La lettre juridique n°976 du 7 mars 2024 : Comptabilité publique

[Focus] Vers une véritable sanction de la faute de gestion des gestionnaires publics ?

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par Henri Paul, Avocat à la Cour (cabinet TACTICS), Président de chambre honoraire à la Cour des comptes

le 06 Mars 2024

Mots-clés : gestionnaires publics • Cour des comptes • juridictions financières • Cour de discipline budgétaire et financière

Une demande sociale à laquelle les pouvoirs publics et la Cour des comptes ont cherché à répondre

Il y a trois ans, le Premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, rendait public un document d’orientation stratégique des juridictions financières. Baptisé JF2025 [en ligne], ce rapport proposait des mesures afin de rendre l’action des juridictions financières plus efficace et de répondre à la demande d’un meilleur contrôle des gestionnaires et des organismes publics, en améliorant la confiance des citoyens dans l’action publique.


 

Le Premier président proposait une réforme de grande ampleur de la Cour des comptes et de la responsabilité des gestionnaires, qui unifierait complètement leur régime de responsabilité, qu’ils soient comptables ou ordonnateurs. Cette réforme, faite au pas de charge [1], a été inscrite au programme « Action publique 2022 », a fait l’objet d’une habilitation à légiférer par ordonnance dans le projet de loi de finances pour 2022, puis d’une ordonnance n° 2022-408, du 23 mars 2022 (Ordonnance n° 2022-408, du 23 mars 2022, relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics N° Lexbase : L1017MCN). Le nouveau régime s’applique à compter du 1er janvier 2023. La Cour des comptes a installé les nouvelles formations de jugement prévues : la chambre du contentieux, qui exerce désormais les attributions juridictionnelles de la Cour des comptes [2], a rendu de premières décisions, et la Cour d’appel financière [3], qui juge en appel de ses décisions, un premier arrêt [4]. L’ancienne Cour de discipline budgétaire et financière, instituée par une loi de 1948, est supprimée. Le régime de responsabilité propre aux comptables publics (la fameuse « responsabilité personnelle et pécuniaire »), qui datait de l’Empire et de la création de la Cour des comptes elle-même, est donc aboli, même si demeure le jugement des comptes.

Comment cette nouvelle organisation de la responsabilité financière des gestionnaires publics, désormais unifiée, se situe-t-elle et innove-t-elle par rapport au système ancien ? Peut-on y voir un progrès, et quelle place va y prendre une nouvelle jurisprudence ?

Deux échelles de responsabilité et deux juges distincts, désormais unifiés

Jusqu’alors, le contrôle juridictionnel des comptables était du ressort de la Cour des comptes, tandis que la responsabilité des gestionnaires (sauf les ministres et les élus locaux dans l’exercice de leurs responsabilités d’ordonnateurs, qui bénéficient d’une immunité [5]) ne pouvait être appelée que devant la Cour de discipline budgétaire et financière, juridiction de nature répressive, associée à la Cour des comptes et présidée par le même Premier président, composée à parité de membres du Conseil d’État et de la Cour. Les procédures comme les règles de responsabilité qui s’appliquaient aux uns et aux autres étaient distinctes. D’un côté, des fautes de nature administrative propres au fonctionnement régulier du poste comptable et à l’application des règles de la comptabilité publique, et une juridiction spéciale et purement administrative (la Cour des comptes et les chambres régionales). De l’autre, des infractions sanctionnant essentiellement des fautes de gestion et des manquements aux règles, et une juridiction de nature répressive (la Cour de discipline). Le rapprochement des deux régimes conduit la nouvelle loi à définir dix infractions applicables à la fois aux ordonnateurs et aux comptables (la distinction historique est maintenue sur le plan de l’organisation des administrations publiques), qui font l’objet du même régime répressif et d’une unité de juridiction.

La responsabilité des comptables était jusqu’alors régulièrement mise en cause par la Cour, puisque lors de l’apurement des comptabilités publiques, la Cour jugeait des manquements en caisse (débets) et opérait des rectifications, mais infligeait peu de sanctions financières effectives en raison des possibilités de remise laissées au ministre. Ce système, qualifié d’obsolète, était loin de satisfaire  les comptables publics : la réforme vient donc satisfaire leurs revendications.

En revanche, la responsabilité des gestionnaires n’était pas fréquemment mise en jeu : la Cour de discipline, rarement saisie, jugeait peu (la moyenne glissante des arrêts rendus est passée de 4,8 en 2013 à 7,7 en 2022), et les sanctions financières restaient modiques, comme on va le voir. En outre, l’immunité des ordonnateurs élus et des ministres était fort critiquée, et la sanction financière des gabegies impossible. Dès lors, la responsabilité des gestionnaires a été recherchée plutôt devant le juge pénal, en particulier depuis la création du délit de favoritisme (C. pén., art. 432-14 N° Lexbase : L7454LBP[6], permettant d’aboutir à des sanctions plus lourdes, si ce n’est plus rapide.

Mais cette incursion du droit pénal et des juridictions judiciaires dans l’action publique, parfaitement légitime, car les poursuites devant la Cour ne font pas obstacle à l’exercice de l’action pénale (et même de l’action disciplinaire),  soulève des questions : faut-il pénaliser l’action publique ? Cela ne va-t-il pas paralyser l’initiative ? L’échelle des sanctions est-elle adaptée ? Le juge pénal a-t-il une compréhension suffisante de l’action publique et de ses contraintes, alors que la Cour de discipline envisageait souvent des circonstances atténuantes ? Comment  apprécier la valeur d’éventuelles circonstances atténuantes ?

La création récente d’une chambre du contentieux à la Cour des comptes et d’une Cour d’appel financière, et la fusion des régimes de responsabilité des gestionnaires et des comptables laissent espérer qu’elle va « rapatrier » la sanction des fautes de gestion au sein de la juridiction administrative. Elles ébranlent la séparation des ordonnateurs et des comptables, et ouvrent la voie à de nombreuses simplifications, et peut-être à un meilleur contrôle, ou bien à de réels dangers si le contrôle reste insuffisant.

La sanction des fautes de gestion s’est complexifiée sans être beaucoup plus efficace  

Certes, la Cour contrôle et évalue les politiques publiques, mais reste largement dépourvue de sanctions vis-à-vis de ceux qui les mènent. La publication au Rapport public de la Cour d’une insertion blâmant les errements du nouveau logiciel de gestion de la paie militaire ou la création catastrophique d’une piste artificielle de ski et d’un zoo au beau milieu de la campagne lorraine ont permis de dénoncer des gaspillages avérés. Elle n’a donné lieu à aucune autre sanction que la condamnation au pilori médiatique d’une administration, qui ne dure qu’un temps, de plus en plus bref. Elle visait à mettre en évidence une chaîne de responsabilités fautives sans en individualiser une, et à braquer le projecteur sur un gaspillage pour éviter qu’il ne se reproduise. Avec la récente réforme du Rapport public annuel, cette arme a été pratiquement abandonnée.

C’était donc la mission de la Cour de discipline budgétaire et financière de sanctionner des errements individuels par le biais des poursuites disciplinaires qu’elle pouvait mener contre leurs auteurs, ou ceux qui auraient donné leur approbation aux décisions incriminées. Les infractions réprimées par la CDBF étaient énoncées aux anciens articles L. 313-1 N° Lexbase : L6429DYR et suivants du Code des juridictions financières et ont été précisées progressivement : ainsi ont été créées une infraction visant à sanctionner l’omission de déclarations fiscales en 1963, des infractions nouvelles en matière d’inexécution de décisions de justice en 1980 et 1987, la faute grave de gestion dans les entreprises publiques en 1995 (Loi n° 95-1251, du 28 novembre 1995, relative à l'action de l'État dans les plans de redressement du Crédit lyonnais et du Comptoir des entrepreneurs N° Lexbase : L8239IQ9). Les conditions constitutives de l’octroi à autrui d’un avantage injustifié (CJF, art L. 313-6 N° Lexbase : L6430DYS) ont été revues en 1971. Au total, huit catégories d’infractions étaient réprimées par la Cour de discipline, dont la violation des règles relatives à l’exécution des recettes, des dépenses et à la gestion des biens des collectivités publiques ou des organismes publics ou privés soumis au contrôle de la Cour des comptes et des chambres régionales et territoriales des comptes (CJF, arts. L. 313-1 N° Lexbase : L6429DYR à L. 313-4 N° Lexbase : L1644ADA). Elles visaient aussi l’octroi d’avantages injustifiés à autrui entraînant un préjudice pour l’organisme ou le Trésor public (CJF, art. L. 313-6 N° Lexbase : L6430DYS), l’omission faite sciemment de souscrire les déclarations à produire aux administrations fiscales (CJF, art. L. 313-5 N° Lexbase : L1645ADB).

Plusieurs arrêts, entre 2018 et 2022, ont caractérisé la faute de gestion dans le cas de manquements aux principes de bonne gestion et à la préservation des intérêts patrimoniaux de l’organisme géré, et d’infractions aux règles comptables et administratives visées par l’art. L 313-4, souvent combiné avec larticle 313-6. On verra qu’à quelques exceptions près, ils n’ont pas sanctionné de très graves errements et surtout que les peines infligées sont restées relativement légères.

Un arrêt du 12 octobre 2018 « École nationale de formation agronomique ENFA », sur la gestion financière et administrative de cette école, a traité de la construction d’une plate-forme de recherche et de son financement, qui a donné lieu à une série de fautes, constitutives de l’infraction prévue à l’article L. 313-4 du Code des juridictions financières, et dans certains cas aussi à l’article L. 313-3 du CJF (engagement de dépenses sans en avoir le pouvoir ou sans avoir reçu de délégation de signature à cet effet). Tout d’abord, la directrice de l’École a décidé, sans en avoir fait délibérer son conseil, de recourir à un marché unique de travaux. Ensuite, elle a engagé ces travaux sans en avoir reçu et sans en avoir garanti le financement et alors même que la situation financière de l’école était peu sûre, et enfin elle a dû souscrire un emprunt dépassant les possibilités financières de l’École. La décision du conseil d’administration de contracter cet emprunt, alors que sa composition était irrégulière, est imputée à la directrice par intérim de l’École qui a convoqué cette instance. D’autres manquements justiciables de l’ancien art. L. 313-4 du CJF sont également relevés mettant en cause d’autres responsables de l’école : présentation et approbation d’états financiers non sincères, absence de suivi de conventions de recherche qui comportaient des risques financiers pour l’établissement, paiement d’heures complémentaires sans fondement réglementaire.

Deux arrêts du 28 juillet 2020 ont été rendus sur la télévision publique (« France Télévisions ») en faisant application de l’ancien art. L. 313-4. Le premier a sanctionné trois directeurs de cet établissement pour avoir signé des protocoles transactionnels et un avenant à un contrat de travail en l’absence d’une saisine préalable du contrôleur général économique et financier, et pour n’avoir pas vérifié le respect des conditions de contrôle économique et financier de l’entreprise. La Cour n’a pas retenu comme circonstances atténuantes que ces accords avaient pu procurer des économies. Le second arrêt a sanctionné trois directeurs de la société pour leurs agissements directs (signature de contrats ou de bons de commande irréguliers) et pour leurs agissements indirects caractérisés par un défaut de contrôle de surveillance et d’organisation. Les amendes ont été très modérées (2500 euros, 2000 euros et 1500 euros), la Cour ayant voulu tenir compte de l’ancienneté de ces pratiques et de la période de flottement qui a accompagné la fusion des sociétés publiques de télévision en une seule.

Un arrêt, du 10 décembre 2020, concerne « l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des infections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) ». Le cas de lONIAM est dautant plus typique que cet établissement public a fait lobjet de critiques de la Cour à plusieurs reprises sans que des améliorations notables aient été apportées à son fonctionnement. À l’occasion de cette dernière affaire, la Cour combine à plusieurs reprises les anciens articles L. 313-4 et L. 313-6 (avantage injustifié procuré à autrui entraînant un préjudice pour le Trésor ou l’organisme intéressé), et elle se prononce sur des irrégularités comptables en matière de recettes. Elle a observé notamment, pour ce qui concerne les recettes de l’Office, que l’Oniam avait failli en ne constatant pas par exemple des droits acquis à son bénéfice, en ne recouvrant pas des frais d’expertise, ou en manquant de rigueur dans l’encaissement des virements et des chèques.

Des arrêts rendus en 2021 ont marqué un certain « durcissement » de la jurisprudence.

Un premier arrêt du 9 mars 2021, « CDC Entreprises- Plan d’attribution gratuite d’actions » a prononcé de lourdes amendes à l’encontre de trois dirigeants d’entreprise publique, qui ont participé à et bénéficié d’une attribution gratuite d’actions pour un montant total de 15 millions d’euros. La Cour a considéré qu’elle pouvait appliquer l’art. 313-4 à des manquements aux principes de bonne gestion et de préservation des intérêts patrimoniaux de l’entreprise, en ce que la distribution de 17 % des dividendes en 2010, et de 16 % en 2011 aux seuls président et directeur général de CDC Entreprises ne pouvait pas trouver de justification dans les objectifs de cette opération, qui aurait consisté à « fidéliser » les cadres de l’entreprise, mais avait lésé l’entreprise du fait d’une remontée de dividendes moindre que celle à laquelle elle pouvait prétendre. Les deux responsables avaient bénéficié respectivement de 533 000 euros sur 40 mois, et 867 000 euros sur 69 mois, ce qui a été considéré par la Cour comme des circonstances aggravantes. Les peines qui leur ont été infligées se sont montées à 70 000 euros dans le premier cas, et 100 000 euros dans le second. Cette jurisprudence apparaît exceptionnelle à bien des points de vue, mais son intérêt est largement minoré du fait qu’elle a fait l’objet d’une cassation par le Conseil d’État pour erreur de droit (CE 5° et 6° ch.-r., 21 avril 2023, n° 452310 N° Lexbase : A41659QC). Après un renvoi devant la chambre du contentieux, le procureur général a classé l’affaire.

Le second arrêt concerne la « Commune de Saint-Denis de La Réunion » (30 septembre 2021). Le maire de la commune a réquisitionné le comptable, engageant ainsi sa responsabilité propre, en lui enjoignant de payer des compléments de rémunérations à des agents communaux. Or ce versement ne respectait pas les règles applicables en matière de justification de la dépense, à savoir une délibération régulière du conseil municipal. La Cour a donc considéré qu’il s’agissait d’un avantage injustifié portant préjudice à la commune, faisant application de l’art L. 313-6, et a fait observer que l’infraction prévue à cet article n’exigeait pas que l’agent responsable ait eu l’intention de procurer à autrui un avantage injustifié ayant causé un préjudice, mais seulement que les décisions prises par cet agent, en méconnaissance de ses obligations, aient abouti à un tel résultat. Elle a accordé des circonstances atténuantes au maire notamment en raison du fait que le comptable public ne s’était pas opposé au paiement de ces rémunérations avant l’intervention d’une délibération, reconnue postérieurement illégale, qui avait pour objet l’amélioration du pouvoir d’achat de ces agents.

Un arrêt du 15 novembre 2021, « Commission du film d’Île-de-France », sanctionne l’ancien directeur de l’établissement qui s’était accordé des primes exceptionnelles sans que cet avantage soit prévu par son contrat ou par une décision de son conseil d’administration. La Cour a fait application des art. L. 313-3 et L. 313-4 et a considéré que ces faits constituaient un manquement particulièrement grave aux devoirs d’un agent public, ce qui en faisait une circonstance aggravante. La condamnation a été fixée à 5 000 euros alors que les primes avaient représenté plus de 66 000 euros entre 2013 et 2016.

En 2022, avant de disparaître, la Cour de discipline budgétaire a un peu accéléré le rythme et rendu dix arrêts dont on ne retiendra que les plus significatifs.

Dans un arrêt du 6 mai 2022, « Conférence des parties à la convention des Nations-Unies sur les changements climatiques COP 21 », la Cour a fait une nouvelle fois application de l’art L. 313-4 pour condamner trois hauts fonctionnaires du Quai d’Orsay à de faibles amendes : le secrétaire général  de la COP 21 à 1000 euros, le responsable du protocole à 1000 euros et le sous-directeur de la logistique, de l’interprétation et de la traduction à 500 euros.

Cependant, les irrégularités n’étaient pas négligeables. En matière de marchés publics, de nombreux errements avaient été observés : absence de publicité et de mise en concurrence pour la construction de la salle plénière du congrès, abusivement commandée par simple avenant (3,84 millions d’euros), désignation irrégulière d’une agence d’architecture comme sous-traitante d’un attributaire à seule fin d’exécuter des prestations non prévues au marché principal, fractionnement de la commande de prestations de conseil, non-respect des seuils des marchés de prestations d’assistance, dépassement des commandes du marché de traiteur. En outre, les personnes en cause avaient confié sans titre la perception de  recettes issues de location d’espaces à un prestataire privé.

La Cour a retenu comme circonstances aggravantes globales le fait que ces personnes étaient conscientes des irrégularités, et comme circonstances atténuantes globales le fait qu’il s’agissait d’un évènement exceptionnel dont les conditions financières étaient maîtrisées. Elle n’a pas admis l’urgence comme circonstance atténuante. Dans le cas du sous-directeur, qui avait alerté par note sur les irrégularités commises, elle a admis des circonstances atténuantes.

L’arrêt « Société publique locale de Mayotte », du 5 juillet 2022 est intéressant en ce qu’il a condamné le président, membre élu de la collectivité territoriale de Mayotte, et le directeur général de la SPL sur le fondement de la faute de gestion et de l’avantage injustifié procuré à autrui entraînant un préjudice pour l’organisme intéressé. Il s’agissait essentiellement de paiements sur quatre marchés litigieux sans que le service fait puisse être établi, mais surtout de graves insuffisances dans le fonctionnement de la société publique, qui s’était avérée incapable d’assurer ses missions. L’amende a été fixée à 5000€ pour chacun.

L’infraction définie à l’article L. 313-4 a été relevée dans l’arrêt du 7 novembre 2022, « Fédération Française d’athlétisme » à l’encontre du directeur financier, de l’ancien trésorier général et de l’ancien président de cet organisme. Les infractions concernaient de nombreuses irrégularités comptables qui avaient été complètement ignorées par les commissaires aux comptes (circonstances atténuantes) : inscription de créances sans justification juridique, écritures comptables erronées ou omises, le tout ayant abouti à majorer les résultats et à porter atteinte à la sincérité des comptes. Les amendes ont été de 2000 euros au directeur financier, 800 euros à l’ancien trésorier général et 500 euros à l’ancien président.

Le bilan de la Cour de discipline budgétaire, en dépit de quelques efforts récents, reste donc maigre.

Le nouveau régime reste complexe

Comme on vient de le voir, l’ancien article L. 313-4 était le point central de la responsabilité des gestionnaires, et sa définition large permettait, combinée notamment avec l’application de l’avantage injustifié à autrui de l’ancien art L. 313-6, de réprimer des fautes de gestion rencontrées lors des contrôles menés par la Cour des comptes. Mais ce système n’avait pas probablement l’ampleur voulue, ni en ce qui concerne les faits réprimés, ni la fréquence et l’ampleur des condamnations.

En quoi consiste le nouveau régime ?

Le nouvel article L 131-9 modifie profondément le régime de responsabilité des gestionnaires publics en restreignant le champ de la faute. Ainsi, désormais : « Tout justiciable au sens de l'article L. 131-1  [7] qui, par une infraction aux règles relatives à l'exécution des recettes et des dépenses ou à la gestion des biens de l'État, des collectivités, établissements et organismes mentionnés au même article L. 131-1, commet une faute grave ayant causé un préjudice financier significatif, est passible des sanctions prévues à la section 3.
Les autorités de tutelle de ces collectivités, établissements ou organismes, lorsqu'elles ont approuvé les faits mentionnés au premier alinéa, sont passibles des mêmes sanctions.
Le caractère significatif du préjudice financier est apprécié en tenant compte de son montant au regard du budget de l'entité ou du service relevant de la responsabilité du justiciable. »

Il appartient donc désormais au nouvel ordre de justice financière, la chambre juridictionnelle de la Cour des comptes, la Cour d’appel financière, et en cassation, au Conseil d’État, d’apprécier désormais, d’une part « l’infraction aux règles relatives à l’exécution des recettes et des dépenses ou à la gestion des biens de l’organisme », ce qui lui permettra de faire application de sa jurisprudence classique, dont on vient de voir quelques exemples, mais aussi d’apporter la démonstration d’une « faute grave » et du caractère « significatif » du préjudice entraîné par cette « faute grave », ce qui est nouveau dans ce cas précis, et enfin d’imputer la responsabilité personnelle du préjudice à un ou des gestionnaires publics.

Par ailleurs, larticle L. 313-6 du CJF désormais abrogé, disposait que  « Toute personne visée à larticle L. 312-1 qui, dans lexercice de ses fonctions ou attributions, aura, en méconnaissance de ses obligations, procuré à autrui un avantage injustifié, pécuniaire ou en nature, entraînant un préjudice pour le Trésor, la collectivité ou lorganisme intéressé, ou aura tenté de procurer un tel avantage sera passible dune amende dont le minimum ne pourra être inférieur à 300 euros et dont le maximum pourra atteindre le double du montant du traitement ou salaire brut annuel qui lui était alloué à la date de linfraction ». Cette disposition ne créait pas pour autant une infraction autonome et définie comme telle, s’il n’existait pas de manquement aux règles d’exécution des recettes et des dépenses.

Depuis le 1er janvier 2023, il a été substitué à cette disposition une infraction codifiée à larticle L. 131-12 du CJF, aux termes duquel « Tout justiciable au sens des articles L. 131-1 et L. 131-4 qui, dans lexercice de ses fonctions ou attributions, en méconnaissance de ses obligations et par intérêt personnel direct ou indirect, procure à une personne morale, à autrui, ou à lui-même, un avantage injustifié, pécuniaire ou en nature, est passible des sanctions prévues à la section 3 ».

Ainsi, dans le nouveau régime, la combinaison de ces deux dispositions reste possible, mais seulement dans la mesure où les conditions plus restrictives de la nouvelle définition de l’infraction se trouvent réunies. Et l’avantage injustifié peut-il être sanctionné de manière autonome.

Un arrêt de la chambre du contentieux (n°S-2023-1184 du 26 septembre 2023) « Régie régionale des transports des Landes » est venu faire jurisprudence sur ce sujet.

La Cour de discipline budgétaire et financière avait été saisie par un réquisitoire introductif du procureur général près la Cour des comptes en date du 16 avril 2021, de fait susceptible de constituer des infractions sanctionnées par cette juridiction, qui remontaient aux années 2016, 2017 et 2018. Ils consistaient en trois séries de faits commis par le directeur de cette  régie, susceptibles d’être constitutifs d’une infraction aux règles d’exécution des dépenses qui auraient conduit ce directeur à l’octroi d’avantages à lui-même [8]. Mais ils n’avaient pas été jugés par la CDBF au moment de l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2022-408, du 23 mars 2022, et, par conséquent, en vertu des dispositions du II de l’article 30 de cette ordonnance, l’affaire a été transmise à la Cour des comptes.

Cet arrêt a permis d’abord à la chambre du contentieux de rappeler les principes constitutionnels de l’application de la nouvelle loi dans le temps ; ainsi, « s’agissant des infractions, le justiciable est susceptible de se prévaloir de l’application immédiate, au présent contentieux, des dispositions plus douces édictées par l’ordonnance ». Or, les nouvelles dispositions sont indéniablement plus douces.

En second lieu, de faire le point des règles de prescription. L’arrêt fait application du nouvel  article L. 142-1-3 du CJF, qui dispose que « la Cour des comptes ne peut être saisie par le ministère public après l’expiration d’un délai de cinq années révolues à compter du jour où a été commis le fait susceptible de constituer une infraction ». La communication du procureur financier près la chambre régionale des comptes de Nouvelle-Aquitaine transmettant le déféré à cette chambre a été enregistrée le 23 décembre 2020. En conséquence, les faits postérieurs au 23 décembre 2015 ne peuvent pas être considérés comme prescrits.

Enfin, la décision de renvoi du procureur général faisait grief au directeur d’avoir signé les feuilles de déplacement et les notes de frais et d’avoir prescrit en tant qu’ordonnateur les dépenses correspondantes, en s’octroyant des remboursements auxquels il ne pouvait prétendre. Elle invitait la Cour à sanctionner exclusivement sur le fondement du nouvel article L. 131-12 l’avantage injustifié, en relevant que le directeur se serait procuré à lui-même cet avantage injustifié, tout en relevant que, si l’avantage injustifié ne pouvait être sanctionné de manière autonome à l’époque des faits, il pouvait l’être sous l’empire de la nouvelle loi.

La Cour des comptes a donné tort au procureur général en rappelant que l’infraction autonome d’octroi d’un avantage injustifié à soi-même nouvellement créée ne saurait avoir un caractère rétroactif et qu’elle ne peut donc pas être retenue pour des faits antérieurs au 1er janvier 2023, même s’ils ne sont pas prescrits.  Le directeur de la régie a été relaxé, au bénéfice de cette interprétation favorable.

Un arrêt de la chambre du contentieux (n°S-2023-1382 du 26 octobre 2023) « Caisse du crédit municipal de Bordeaux », rendu sur réquisitoire supplétif du procureur général en date du 10 janvier 2023, a cette fois-ci condamné un ancien directeur général et un ancien directeur général  adjoint de cet établissement public communal sur la base du nouvel article L 131-9 du Code des juridictions financières en raison de faute grave dans la gestion des crédits octroyés par l’établissement. C’est le premier arrêt à retenir un préjudice financier significatif.

Il s’agissait d’une saisine de la Cour de discipline à lorigine,  transmise à la Cour aux termes de l’ordonnance du 23 mars 2022. Le présumé coupable de l’infraction prétendait que les faits qui lui étaient reprochés étaient prescrits, considérant que les infractions qui avaient justifié le déféré  initial (sur la base des anciens articles L. 313-3, L. 313-4 et L. 313-6) étaient abrogées, et que toute condamnation sur la base d’une infraction abrogée était prescrite, même pour des faits antérieurs à l’abrogation. La chambre du contentieux a confirmé que le législateur avait maintenu la définition de l’infraction, et que le manquement aux règles relatives à l’exécution des recettes et des dépenses, ou à la gestion des biens de l’État, restaient constitutifs d’une infraction avant comme après l’intervention de l’ordonnance.

Elle a fait application des nouvelles dispositions de l’article L. 131-9 du CJF, qui soumettent la constatation de l’infraction à la double condition de la gravité de la faute et de l’existence d’un préjudice financier en résultant. Elle a d’abord veillé à définir la gravité de la faute de gestion en mettant en évidence les défauts du contrôle interne de l’établissement, les manquements relatifs à l’établissement des dossiers de crédit et l’insuffisance des sûretés  prises lors de l’octroi des crédits. Elle ne s’est pas interdit de « retenir l’importance de l’enjeu financier pour qualifier la gravité de la faute » (considérant 113).

Puis, elle s’est attachée à démontrer le caractère significatif du préjudice financier. Dans sa décision de renvoi, le procureur général fait l’effort d’évaluer le préjudice, en additionnant la sanction infligée à l’établissement par la commission des sanctions de l’Autorité de contrôle prudentiel, les honoraires d’avocats et frais d’huissiers induits par le recouvrement des prêts litigieux, le coût du portage de certains prêts litigieux, et une « partie non négligeable » des provisions passées pour les créances litigieuses. La chambre évalue « a minima » le préjudice à 3 940 000 euros. Sans doute gênée par la notion de « budget » contenue dans le texte,  elle assimile de manière un peu hardie le produit net bancaire (entre 7 et 10 millions d’euros par an) au budget de l’entité, mais l’ampleur des provisions passées d’un côté (9 M €), le montant des pertes générées par les prêts litigieux (4,7 millions d’euros) de l’autre, ne laissent pas de doute quant au caractère significatif du préjudice. Les anciens dirigeants ont été condamnés respectivement à 20 000 euros (pour le directeur général) et 10 000 euros (pour le directeur général adjoint) d’amendes.

Enfin, un arrêt rendu le 22 décembre 2023 par la première chambre de la Cour d’appel financière (n° 2024-01 « Société ALPEXPO ») vient confirmer la jurisprudence de l’arrêt « Régie régionale de transport des Landes » sur l’application rétroactive de l’article L. 131-12 du Code des juridictions financières. Le considérant est très clair sur le sujet, qui expose « si, avant le 1er janvier 2023, l’octroi d’un avantage à soi-même pouvait résulter d’une infraction aux règles d’exécution des recettes et des dépenses et constituer par suite une circonstance aggravante de l’infraction définie à l’article L. 313-4, un tel agissement ne constituait pas, en lui-même, une infraction punissable sur le fondement des dispositions de ce Code ». 

L’arrêt d’appel écarte le raisonnement du ministère public en ce qu’il n’apporte pas la preuve de la faute de gestion, et surtout qu’il n’établit pas l’existence d’un préjudice financier significatif, le préjudice ne paraissant pas dépasser 15 000 euros pour un chiffre d’affaires annuel de la société de 6 millions d’euros et un montant de charges d’exploitation annuelles compris entre 8,8 et 6,7 millions d’euros pendant la période.

La chambre du contentieux et la cour d’appel financière ont précisément défini les limites de leurs compétences dans leurs premiers arrêts, quitte à contredire le parquet général soucieux d’une sanction rigoureuse des fautes de gestion.  Les règles de prescription en particulier semblent clarifiées, ainsi que celles touchant au droit applicable dans le temps. Mais, pour que le nouveau régime  puisse nous convaincre de son efficacité, il va falloir que l’évaluation des préjudices et leur exacte imputabilité soient précisées par la jurisprudence, ce qui va demander aux juridictions financières un important et difficile travail d’enquête. En même temps, il faudra également que les déférés concernent des erreurs de gestion suffisamment graves non seulement pour être sanctionnées, mais aussi pour remplir l’objectif pédagogique affiché par la loi. La jurisprudence devra probablement évoluer pour mieux sanctionner notamment l’avantage à soi-même, si l’on veut que la Cour fasse jeu égal avec le juge pénal.

 

[1] Un projet de loi qui transférait à la Cour les compétences de la CDBF en créant une cour d’appel des juridictions financières a échoué en 2009 après son examen en commission des finances de l’Assemblée nationale.

[2] Elle comporte désormais des magistrats de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes

[3] Elle est composée de deux personnalités qualifiées, de quatre membres du Conseil d’État et de quatre membres de la Cour des comptes

[4] Arrêt n° 2024-01, du 12 janvier 2024, commenté ci-après.

[5] Cette disposition fort contestée demeure dans le nouveau régime.

[6] Le détournement de fonds étant sanctionné par l’article 432-15 du Code pénal N° Lexbase : L5517LZD.

[7] Cet article désigne les justiciables de la Cour des comptes.  

[8] Prise en charge de frais de déplacement et de repas sans lien avec les besoins ou nécessités du service, remboursement de déplacements de son domicile à son lieu de travail, au surplus sur la base d’un kilométrage ne correspondant pas à la  distance entre ces deux , prise en charge de frais de repas sur le lieu de travail.

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