Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 29 septembre 2023, n° 473972, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A57171IL
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N7122BZS
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par Jérôme Bissardon, Avocat Fiscaliste – FBT AVOCATS SA
le 18 Octobre 2023
Mots-clés : pacte Dutreil • location meublée • droits de mutation à titre gratuit • entreprise individuelle • activité patrimoniale
Le Conseil d’État, dans un arrêt du 29 septembre 2023, affirme que l’activité de location meublée est une activité commerciale et qu’aucune disposition légale n’exclut expressément cette activité du bénéfice du dispositif « Dutreil ».
Lire en ce sens, les commentaires de la Rapporteure publique, Karin Ciavaldini dans le numéro de cette semaine N° Lexbase : N7142BZK.
À titre liminaire, rappelons que les transmissions à titre gratuit d’actions et de parts de sociétés peuvent bénéficier d’une exonération, dans le respect de certaines conditions, de droits de mutation à titre gratuit (droits de donation et droits de succession) à concurrence des trois quarts de leur valeur. Il s’agit du dispositif « Dutreil-transmission » prévu à l’article 787 B du Code général des impôts N° Lexbase : L8080MHQ. En sus de cet avantage fiscal, les donations en pleine propriété peuvent bénéficier d'une réduction de droits de donation liée à l’âge du donateur de 50 % (s’il a moins de 70 ans).
Un dispositif comparable existe également pour les entreprises individuelles. Prévu à l’article 787 C du Code général des impôts N° Lexbase : L8958IQT, l’exonération s’applique à concurrence de 75 % de la valeur de l’entreprise individuelle détenue depuis plus de deux ans par le donateur (ou le défunt), lorsque le ou les donataires (ou héritiers, légataires) prennent l'engagement de conserver pendant quatre ans les biens affectés à l'exploitation, et que l'un d'entre eux s'engage à poursuivre l'exploitation pendant trois ans. La réduction de 50 % des droits liée à l'âge du donateur est applicable au surplus, aux donations en pleine propriété de la totalité de l’entreprise individuelle (ou une quote-part indivise) qui respectent certaines conditions, si le donateur a moins de soixante-dix ans.
I. L’exposé du litige et de la procédure
Un contribuable exploite une entreprise individuelle exerçant une activité de loueur en meublé. Il a revendiqué l’exonération à l’occasion de la succession de son père. L’administration fiscale a remis en cause l’application du dispositif en raison de l’activité de location meublée qu’elle n’estimait pas éligible et notifié des rappels d’impôts.
Le 23 janvier 2023, le contribuable a demandé au ministre de l'Économie, des Finances et de la souveraineté industrielle et numérique d’abroger le paragraphe n° 15 et plus particulièrement l’exclusion des activités de location de locaux meublés à usage d'habitation du bénéfice du dispositif « Dutreil ».
L’administration fiscale, dans sa doctrine mise à jour le 21 décembre 2021 (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, §15), précise en effet que : « Seules sont susceptibles d'ouvrir droit à l'exonération les parts ou actions d'une société qui exerce une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, à l'exclusion des activités de nature civile. Pour l’appréciation de la nature de l’activité, il est admis de se reporter aux indications données dans la documentation afférente à la détermination de l’assiette de l’impôt sur la fortune immobilière (BOI-PAT-IFI-20-20-20-30). Ainsi, pour l'application de l'article 787 B du CGI, sont considérées comme activités commerciales les activités mentionnées à l'article 34 du CGI et à l'article 35 du CGI, à l'exclusion des activités de gestion par une société de son propre patrimoine immobilier […]. Sont en revanche exclues […] les activités de location de locaux meublés à usage d’habitation […] ».
En l’absence de réponse du ministre, le contribuable a par suite demandé au Conseil d'État d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet du ministre. Il a demandé également l’annulation des commentaires contestés.
II. La motivation de l’arrêt du Conseil d’État
Dans son arrêt, le Conseil d’État souligne que « le fait de donner habituellement en location des locaux d'habitation garnis de meubles ne saurait être systématiquement regardé, pour l'application de la loi fiscale, comme une activité civile dépourvue de caractère commercial ». Il en conclut que « si le législateur a précisé que, pour l'application des dispositions relatives à l'impôt sur la fortune immobilière, comme du reste pour d'autres régimes fiscaux, une activité de gestion de son propre patrimoine immobilier n'est pas considérée comme une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, aucune disposition de portée similaire ne permet, en revanche, de dénier de manière générale à la location de locaux meublés à usage d'habitation le caractère d'activité commerciale au sens des articles 787 B et 787 C du Code général des impôts ». Autrement dit, ce n’est pas parce que le législateur a pris le soin pour un certain nombre de dispositifs fiscaux d’exclure l’activité de location meublée, que celle-ci se trouverait être exclue pour l’application du dispositif « Dutreil ». Les articles 787 B et 787 C du Code général des impôts n’excluent en effet nullement l’activité de location meublée pour le bénéfice de l’exonération. |
Le Conseil d’État annule par conséquent la décision implicite de rejet du ministre.
Il rejette toutefois l’annulation des commentaires en litige pour cause de tardiveté de la demande, soulignant que lesdits commentaires sont en ligne depuis le 21 décembre 2021.
III. La portée de cet arrêt : quelles perspectives ?
Le 6 novembre 2015, le Comité de l’abus de droit fiscal avait rendu un avis dans lequel il relevait qu’une activité de location de locaux d’habitation meublés constituait une activité civile, non éligible à l’exonération partielle prévue par le dispositif « Dutreil » (CADF/AC n° 07/2015) [en ligne]. L’administration fiscale a décidé dans cette affaire de ne pas suivre l’avis émis par le Comité. Elle estimait que cette activité, accompagnée ou non de prestations de services, était bien éligible à l’exonération partielle.
Le 21 décembre 2021, l’administration fiscale a toutefois mis à jour sa doctrine en prenant le soin d’exclure notamment les activités de location de locaux meublés à usage d’habitation (cf. supra).
La chambre commerciale de la Cour de cassation a pris position dans deux arrêts du 1er juin 2023 et du 21 juin 2023 (Cass. com., 1er juin 2023 n° 22-15.152, F-D N° Lexbase : A12479YT ; Cass. com. 21 juin 2023 n° 21-18.226, F-D N° Lexbase : A424294U) :
Ces deux arrêts de la chambre commerciale de la Cour de cassation précèdent de quelques mois celui du Conseil d’État. Les deux juridictions partagent donc la même position.
À première vue, ces arrêts offrent de réelles opportunités. Le dispositif « Dutreil » est donc applicable, toutes autres conditions devant être réunies :
Malheureusement, notre enthousiasme pour appliquer le dispositif « Dutreil » dans ces cas de figure pourrait bien être gâché prochainement.
En préambule de l’intervention probable du législateur, un rapport d’information a été préparé par la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale aux termes d’une mission d’information. Il a été enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale deux jours avant l’arrêt du Conseil d’État, le 27 septembre 2023. Les recommandations n°1 4 et 15 concernent en particulier le dispositif « Dutreil » et retiennent notre attention :
« Les rapporteurs rappellent que le législateur a visé expressément les sociétés exerçant une activité « industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale ». Cela exclut logiquement les activités civiles de gestion par une société de son propre patrimoine immobilier, ce qui a conduit la doctrine fiscale à indiquer de façon expresse que sont exclues du bénéfice du Dutreil les « activités de loueurs d’établissements commerciaux ou industriels munis du mobilier ou du matériel nécessaire à leur exploitation » […], c’est-à-dire les activités de location meublée. [Ndlr : On remarquera au passage que les rapporteurs confondent l’activité de location « équipée » avec celle de location de locaux meublés à usage d'habitation].
Or dans le cadre d’un contentieux opposant l’administration à des donataires de parts d’une société civile immobilière exerçant l’activité de location meublée qui avaient souhaité bénéficier du Dutreil, la Cour de cassation vient de rendre un jugement [Ndlr : un arrêt] considérant que cette activité y est éligible, au motif que, bien que de nature civile, la location meublée est fiscalement imposée dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (Cass. com., 1er juin 2023, n° 22-15.152, F-D N° Lexbase : A12479YT). [Ndlr : il n’était pas question de location meublée au cas d’espèce mais de location équipée].
Le risque est donc considérable d’un détournement massif du Dutreil pour faciliter les donations de SCI exerçant une activité de location meublée, ce qui est manifestement contraire à l’intention du législateur qui a toujours voulu réserver le régime de faveur à la transmission de sociétés opérationnelles.
Pour faire échec à cette jurisprudence, le législateur doit donc intervenir, dès la prochaine loi de finances, pour prévoir expressément que les activités de location meublée sont exclues du bénéfice du Dutreil ».
Le message est entendu par le Gouvernement, qui par un amendement du 17 octobre 2023 [en ligne], a modifié les articles 787 B et 787 C du code général des impôts afin que l’exonération partielle ne puisse pas s'appliquer aux activités patrimoniales, dont la location de locaux meublés ou d’établissements commerciaux ou industriels équipés. Si cette modification est adoptée, elle s'appliquerait aux transmissions intervenant à compter de la date de présentation de l’amendement, c’est-à-dire le 17 octobre 2023. Avant d’envisager d’appliquer le dispositif « Dutreil » aux transmissions de titres de sociétés ou d’entreprises individuelles exerçant une activité de location meublée, il semble donc indispensable de ne pas se précipiter et d’être particulièrement attentif à l’évolution des débats dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024. |
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