Réf. : Cass. crim., 16 janvier 2024, n° 22-81.559, FP-B N° Lexbase : A18192E4
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par Tom Bonnifay, Avocat, Vouland Avocats
le 06 Mars 2024
Mots-clés : droit pénal de l’environnement • Office de la biodiversité • inspecteurs de l’environnement • contrôle • exploitation agricole • information préalable • procureur de la République
L'arrêt commenté ne calmera pas la colère des agriculteurs. Selon la Cour de cassation, une terre agricole ne constitue ni un domicile, ni un établissement, ni un local, ni une installation professionnelle. Elle demeure un objet juridique non identifié, dépourvu de toute protection spécifique. En réaction, l'auteur suggère une réforme des procédures de recherches et constatations en droit pénal de l'environnement, basée sur la notion de lieu professionnel clos. Une telle réforme conférerait à la matière davantage de cohérence et de légitimité.
Dans la seconde partie du commentaire, nous aborderons l'émergence croissante de la notion prétorienne de "déclarations sommaires", qui autorise la Cour de cassation à contourner les formalités relatives aux auditions libres ou aux gardes à vue. Nous examinerons également la possibilité de contester la validité des déclarations sommaires émises par un tiers.
Peu savent que sur cette île gracieuse qu'est la Corse, se cachent les cohortes les plus imposantes de tortues d'Hermann. Comme l'auteur de ces mots, ces reptiles sédentaires affectionnent les campagnes, les prairies fauchées, les pâturages, les étendues dégarnies de bosquets et de haies.
Vivre de concert avec les paysans n'est pas toujours une sinécure. Les méthodes agricoles modernes, en particulier le débroussaillage mécanique à l'aide de gyrobroyeurs, conspirent à l'extinction de cette espèce en voie de disparition.
Un plan d’action national a été établi pour les années 2018 à 2027. Il s'emploie à préserver cette espèce dont la protection est garantie par la Convention de Washington du 3 mars 1973, la Convention de Berne du 19 septembre 1979, et l'arrêté du 19 novembre 2007, l'inscrivant sur la liste des reptiles sous protection sur tout le territoire [1].
Ainsi, fin décembre 2018, lorsque les services de l’Agence française de la biodiversité (devenu Office de la Biodiversité) constatent des travaux au Mont Sant'Angelo, niché à 1 200 mètres entre la Casinca et Castaniccia, ils se rendent rapidement sur les lieux. Ce site renommé pour son rassemblement imposant de tortues d'Hermann.
À l’occasion d’un premier déplacement en janvier 2019, les inspecteurs de l’environnement découvrent une dizaine de cadavres de tortues sur les parcelles en chantier. Au cours de leur deuxième inspection, arpentant la zone dévastée par le gyrobroyage, ils dénichent vingt-quatre carapaces et cadavres de ces créatures lentes.
Un rapport de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement de Corse du Sud (DREAL) estime, sur les vingt-trois hectares de terrain, qu’entre cent seize et trois cent quarante-neuf tortues ont été tuées. Le gain financier, évalué au regard du référentiel « ERC » (éviter-réduire-compenser), est évalué entre 115 000 et 190 000 euros.
Au terme de cette enquête, l'agriculteur à l'origine des travaux se retrouve devant le tribunal correctionnel d'Ajaccio. Il est prévenu de destruction non autorisée d'espèce animale non domestique et espèce protégée et altération ou dégradation non autorisée de l'habitat d'une espèce animale protégée non domestique, ainsi que de mutilation non autorisée d'espèce animale non domestique - espèce protégée.
En première instance comme en appel, il est condamné à la peine de deux ans d’emprisonnement avec sursis probatoire et 35 000 euros d’amende sur le plan pénal. Sur les intérêts civils, la cour d’appel reçoit les constitutions de parties civiles de trois associations de protection de l’environnement et des animaux, et condamne le prévenu au paiement de dommages et intérêts.
Ce dernier forme un pourvoi en cassation.
Sur le fond, le prévenu ne conteste pas avoir effectué des travaux d’aménagement des parcelles agricoles qu’il louait, même s’il en minimise l’impact sur l’environnement.
L’intérêt du pourvoi est ailleurs.
L’auteur du pourvoi conteste le rejet par les juridictions du fond de ses deux moyens de nullité. Il demande l’annulation des procès-verbaux de constatations et d’investigations dressés par les inspecteurs de l’environnement lors de leurs visites en faisant valoir que le procureur de la République n’a pas été avisé des différentes visites des parcelles closes en violation de l’article L. 172-5 du code de l’environnement (I.). Il sollicite également l’annulation des procès-verbaux qui rapportent des propos qu’il a tenus aux inspecteurs de l’environnement hors le cadre d’une audition formelle (II.).
I. La constatation des infractions sur un terrain agricole par l’Agence française de la biodiversité
Identification du problème et réponse de la Cour de cassation. L’article L. 172-5 du Code de l’environnement N° Lexbase : L5244LRN, dans sa version en vigueur à l’époque des faits, permet aux inspecteurs de l’environnement de rechercher et constater les infractions prévues par le Code de l’environnement « en quelque lieu qu’elles soient commises ».
Ils sont tenus d’informer le procureur de la République, qui peut s’y opposer, avant d’accéder à certains établissements, tels que les locaux professionnels et installations dans lesquels sont réalisées des activités de production, de fabrication, de transformation, d'utilisation, de conditionnement, de stockage, de dépôt, de transport ou de commercialisation (C. env., art. L. 172-5 1°). Le défaut d’information du parquet affecte nécessairement la validité des actes effectués par le fonctionnaire ou l’agent (Cass. crim., 21 mars 2023, n° 22-82.343, F-B N° Lexbase : A88349IZ).
Au cours de la visite, ils peuvent demander à se faire communiquer tous les documents relatifs à l’objet du contrôle (C. env., art. L. 172-11 N° Lexbase : L5247LRR). On précise que « seuls les documents volontairement communiqués peuvent être copiés ou saisis » (Cons. const, décision n° 2023-1044 QPC, du 13 avril 2023, § 33 N° Lexbase : Z398382W).
La question posée est celle-ci : une exploitation agricole, ceinturée de clôtures, peut-elle être assimilée à un « établissement, local ou installation professionnels » au sens de l’article L. 172-5 du Code de l’environnement ?
Deux perspectives diamétralement opposées s'offrent à la réflexion.
Fallait-il se conformer à une lecture textuelle stricte de l'article L. 172-5 pour affirmer qu'un champ agricole n'était ni un établissement, ni un local, ni une installation ? Devait-on considérer que le régime de protection instauré par cet article était une exception interprétée à la lettre et qu'il distinguait non seulement entre lieux privés et lieux professionnels, mais également au sein des lieux professionnels, selon les activités qui s'y déroulaient ?
Ou bien, ne devait-on pas privilégier le critère du caractère professionnel et clos du lieu visité ? Une terre agricole bordée de clôtures, où paissent les bovins, ne constituait-elle pas nécessairement un endroit à vocation professionnelle, méritant la même protection légale qu'une usine, un entrepôt, un moulin, un atelier... ?
La Chambre criminelle, suivant l’exemple des juridictions de fond, retient l’analyse littérale pour exclure les terres agricoles, même entièrement barricadées, de la catégorie susmentionnée. Celle-ci s'appliquait non pas à tous les lieux à usage professionnel, mais uniquement à ceux envisagés dans le 1° de ce texte, à savoir les établissements, locaux professionnels et installations où s'exercent les activités de production, de fabrication, de transformation, d'utilisation, de conditionnement, de stockage, de dépôt, de transport ou de commercialisation.
Par conséquent, l'avis du procureur de la République ne s'avérait pas nécessaire lorsqu'il s'agissait de constater des infractions sur un terrain agricole, même si ce dernier était cloisonné de toutes parts.
Analyse. D’un point de vue sémantique, il est clair qu’une exploitation agricole n’est ni une installation ni un local.
En revanche, à lire la définition d’ « établissement » dans le Littré, la réponse est moins évidente. Il s’agit du « lieu où une personne fixe […] le siège de ses affaires. […] Ce qui sert essentiellement à l’exercice d’une profession, d’un métier. » Cette définition, ample, semblerait englober le domaine clos où l'éleveur exerce son activité.
Toutefois, il demeurait essentiel que ces terres soient le théâtre d'activités de production, de fabrication, de transformation, d'utilisation, de conditionnement, de stockage, de dépôt, de transport ou de commercialisation.
Il semble que, pour la Cour de cassation, la mission professionnelle de l'éleveur ne s'inscrive dans aucune de ces activités.
Si la sémantique est sauve, la cohérence juridique, elle, est quelque peu sacrifiée.
Le droit pénal de l'environnement, territoire morcelé, se dessine souvent dans des contours peu perceptibles.
C'est certainement du ressort du législateur, mais la Chambre criminelle, elle, a manqué l'opportunité d'insuffler un peu d'homogénéité.
Dans l'état actuel de cette décision, la terre agricole partage le même statut juridique qu'un bien délaissé ou abandonné, alors même qu'elle est un lieu de labeur.
Cette absence totale de protection suscite bien des interrogations, surtout au regard du principe constitutionnel d'égalité devant la loi. Pour quelle raison objective un terrain agricole clos, où paissent les bovins, ne bénéficierait-il d'aucune protection, à la différence d'un entrepôt de stockage, par exemple ?
Ne serait-il pas judicieux d'étendre la protection de l'article L. 172-5 à tous les lieux à usage professionnel, pourvu qu'ils soient clôturés ?
Le législateur connait la catégorie spécifique des « terrains clos » ou des « enclos ».
Ainsi, en matière de visite d’agents de l’administration aux fins de constatation et recherche d’infractions, il est fait état de « terrains clos » dans l’article L. 205-5 du Code rural et de la pêche maritime N° Lexbase : L3869LTH, et encore sous la réserve qu’y soient présents certains produits et réalisées certaines opérations. Le législateur sait aussi préciser, lorsqu’il le souhaite, qu’il doit s’agir de lieux où l’accès est autorisé au public, ce qu’il n’a pas fait dans l’article L. 172-5.
De la même manière, l’article L. 171-1 du Code de l’environnement N° Lexbase : L7375MGA relatif aux contrôles administratifs comporte une référence aux « enclos ». Cette rédaction résulte de la loi n° 2023-54 du 2 février 2023 visant à limiter l'engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée N° Lexbase : L7097MGX.
D’autres textes se réfèrent à des terrains clos, comme l’article L. 424-3 du Code de l'environnement N° Lexbase : L7377MGC, en matière de chasse, ou l’article 413-7 du Code pénal N° Lexbase : L1829AMP, s’agissant de l’introduction dans un lieu protégé au titre de la défense nationale. La portée de ces textes ne revêt toutefois pas la même pertinence que celle de l’article L. 205-5 du Code rural et de la pêche maritime N° Lexbase : L3869LTH qui concerne des opérations de visite d’agents de l’administration.
La notion de lieu de travail clos pourrait constituer la base commune sur laquelle reposerait un régime de protection spécifique.
Il revient aux avocats d’obliger le législateur à s’emparer du sujet.
II. Le recueil des déclarations à l’occasion d’investigations
Identification du problème et réponse de la Cour de cassation. Les inspecteurs de l’environnement peuvent consigner, par procès-verbal, les déclarations de toute personne, qu'elles soient faites sur convocation ou sur place, pour étayer leurs constatations sur place (C. env., art. L. 172-8 N° Lexbase : L5245LRP).
Les personnes entendues procèdent elles-mêmes à sa lecture, peuvent y faire consigner leurs observations et y apposent leur signature. Tout refus de signature est noté sur le document.
Dans notre affaire, deux procès-verbaux dressés par l'office de la Biodiversité étaient contestés. Le premier rapportait de manière indirecte les propos du prévenu, le second ceux d'un de ses employés. Ce dernier avait confirmé avoir vu des centaines de tortues sur les terrains des travaux et avoir « essayé d’en tuer le moins possible », bien qu'il en ait vu des mortes.
La cour d'appel a rejeté l'exception de nullité, affirmant que les procès-verbaux se contentaient de rapporter les paroles spontanées du prévenu, n'étant pas une audition au sens de l'article 172-8 du Code de l'environnement. Les juges du premier degré ont également noté que le procès-verbal ne portait pas préjudice au prévenu, car il ne s'incriminait pas dans les brèves déclarations retranscrites.
La Cour de cassation a dû trancher deux questions. Premièrement, le demandeur peut-il contester la nullité de la collecte des déclarations d'un tiers ? Ensuite, cette collecte est-elle assujettie aux formalités de l’article L. 172-8 du Code de l’environnement ?
En ce qui concerne les déclarations du prévenu, la Cour suprême souligne que le procès-verbal se limite à « transcrire les propos sommaires (du prévenu) sur les travaux qu'ils observaient sur place. »
La collecte de tels propos échappe aux formalités de l'article L. 172-8 du Code de l'environnement.
En ce qui concerne les déclarations de l'employé, la Cour de cassation estime que le prévenu peut demander l'annulation, car le procès-verbal n'est pas signé, une formalité visant à « authentifier les déclarations de l'intéressé ».
Elle précise toutefois que les agents, interrogeant l'ouvrier sur plusieurs mois d'opérations, ont ainsi recueilli ses déclarations indirectes sur divers points, obligeant à respecter les formalités de l'article L. 172-8.
Cependant, elle atténue la portée de cette irrégularité en soulignant que le requérant n'a pas contesté dans ses conclusions l'exactitude de la transcription de l'ouvrier, ne soulevant pas de grief justifiant l'annulation du procès-verbal.
Ainsi, elle écarte le moyen, le requérant n'ayant pas démontré l'existence d'un grief.
Analyse. Une double analyse s’impose.
Sur la notion de « propos sommaires », récente invention de la Cour de cassation, une forme dégradée d'audition émerge, graduelle dans son formalisme selon la portée des propos et les modalités de collecte. Récemment, la Haute juridiction a déclaré que la simple collecte de « déclarations sommaires » dans l'espace public par la DREAL ne nécessite pas de notification préalable du droit au silence (Cass. crim., 6 juin 2023, n° 22-86.685, F-B N° Lexbase : A24279YK). La Chambre criminelle distingue ces déclarations sommaires de l'audition libre, évitant une interprétation extensive de cette dernière.
Approuvant l'arrêt, le professeur Robert souligne : « Interprétée de manière extensive, la notion d'audition libre obligerait à l'abstention totale des fonctionnaires avant toute notification des droits. Pour éviter cette absurdité, la Chambre criminelle a créé une notion distincte, le recueil de 'déclarations sommaires » [2].
Quant à la question du grief, elle revêt un intérêt particulier pour les avocats.
L'absence de signature d'un procès-verbal offre une exception à la règle selon laquelle l'irrégularité d'une audition ne peut être soulevée que par les personnes concernées.
Cependant, pour contester efficacement, l'avocat doit souligner dans ses conclusions écrites que les déclarations transcrites diffèrent de celles effectuées. Sans cette mise en évidence, le moyen de nullité sera rejeté, faute de grief.
Ainsi, il n’y a pas de présomption d’insincérité. Une pensée contraire aurait pu surgir, car, sauf exception, la valeur probante d'un procès-verbal dépend de sa régularité formelle (C. proc. pén., art. 429 N° Lexbase : L3835AZ3). Lorsqu'un procès-verbal n'est pas signé, son irrégularité formelle devrait susciter la prudence quant à la fiabilité des propos rapportés. D’autant que l’avocat et son client ne connaissent pas toujours les véritables propos qui ont été tenus par le tiers dont l’audition a été irrégulièrement réalisée.
En tout cas, l’avocat ne doit pas négliger le grief.
Conclusion.
Les agriculteurs, tout comme les praticiens du droit pénal de l'environnement, attendent avec impatience le « choc de simplification » annoncé par le Premier ministre Gabriel Attal. Ils espèrent que cette initiative apportera cohérence et unicité à la matière.
Il est temps pour le législateur de démêler l'écheveau du droit pénal de l'environnement, en édictant des règles de procédure pénale claires, notamment en ce qui concerne les constatations et les recherches.
La légitimité et l’efficacité de cette matière en dépendent.
[1] Arrêté du 19 novembre 2007, fixant les listes des amphibiens et des reptiles protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection N° Lexbase : L5391H33.
[2] J.-H. Robert, Ch. Claverie-Rousset, S. Detraz et J. Leroy, chron., Édition générale n° 39, 2 octobre 2023, doctr. 1111.
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