La lettre juridique n°961 du 19 octobre 2023 : Collectivités territoriales

[Jurisprudence] La résiliation anticipée d’un BEA cultuel doit être réalisée dans des conditions excluant toute libéralité

Réf. : CAA Paris, 22 septembre 2023, n° 22PA02509 N° Lexbase : A63221HM

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par Emma Veran, Avocate associée au cabinet Vigier Veran Avocats

le 18 Octobre 2023

Mots clés : résiliation anticipée • bail emphytéotique administratif • non-subventionnement • loi du 9 décembre 1905 • libéralités

Par une décision du 22 septembre 2023, la cour administrative d’appel de Paris a jugé que la loi de 1905 ne fait pas obstacle à la résiliation anticipée d’un bail emphytéotique administratif pour permettre à une association cultuelle de devenir propriétaire du terrain communal et de l’édifice cultuel. En revanche, cette résiliation anticipée doit être effectuée dans des conditions excluant toute libéralité et, partant, toute aide directe ou indirecte à un culte. En l’occurrence, le fait d’octroyer à l’association cultuelle un paiement échelonné pour le quart du montant total de la somme due et ce, sans intérêts, doit être analysé comme une subvention proscrite.


 

En l’espèce, la commune de Bagnolet a conclu en 2005 avec l’association de bienfaisance et de fraternité de Bagnolet (ABFB) un bail emphytéotique administratif (BEA) en vue de l’édification d’une mosquée sur un terrain communal.

Ce bail, initialement consenti pour une durée de soixante-trois ans, avait pour objet de conférer des droits réels sur le terrain communal à l’association. L’association cultuelle s’engageait ainsi à construire la mosquée et, en contrepartie, devait verser à la commune un loyer d’un euro annuel et, surtout, à l’issue du bail, devait transférer à la commune l'intégralité des constructions réalisées.

Par une délibération du 11 avril 2019, le conseil municipal de Bagnolet a, d'une part, approuvé la résiliation anticipée de ce bail et, d'autre part, autorisé la cession du bien à l'association au prix de 950 000 euros hors taxes conformément au montant évalué par le service des domaines, dont 700 000 euros versés à la signature de l'acte de vente et 250 000 euros versés en quarante-huit mensualités sans intérêt de 5 208,33 euros.

Cette délibération a été contestée par une conseillère municipale d’opposition devant le tribunal administratif de Montreuil.

Le tribunal administratif de Montreuil a annulé la délibération en litige et la commune de Bagnolet a interjeté appel de ce jugement devant la cour administrative d’appel de Paris.

En appel, la cour a confirmé le jugement du tribunal et la censure de la délibération en litige en jugeant que la loi de 1905 ne fait pas obstacle à la résiliation anticipée du BEA cultuel, sauf à ce que les conditions de cette résiliation mettent en lumière l’octroi d’un avantage prohibé à l’association cultuelle. Tel était le cas en l’espèce : la commune de Bagnolet, d’une part, avait accordé un avantage à l’association cultuelle en ayant autorisé le paiement échelonné sans intérêt d'une partie de la somme due et, d’autre part, n’avait pas tenu compte de cet avantage dans l’estimation du prix de vente. Les modalités de la résiliation anticipée traduisant une libéralité, la délibération du conseil municipal de Bagnolet autorisant la résiliation anticipée du BEA est donc entachée d’illégalité.

Cette décision illustre le caractère libéral de la loi du 9 décembre 1905, concernant la séparation des Églises et de l'État N° Lexbase : L0978HDL, qui, si elle pose un principe d’interdiction de subventionnement public aux cultes, comporte en réalité nombre de dérogations, à l’instar du recours au BEA cultuel (I.). Cela étant, les conditions de recours à ces dispositifs dérogatoires doivent exclure toute libéralité et, par suite, toute aide directe ou indirecte. La décision commentée constitue une illustration de ce principe en matière de résiliation anticipée d’un BEA cultuel (II.).

I. Rappel du cadre applicable : le principe général d’abstention financière en matière de culte et ses dérogations à l’instar du BEA cultuel

Rappelons que la loi du 9 décembre 1905, qui a mis fin au système concordataire [1], s’articule autour de deux grands principes : la liberté de culte [2] et le principe de séparation des Églises et de l’État, impliquant à la fois l’absence de reconnaissance des cultes par l’État et l’interdiction du subventionnement public des cultes [3].

Le principe de non-subventionnement n’est toutefois pas absolu et connaît des tempéraments contenus dans le texte même de la loi de 1905 ainsi que des tempéraments instaurés ultérieurement par le législateur.

S’agissant des tempéraments issus de la loi de 1905, ainsi que l’a rappelé la cour dans la décision commentée, les collectivités publiques peuvent financer les dépenses d’entretien et de conservation des édifices servant à l'exercice public d'un culte dont elles sont demeurées ou devenues propriétaires lors de la séparation des églises et de l'État [4] ou accorder des concours aux associations cultuelles pour des travaux de réparation d'édifices cultuels [5]. Il peut en outre être rappelé que les personnes publiques conservent la faculté d’inscrire dans leurs budgets publics les « dépenses relatives à des services d'aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons » [6]. Faculté qui constitue une obligation dès lors que la contribution de l’administration est nécessaire pour garantir le libre exercice des cultes [7].

Le législateur est ultérieurement intervenu pour faciliter l’intervention des collectivités territoriales, au soutien de la construction de nouveaux édifices cultuels. En effet, comme le soulignait le rapporteur public Edouard Geffray [8] : « la principale difficulté soulevée par le cadre juridique défini par la loi de 1905, est qu'il s'agit d'une « loi de stock », et non d'une « loi de flux » (…), la construction des futurs lieux de culte n'étant appréhendée qu'à travers les questions d'aides ou de subventions au culte, et non de gestion du bâti. »

Aussi, en 1961 [9], le législateur a permis aux communes, aux départements et à l'État pour les associations à caractère national, de garantir « les emprunts contractés pour financer la construction dans les agglomérations en voie de développement d'édifices répondant à des besoins collectifs de caractère religieux par des groupements locaux ou par des associations cultuelles ». Il s’agit là d’une dérogation substantielle au principe de non-subventionnement puisque, en cas de défaillance du débiteur, la collectivité publique doit assumer l’exécution de l’obligation à sa place.

Les collectivités territoriales ont également été autorisées à conclure un bail emphytéotique avec une association cultuelle pour permettre l'édification des lieux de culte. En recourant à ce dispositif, une collectivité peut ainsi louer sur une longue durée et pour un coût modique un bien immobilier à une association cultuelle en vue de la construction d’un édifice cultuel, dont la collectivité deviendra propriétaire à l’issue du bail. Le cas d’espèce en est un parfait exemple.

D’abord développé sur le domaine privé des collectivités (bail emphytéotique privé), à compter de 1988 [10], le recours au bail emphytéotique s’est étendu sur leur domaine public (BEA). En 2006, pour mettre fin aux incertitudes juridiques liées à la possibilité de conclure un BEA cultuel, l’ordonnance du 21 avril 2006 [11] a modifié les dispositions de l’article L. 1311-2 du Code général des collectivités territoriales N° Lexbase : L7478L74 pour préciser qu’un BEA peut notamment être conclu « en vue de l’affectation à une association cultuelle d’un édifice du culte ouvert au public ». Dans une décision d’assemblée du 19 juillet 2011 [12], le Conseil d’État a toutefois jugé que l’ordonnance de 2006 n’avait fait qu’expliciter la portée exacte de l’article L. 1311-2 du CGCT.

II. L’esprit général de la loi de 1905 implique l’exclusion de toute libéralité : illustration de ce principe en matière de résiliation anticipée d’un BEA

Si des dérogations au principe général de non-subventionnement sont ainsi admises, il reste que, en application d’une jurisprudence constante, le recours à ces dispositifs et plus généralement toute intervention publique en matière cultuelle doit être réalisé dans des conditions excluant toute libéralité et, par suite, toute aide directe ou indirecte. Il s’agit là d’un garde-fou permettant de garantir le respect des principes de neutralité et d'égalité entre les cultes, corolaires du principe de laïcité.

À titre d’illustration, le Conseil d’État a rappelé ce principe s’agissant de la possibilité pour les cultes de bénéficier des règles de droit commun relatives à l’utilisation des locaux communaux par des associations. Ainsi, les dispositions de l'article L. 2144-3 du CGCT N° Lexbase : L7228K9L permettent à une commune, en tenant compte des nécessités qu'elles mentionnent, d'autoriser, dans le respect du principe de neutralité à l'égard des cultes et du principe d'égalité, l'utilisation d'un local qui lui appartient pour l'exercice d'un culte par une association, dès lors que les conditions financières de cette autorisation excluent toute libéralité et, par suite, toute aide à un culte. Dans ce cadre, constitue une libéralité et par suite une aide à un culte le fait de décider qu'un local dont une collectivité est propriétaire sera laissé de façon exclusive et pérenne à la disposition d'une association pour l'exercice d'un culte [13]. En revanche, dans une espèce où une association cultuelle sollicitait la mise à disposition d'un local de réunion une heure par semaine pendant un mois et n'avait pas sollicité une mise à disposition exclusive et pérenne du local, le Conseil d’État a jugé que la brièveté et le nombre très limité des périodes d'utilisation sollicitées, ainsi que la modestie de l'avantage accordé, ne permettaient pas de conclure que l'association avait bénéficié d'une libéralité [14].

En l’espèce, l’arrêt de la cour administrative d’appel s’inscrit dans cette jurisprudence, en développant un raisonnement en trois temps. La cour juge d’abord que la loi du 9 décembre 1905 ne fait pas obstacle à la résiliation anticipée d'un BEA cultuel conclu sur le fondement des dispositions de l'article L. 1311-2 du CGCT pour permettre à une association cultuelle de devenir propriétaire du terrain communal et de l’édifice cultuel. Elle rappelle ensuite que les dispositions de l’article L. 1311-2 du CGCT ne peuvent être regardées comme ayant entendu exclure l'application de la loi de 1905 en ce qui concerne les conditions financières dans lesquelles le bien objet du bail est cédé. Par conséquent, l’application de la loi de 1905 implique que la cession du terrain soit effectuée dans les conditions qui excluent toute libéralité et, par suite, toute aide directe ou indirecte à un culte.

Or, en l’espèce, le fait d’avoir accordé à l’association cultuelle un paiement échelonné sans intérêt d’une partie de la somme due, sans contrepartie, à l’instar d’une fixation à la hausse du prix de vente, constitue un avantage, ayant pour effet de minorer le prix de cession du bien en deçà de sa valeur réelle. La cour en déduit que la commune a versé à l'association une subvention proscrite par les dispositions de la loi du 9 décembre 1905.

À retenir :

  • La loi de 1905 ne fait pas obstacle à la résiliation anticipée d’un bail emphytéotique administratif cultuel pour permettre à une association cultuelle de devenir propriétaire du terrain communal et de l’édifice cultuel.
  • Toutefois, les conditions de la résiliation anticipée et de la vente du terrain doivent exclure toute libéralité et, par suite, toute aide directe ou indirecte à l’égard de l’association cultuelle.
  • Constitue une libéralité le fait d’autoriser un paiement échelonné partiel sans intérêt d’une partie de la somme due dès lors que cette facilité de paiement ne prévoit pas de contrepartie.
 

[1] Quelques exceptions perdurent toutefois. Ainsi, la loi de 1905 ne s’applique pas en Alsace-Moselle et dans certains territoires d'outre-mer (Guyane, Mayotte, Nouvelle-Calédonie, Polynésie, Wallis-et-Futuna et Saint-Pierre-et-Miquelon).

[2] Loi du 9 décembre 1905, art. 1.

[3] Loi du 9 décembre 1905, art. 2, al. 1.

[4] Loi du 9 décembre 1905, art. 13.

[5] Loi du 9 décembre 1905, art. 19, dernier al.

[6] Loi du 9 décembre 1905, art. 2, al. 2.

[7] CE, Sect., 28 janvier 1955, Sieurs Aubrun et Villechenoux, au Recueil. V. récemment : CE, 27 juin 2018, n° 412039 N° Lexbase : A0418XUZ, au Recueil.

[8] Conclusions sur CE, Ass., 19 juillet 2011, n°s 308544, 308817, 309161, 313518, 320796 N° Lexbase : A0572HW4, au Recueil (conclusions en accès libre sur Ariane Web).

[9] Article 11 de la loi n° 61-825 du 19 juillet 1961 de finances rectificative pour 1961, aujourd’hui codifié aux articles L. 2252-4 N° Lexbase : L7481L79 et L. 3231-5 N° Lexbase : L7483L7B du Code général des collectivités territoriales.

[10] Loi n° 88-13 du 5 janvier 1988 d'amélioration de la décentralisation, art. 13, II, codifié à l’article L. 1311-2 du Code général des collectivités territoriales.

[11] Ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006, relative à la partie législative du Code général de la propriété des personnes publiques N° Lexbase : L3736HI9

[12] CE, Ass., 19 juillet 2011, n° 320796 N° Lexbase : A0576HWA, au Recueil.

[13] CE Ass., 19 juillet 2011, n° 313518 N° Lexbase : A0575HW9, au Recueil.

[14] CE, référé, 26 août 2011, n° 352106 N° Lexbase : A7595HXL.

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