Réf. : Projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs, 24 mars 2016
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par Pascal Lokiec, Professeur à l'Université Paris Ouest Nanterre La Défense
le 07 Avril 2016
Le feuilleton autour du plafonnement des indemnités de licenciement a commencé avec la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (N° Lexbase : L4876KEC), dite "Macron", qui avait instauré un plafonnement obligatoire des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Admis dans son principe par le Conseil constitutionnel, le plafonnement a été censuré dans ses modalités au motif que le critère de différenciation à raison de la taille de l'entreprise était sans lien avec le préjudice subi par le salarié et contrevenait au principe d'égalité devant la loi (1). C'est pour cela que le plafonnement prévu par l'avant-projet de loi "El Khomri" ne retenait plus comme critère la taille de l'entreprise, mais seulement l'ancienneté (de trois mois pour les salariés ayant une ancienneté dans l'entreprise inférieure à deux ans jusqu'à quinze mois pour ceux ayant une ancienneté supérieure à vingt ans). Ce dispositif a finalement été écarté du projet de loi "El Khomri", du fait notamment de l'hostilité de l'ensemble des organisations syndicales de salariés.
La confusion entretenue autour des objectifs dudit plafonnement a largement contribué à attiser les tensions autour de ce dispositif. Le premier objectif consistait à permettre aux entreprises de connaître à l'avance le coût d'un licenciement injustifié. On conférait par là même un caractère parfaitement prévisible à la rupture du contrat de travail, avec cette idée sous-jacente que l'entreprise, qui est capable de provisionner au centime près le coût de licenciements éventuels, sera plus encline à embaucher en CDI. Une idée confortée, comme c'est de plus en plus le cas aujourd'hui, par l'appel aux droits étrangers, en l'occurrence le Jobs Act italien. Matteo Renzi a, en effet, instauré un nouveau contrat de travail dit "à droits progressifs", lequel se traduit concrètement par la mise en place d'un plafonnement obligatoire s'étalant jusqu'à vingt quatre mois pour les salariés ayant la plus forte ancienneté. L'introduction de ce contrat a été suivie par une baisse sensible du chômage, ce qui en a aussitôt fait un exemple à suivre dans la lutte contre le chômage. Sauf que cette baisse a été concomitante à une politique massive d'exonération de charges patronales (à hauteur de 8 000 euros par contrat de travail la première année), rendant très difficile, voire impossible l'établissement d'un lien de causalité entre le nombre de CDI nouvellement créés et le plafonnement des indemnités de licenciement. Un second objectif, très présent également dans les débats français, consiste à harmoniser les indemnisations prononcées aux prud'hommes, afin de donner aux conseiller prud'homaux des "indications" sur ce qui se pratique en moyenne dans les autres juridictions ! Si le premier objectif ne peut être atteint que par l'adoption d'un plafonnement obligatoire, il n'en va pas de même de l'objectif d'harmonisation (il n'est pas question d'uniformiser, ne serait-ce parce que le juge doit pouvoir apprécier le préjudice subi au regard des circonstances de la cause) qui se satisfait d'un référentiel indicatif. C'est finalement ce second objectif qui l'a emporté.
L'abandon du plafonnement obligatoire s'est traduit par la suppression de toute référence à un quelconque barème dans le projet de loi, le référentiel indicatif ayant d'ores et déjà été voté dans le cadre de la loi "Macron". On attendait uniquement le décret d'application (resté en suspens dans la perspective de l'adoption ou non du plafonnement obligatoire) qui, du coup, sera très vraisemblablement édicté (2). Le référentiel "Macron" est construit autour de critères liés à l'ancienneté, à l'âge et à la situation du demandeur par rapport à l'emploi, et peut être utilisé devant le bureau de jugement du conseil de prud'hommes si les parties en font conjointement la demande. Même si les montants dudit référentiel ne devraient pas être discutés devant le Parlement, leur fixation constitue évidemment un enjeu essentiel, un référentiel -fut-il indicatif- ayant nécessairement une influence sur les niveaux d'indemnisation. La question va notamment se poser de son harmonisation avec le référentiel d'ores et déjà applicable devant le bureau de conciliation (institué par la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi de sécurisation de l'emploi N° Lexbase : L0394IXU), lequel est très peu utilisé en raison de montants notoirement beaucoup trop faibles (entre deux mois et quatorze mois de salaire selon l'ancienneté).
II - Les nouvelles règles sur le licenciement pour motif économique
Dans un pays en proie à des difficultés économiques, le droit du licenciement pour motif économique constitue un enjeu central. Si la loi de sécurisation de l'emploi de 2013 avait considérablement modifié la procédure de licenciement, c'est au motif que s'attaque le projet de loi "El Khomri".
A - Les contours du motif
Deux séries de modifications sont prévues.
La première est à droit constant. Le projet de loi inscrit dans le Code du travail les motifs de licenciement que la Cour de cassation avait ajouté au fil du temps sur le fondement du fameux "notamment" figurant à l'article L. 1233-3 du Code du travail (N° Lexbase : L8772IA7). Il s'agit, d'une part, de la "cessation d'activité de l'entreprise" (3), d'autre part, de la "réorganisation nécessaire à la compétitivité de l'entreprise" (4). L'inscription de ce second motif dans le Code du travail n'est pas anodine, d'un point de vue politique, alors qu'un certain nombre de propositions ont vu le jour, du côté notamment du parti "Les Républicains", afin de consacrer le motif de réorganisation en supprimant la référence à la sauvegarde de la compétitivité (5). L'article L. 1233-3 comportera désormais quatre motifs économiques de licenciement : les difficultés économiques, la réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité, les mutations technologiques et la cessation d'activité de l'entreprise. Notons que le "notamment" a néanmoins été maintenu, ce qui laisse la possibilité à la Cour de cassation, comme elle l'a fait par le passé, d'user de son rôle prétorien pour compléter la liste.
La seconde modification est plus significative, car elle n'est pas à droit constant. La notion de difficultés économiques est "objectivée" ; le texte fait état de "difficultés économiques, caractérisées soit par une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires pendant plusieurs trimestres consécutifs en comparaison avec la même période de l'année précédente, soit par des pertes d'exploitation pendant plusieurs mois, soit par une importante dégradation de la trésorerie, soit par tout élément de nature à justifier de ces difficultés" (partie "ordre public"). Il est prévu qu'en l'absence d'accord collectif de branche, la durée de la baisse des commandes ou du chiffre d'affaires devra être de quatre trimestres consécutifs et la durée des pertes d'exploitation d'un semestre (partie "dispositions supplétives"). Ces dispositions sont supplétives, ce qui veut dire qu'un accord peut fixer une autre durée de baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, laquelle ne peut, à lire le projet, être inférieure à deux trimestres consécutifs, ou une durée des pertes d'exploitation qui ne peut être inférieure à un trimestre (partie "champ de la négociation collective").
Ces changements, qui préfigurent ce que sera la nouvelle architecture du Code du travail (est-ce vraiment plus simple que l'architecture actuelle du Code ?), conduisent à substituer à l'appréciation du juge des critères prédéterminés et chiffrés. La Cour de cassation exige, en effet, actuellement, que les difficultés économiques soient "importantes", autrement dit que les juges du fond contrôlent au cas par cas l'existence d'une cause "sérieuse". Il est question de " baisses importantes de chiffres d'affaires plusieurs années de suite" (6), de "difficultés économiques caractérisées par d'importantes pertes financières" (7), d'une "perte d'exploitation importante" (8). L'importance du changement ne sera plus un critère en soi, sauf pour la dégradation de trésorerie qui, à la lecture du projet de loi, doit être "importante".
Est-on à droit constant ? Une réponse négative s'impose car si la baisse du chiffre d'affaires ou des commandes peut aujourd'hui constituer un indice pour retenir l'existence d'un motif économique de licenciement (9), une baisse d'activité passagère ne suffit pas ! Il a ainsi été jugé que "ni la réalisation d'un chiffre d'affaires moindre de 1992 à 1993, ni la baisse des bénéfices réalisés pendant la même période ne suffisaient à caractériser la réalité des difficultés économiques alléguées par l'employeur" (10).
Outre que, prise à la lettre, elle prive le juge de son pouvoir d'appréciation, cette liste pose trois séries de difficultés. Les deux premières sont inhérentes à tout système de liste. D'abord, le Gouvernement n'a eu d'autre choix que de compléter la liste par un critère "fourre-tout" qui permet au juge d'appréhender une situation qui n'y figure pas. A la fin de la liste de l'article 30, on peut, en effet, lire que les difficultés pourront être caractérisées par "tout élément de nature à justifier de ces difficultés" ! La loi britannique sur le licenciement qui, elle aussi, repose sur une liste de motifs admissibles de licenciement (cette liste comprend tous les motifs, pas seulement les motifs économiques), est également complétée par une catégorie "fourre-tout", d'ailleurs formulée en termes assez voisins : "any other substantial reason" (11) ! Ensuite, une liste trop précise, satisfaisante eu égard à l'impératif de sécurité juridique, empêche l'adaptation de la règle à son contexte. Cela veut dire, en l'occurrence, que les baisses de commandes ou de chiffre d'affaires, ou les pertes d'exploitation seront appréciées de la même façon quelle que soit la taille de l'entreprise (12). Un nombre donné de trimestres de baisse de commandes n'a pas la même signification, et le même impact sur la survie de l'entreprise, pour la TPE et pour la grande entreprise. Ce qui explique qu'il soit envisagé, sous réserve de ne pas se heurter à la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur l'égalité devant la loi (13), d'adopter des critères spécifiques en fonction de la taille de l'entreprise !
Malgré les velléités du Gouvernement de sécuriser le motif économique de licenciement, on ne voit pas comment la prise en compte de l'importance des difficultés économiques pourrait être totalement écartée par la loi nouvelle ! Le projet de loi est, en effet, silencieux sur le pourcentage de baisse de chiffre d'affaires, du volume des commandes ou des pertes d'exploitation. Il ne pouvait en être autrement au risque de transformer les tribunaux en simples chambres d'enregistrement de données comptables et ainsi de heurter la Convention 158 de l'OIT. Parce qu'il est inconcevable qu'une baisse de chiffre d'affaires de 0,1 ou 0,2 %, même sur plusieurs trimestres, suffise à justifier le licenciement, il faut prendre acte de ce que le nouveau dispositif -et c'est une bonne chose- ne pourra, in fine, écarter l'appréciation du juge sur le motif économique de licenciement.
B - Le périmètre d'appréciation du motif
En l'état actuel de la jurisprudence, "lorsque l'entreprise appartient à un groupe, les difficultés s'apprécient au niveau du groupe, dans la limite du secteur d'activité auquel appartient l'entreprise" (14). Cela veut dire que les difficultés de l'entreprise ne peuvent suffire à justifier un licenciement économique si le secteur d'activité du groupe auquel elle appartient est prospère, et que si, inversement, ledit secteur connaît des difficultés, un licenciement est possible alors même que la société qui licencie connaît une situation économique satisfaisante (15). Cette règle, à laquelle le projet de loi ne touche pas, s'apprécie traditionnellement dans un périmètre international. Et c'est là que se situe le bouleversement ! Le groupe, qui sert à définir le périmètre d'appréciation des difficultés économiques est, à ce jour, pris dans son entièreté, dans sa dimension nationale et internationale. Tant la Cour de cassation que le Conseil d'Etat exigent que soient pris en compte les résultats du secteur d'activité "à l'étranger" (16), ce que formule la Haute juridiction administrative dans les termes suivants : "lorsque la société intéressée relève d'un groupe dont la société mère a son siège à l'étranger, l'examen de la situation économique doit porter sur l'ensemble des sociétés du groupe oeuvrant dans le même secteur d'activité que la société en cause, sans qu'il y ait lieu de borner l'examen à celles d'entre elles ayant leur siège social en France, ni aux établissements de ce groupe situés en France" (17).
Ces jurisprudences seront caduques si le texte est adopté puisqu'il est prévu que "l'appréciation des difficultés économiques, des mutations technologiques ou de la nécessité d'assurer la sauvegarde de sa compétitivité s'effectue au niveau de l'entreprise si cette dernière n'appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d'activité commun aux entreprises implantées sur le territoire national du groupe auquel elle appartient". Une telle disposition permettra à un groupe florissant de licencier les salariés de sa filiale française qui connait des baisses de commandes ou de chiffre d'affaires, ce qui a immédiatement attisé des craintes de fraude ou de sacrifice de filiales françaises (par exemple, décision d'externaliser une partie de l'activité de la filiale, entraînant une forte baisse de chiffre d'affaires).
D'où l'ajout d'un alinéa à l'article 30, à la suite de la lecture du projet par le Conseil d'Etat : "ne peuvent constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement pour motif économique les difficultés économiques créées artificiellement à la seule fin de procéder à des suppressions d'emplois". Cette adjonction suffira-t-elle à apaiser les inquiétudes ? Force est d'admettre qu'il n'y a, dans ce texte qui s'apparente à un contrôle de la fraude à la loi, rien de réellement nouveau, puisque la Cour de cassation a déjà jugé que les difficultés économiques ne sont pas un motif de licenciement lorsque "la situation économique invoquée pour justifier les licenciements résultait d'une attitude intentionnelle et frauduleuse du groupe" (18). La preuve de l'artifice devrait être particulièrement difficile à apporter, et ce d'autant plus que texte est particulièrement restrictif ; il convient que l'artifice ait pour seule fin la suppression des emplois, ce qui devrait exclure le cas de l'entreprise qui a fraudé le trésor public et subit des difficultés du fait du redressement fiscal subséquent.
C - L'obligation de revitalisation
On rappellera que la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005, de programmation pour la cohésion sociale (N° Lexbase : L6384G49), a créé une obligation territoriale à la charge des entreprises de plus de 1 000 salariés ou appartenant à un groupe de plus de 1 000 salariés, dont les restructurations affectent, par leur ampleur, l'équilibre du ou des territoires où elles sont implantées. L'entreprise a alors l'obligation de contribuer à la recréation d'activité et au développement des emplois dans ces territoires. Cette obligation, qui s'inscrit dans le cadre de ce qu'il est convenu de dénommer "responsabilité sociale des entreprises", est aménagée dans ses modalités (délai de conclusion, dispositif spécifique lorsque les suppressions touchent au moins trois départements, ...), et surtout généralisée, puisqu'elle concernera, désormais, toutes les procédures de licenciement pour motif économiques, y compris celles concernant moins de dix salariés sur trente jours.
III - Le transfert d'entreprise
Bien que ce changement ait suscité peu d'attention (19), le projet de loi apporte une petite révolution au droit des transferts d'entreprise en permettant, sous certaines conditions, au cédant de procéder au licenciement des salariés non repris. Il faut pour cela qu'on se situe dans une entreprise d'au moins 1 000 salariés et que le plan de sauvegarde de l'emploi comporte, en vue d'éviter la fermeture d'un ou de plusieurs établissements, le transfert d'une ou plusieurs entités économiques, nécessaire à la sauvegarde d'une partie des emplois. Le périmètre de la règle nouvelle est donc le même que celui défini par la loi n° 2014-384 du 29 mars 2014 (N° Lexbase : L9440IZN) à propos de l'obligation de recherche d'un repreneur. La finalité recherchée est, dans le prolongement de la loi précitée, de favoriser la reprise des sites et, plus précisément, de mettre fin à une difficulté pratique ; l'entreprise qui entame un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) est obligée, dans le cas où un repreneur se manifeste dans le cadre d'un processus de recherche de repreneur lancé parallèlement, d'interrompre son PSE (20).
C'est, en effet, en l'état actuel du droit (non seulement interne mais aussi européen (21), ce qui pourrait conduire à des discussions sur la conventionalité du nouveau dispositif), au repreneur d'engager les licenciements nécessaires une fois la reprise réalisée. Le transfert est automatique, seuls les licenciements sans lien avec le transfert étant possibles avant qu'il ait lieu ; à défaut ces licenciements sont "sans effet" (22). Cette situation peut "décourager le repreneur potentiel, notamment lorsque son offre de reprise porte sur une entité économique autonome mais dont il ne lui est pas possible de conserver la totalité des emplois", énonce l'étude d'impact (23). Le projet de loi aménage aussi le contenu des PSE pour intégrer cette nouvelle hypothèse : les modalités d'information et de consultation du comité d'entreprise en cas de projet de transfert d'une ou plusieurs entités économiques pourront être définies par la voie de cet accord collectif majoritaire.
IV - Les accords sur l'emploi
Le dispositif des accords de maintien de l'emploi (AME) se voit compléter d'un nouveau dispositif, qui s'apparente aux accords de compétitivité conclus chez PSA, Renault ou Michelin ces dernières années. Depuis l'échec des premières années de mise en place du dispositif institué par la loi de sécurisation de l'emploi du 14 juin 2013 (au 15 mars 2015, seuls neuf accords avaient été conclus (24)), le Gouvernement a affiché sa volonté de le "déverouiller", selon une expression à la mode. La loi "Macron" l'a fait une première fois, en allongeant la durée possible de ces accords (de deux ans maximum à cinq ans), en facilitant la suspension de l'accord (qui ne nécessite plus une saisine en référés du président du TGI) et en facilitant le licenciement (économique) du salarié récalcitrant qui, notamment, ne peut plus en contester la cause réelle et sérieuse devant le juge. Le projet de loi va beaucoup plus loin, en créant un nouveau dispositif qui, en pratique, a toutes les chances de se substituer à celui (non abrogé) des accords de maintien de l'emploi.
Premièrement, il n'est pas nécessaire, à suivre le texte, que l'entreprise connaisse des difficultés conjoncturelles graves, puisqu'il suffira que l'accord ait été conclu "en vue de la préservation ou du développement de l'emploi". L'accord devrait pouvoir, en conséquence, porter sur tout sujet dès lors qu'il répond à la justification ci-dessus, sous réserve de ne pas diminuer la rémunération mensuelle du salarié. Il est donc possible d'augmenter la durée du travail (passer de 35 à 39 heures, par exemple) et de maintenir le même salaire mensuel, ce qui équivaut à une baisse de salaire.
Deuxièmement, le licenciement n'est pas pour motif économique ; il s'agit d'un licenciement de droit commun (improprement qualifié de sui generis), soumis aux règles générales sur le licenciement, si bien que la procédure de licenciement pour motif économique (dont un certain nombre de règles, notamment celles liées au plan de sauvegarde de l'emploi et à l'information-consultation du comité d'entreprise) est désormais totalement exclue.
Concrètement, cela veut dire que si le préambule d'un accord portant sur les congés, sur les astreintes ou sur tout autre sujet, prévoit que ledit accord est conclu en vue de maintenir ou de développer l'emploi, l'ensemble des salariés concernés seront privés de la protection du licenciement pour motif économique et de la possibilité de contester le motif de leur licenciement devant le juge ! Le législateur a fait le choix de consacrer, à demi-mot, la primauté de l'accord collectif sur le contrat de travail, à la condition que l'emploi soit en jeu (sans pour autant que l'entreprise soit engagée, comme c'est aujourd'hui le cas, à maintenir l'emploi). Le projet de loi va aussi loin dans la supériorité accordée à l'accord collectif sur le contrat que semble le permettre le Conseil constitutionnel, qui a, d'ores et déjà, admis que l'intérêt général, dont la lutte contre le chômage est bien évidemment une déclinaison, justifie une restriction à l'économie générale des conventions (25). Restriction manifeste en l'occurrence, puisqu'il est expressément prévu à l'article 11 du projet de loi que les stipulations de l'accord collectif se substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail. Reste qu'avec un critère aussi flou ("en vue de la préservation ou du développement de l'emploi"), l'existence d'un lien suffisant entre la restriction apportée à l'économie des conventions et la poursuite de l'intérêt général n'a pas force d'évidence !
V - L'appui aux petites entreprises
La réforme du Code du travail est partie du constat de la difficulté qu'ont les patrons de petites entreprises, dépourvus de ressources juridiques en interne, à appliquer le droit du travail. Il paraît donc nécessaire de leur donner ces ressources (ou de les aider à les acquérir), d'où l'intérêt de l'article 28 du projet de loi.
Il en ressort que, pour tenir compte des difficultés spécifiques d'accès au droit du travail pour les entreprises de moins de trois cents salariés, tout employeur d'une de ces entreprises a le droit d'obtenir une information précise et délivrée dans un délai raisonnable lorsqu'il sollicite l'administration sur une question relative à l'application d'une disposition du droit du travail ou des accords et conventions collectives qui lui sont applicables.
Parce qu'à moyens constants (il faudra en tout état de cause renforcer les moyens de l'administration pour que l'information puisse être délivrée dans un délai raisonnable), l'administration ne peut, seule, assurer cette mission, il est prévu que, pour assurer la mise en oeuvre de ce droit, des services d'information dédiés seront mis en place par l'autorité administrative compétente, qui peut y associer des représentants des collectivités territoriales, des organisations syndicales et professionnelles, ou tout autre acteur qu'elle estime compétent.
Même si le texte ne dit rien de l'articulation entre les différents acteurs, parmi lesquels il faut compter les chambres des métiers mais aussi les avocats, qui jouent un rôle central dans l'accès au droit, il constitue un premier pas intéressant vers la consécration d'un service public de l'accès au droit pour les petites entreprises. Un service public que les Etats-Unis pratiquent avec succès depuis plus de soixante ans (guides, guichets, médiateurs, etc.).
(1) Cons. const., décision n° 2015-715 DC du 5 août 2015 (N° Lexbase : A1083NNG).
(2) Voir à ce sujet les analyses de Florence Mehrez, actuel-rh.fr, 15 mars 2016.
(3) Cass. soc., 16 janvier 2001, n° 98-44.647, FS-P+B (N° Lexbase : A2160AIT).
(4) Cass. soc., 5 avril 1995, n° 93-42.690 ([LXB=4018AA3]).
(5) En ce sens, voir l'article sur F. Fillon et son "Pacte pour la France".
(6) Cass. soc., 16 octobre 2001, n° 99-44.934, FS-D (N° Lexbase : A9007AWI).
(7) Cass. soc.. 23 mars 2005, n° 03-41.354, F-D (N° Lexbase : A5143DIC).
(8) Cass. soc.. 29 janvier 2008, n° 06-44.189, F-D (N° Lexbase : A6071D4M).
(9) Cass. soc., 3 mai 1994, n° 92-44.421 (N° Lexbase : A2011AAQ).
(10) Cass. soc., 6 juillet 1999, n° 97-41.036 (N° Lexbase : A6341AGX).
(11) S. 94, Employment rights Act, 1996.
(12) Voir l'article dans Les Echos.
(13) V. Cons. const., décision n° 2015-715 DC du 5 août 2015, préc..
(14) Cass. soc., 5 avril 1995, n° 93-43.866 (N° Lexbase : A4026AAD).
(15) Cass. soc., 28 novembre 2007, n° 06-40.489, FS-P+B (N° Lexbase : A9466DZM).
(16) Cass. soc., 12 juin 2001, n° 99-41.839, publié (N° Lexbase : A5361AGN).
(17) CE, 8° et 3° s-s-r., 8 juillet 2002, n° 226471, publié aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1502AZN).
(18) Cass. soc. 13 janvier 1993, n° 91-45.894, publié (N° Lexbase : A3884AA4).
(19) V. cependant P. Bailly, Le PSE avant transfert d'entreprise dans l'avant-projet de loi, SSL, 2016, n° 1714.
(20) V. étude d'impact sur le projet de loi travail, p. 317.
(21) Directive 2001/23 du 12 mars 2001, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprises, d'établissements ou de parties d'entreprises ou d'établissements (N° Lexbase : L8084AUX), art. 4 : "le transfert [...] ne constitue pas en lui-même un motif de licenciement pour le cédant ou le cessionnaire. Cette disposition ne fait pas obstacle à des licenciements pouvant intervenir pour des raisons économiques, techniques ou d'organisation impliquant des changements sur le plan de l'emploi".
(22) Cass. soc., 3 avril 2001, n° 98-44.778, publié (N° Lexbase : A2006ATH) ; Cass. soc., 15 février 2006, n° 04-43.923, FS-P+B (N° Lexbase : A9867DME).
(23) Etude d'impact préc., p. 318
(24) Voir le bilan de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi de sécurisation de l'emploi (N° Lexbase : L0394IXU).
(25) Cons. const., décision n° 2012-649 DC du 15 mars 2012 (N° Lexbase : A7449IEM).
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