La lettre juridique n°961 du 19 octobre 2023 : Procédure pénale

[Jurisprudence] Cour de justice de la République : deux enseignements de l’arrêt d’Assemblée plénière de la Cour de cassation du 28 juillet 2023

Réf. : Cass. ass. plén., 28 juillet 2023, n° 21-86.418, 21-87.457, 22-80.634, 22-81.029, 22-83.929, 22-83.930, 22-83.949 et 22-85.784 N° Lexbase : A49341CQ

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par Maxime Cléry-Melin et Jean-Baptiste Boué-Diacquenod, avocats au barreau de Paris

le 20 Octobre 2023

Mots-clés : CJR • perquisition saisie • impartialité • procureur général

Le 28 juillet 2023, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a confirmé le renvoi du garde des Sceaux devant la Cour de justice de la République (CJR) afin d’y être jugé pour prise illégale d’intérêts. En rejetant les pourvois formés par le ministre contre les différents arrêts rendus par la commission d’instruction de la CJR, la Cour de cassation apporte des éclairages utiles sur cette procédure à part dans l’ordre judiciaire.


 

Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice, garde des Sceaux, comparaîtra devant la Cour de Justice de la République (CJR) du 6 au 17 novembre 2023. Il devra répondre de deux accusations de prise illégale d’intérêts, une première pour un ministre en exercice. À l’origine de la procédure devant la CJR, une plainte pour prise illégale d’intérêts déposée fin 2020 par Anticor, lUnion syndicale des magistrats et le Syndicat de la magistrature.

Les faits sont connus : il est reproché à M. Dupond-Moretti d’avoir, après sa prise de fonction place Vendôme en juillet 2020, ordonné à l’inspection générale de la Justice d’engager des enquêtes administratives à l’encontre de trois magistrats du Parquet national financier (PNF) et d’un juge d’instruction avec lesquels il avait eu affaire lorsqu’il était encore avocat.

Le 8 janvier 2021, la commission des requêtes de la CJR transmettait ces plaintes au procureur général près la Cour de cassation, à l’époque François Molins, afin qu’il saisisse la commission d’instruction, conformément à la procédure régie par la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 N° Lexbase : L5413ASB. La commission des requêtes émettait dans le même temps un avis favorable à la saisine d’office de la commission dinstruction par le procureur général.

Saisie par un réquisitoire du 13 janvier 2021, la commission d’instruction mettait en examen M. Dupond-Moretti le 16 juillet 2021 du chef de prise illégale d’intérêts.

Au cours de l’instruction, celui-ci déposait deux requêtes en nullité des pièces de la procédure portant principalement sur l’irrecevabilité des plaintes déposées, l’irrégularité des perquisitions et le défaut d’impartialité de la commission d’instruction et du procureur général près la Cour de cassation. Il déposait également cinq demandes d’actes afin de procéder à des mesures d’instruction complémentaires, notamment l’exploitation des factures téléphoniques du procureur général et diverses auditions de témoins, dont ce dernier. Chaque demande était successivement rejetée par la commission d’instruction, de sorte que M. Dupond-Moretti se pourvoyait en cassation contre chacune de ces décisions de rejet.

Le 3 octobre 2022, il était renvoyé devant la formation de jugement de la CJR pour être jugé des faits de prise illégale d’intérêts. Il formait également un pourvoi contre cette décision, soulevant le défaut de notification du droit au silence.

C’est donc sur l’ensemble de ces pourvois que l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a statué dans son arrêt rendu le 28 juillet 2023 [1]. La Cour valide le renvoi de M. Dupond-Moretti en rejetant la majeure partie de ses recours ; seule la saisie de documents réalisée par une greffière lors de la perquisition du 1er juillet 2021 au ministère de la Justice était annulée.

Le présent article se propose de commenter deux moyens particulièrement intéressants de cet arrêt, portant l’un sur la régularité de la saisie évoquée et l’autre sur le défaut d’impartialité du procureur général.

La saisie irrégulière de documents lors des perquisitions. Lors de la perquisition menée dans les locaux du ministère de la Justice le 1er juillet 2021, de nombreux documents ont été saisis par les membres de la commission d’instruction puis pour partie triés par l’une des greffières présentes.

La participation de cette greffière aux opérations de tri a donné lieu à un moyen de nullité : un greffier ne peut recevoir pour mission de trier les objets découverts au cours d’une perquisition afin didentifier ceux qui pourraient intéresser la procédure.

Pour rejeter ce grief, la commission d’instruction, dans son arrêt du 3 novembre 2021, avait tout d’abord rappelé que le greffier a un rôle d’assistance du juge d’instruction auquel il est soumis à l’autorité fonctionnelle et qu’il exécute à ce titre les consignes qui lui sont données. Il authentifie à cette occasion les actes auxquels il participe et est lui-même tenu au secret de l’instruction. Enfin, la commission d’instruction avançait qu’aucun texte n’interdit au greffier de participer, sous la direction du juge d’instruction, au bon ordonnancement des opérations de tri de documents.

La Cour de cassation censure toutefois cette analyse de la commission d’instruction.

En effet, la circonstance principale qu’aucun texte n’empêche le greffier de participer à ces opérations de tri n’est pas suffisante : il faut qu’il y soit expressément autorisé, ce qui n’est prévu ni par les dispositions réglementaires relatives au statut des greffiers [2] ni par les dispositions légales régissant la perquisition [3]. Par ailleurs, il est prévu certaines dérogations permettant à des personnes qualifiées ou des experts ayant prêté serment de prendre connaissance des documents saisis au cours d’une perquisition. Le greffier est exclu de ces dérogations, même s’il agit sous le contrôle du juge d’instruction puisque ce contrôle ne saurait intervenir qu’a posteriori.

Dès lors, constatant qu’aucun texte n’autorise le juge d’instruction à déléguer au greffier tout ou partie de ses pouvoirs d’investigations, la Cour de cassation en déduit que la commission d’instruction ne pouvait confier au greffier le soin de trier les documents découverts en perquisition.

Si l’arrêt de la Cour de cassation est silencieux sur le grief qui naîtrait de cette irrégularité, il semble qu’il puisse être caractérisé par la délégation d’une mission à une personne que la loi n’habilite pas pour ce faire. La Cour censure ainsi de ce chef l’arrêt du 3 novembre 2021 et annule en conséquence la saisie des documents saisis litigieux, sans que cela ne remette en cause la décision de renvoi.

L’impartialité ambigüe du procureur général. M. Dupond-Moretti reprochait également à M. Molins un défaut d’impartialité, dans la mesure où ce dernier avait dénoncé lui-même les faits reprochés au ministre par voie de presse le 29 septembre 2020 [4], ce qui avait engagé les dépôts de plainte. Il avait également été consulté par le conseiller justice de l’Élysée et la directrice du cabinet du garde des Sceaux sur la décision d’engager une enquête administrative à l’égard des magistrats du PNF, ce qui est précisément l’objet de poursuites contre le ministre.

La proximité du procureur général avec les faits avait conduit la défense de M. Dupond-Moretti à solliciter son audition comme témoin, ce qui avait été refusé par la commission d’instruction.

Il est vrai que M. Molins était simultanément investi des fonctions de procureur général près la Cour de cassation, de président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), de vice-président du conseil d’administration de l’ENM et de représentant du ministère public près la CJR. C’est en sa qualité de président du CSM qu’il avait adressé le 22 juillet 2021 à la commission d’instruction un courrier à l’en-tête du CSM confirmant l’existence de contacts avec la directrice de cabinet du ministre. Ce cumul de fonctions tout à fait inédit était dénoncé par la défense comme une immixtion de l’autorité poursuivante dans les faits objets de la poursuite.

Dans son arrêt du 28 juillet 2023, la Cour de cassation valide le raisonnement de la commission d’instruction qui avait rejeté ces critiques en se contentant de rappeler que la notion d’impartialité diffère selon qu’elle concerne un magistrat du siège ou un magistrat du parquet. La Cour européenne des droits de l’Homme tient en effet pour acquis que les garanties d’indépendance et d’impartialité découlant de l’article 6, § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme ne concernent que l’organe appelé à statuer sur l’accusation pénale dirigée contre le requérant et ne s’appliquent pas aux représentants de l’accusation, qui ne sont que des parties à la procédure [5]. En outre, la Cour de cassation rappelle souvent, comme en l’espèce, que « le représentant du ministère public ne décidant pas du bien-fondé d’une accusation en matière pénale, le moyen pris de la partialité supposée de ce magistrat est inopérant » [6]. Cette jurisprudence est classique et ne saurait surprendre : la Cour de cassation juge ainsi régulièrement qu’aucune atteinte à l’équité de la procédure n’est commise lorsque le représentant du ministère public a un lien personnel avec les personnes mises en cause [7].

Cette pétition de principe s’accommode toutefois mal avec l’article 31 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L4927IXR [8] qui précise que « le ministère public exerce l'action publique et requiert l'application de la loi, dans le respect du principe d'impartialité auquel il est tenu ». Le recueil des obligations déontologiques des magistrats ajoute que « l’impartialité concerne tous les magistrats du siège comme du parquet » [9]. Il est difficile de s’expliquer comment cette précision apportée par le législateur il y a à peine dix ans sur un des « principes cardinaux » de la mission des magistrats puisse rester lettre morte et être écartée sans ménagement comme un moyen inopérant.

En outre, pour écarter sur la qualité de témoin de M. Molins dans cette affaire, comme le sollicitait la défense du ministre, la commission d’instruction avait recouru à une étrange motivation : « Soutenir que M. Molins a été témoin ou a conseillé la directrice de cabinet du garde des Sceaux omet de prendre en compte la large expérience de la procédure disciplinaire acquise par celle-ci, notamment au cours de ses précédentes fonctions de directrice des services judiciaires ». Une telle justification entretient le trouble sur la confusion des rôles de témoin et d’autorité de poursuite, puisqu’elle laisse penser que le défaut d’impartialité reproché au procureur général aurait été différemment apprécié si la directrice de cabinet du ministre avait eu moins d’expérience. Un tel raisonnement ouvrirait la porte à une analyse in concreto de l’impartialité du représentant du ministère public, à rebours de la jurisprudence évoquée précédemment.

La situation à laquelle le ministère public est confronté dans cette affaire est finalement inédite. Soumis au contrôle du pouvoir exécutif, le parquet est néanmoins chargé de poursuivre les membres du gouvernement devant la Cour de justice de la République. Cette situation inconfortable interroge nécessairement sur l’impartialité du parquet, ce qui explique peut-être pourquoi le nouveau procureur général Rémy Heintz a jugé utile d’insister, lors de son discours d’installation le 8 septembre dernier [10], sur son exigence d’impartialité dans l’exercice de ses fonctions devant la CJR.

Quelles que soient les réquisitions de ce dernier sur le fond de l’affaire, la CJR devra prochainement apprécier si, en engageant des enquêtes administratives à l’encontre de magistrats du PNF, M. Dupond-Moretti a pris « un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont [il avait], au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement », selon l’ancienne rédaction de l’article 432-12 du Code pénal N° Lexbase : L1290MAZ réprimant la prise illégale d’intérêts à l’époque des faits. La loi n° 2021-1729, du 22 décembre 2021, pour la confiance dans l'institution judiciaire N° Lexbase : Z459921T a certes substitué la notion d’« intérêt quelconque » par un « intérêt de nature à compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité » [11], mais la Cour de cassation a précisé , dans un arrêt du 5 avril 2023, que les deux rédactions étaient équivalentes [12]. Affaire à suivre, donc.

 

[1] Cass. ass. plén., 28 juillet 2023, n° 21-86.418, 21-87.457, 22-80.634, 22-81.029, 22-83.929, 22-83.930, 22-83.949 et 22-85.784 N° Lexbase : A49341CQ.

[2] Décret n° 2015-1275, du 13 octobre 2015, portant statut particulier des greffiers des services judiciaires, art. 4 N° Lexbase : L9351KLW.

[3] L’article 97 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L7467LPA dispose que seuls le juge dinstruction et lofficier de police judiciaire agissant par délégation sont habilités à prendre connaissance de documents ou de données au cours d’une perquisition.

[4] Le Monde, 29 septembre 2020.

[5] CEDH, 31 mai 2011, Req. 59000/08, Kontalexis c/ Grèce, § 57 ; CEDH, 23 novembre 2017, Req. 66847/12, Haarde c/ Islande, § 94 ; CEDH, 18 octobre 2018, Req. 80018/12, Thiam c/ France, § 71 N° Lexbase : A6697YG7.

[6] Cass. crim., 13 juin 2019, n° 18-80.291, F-D N° Lexbase : A5857ZEN ; Cass. crim., 9 mars 2016, n° 14-86.795, F-D N° Lexbase : A1674Q77 ; Cass. crim., 1er septembre 2009, n° 08-87.765 N° Lexbase : A3623ELR ; Cass. crim., 6 janvier 1998, n° 97-81.466 N° Lexbase : A3014ACM.

[7] Cass. crim., 6 janvier 1998, n° 97-81.466 N° Lexbase : A3014ACM ; Cass. crim., 22 mai 2001, n° 00-83.793 N° Lexbase : A6494CY8 ; Cass. crim., 13 juin 2019, n° 18-80.291, F-D N° Lexbase : A5857ZEN.

[8] Dans sa version en vigueur depuis la loi n° 2013-669, du 25 juillet 2013, relative aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l'action publique N° Lexbase : L9267IXI.

[9] Recueil des obligations déontologiques des magistrats, chapitre II, § 2.

[10] Allocution de procureur général, Rémy Heitz, lors de son audience de présentation, 8 septembre 2023 [en ligne].

[11] M. Cléry-Melin et J.-B. Boué-Diacquenod, Prise illégale d’intérêts : une nouvelle définition du délit mais toujours autant d’incertitudes sur son champ d’application, Lexbase Pénal, novembre 2021 N° Lexbase : N9439BYA.

[12] Cass. crim., 5 avril 2023, n° 21-87.217, FS-B N° Lexbase : A61569MX.

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