Réf. : Cass. civ. 3, 17 mars 2016, n° 14-24.748, FS-P+B (N° Lexbase : A3598Q8R)
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par Bastien Brignon, Maître de conférences - HDR à l'Université d'Aix-Marseille, Membre du Centre de droit économique (EA 4224) de l'Institut du droit des affaires (IDA), Directeur du master professionnel Ingénierie des sociétés
le 07 Avril 2016
I - Le sous-bail commercial peut durer moins longtemps que le bail commercial restant à courir
Il s'agissait en l'espèce d'un locataire qui, en vertu d'un bail commercial à effet du 27 mai 2003, avait donné les locaux en sous-location selon un bail du 18 mai 2005 devant s'achever le 26 mai 2009. On voit ainsi que le sous-bail durait moins de neuf ans, et même moins longtemps que le bail principal restant à courir puisque, pour ce dernier, il restait bien plus de quatre années à courir alors que le sous-bail durait à peine plus de quatre ans. La durée du sous-bail devait permettre au locataire principal de délivrer congé à son bailleur à l'expiration de la deuxième période triennale de son propre bail.
Le problème vient de ce que la société sous-locataire en a déduit que le locataire renonçait à se prévaloir du statut des baux commerciaux, si bien que ledit sous-locataire a, par lettre recommandée du 26 janvier 2009, donné un congé à effet du 26 mai 2009.
Estimant au contraire que le statut des baux commerciaux s'appliquait, le locataire a contesté la validité de ce congé, poussant le sous-locataire à régulariser la situation en délivrant, par acte extrajudiciaire du 26 juin 2009, un congé à effet du 31 décembre 2009.
Mais le locataire a campé sur ses positions. Il a ainsi assigné le sous-locataire en nullité du congé délivré le 26 janvier 2009 et en paiement de loyers et charges jusqu'au 18 mars 2011, date d'échéance de la période triennale du bail de sous-location à laquelle le congé du 26 juin 2009 produisait ses effets.
Les juges du fond ont déclaré nul le congé délivré le 26 janvier 2009 et condamné le sous-locataire à payer les loyers et charges arrêtées au 31 décembre 2009 (3).
La Cour de cassation confirme cette analyse. Elle a rejeté le pourvoi formé par ce dernier au motif qu'un sous-bail commercial peut être conclu pour une durée inférieure à celle, restant à courir, du bail principal. La durée prévue du sous-bail ne constituant pas une renonciation de l'une ou l'autre des parties aux dispositions du statut des baux commerciaux qui impose la délivrance d'un congé par acte extrajudiciaire, le premier congé notifié par lettre recommandée avec demande d'avis de réception était donc nul.
Il résulte de cette solution, d'une part, qu'un sous-bail commercial peut avoir une durée différente de celle du bail commercial, d'autre part, que cette durée peut même être plus courte que celle de la durée du bail commercial restant à courir (voire, de dernière part, que le sous-bail peut prendre effet plus tard que le bail principal). Cela signifie que le sous-bail, du moins pour la durée, est complètement autonome par rapport au bail commercial principal.
De ce point de vue, la solution de la Cour de cassation s'inscrit dans la droite ligne de sa jurisprudence selon laquelle le sous-bail commercial n'est pas "un simple décalque" (4) du bail commercial et aux termes de laquelle elle admet et fixe un régime propre à la sous-location. A ce titre, elle a pu estimer que le bail adossé à un crédit-bail relève du statut des baux commerciaux (5).
Comme notre collègue Frédéric Planckeel l'a relevé (6), la Cour de cassation a poussé le principe d'autonomie jusqu'à admettre l'application du statut, alors même que la sous-location aurait été irrégulièrement consentie (7). Elle a même considéré que l'achat de l'immeuble par le locataire principal n'emporte pas, malgré l'extinction par confusion du bail principal, résiliation de la sous-location (8).
Le premier apport de l'arrêt commenté est de venir finaliser cette autonomie du sous-bail par rapport au bail commercial, ici au regard de la durée, ce dont on ne doutait guère car il avait déjà été jugé que la loi n'impose pas une coïncidence entre l'expiration de la sous-location et celle du bail principal (9).
Cependant, la solution a le mérite de la clarté : le sous-bail peut commencer dans le temps plus tard que le bail commercial et finir plus tôt que ce dernier.
En d'autres termes, le sous-bail commercial, et par dérogation à l'article L. 145-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L2010KGK) disposant que le bail commercial ne peut pas durer moins de neuf ans, sauf congé régulièrement donné avant la fin de cette durée, est un contrat qui peut durer, en toute légalité, moins de neuf ans, ce qui a l'avantage de favoriser la liberté contractuelle.
En conséquence de quoi on aurait pu en déduire, avec le sous-locataire que, dans la mesure où il peut durer moins de neuf ans, le sous-bail n'est pas un bail commercial soumis au statut pour partie d'ordre public, et qu'il est possible par exemple, dès lors que le contrat n'est pas soumis au statut, de délivrer congé par LRAR.
C'était oublier que le sous-bail est, par principe, régi par le statut des baux commerciaux, et surtout, que stipuler une durée plus courte ne signifie pas renonciation au statut, laquelle renonciation ne peut être qu'expresse (à l'instar des règles relatives aux baux commerciaux).
II - La durée du sous-bail commercial plus courte que celle du bail principal ne vaut toutefois pas renonciation au statut
S'il est autonome par rapport au bail principal, le sous-bail n'en reste pas moins très proche du bail commercial auquel il est intimement lié. C'est la raison pour laquelle il est soumis, par principe, au statut des baux commerciaux et ce, même si sa durée n'est pas de neuf années.
Aussi et dans ces conditions, si l'une des parties à un sous-bail souhaite délivrer congé, elle doit le faire dans les formes de l'article L. 145-9 du Code de commerce (N° Lexbase : L2009KGI), c'est-à-dire exclusivement par acte extrajudiciaire, et non par LRAR (ce qu'avait permis la loi "Pinel" n° 2014-626 du 18 juin 2014 N° Lexbase : L4967I3D, mais ce sur quoi est revenue la loi "Macron" n° 2015-990 du 6 août 2015 N° Lexbase : L4876KEC). Tant et si bien qu'un congé donné par LRAR, que ce soit par le locataire ou le sous-locataire, doit être considéré comme nul. C'est précisément ce qu'ont jugé les juges de la cour d'appel dont l'arrêt a été confirmé par la Cour de cassation.
La raison est simple : nemo plus juris ad alium transfere potest quam ipse habet ; nul ne peut transférer à autrui plus de droits qu'il n'en a lui-même (10). Le locataire principal ne peut conférer au sous-locataire plus de droits que ceux qui lui sont octroyés par le bail principal (11), ce qui se traduit, en l'occurrence, par le fait que le preneur ne peut pas, dès lors que le bailleur ne lui a pas permis, dénier le statut des baux commerciaux au sous-locataire en l'autorisant par exemple à délivrer congé par LRAR.
Et en l'espèce précisément, que ce soit le bailleur et/ou le preneur, ces deux parties plaidaient en faveur du bail commercial, à l'inverse du sous-locataire qui, et c'est assez rare pour être souligné, soutenait que la sous-location n'était pas soumise au statut (12), pour pouvoir plus facilement s'en délier.
Or, si nul ne peut transmettre à autrui plus de droits qu'il n'en a lui-même, cela signifie, d'abord, que la liberté contractuelle du locataire et du sous-locataire n'est peut-être pas si forte ; ensuite, que le sous-bail n'est peut-être pas également si émancipé au regard du bail commercial.
Dès lors, ce pourrait-il, par exemple, que le bailleur permette au locataire, auquel il autorise la sous-location, de ne pas appliquer le statut des baux commerciaux ? Au regard du congé, cela ne paraît pas possible puisque dorénavant, depuis la loi "Macron" du 6 août 2015, seul l'acte extrajudiciaire est ici de mise.
Néanmoins, il nous semble que, sous réserve de l'accord du bailleur, locataire et sous-locataire pourrait s'entendre pour ne pas appliquer, entre eux seulement, le statut des baux commerciaux, et qu'ainsi par exemple un congé puisse être délivré par LRAR. En d'autres termes, un sous-bail, adossé à un bail commercial, pourrait admettre la non-application du statut en stipulant, par exemple, qu'un congé peut être donné par LRAR. En d'autres termes encore, un sous-bail peut être commercial même si un bail principal ne l'est pas (13). Inversement, un sous-bail peut ne pas être commercial alors qu'un bail principal le sera (14).
Encore faut-il, toutefois, que cela résulte d'un accord exprès des parties et même des trois parties (bailleur, locataire et sous-locataire), la stipulation d'une durée inférieure à celle du bail principal restant à courir étant insuffisante, en l'état, à établir une telle volonté.
Tel est le message que délivre ici la Cour de cassation, rapprochant en cela bail commercial et sous-location : pour ne pas appliquer le statut, il faut un accord exprès des parties, dénué d'équivoque et, surtout, que la renonciation intervienne une fois le droit acquis (et pas avant que le droit ne soit né). Cela est même plus contraignant dans le cadre de la sous-location car il semblerait qu'outre l'accord du locataire et du sous-locataire, il faille également l'accord du bailleur.
Cela étant, un tel choix, qui a le mérite de renforcer, dans une certaine mesure, la liberté contractuelle, voire l'autonomie du sous-bail par rapport au bail commercial principal, puisqu'elle reviendrait à appliquer le bail commercial entre bailleur et locataire et d'autres règles entre locataire et sous-locataire, pourrait poser de réelles difficultés pratiques, surtout lorsque les deux contrats apparaissent indivisibles.
Quoi qu'il en soit, la Cour de cassation juge aujourd'hui qu'un sous-bail commercial peut être conclu pour une durée inférieure à celle, restant à courir, du bail principal, et qu'une telle durée ne vaut pas renonciation aux dispositions du statut des baux commerciaux, deux nouveaux apports très importants en matière de baux commerciaux et sous-location.
(1) H. Kenfack et M. Pédamon, Droit commercial, 4ème éd., Précis Dalloz, 2015, n° 377 et s. ; J. Debeaurain, Guide des baux commerciaux, 17ème éd., 2013, n° 487 et s..
(2) Dont la vitalité n'est plus à démontrer : H. Kenfack, Actualité de la sous-location, AJDI, 2007, p. 812.
(3) CA Paris, Pôle 5, 3ème ch., 18 juin 2014, n° 12/15445 (N° Lexbase : A4630MRW) ; cf. égal. C. Denizot in Droit et pratique des baux commerciaux, Dalloz Action, 2015-2016, n° 350.10.
(4) L'expression est de F. Planckeel, La durée de la sous-location commerciale, Rev. loyers, 2013, p. 218. Adde D. Bert et F. Planckeel, Cours de droit commercial et des affaires, Gualino, Lextenso éd., 2015, n° 866 et s..
(5) Cass. civ. 3, 10 décembre 2002, n° 01-15.062, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4231A4H), Bull. civ. III, n° 257 ; D., 2003, p. 136, obs. Y. Rouquet ; Loyers et copr., 2003, comm. n° 36, obs. Ph.- H. Brault et P. Pereira- Osouf ; Gaz. Pal., 2003, 1, jur., p. 1782, note J.-D. Barbier ; Rev. loyers, 2003, p. 84, obs. Ch. Quément.
(6) Art. préc. note 4.
(7) Cass. civ. 3, 30 mars 1978, n° 76-14.923, publié (N° Lexbase : A7243AGD), Bull. civ. III, n° 131.
(8) Le contrat de location consenti par le crédit-preneur à une société commerciale inscrite au RCS et exploitant un fonds de commerce dans les lieux loués, distinct du contrat de crédit-bail et obéissant à des règles qui lui sont propres, est soumis au statut des baux commerciaux : Cass. civ. 3, 2 octobre 2002, n° 00-16.867, FS-P+B (N° Lexbase : A8988AZW), Bull. civ. III, n° 188 ; AJDI, 2003, p. 27, obs. J.-P. Blatter ; Loyers et copr., 2003, comm. n° 40, obs. Ph.-H. Brault ; Rev. loyers, 2003, p. 623, obs. M.-O. Vaissié. V. les autres réf. in F. Planckeel, art. préc. note 4.
(9) Cass. civ. 3, 24 février 1988, n° 86-15.458, publié (N° Lexbase : A6924AAP), Bull. civ. III, n° 44 ; D., 1988, IR 66.
(10) Sur lequel V., Y. Rouquet, obs. sous Cass. civ. 3, 17 mars 2016, n° 14-24.748, Dalloz Actualité, 24 mars 2016.
(11) Cass. civ. 3, 1er octobre 1997, n° 95-20.741 (N° Lexbase : A0882CLA), RDI, 1998, 142, obs. F. Collart-Dutilleul et J. Derruppé, cité par Y. Rouquet, obs. préc..
(12) F. Auque, Statut des baux commerciaux et sous-location, Ann. des loyers, 2003, p. 2 114.
(13) Cass. civ. 3, 9 mai 1979, Rev. loyers, 1979, 424, note J. V.. Dans le même sens, à propos d'un bail d'habitation et d'une sous-location commerciale, Cass. civ. 3, 10 février 2004, n° 02-20.439, F-D (N° Lexbase : A2772DBB), AJDI, 2004, 453, note C. Denizot.
(14) Cass. civ. 3, 24 avril 1974, n° 72-14.788, publié (N° Lexbase : A6967AG7), Bull. civ. III, n° 167 : sous-location à usage d'habitation adossée à un bail commercial.
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