Réf. : Cass. soc., 15 avril 2015, n° 13-24.253, FS-P+B (N° Lexbase : A9248NGM)
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N7291BUL
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par Gilles Auzero, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux
le 14 Mai 2015
Résumé
Ayant constaté, d'une part, la concentration des pouvoirs par la société X, associée unique de chacune des quatre sociétés, leur complémentarité en ce qu'elles concourent toutes à des activités de rénovation des canalisations de gaz et des lignes haute tension au profit des sociétés ERDF et GRDF, et relevé, d'autre part, que les salariés, tous issus de la même société et titulaires de contrats de travail similaires, sont mobiles entre les sociétés en cause, relèvent de la même convention collective et bénéficient d'avantages spécifiques identiques, la cour d'appel a pu retenir, peu important que la société holding ne soit pas intégrée dans son périmètre et répondant aux conclusions, l'existence d'une unité économique et sociale. |
Commentaire
I - Rappel des critères de l'unité sociale
L'affaire. Etait, en l'espèce, en cause M. H., qui avait été salarié de la société Y au sein de laquelle il exerçait des mandats de délégué du personnel, de membre du comité d'entreprise et de délégué syndical. Le 6 janvier 2012, les contrats de travail des salariés de cette société ont été transférés à quatre sociétés, la société A (à Nice), la société B (Ramonville-Saint-Agne), la société C (Montpellier) et la société D (Gémenos), ayant chacune pour associée unique la société X. Postérieurement, le salarié, le syndicat CGT local construction bois et ameublement 31 et l'Union locale CGT de Toulouse Sud, ont saisi le tribunal d'instance de Toulouse d'une demande aux fins de reconnaissance d'une unité économique et sociale entre ces quatre sociétés. Le salarié est décédé au cours de l'instance d'appel.
Les sociétés C, D, X et Y reprochaient à l'arrêt attaqué d'avoir reconnu l'existence d'une unité économique et sociale entre les sociétés A, B, C et D. Afin de contester la reconnaissance de l'unité sociale, les parties demanderesses soutenaient que l'existence d'une telle unité se traduit par une politique sociale ou une gestion du personnel commune aux différentes entités concernées ou encore par des services communs à ces entités. En retenant l'existence d'une unité sociale entre les sociétés A, B, C et D, sans même constater de gestion centralisée et unique du personnel des sociétés composant l'unité économique et sociale revendiquée ou même l'existence de services communs à ces sociétés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 2322-4 du Code du travail (N° Lexbase : L6227ISG).
Il était aussi arguer que la proposition, par le mandataire-liquidateur d'une société en liquidation dans le seul cadre de l'obligation de reclassement, du transfert de salariés licenciés à une autre et le transfert effectif d'un seul de ces salariés, est impropre à établir une permutation du personnel de nature à caractériser l'existence d'une unité sociale entre ces sociétés. En déduisant la permutabilité du personnel entre les différentes sociétés concernées du fait qu'à la suite de la liquidation judiciaire de la société A, le mandataire liquidateur a proposé aux salariés licenciés de cette entreprise des postes de reclassement au sein des sociétés C et D et que seul l'un des salariés a accepté la proposition d'emploi qui lui avait été faite, la cour d'appel a, derechef, privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 2322-4 du Code du travail.
Ces arguments sont écartés par la Cour de cassation qui, pour approuver la décision d'appel, se borne à relever que "les salariés, tous issus de la même société et titulaires de contrats de travail similaires, sont mobiles entre les sociétés en cause, relèvent de la même convention collective et bénéficient d'avantages spécifiques identiques".
L'existence d'une communauté de travailleurs. Pour qu'il y ait unité sociale, il convient de caractériser ce que des arrêts nomment "une communauté de travailleurs liés par les mêmes intérêts" (1). A cette fin, le critère prépondérant réside dans l'identité de statut social des salariés des différentes sociétés en cause. Le fait que les salariés bénéficient de la même convention collective (2), soient titulaires de contrats de travail similaires et bénéficient d'avantages spécifiques identiques (3) constitue, à n'en point douter, des éléments forts pour caractériser cette identité de statut social. Il en va certainement de même du fait que les salariés étaient "tous issus de la même société" (4). A dire vrai, cet élément apparaît, en l'espèce, sinon comme fondamental, du moins comme premier, puisque c'est, sans doute, de lui que découlaient la similitude des contrats de travail et l'identité des avantages spécifiques dont bénéficiaient tous ces salariés.
S'agissant de la gestion du personnel unifiée et de sa permutabilité, il s'agit de critères qui viennent, le cas échéant, conforter les précédents (5). On ne saurait donc faire du premier, contrairement à ce qui était soutenu dans le pourvoi, un élément majeur de l'unité sociale. Pour le dire autrement, ce n'est pas parce que la gestion du personnel n'est pas centralisée et unique qu'il n'y a pas d'unité sociale.
La Cour de cassation prend, en revanche, soin de relever que les salariés des différentes sociétés concernés étaient "mobiles" entre les sociétés en cause. Ce critère n'est pas sans rappeler celui de la permutabilité des salariés, fréquemment retenu par les juges, au titre de l'unité sociale. La mobilité semble, cependant, moins exigeante, en ce qu'elle n'implique pas la réciprocité propre à la permutation. En l'espèce, cette mobilité est déduite du fait qu'à la suite de la liquidation judiciaire de la société A, le mandataire liquidateur avait proposé aux salariés licenciés de cette entreprise des postes de reclassement au sein des sociétés C et D, un des salariés de la société TDE ayant, d'ailleurs, accepté la proposition qui lui avait été ainsi faite d'un emploi de chef de chantier au sein de la société D. On pourrait s'étonner que de l'exécution d'une obligation légale, à savoir l'obligation de reclassement antérieure au licenciement pour motif économique, puisse être tirée un argument au soutien de la reconnaissance d'une unité sociale, étant rappelé que l'obligation précitée doit être mise en oeuvre au sein du groupe de sociétés auquel l'employeur appartient. Or, à n'en point douter, on était au moins en présence, en l'espèce, d'un tel groupe. Mais parce qu'à l'unité sociale vient s'ajouter une unité économique, les sociétés en cause constituaient plus que cela.
II - Précision quant aux critères de l'unité économique
L'argumentation du pourvoi. Pour contester l'arrêt d'appel en ce qu'il avait retenu l'existence d'une unité économique, les sociétés demanderesses soutenaient que celle-ci suppose la constatation d'une concentration des pouvoirs de direction à l'intérieur du périmètre considéré et nécessite la présence, en son sein, de l'entité qui exerce ce pouvoir de direction. En l'espèce, pour reconnaître l'existence d'une unité économique et sociale entre les sociétés A, B, C et D, la cour d'appel a retenu que la société X a la qualité de dirigeant commun de ces quatre sociétés et que les pouvoirs de direction de ces sociétés sont concentrés entre les mains de la société X avec laquelle elles formeraient une communauté d'intérêts. En statuant ainsi quand la société CME ne fait pas partie du périmètre de l'unité économique et sociale revendiquée, la cour d'appel a violé l'article L. 2322-4 du Code du travail.
Il était également avancé qu'en toute hypothèse, le simple fait qu'une entité soit l'associée unique d'autres sociétés et que les décisions importantes de la vie de ces sociétés relèvent de la seule décision de cet associé unique sont seulement de nature à caractériser l'existence d'un groupe de sociétés, mais ne suffisent pas à caractériser l'existence d'une concentration des pouvoirs de direction à défaut de constater l'existence d'une direction fonctionnelle, économique et commerciale unique ainsi que d'une politique sociale commune.
Pour déduire la qualité de la société X de dirigeant commun des sociétés A, B, C et D, ayant pourtant chacune leur propre gérant, la cour d'appel s'est bornée à relever que celle-ci, associée unique de ces quatre sociétés dont elle détient en totalité le capital, décide du transfert du siège social de ces sociétés, de l'augmentation ou la réduction de leur capital social, de la nomination ou la révocation de leur gérant ou de la durée de leur mandat ou encore de l'approbation des comptes ainsi que de la modification de leurs statuts.
En ne constatant ni direction fonctionnelle, opérationnelle, économique ou commerciale unique, ni politique sociale commune à ces quatre sociétés, la cour d'appel, qui a seulement fait ressortir l'appartenance de ces quatre sociétés à un même groupe et statué par des motifs insuffisants à caractériser la concentration du pouvoir de direction de ces différentes entités au sein d'une direction unique, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 2322-4 du Code du travail.
La réponse de la Cour de cassation. Les arguments précités sont, là encore, écartés par la Cour de cassation qui indique "qu'ayant constaté [...] la concentration des pouvoirs par la société X, associée unique de chacune des quatre sociétés, leur complémentarité en ce qu'elles concourent toutes à des activités de rénovation des canalisations de gaz et des lignes haute tension au profit des sociétés ERDF et GRDF [...], la cour d'appel a pu retenir, peu important que la société holding ne soit pas intégrée dans son périmètre et répondant aux conclusions, l'existence d'une unité économique et sociale".
De notre point de vue, ce motif de principe apporte une importante précision quant à l'appréciation de l'unité économique. Selon une formule synthétique énoncée dans un arrêt antérieur, "une unité économique et sociale entre plusieurs entités juridiquement distinctes se caractérise, en premier lieu, par la concentration des pouvoirs de direction à l'intérieur du périmètre considéré, ainsi que par la similarité ou la complémentarité des activités déployées par ces différentes entités [...]" (6).
Il ressort de cette formule que l'unité économique est composée de deux éléments majeurs. Le premier a trait au pouvoir de direction qui, en dépit de la pluralité des personnes morales distinctes mises en relation, doit être unique. Cela s'évince, notamment, de l'identité de leurs dirigeants ou encore de la subordination des uns aux autres. Ainsi qu'il a été souligné, "l'exigence d'une concentration du pouvoir à l'intérieur du périmètre considéré révèle bien que la Chambre sociale ne se satisfait pas d'une quelconque coordination, qu'elle qualifie d'unité une hiérarchie et qu'elle subordonne la reconnaissance de l'unité économique à l'identification en son sein du centre -le sommet de la hiérarchie- du pouvoir" (7).
Il apparaît, à la lecture de l'arrêt sous examen que, s'il convient toujours d'identifier un centre du pouvoir, celui-ci n'a pas nécessairement à figurer au sein de l'unité économique et sociale, puisqu'il n'était, en l'espèce, pas important que la société holding ne soit pas intégrée dans le périmètre de l'unité économique et sociale. Il avait pourtant été affirmé, dans un arrêt antérieur, que "l'unité économique nécessite la présence en son sein de l'entité juridique qui exerce le pouvoir de direction sur l'ensemble des salariés inclus dans l'unité sociale" (8). On comprend, à cet égard, mieux l'un des arguments développés dans le pourvoi, qui était certainement fondé sur cette décision.
Faut-il, dès lors, considérer que la Cour de cassation aurait procédé à un revirement de jurisprudence ? Il nous semble difficile de l'affirmer. Plus exactement, nous pensons qu'il convient de ne pas prendre la formule énoncée dans l'arrêt précité du 23 mai 2000 au pied de la lettre et, surtout, de ne pas omettre que, dans celui-ci, était en cause une hypothèse très particulière puisque l'unité économique était recherché entre des sociétés exerçant la fonction de syndic de copropriété. Or, et ainsi que l'affirme la Cour de cassation dans cette même décision, "les sociétés syndics de copropriétés correspondant à un ensemble de résidences-services ne sont que les mandataires des différents syndicats de copropriétaires, lesquels restent libres de désigner un nouveau syndic, ce qui s'oppose à la reconnaissance de l'unité économique". Comment admettre une unité économique lorsque l'éventuel centre du pouvoir n'entretient pas un lien pérenne avec les entités au sein desquels ce pouvoir peut être exercé ; bien plus lorsque ces entités peuvent librement se défaire de ce pouvoir qui, en réalité, n'en est donc pas un ?
Rien de tel dans l'affaire qui nous intéresse, puisque le pouvoir est concentré au sein de ce qu'il faut bien nommer la société mère, à laquelle les sociétés filiales sont, par nature, indissolublement liées, à tout le moins, tant que la première n'en décide pas autrement.
Cela étant, on peut ne pas se satisfaire de l'affirmation selon laquelle les pouvoirs étaient concentrés par la société X, associée unique de chacune des quatre sociétés. Plus exactement, ce n'est pas l'identification de la concentration qui interroge, que celle des pouvoirs qui sont exercés. De ce point de vue, l'argumentation développée dans le pourvoi n'est pas dénuée d'une certaine pertinence. En substance, il était fait reproche aux juges du fond d'avoir simplement relevé que la société mère prenait les décisions susceptibles d'être arrêtés par n'importe quel actionnaire majoritaire (transfert du siège social des sociétés filiales, augmentation ou la réduction de leur capital social, nomination ou révocation de leur gérant ou de la durée de leur mandat, ou encore, approbation des comptes ainsi que modification de leurs statuts).
Cela est, effectivement, troublant. Encore que la question ait été assez peu évoquée, il semble que le pouvoir permettant de caractériser l'unité économique doit s'entendre du pouvoir de gestion ou, pour reprendre les termes du pourvoi, de la "direction fonctionnelle, opérationnelle, économique ou commerciale". A défaut, on ne voit guère ce qui permet de distinguer le pouvoir exercé dans un groupe de société et celui exercé dans une unité économique.
Sans doute peut-il être rétorqué que la différence entre ces deux groupements de personnes morales distinctes tient dans le second élément de l'unité économique énoncé dans l'arrêt précité du 18 juillet 2000, à savoir l'identité ou la complémentarité des activités. Il ne saurait être discuté que ce critère était effectivement vérifié dans l'espèce considérée. On en vient, par suite, à se demander si ce critère, volontiers présenté comme second, n'est pas, en réalité, premier, permettant de se satisfaire du fait que la concentration des pouvoirs tient dans l'existence d'un seul et même actionnaire majoritaire se bornant à exercer le rôle d'un actionnaire majoritaire (9).
(1) Cass. soc., 15 novembre 1988, n° 87-60.145, publié (N° Lexbase : A3423AHA) : Bull. civ. V, n° 596.
(2) V. aussi en ce sens, Cass. soc., 10 mai 2000, n° 99-60.081, inédit (N° Lexbase : A8834CQA) ; Cass. soc., 2 juin 2004, n° 03-60.135 (N° Lexbase : A5244DC9) : Bull. civ. V, n° 157.
(3) V. aussi, pour des "avantages sociaux identiques" : Cass. soc., 8 février 1995, n° 94-60.226, inédit (N° Lexbase : A5628CP7).
(4) On apprend, à la lecture des moyens annexés à l'arrêt, que les salariés étaient tous "issus" (sic !) du personnel de la même société, en l'occurrence la société Y, elle-même associée unique de la société X. Ces mêmes moyens ne permettent pas de savoir ce qui avait bien pu motiver un tel transfert des contrats de travail vers des sociétés filiales de la seconde.
(5) V. en ce sens, G. Auzero et E. Dockès, Droit du travail, Précis D., 29ème éd., 2015, § 1083.
(6) Cass. soc., 18 juillet 2000, n° 99-60.353 (N° Lexbase : A9195AGN) : Bull. civ. V, n° 299 ; J. Pélissier, A. Lyon-Caen, A. Jeammaud, E. Dockès, Les grands arrêts de droit du travail, 4ème éd., 2008, n° 133.
(7) J. Pélissier, A. Lyon-Caen, A. Jeammaud, E. Dockès, ouvrage préc., pp. 615-616.
(8) Cass. soc., 23 mai 2000, n° 98-60.212 (N° Lexbase : A8982AWL) : Bull. civ. V., n° 201 ; Dr. Soc., 2000, p. 852, concl. P. Lyon-Caen et obs. J. Savatier.
(9) A l'instar de la caractérisation d'une situation de coemploi, la Cour de cassation tiendrait donc moins compte de l'exercice d'un pouvoir envers les salariés, que de l'exercice d'un pouvoir à l'égard d'une personne morale, par une autre personne morale.
Décision
Cass. soc., 15 avril 2015, n° 13-24.253, FS-P+B (N° Lexbase : A9248NGM). Rejet (CA Toulouse, 5 juillet 2003, n° 12/03491 N° Lexbase : A4461KI3). Texte concerné : C. trav., art. L. 2322-4 (N° Lexbase : L6227ISG). Mots clefs : unité économique et sociale ; critères ; concentration du pouvoir de direction ; absence d'intégration du centre du pouvoir au sein de l'unité économique. Lien base : (N° Lexbase : E1631ETL). |
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