La lettre juridique n°976 du 7 mars 2024 : Urbanisme

[Jurisprudence] Recours contre un permis de construire délivré par le maire de la Ville et obligation de notification au maire d’arrondissement recevable

Réf. : CE, 9°-10° ch. réunies, 30 janvier 2024, n° 471649, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A00812IT

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par Valérie Gueguen, juriste expert urbanisme-aménagement-environnement, Lab Cheuvreux

le 06 Mars 2024

Mots clés : permis de construire • notification du recours • destinataire de la notification • Ville de Paris • maire d'arrondissement

Dans un arrêt rendu le 30 janvier 2024, la Haute juridiction administrative juge régulière, au sens de l’article R. 600-1 du Code de l’urbanisme, la notification d’un recours contentieux contre un permis de construire délivré par le maire de la ville, au maire de l’arrondissement dans lequel se situe le terrain d’assiette du projet. Celle-ci vaut notification faite à l’auteur de la décision au sens de l’article R. 600-1 précité.


 

Depuis la loi du n° 94-112 du 9 février 1994 portant diverses dispositions en matière d'urbanisme et de construction N° Lexbase : L8040HHA, le Code de l’urbanisme pose le principe de la notification des recours exercés contre les décisions d’urbanisme, notification qui doit être faite à l’auteur de la décision comme à son titulaire.

Pour rappel, l’article R. 600-1 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L9492LPA impose à l’auteur d’un recours contentieux à l'encontre d'un certificat d'urbanisme, ou d'une décision relative à l'occupation ou l'utilisation du sol régie par ce code, de notifier son recours à l'auteur de la décision et au titulaire de l'autorisation, à peine d'irrecevabilité. Cette notification doit également être effectuée par l’auteur d’un recours administratif préalable et en cas de demande d’annulation ou de réformation d'une décision juridictionnelle concernant un certificat d'urbanisme, ou une décision relative à l'occupation ou l'utilisation du sol.

En l’espèce, par un arrêté du 3 juillet 2019, la ville de Paris a délivré à la société civile immobilière (SCI) Financière Saint Louis un permis de construire portant sur la surélévation d’un immeuble situé en fond de cour dans le XIIème arrondissement de Paris.

Saisi par des voisins du projet, le tribunal administratif de Paris a, par un jugement du 6 juillet 2021, annulé cet arrêté, la décision rejetant le recours gracieux formée à son encontre ainsi que l'arrêté du 6 octobre 2020 portant délivrance d'un permis modificatif.

En appel, la cour administrative d’appel de Paris a annulé ce jugement au motif, d’une part, que les conclusions tendant à l’annulation du permis initial étaient irrecevables, faute pour les demandeurs d’avoir notifié leur recours au maire de Paris et, d’autre part, que les conclusions dirigées contre le permis modificatif étaient également irrecevables, en raison de l’absence d’intérêt à agir des demandeurs au regard des modifications apportées par ce permis au permis initial.

En effet, la cour a jugé, sur la notification du recours au maire du XIIème arrondissement, qui n’est pas l’auteur de la décision, contrairement au maire de Paris, que :

« Il ressort toutefois des pièces du dossier du dossier de première instance que le recours contentieux, tout comme le recours gracieux formé par M. I et autres, a été adressé à « Hôtel de Ville du 12ème arrondissement de Paris Madame R 130 avenue Daumesnil 75012 Paris », soit à R du XIIème arrondissement de Paris. Or, l’arrêté du 3 juillet 2019 a été signé par un agent de la direction de l’urbanisme de la Ville de Paris, bénéficiant d’une délégation de signature accordée par le maire de Paris, autorité compétente pour délivrer les permis de construire au nom de la commune. Les maires d’arrondissement, qui ne sont pas les délégués du maire de Paris non plus que placés sous son autorité hiérarchique, sont seulement chargés, en vertu de l’article L. 2511-30 du Code général des collectivités territoriales, d’émettre un avis sur toute autorisation d’utilisation du sol délivrée dans l’arrondissement. Ainsi, le recours contentieux formé devant le tribunal administratif de Paris à l'encontre du permis de construire délivré le 3 juillet 2019 n’a été notifié ni à l’auteur de cet acte, ni même à un délégataire de son auteur ou un agent placé sous l’autorité de son auteur ».

Un pourvoi en cassation a été introduit par les voisins du projet et a permis au Conseil d’État de se prononcer sur la régularité de la notification du recours effectuée par les requérants au maire du XIIème arrondissement.

Dans sa décision du 30 janvier 2024, la Haute Juridiction considère que la notification d'un recours gracieux ou d'un recours contentieux contre un permis de construire délivré par le maire de Paris, au maire de l'arrondissement dans lequel se situe le terrain d'assiette du projet, à l'adresse de la mairie d'arrondissement, doit être regardée comme une notification faite à l'auteur de la décision au sens de l'article R. 600-1 du Code de l'urbanisme, alors même que l'affichage de ce permis sur ce terrain ne fait pas mention de cette adresse.

En effet, pour appliquer ce raisonnement, le Conseil d’État rappelle notamment les dispositions du Code général des collectivités territoriales (plus précisément son article L. 2511-30 N° Lexbase : L4128LIQ) relatives au rôle dévolu dans l'instruction des demandes d'autorisation d'utilisation du sol au maire d'arrondissement, élu de la personne morale que constitue la Ville de Paris.

Il suit ainsi les conclusions du rapporteur public Laurent Domingo qui rappelle que la mairie d’arrondissement est associée à l’instruction de la demande d’autorisation. En effet, en vertu de l’article L. 2511-30 du Code général des collectivités territoriales, le maire d’arrondissement émet un avis sur toute autorisation d’utilisation du sol dans l’arrondissement délivrée par le maire de Paris. La mairie d’arrondissement, bien que ne disposant pas de compétence en matière d’urbanisme, est donc impliquée dans l’examen de la demande de permis.

On relèvera également que dans ses conclusions, très largement suivies par le Conseil d’État, le rapporteur public indique que « en pratique, les autorisations d’urbanisme délivrées par la maire de Paris dans un arrondissement sont affichées non seulement sur le terrain comme le prévoit l’article R. 424-15 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L3490L7E et en ligne sur le site de la mairie comme il est envisagé par le même article 7, mais aussi dans les locaux de la mairie d’arrondissement, ce qui marque plus encore le lien entre l’autorisation et l’arrondissement ». Il conclut logiquement avec pragmatisme que « l’on peut donc raisonnablement du point de vue de l’usager, regarder la mairie d’arrondissement comme un interlocuteur à qui s’adresser en ce qui concerne les autorisations d’urbanisme délivrées dans cet arrondissement, du moins comme une adresse où le recours peut valablement être notifié à l’entité « Ville de Paris » prise en la personne de son maire, qui est, juridiquement, l’auteur de l’arrêté ».

Ainsi, le Conseil d’État estime que la cour administrative d’appel de Paris a commis une erreur de droit « en estimant que ce recours contentieux n’avait pas fait l’objet d’une notification à l’auteur du permis litigieux, pour en déduire que les conclusions tendant à l’annulation du permis de construire initial étaient irrecevables » et annule son arrêt.

Ce pragmatisme dont ont fait preuve les juges du Palais Royal concorde avec la souplesse accordée, par exemple, aux requérants qui notifient au siège social d’une société pétitionnaire au lieu de l’avoir fait à l’adresse mentionnée dans l’acte attaqué [1].

La jurisprudence administrative fait preuve d’une certaine souplesse dans l’application des dispositions de l’article R. 600-1 du Code de l’urbanisme et notamment s’agissant de l’auteur de l’autorisation, comme cela est rappelé par le rapporteur public dans ses conclusions en citant notamment des décisions dans lesquelles le Conseil d’État a admis la notification, lorsque le permis de construire est délivré par le maire au nom de l’État, aussi bien à l’adresse de la commune qu’à celle de la préfecture [2].

En effet, il convient de rappeler que la notification prévue par l’article R. 600-1 du Code de l’urbanisme a pour objet de renforcer la sécurité juridique des titulaires d’autorisation de construire.

Les conclusions du rapporteur public sous cet arrêt rappellent les dispositions de l’article L. 114-2 du Code des relations entre le public et l’administration N° Lexbase : L1788KNK qui imposent, lorsqu'une demande est adressée à une administration incompétente, que cette dernière la transmette à l'administration compétente et en avise l'intéressé. Ces dispositions s’appliquent bien aux recours gracieux, qui font partie des demandes visées par cet article [3], mais il n’en va pas de même de la notification prévue par l’article R. 600-1 du Code de l’urbanisme, qui n’est pas une demande, mais une simple mesure d’information [4].

Enfin, au cas d’espèce, la Haute juridiction n’a pas admis l’argumentation du demandeur au pourvoi qui invoquait la violation du droit au recours effectif au sens de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales N° Lexbase : L7558AIR, en se référant notamment à la jurisprudence de la Cour européenne selon laquelle les tribunaux doivent, en appliquant des règles de procédure, éviter une interprétation par trop formaliste de la légalité ordinaire qui empêcherait, effectivement, l’examen au fond du recours exercé [5].

Contrairement à ce que soutiennent les requérants dans leur pourvoi, force est de constater que, depuis 2006, la jurisprudence considère que l’obligation de notification de l’article R. 600-1 ne fait pas, en tant que telle, obstacle à l’application du principe du droit à un recours effectif.

En effet, le Conseil d’État a déjà eu l’occasion de préciser que cette obligation de notification n’était pas contraire au principe du droit au recours effectif « rappelé » par les articles 6 § 1 et 13 N° Lexbase : L4746AQT de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales [6].

Par conséquent, il ne s’agit pas d’une règle dont le Conseil d’État souhaite voir assouplir l’application au motif du droit à un recours effectif.

Ainsi, par cette décision, les juges du Palais Royal ont fait preuve de souplesse dans l’application de ces dispositions en considérant que les formalités de notification imparties par l’article R. 600-1 du Code de l’urbanisme ont été régulièrement accomplies à l’égard du seul maire de l’arrondissement dans lequel se situe le terrain d’assiette du projet et non au maire de la Ville qui a délivré le permis de construire.


[1] CE, 20 octobre 2021, 444581 N° Lexbase : A650649T.

[2] CE, 22 avril 2005, n° 257743 N° Lexbase : A9340DHE ; CE, 13 juillet 2011, n° 320448 N° Lexbase : A0244HWX.

[3] Pour les recours administratifs préalables, v. CE, 6 avril 2018, n° 403339 N° Lexbase : A4098XKY, T. pp. 555- 761- 817.

[4] Pour l’exclusion des mesures d’information du champ de l’article L. 114-2 du Code des relations entre le public et l’administration, v. CE, 9 mars 2018, n° 407842 N° Lexbase : A6323XGB, T. pp. 520- 573.

[5] V. par ex. CEDH 5 novembre 2015, Req. 21444/11 N° Lexbase : A7326NUU, § 58.

[6] CE, 5 avril 2006, n° 266777 N° Lexbase : A9446DN8.

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