés des désordres et non-conformité
La cour d’appel de Nîmes s’est récemment prononcée à ce sujet, dans son arrêt rendu le 25 janvier 2024 (CA Nîmes, 25 janvier 2024, n° 22/01393 N° Lexbase : A61262HD). En l’espèce, les travaux de couverture réalisés par le constructeur auraient été, selon le maître d’ouvrage, l’origine des coulures anormales sur les façades de sa maison. La cour a retenu, à partir du rapport d’expertise judiciaire que ces travaux ne sont pas conformes aux règles de l’art, que le constructeur était entièrement responsable des préjudices subis par le maître d’ouvrage en raison de cette non-conformité.
Les engagements du constructeur ne s’arrêtent pas à ce que les travaux soient réalisés dans les règles de l’art. D’ailleurs, il s’agit d’une particularité du CCMI car on évoque ci-après la responsabilité du constructeur en cas de retard de livraison. Si le contrat contient une clause sur le paiement des pénalités de retard par le constructeur en cas de retard de livraison, dont le montant journalier ne peut être fixé à un montant inférieur à 1/3000 du prix, de nombreux contentieux actuels se forment, encore et toujours, à propos du terme pour le calcul des pénalités de retard contractuelles ainsi que des préjudices conséquence du retard pris dans la réalisation des travaux. Ainsi, dans son arrêt du 5 décembre 2023 (CA Lyon, 5 décembre 2023, n° 23/02031 N° Lexbase : A8938178), la cour d’appel de Lyon, a accordé une provision au titre du retard pris dans la réalisation des travaux, au motif que ce dernier justifiait « de manière incontestable d’un préjudice résultant du retard pris dans les travaux et excédant la simple application des pénalités de retard ».
B. La responsabilité du garant de livraison
La garantie de livraison fait partie des conditions suspensives au sens de l’article L. 231-4 du Code la construction et de l’habitation. Il s’agit d’un élément essentiel du CCMI en ce que le garant porte caution solidaire du constructeur contre les risques d’inexécution ou de mauvaise exécution des travaux prévus au contrat par ce dernier. Dès lors, lorsque le maître d’ouvrage constate le retard de livraison ou les désordres affectant les travaux, peut solliciter l’intervention du garant, en dépit d’une procédure collective ordonnée à l’encontre du constructeur.
Ainsi et dans une situation comparable, la Cour de cassation, aux termes de son arrêt en date du 21 décembre 2023 (Cass. civ. 3, 21 décembre 2023, n° 22-15.655, F-D N° Lexbase : A65992AN), a retenu que la garantie de livraison est mobilisable. Dans un autre arrêt rendu par la Haute juridiction du même jour (Cass. civ. 3, 21 décembre 2023, n° 22-14.740, F-D N° Lexbase : A66652A4 ; v. J. Mel, Lexbase Droit privé, n° 970, 18 janvier 2024 N° Lexbase : N8090BZN), la responsabilité du garant en sa qualité de caution solidaire a été étendue à plusieurs postes mettant en cause la responsabilité contractuelle du constructeur qui était, pourtant, in bonis lors de la première instance judiciaire.
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