Réf. : Cass. crim., 18 février 2014, n° 13-85.286, FS-D+I (N° Lexbase : A4197ME8)
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par Kaltoum Gachi, Avocate au barreau de Paris, Docteur en Droit, Chargée d'enseignement à l'Université Paris II
le 20 Mars 2014
Les faits de l'espèce étaient les suivants : le 15 juin 2000, un enfant âgé de 9 ans avait déclaré à ses parents avoir subi des violences sexuelles, en particulier des actes de sodomie, en accusant son grand-père, lequel avait toujours clamé son innocence.
Les examens médico-légaux n'avaient pas apporté de preuve formelle en faveur des actes allégués mais les examens médico-psychologiques avaient conclu au caractère crédible des déclarations de l'enfant. Le 23 février 2011, le grand-père de l'enfant était condamné à neuf ans d'emprisonnement par la cour d'assises des Bouches-du-Rhône statuant sur appel d'un arrêt de la cour d'assises des Alpes-Maritimes du 12 avril 2009.
Le 3 mai 2011, la victime faisait parvenir, au procureur de la République, une lettre exprimant sa volonté de se rétracter en affirmant avoir menti à ses parents pour qu'ils s'intéressent à lui et avoir fini par croire à son mensonge jusqu'à ce que l'achèvement de la procédure judiciaire lui permette d'opérer une introspection. Un expert psychiatre désigné par la commission de révision estimait que la victime présentait des troubles de la personnalité conduisant à relativiser son degré de crédibilité. De plus, le dossier d'assistance éducative ouvert à son bénéfice en 2004 avait fait apparaître qu'elle souffrait d'une profonde détresse psychique dans un contexte de pathologie familiale lourde, les vérifications effectuées n'ayant pas révélé de mobile financier à sa rétractation.
La question qui se posait à la Chambre criminelle de la Cour de cassation, statuant en tant que Cour de révision, était donc de savoir si ces éléments (troubles de la personnalité, rétractions persistantes et non motivées par un mobile financier) pouvaient constituer un élément nouveau de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné ?
Si la Chambre criminelle admet que ces circonstances constituent un fait nouveau au sens de l'article 622, 4° du Code de procédure pénale (II), il était sans doute difficile de préjuger d'une telle solution, aucune définition arrêtée du "fait nouveau" n'étant consacrée en jurisprudence (I).
I - L'absence de définition du "fait nouveau" de nature à faire naître un doute sur la culpabilité
Actuellement régie par les articles 622 à 626 du Code de procédure pénale, le recours en révision est ouvert dans quatre cas, énumérés par le premier de ces articles : la preuve de l'inexistence d'un homicide, deux condamnations inconciliables, la condamnation d'un témoin pour faux témoignage, la révélation d'un fait ou élément nouveau.
Ce dernier cas, qui est le plus fréquemment invoqué, suppose deux conditions cumulatives : le fait ou l'élément nouveau doit avoir été inconnu des juges qui ont prononcé la condamnation et il doit être de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné.
Ces conditions sont strictement appréciées au regard du principe de l'autorité de la chose jugée, la décision pénale devenue définitive bénéficiant de la présomption d'être l'expression de la vérité, ce qu'exprime l'adage res judicata pro veritate habetur.
La Cour de cassation s'est toujours attachée à affirmer le caractère absolument exceptionnel de ce recours admis "dans un intérêt supérieur d'équité et d'humanité et permettant, d'une part, d'accorder à celui qui a été la victime innocente d'une erreur judiciaire une réparation morale et matérielle et, d'autre part, d'assurer la bonne administration de la justice, en rendant libre l'exercice régulier de la répression contre le véritable coupable" (1).
Le recours en révision ne peut donc être largement ouvert et est exclusivement destiné à réparer les erreurs judiciaires. Selon les mots de Garraud, "s'il est malheureusement impossible d'organiser la justice répressive de façon à éviter toute erreur judiciaire, du moins faut-il que les condamnations qui ont frappé des innocents puissent être effacées" (2).
Cette voie de recours extraordinaire, dans les cas infimes où elle aboutit, conduit à l'annulation de la décision pénale déclarative de culpabilité, bien que définitive, précisément parce qu'elle était entachée d'une erreur de fait.
Si la jurisprudence insère dans des limites étroites ce recours en révision, elle n'a en revanche jamais arrêté de définition précise du "fait nouveau" en procédant à une interprétation au cas par cas, ce qui lui laisse une véritable marge de manoeuvre.
Ainsi, par exemple, la Chambre criminelle a estimé que constituait un fait nouveau remettant en cause une condamnation pour abus de confiance, des décisions judiciaires postérieures qui ont constaté que les objets dont le prétendu détournement frauduleux avait entraîné la condamnation, avaient été en temps utile spontanément restitués par le condamné, et avaient établi à la charge des dénonciateurs l'existence d'un faux témoignage (3).
Tel est également le cas du revirement d'un témoin relayé par la presse puis réentendu par les policiers, associé à une expertise génétique mettant en évidence la présence, sur les lieux du crime, de trois profils inconnus, deux des personnes ainsi identifiées reconnaissant cette présence tout en se rejetant mutuellement la responsabilité des coups portés (4).
En outre, la jurisprudence s'était également prononcée en faveur de l'admission du fait nouveau lorsqu'est découverte, au profit du condamné, une cause légale d'irresponsabilité pénale, principalement l'existence au temps de l'action d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes au sens de l'article 122-1 du Code pénal (N° Lexbase : L2244AM3) (5).
Néanmoins, ces affaires intéressaient le condamné lui-même et non la partie civile, ce qui confère à l'arrêt du 18 février 2014 un intérêt particulier et, sans doute, un caractère inédit.
II - Les troubles de la personnalité de la partie civile et sa rétraction sincère et persistante, constitutifs d'un fait nouveau
Dans la présente affaire, pour retenir l'existence d'un fait nouveau de nature à faire naître un doute sur la culpabilité de l'auteur, la Chambre criminelle s'est référée à un ensemble d'éléments.
Ainsi, elle a non seulement visé les troubles de la personnalité de la partie civile, constatés par l'expert désigné par la Commission de révision mais également la persistance de sa rétractation et son caractère désintéressé puisqu'elle n'était pas justifiée par un mobile financier.
Ce sont tous ces éléments qui ont été pris en considération. Il n'est pas certain que, pris isolément, ils se soient révélés suffisants pour constituer un fait nouveau.
En effet, dans une hypothèse assez proche où il s'agissait d'une fille qui disait avoir menti lorsqu'elle avait accusé son père d'atteintes sexuelles sur sa personne, en précisant que, ses parents étant en instance de divorce, elle avait voulu priver son père d'un droit de visite et le contraindre à l'obligation de soigner son alcoolisme chronique, la Chambre criminelle avait estimé que les déclarations nouvelles, particulièrement tardives, d'une partie civile ne présentaient pas, en l'absence d'autres éléments objectifs, et dès lors que les juges du fond avaient nécessairement apprécié la sincérité des accusations de la plaignante, une force probante suffisante pour permettre à la Cour de cassation de les considérer comme de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné (6). Toutefois, dans cette dernière affaire, la plaignante ne souffrait guère de troubles particuliers médicalement constatés. De plus, elle avait indiqué s'être inspirée de l'histoire vécue par une camarade mais refusait de fournir le nom de celle-ci. Dans ces conditions, la Chambre criminelle avait jugé que ces éléments ne présentaient pas, en l'absence d'autres éléments objectifs une force probante suffisante.
En tout état de cause, la seule rétractation de la partie civile ne saurait suffire à constituer un élément nouveau. Cette rétractation doit être confortée par des éléments objectifs dotés d'une force probante suffisante.
En l'espèce, c'est tout à la fois la rétractation persistante par la partie civile de ses accusations non justifiée par un mobile financier ainsi que l'expertise diligentée lors de la procédure de révision qui avait conclu à l'existence de troubles de la personnalité conduisant à relativiser son degré de crédibilité qui a amené la Cour de révision à reconnaître qu'il s'agissait là de faits nouveaux de nature à faire naître un doute sur la culpabilité de l'auteur.
Néanmoins, l'on peut légitimement s'interroger sur l'existence de ces troubles lors des accusations portées par la partie civile et a fortiori au jour de la condamnation, de sorte que la qualification de "faits nouveaux" peut ici prêter à discussion.
Certes, la partie civile n'avait que 9 ans au moment des faits. Toutefois, il a été relevé par la Chambre criminelle que la communication du dossier d'assistance éducative ouvert à son bénéfice en 2004 avait fait apparaître qu'elle souffrait d'une profonde détresse psychique dans un contexte de pathologie familiale lourde. C'est dire que ces troubles trouvaient un certain ancrage dans son enfance et existaient manifestement au jour de la condamnation. De ce point de vue, la solution commentée n'est peut-être pas totalement intelligible.
Quoi qu'il en soit, en se référant à l'ensemble des éléments précédemment évoqués, les motifs de la Chambre criminelle ne peuvent qu'être approuvés. La solution vient s'inscrire dans les rares précédents, seules huit condamnations criminelles ayant été annulées depuis 1989.
Dans la présente affaire, la Chambre criminelle précise, conformément à l'article 625 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3296IQ7), que de nouveaux débats sont possibles et nécessaires et ordonne la suspension de l'exécution de la condamnation prononcée par la cour d'assises des Alpes-Maritimes le 12 avril 2009 en assortissant cette suspension de certaines obligations, comme le permet l'article 624 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7515IGG). L'arrêt de la cour d'assises des Bouches-du-Rhône, en date du 23 février 2011, est alors annulé et l'affaire renvoyée devant la Cour d'assises du Rhône statuant en appel.
Reste alors à cette juridiction à se prononcer, en son intime conviction, sur la culpabilité de l'accusé, lequel devrait, en toute logique, être acquitté.
Décision
Cass. crim., 18 février 2014, n° 13-85.286, FS-D+I (N° Lexbase : A4197ME8). Cassation (CA Bouches du Rhône, 23 février 2011). Lien base : . |
(1) Cass. crim., 22 janvier 1898, D.P., 1900, 1, p. 142 (2ème espèce) ; Cass. crim., 31 juillet 1909, D.P., 1912, 1, p. 79 ; Cass. crim., 31 juillet 1913, Bull. crim., n° 381 ; D.P., 1915, 1, p. 134.
(2) R. Garraud, Traité théorique et pratique d'instruction criminelle et de procédure pénale, t. 5, n° 1995.
(3) Cass. crim., 20 février 1896, D.P., 1900, 1,137.
(4) Cass. crim., 15 mai 2013, n° 12-84.818, FS-P+I (N° Lexbase : A5299KDM).
(5) Cass. crim., 5 juin 1918, Bull. crim., n° 139 ; Cass. crim., 6 février 1931, Bull. crim., n° 40 ; Cass. crim., 3 mai 1994, n° 93-85.663 (N° Lexbase : A8742CEI), Bull. crim., n° 163 ; Cass. crim., 12 septembre 2007, n° 06-87.290, F-D (N° Lexbase : A6810MGC).
(6) Cass. crim., 26 janvier 2000, n° 99-82.100 (N° Lexbase : A0284CKQ), Bull. crim., n° 47.
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