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par Guillaume Millerioux, Maître de conférences en droit privé, Université Polytechnique Hauts-de-France
le 26 Juin 2024
La loi Kouchner N° Lexbase : L1457AXA a opéré un rééquilibrage [1] de la relation patient-médecin en ce qu’elle a institué l’outil de la codécision, ou décision partagée, symbole de la démocratie en santé. Il n’est plus exigé du patient qu’il accepte la décision, plus ou moins prise et/ou imposée par un médecin : le patient prend activement part à la décision, devient l’acteur principal de sa santé [2], et doit, pour cela, être en mesure d’exprimer une volonté correspondante. Lors des débats parlementaires, Bernard Kouchner a énoncé en ce sens que « le consentement ne doit plus être l’acceptation passive d’une décision prise par un autre. Il doit devenir l’expression d’une participation active du malade aux décisions qui le concernent, l’expression de responsabilité sur sa propre santé [3]. Cette mort formelle du paternalisme en faveur d’une valorisation du sujet de droit [4] est codifiée au premier alinéa de l’article L. 1111-4 du Code de la santé publique N° Lexbase : L4849LWI selon lequel « toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé ».
Le point cardinal du droit positif n’est pas le consentement, mais bien la volonté du patient. La deuxième moitié du XXe siècle a été marquée par le règne de la recherche du consentement du patient, à laquelle est associée des obligations d’information. Dans son avis du 12 juin 1998, le Conseil consultatif national d’éthique (CCNE) résumait l’évolution de la relation patient-médecin ainsi : « il y a cinquante ans, les médecins n’hésitaient pas à imposer aux malades, parfois sans explication, ce qu’ils jugeaient être bon pour eux, et cette attitude était socialement acceptée. Aujourd’hui le souci d’informer les patients, et d’obtenir leur adhésion aux actes de soin ou de recherche qu’on leur propose, est devenue la norme [5] ». La loi Kouchner N° Lexbase : L1457AXA est allée plus loin dans l’association du patient à la décision. La clé de voûte n’est plus le consentement mais la volonté : elle est « au cœur de la relation médicale et au fondement de la décision médicale [6] ».
Le basculement est significatif : « par la volonté, la personne manifeste sa puissance, sa capacité à poser par elle-même sa propre loi, sa liberté. Tandis que le consentement est signe d’une sorte de capitulation. Consentir, c’est admettre, donner son assentiment, c’est-à-dire baisser pavillon devant une assertion ou devant une autre personne. La force est du côté de la volonté, la faiblesse du côté du consentement [7] ». Le consentement ne libère pas, il oblige, et peut conduire à une forme de renonciation ou d’abandon d’un droit sur son corps à autrui [8].
Il ne faudrait toutefois pas voir dans la loi Kouchner N° Lexbase : L1457AXA la consécration d’un modèle fondé sur une autonomie exacerbée du patient. Le modèle de la codécision ne libère pas le patient de sa situation particulière de vulnérabilité ; il compose avec elle. Valoriser le rôle du patient comme acteur de sa santé ne saurait gommer ni sa fragilité, ni le caractère asymétrique de sa relation avec le médecin [9]. Le patient ne se gouverne pas seul et, en certaines hypothèses, le médecin conserve la possibilité de passer outre la volonté du patient, même clairement exprimée [10]. Tout pouvoir du médecin dans la décision n’est assurément pas le signe d’un paternalisme [11].
La création en 2002 du dispositif de la personne de confiance en matière de santé s’inscrit pleinement dans cette conception de la décision médicale centrée sur la participation active du patient à la prise de décision. La personne de confiance est, en effet, une « manifestation hautement symbolique de la volonté de l’individu [12] » puisqu’elle contribue à l’identification de la volonté du patient, en particulier lorsqu’il n’est plus en mesure d’exprimer lui-même sa volonté.
Il n’est alors pas surprenant de constater que l’article L. 1111-6 du Code de la santé publique N° Lexbase : L4868LW9, contenant les règles générales relatives à la personne de confiance, soit logé dans un Chapitre 1er intitulé : « Information des usagers du système de santé et expression de leur volonté » (nos italiques). La personne de confiance n’est toutefois qu’une aide à la recherche ou à la construction de la volonté ; une aide dont les prérogatives sont limitées, en miroir de l’autonomie du patient.
En somme, si les missions de la personne de confiance concourent à la participation active du patient dans la codécision, le dispositif connaît des limites qui peuvent en empêcher le recours ou en altérer l’effectivité.
I. Les missions de la personne de confiance
Les dispositions relatives à la personne de confiance ont été très peu discutées lors des travaux préparatoires, sans doute parce que l’évidence semble s’être imposée [13]. Certaines personnes ne peuvent pas ou plus exprimer une volonté claire et/ou suffisante à laquelle on peut attacher une signification probante. Avant la loi du 4 mars 2002 N° Lexbase : L1457AXA, hors tutelle, il n’existait pas en France de mandataire, comme dans certains pays anglo-saxons [14], chargé de porter la voix du patient. Mais si le manque était identifié, restait encore à déterminer les manières de le combler. Dans ce même avis de 1998, le CCNE recommandait de mettre à l’étude « la possibilité pour toute personne de désigner pour elle-même un “représentant” (ou “mandataire”, ou “répondant”), chargé d’être l’interlocuteur des médecins aux moments où elle est hors d’état d’exprimer elle-même ses choix » [15]. Il recommandait également de réfléchir à « une forme de “consentement assisté” ou d’aide au consentement […], pour les personnes en perte d’autonomie (ex. maladie d’Alzheimer à son début), ou pour les personnes dites “vulnérables”, dont l’aptitude au consentement est précaire » [16].
C’est sur cette base que se sont appuyés les parlementaires pour déterminer les missions de la personne de confiance. Celle-ci peut ainsi avoir deux missions, la première étant plus connue que la seconde. Lorsque le patient est hors d’état d’exprimer une volonté, la personne de confiance facilite l’identification de la volonté de l’individu ; tandis que lorsque le patient est toujours apte à exprimer une volonté, si l’individu le souhaite, la personne de confiance peut l’aider dans ses décisions.
Identifier la volonté du patient. Dans sa version issue de la loi du 4 mars 2002 N° Lexbase : L1457AXA, le premier alinéa de l’article L. 1111-6 du Code de la santé publique N° Lexbase : L4868LW9 disposait notamment que « toute personne majeure peut désigner une personne de confiance qui peut être un parent, un proche ou le médecin traitant, et qui sera consultée au cas où elle-même serait hors d’état d’exprimer sa volonté et de recevoir l’information nécessaire à cette fin ».
La personne de confiance joue ici un rôle de messager. Elle est consultée afin de reconstituer la volonté du patient empêché. Cette mission est conforme à l’étymologie latine de la « confiance ». Du latin cum fiere, elle signifie « se fier à », « s’abandonner à autrui ». La personne de confiance est celle qui est digne de recevoir cet abandon, devenant ainsi, en quelque sorte, le « messager de son âme » [17] ou « la bouche par laquelle le malade parle [18] ». Un messager qui n’est ni un représentant, ni un mandataire. La personne de confiance n’est pas un mécanisme de représentation [19] : elle ne consent pas à la place du patient [20], elle n’exerce pas un droit du patient en son nom et pour son compte. Il s’agit d’un mécanisme de consultation destiné à aider le médecin dans sa décision [21].
La loi n° 2016-87, du 2 février 2016, créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, dite loi « Claeys-Leonetti » N° Lexbase : L4191KYU, a précisé sa mission et clarifié sa portée. Sa mission est d’abord précisée en ce que le premier alinéa de l’article L. 1111-6 du Code de la santé publique [LXB=LXB=L4868LW9] indique désormais que la personne de confiance doit « rendre compte de la volonté de la personne ». La précision semble tomber sous le sens mais elle était nécessaire parce que l’ancienne version de l’article L. 1111-12 du Code de la santé publique [LXB=LXB=L4255KYA], issue de la loi du 22 avril 2005 N° Lexbase : L2540G8L, faisait référence à « l’avis » de la personne de confiance. La loi dite « Claeys-Leonetti » N° Lexbase : L4191KYU clarifie ainsi utilement la mission de la personne de confiance : elle ne donne pas son avis. Elle témoigne, selon elle, de la volonté qu’aurait été celle du patient s’il était en mesure de s’exprimer. La portée du témoignage de la personne de confiance a ensuite été clarifiée vis-à-vis de ceux des membres de la famille et des proches. Toujours selon le même texte, son témoignage prévaut sur tous les autres. Qui que le patient ait désigné comme étant sa personne de confiance [22], elle est consultée en priorité.
Cette première mission générale de la personne de confiance est parfois rappelée, à titre particulier, pour certains actes. Ainsi en est-il en matière de fin de vie. L’article L. 1111-12 du Code de la santé publique N° Lexbase : L4255KYA enjoint au médecin de recueillir, en priorité, le témoignage de la personne de confiance lorsque le patient, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, est hors d’état d’exprimer sa volonté. Ce texte a également réglé l’articulation entre les directives anticipées et le témoignage de la personne de confiance [23]. Si des directives anticipées sont rédigées, elles font office de lex specialis et écartent, en conséquence, le dispositif de la personne de confiance, puisque la volonté du patient est déjà connue [24].
Mais tout n’est parfois pas aussi clair. En témoignent ces deux exemples. Alors que la priorisation de la consultation de la personne de confiance pour obtenir son témoignage semble être chose acquise, elle est écornée par l’alinéa 5, de l’article L. 1111-4 du Code de la santé publique N° Lexbase : L4849LWI. Le texte prévoit que « lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, aucune intervention ou investigation ne peut être réalisée, sauf urgence ou impossibilité, sans que la personne de confiance […], ou la famille, ou à défaut, un de ses proches ait été consulté ». Autrement dit, en pareil cas, les témoignages de la personne de confiance et des membres de la famille sont placés au même niveau. Peut-être est-ce une maladresse rédactionnelle ? Les termes « à défaut » auraient dû être placés après « la famille », sur le modèle de l’alinéa suivant relatif à la fin de vie.
La mission elle-même de la personne de confiance, deuxième exemple, peut varier selon le régime particulier d’un acte. C’est le cas des recherches impliquant la personne humaine puisque si une telle recherche est envisagée sur une personne hors d’état d’exprimer une volonté, l’autorisation doit être donnée par la personne de confiance, ou, à défaut, la famille, ou, à défaut, par une personne entretenant avec l’intéressé des liens étroits et stables [25]. Pour cet acte, la mission de la personne de confiance est transformée, passant du messager à l’approbateur. Gare donc aux dispositions spéciales qui peuvent influer sur la fonction de la personne de confiance.
Outre cette première mission, la personne de confiance peut être amenée à intervenir, si le patient le souhaite, lorsque celui-ci est encore en état d’exprimer une volonté, afin de l’aider à prendre des décisions.
II. Aider le patient dans ses décisions
Le deuxième alinéa de l’article L. 1111-6 du Code de la santé publique N° Lexbase : L4868LW9 dispose que « si le patient le souhaite, la personne de confiance l’accompagne dans ses démarches et assiste aux entretiens médicaux afin de l’aider dans ses décisions ». Cette seconde mission de la personne de confiance n’est pas systématique puisqu’elle résulte de la volonté du patient. C’est dire que si la première mission de la personne de confiance est un effet automatique de la loi, dès lors qu’elle est désignée, la seconde est un effet de la volonté du patient qui jugera de l’opportunité d’octroyer ou non cette mission à la personne de confiance.
La fonction d’accompagnement [26] de la personne de confiance se révèle particulièrement appropriée lorsque le patient souffre d’une altération faible ou modérée de ses facultés mentales. La personne de confiance soutient, éclaire la volonté du patient, ce qui implique, comme condition préalable, que le patient puisse toujours exprimer une certaine volonté. La personne de confiance n’est alors pas un messager ou un interlocuteur entre le patient et le médecin, mais un allié, un conseiller. Il s’agit d’une manière d’officialiser le rôle dévoué, en fait, à certains proches aidants.
Ce dispositif d’aide à la décision est, pour l’heure, cantonnée à la matière médicale. Pareil outil n’existe pas en droit civil [27], du moins pas en tant que tel. Cette logique d’aide à la décision se retrouve néanmoins, implicitement, dans la notion d’assistance en droit des majeurs protégés. Stricto sensu, l’assistance de la personne en charge de la protection se matérialise par la contre-signature de l’acte soumis à assistance [28]. Elle implique pourtant aussi, et plus largement, une véritable relation d’assistance, identique à cette seconde fonction de la personne de confiance. L’assistance consisterait ainsi à conseiller, guider la personne dans son processus décisionnel, à être à ses côtés pour l’aider à prendre la décision la plus conforme à ses intérêts [29]. Dès lors, la mission de la personne de confiance correspond bien à une relation d’assistance, mais non à de l’assistance stricto sensu puisque le patient agit seul, la personne de confiance ne liant pas sa volonté à celle du patient.
Complémentaires, les deux missions de la personne de confiance favorisent la participation active du patient aux décisions le concernant puisqu’elle facilite l’identification de la volonté du patient ou l’aide dans ses décisions. La personne de confiance poursuit bien le dessein de la loi Kouchner. Néanmoins, plusieurs limitent viennent affecter l’effectivité de ce dispositif.
III. Les limites de la personne de confiance
Schématiquement, et sans exhaustivité, deux séries de limites peuvent être relevées : des limites intrinsèques au dispositif de la personne de confiance lui-même et des limites relatives plus spécifiquement aux missions de la personne de confiance.
IV. Les limites intrinsèques de la personne de confiance
Trois limites intrinsèques au dispositif de la personne de confiance peuvent être identifiées.
Premièrement, seul le patient peut désigner une personne de confiance puisqu’il est le seul à pouvoir abandonner sa confiance à l’autre. Il est impossible de désigner une personne de confiance à la place du patient [30] ; ce serait contraire à l’esprit du mécanisme. C’est dire que si le patient est hors d’état de manifester sa volonté, et qu’il n’a pas désigné en amont une personne de confiance, aucun palliatif n’existe [31]. La personne de confiance est un outil d’anticipation intimement rattaché à la volonté [32], comme peuvent l’être les directives anticipées ou le testament, qui, mécaniquement, faute d’anticipation et de volonté suffisante, ne peut être employé [33]. En revanche, si l’intéressé dispose d’une compétence exclusive dans la désignation de la personne de confiance, il en va autrement de sa révocation en cas d’ouverture ultérieure d’une mesure de tutelle. Dans cette hypothèse, le juge ou, le cas échéant, le conseil de famille, confirme ou révoque la personne de confiance [34]. L’opportunité de l’intervention du juge, empreinte de défiance à l’égard d’une désignation possiblement viciée, n’est pas exempte de toute critique. Pourquoi limiter son intervention en cas d’ouverture d’une tutelle, sachant notamment que l’habilitation familiale générale avec représentation est toute aussi contraignante ? N’aurait-il pas été judicieux d’inclure une limite temporelle, en prenant peut-être exemple sur la période suspecte de l’article 464 du Code civil N° Lexbase : L8450HWU [35] ? Ne serait-il pas possible d’ajouter des conditions à la révocation de la personne de confiance [36] ?
Deuxièmement, les individus peuvent ne pas être enclins à désigner une personne de confiance comme messager privilégié. De la même manière que pour le mandat de protection future ou les directives anticipées, l’individu doit se projeter dans un avenir possiblement sombre et envisager sa dégénérescence. Personne n’en a vraiment envie. Il est également possible qu’une personne en bonne santé ne perçoive pas l’intérêt du dispositif, ou encore qu’elle soit dans l’impossibilité de déterminer, à l’avance, ce que serait sa volonté si son état de santé venait à se dégrader.
Pour autant, le dispositif de la personne de confiance est, aujourd’hui, plutôt une réussite, contrairement aux directives anticipées qui sont plus complexes et sans doute encore un peu taboues [37]. Les professionnels de santé se sont progressivement appropriés cet outil au cours de ces vingt dernières années. La réussite du dispositif est sans doute aussi liée au fait qu’il est systématiquement proposé au patient, lors de toute hospitalisation, de désigner une personne de confiance pour la durée de cette hospitalisation [38], ce qui permet de remédier facilement à l’absence d’anticipation [39]. D’ailleurs, pour renforcer l’efficacité du dispositif, la règle ne pourrait-elle pas être inversée ? Il pourrait être présumé que la désignation d’une personne de confiance ne soit pas limitée à une hospitalisation, à moins que le patient en dispose autrement [40].
Troisièmement, l’identification de la personne de confiance, en particulier quand le patient est hors d’état de manifester une volonté, dépend de l’accessibilité et de la traçabilité du document écrit mentionnant sa désignation. Si un écrit est bien exigé, cosigné par la personne de confiance [41], il n’est soumis à aucune formalité d’enregistrement. La personne désignée pourrait ne pas assurer son rôle, faute de pouvoir accéder au document. Il est vrai qu’en cas de mise à exécution d’un mandat de protection future, le mandant peut prévoir que le mandataire exercera les fonctions de la personne de confiance [42]. Outre qu’un tel mandat devra être préalablement mis à exécution pour produire ses effets, il se pose un identique problème de traçabilité puisque le registre spécial sur lequel doit être publié les mandats de protection future [43] n’a toujours pas été mis en place.
Ce ne sont que les premiers obstacles. D’autres limites, relatives non pas au dispositif en lui-même mais aux missions de la personne de confiance, peuvent être relevées.
V. Les limites liées aux missions de la personne de confiance
Deux séries de limites, a minima, peuvent être identifiées. La première est commune aux deux fonctions tandis que la seconde dépend de la mission vouée à la personne de confiance.
D’une part, si le dispositif en lui-même est plutôt utilisé en pratique, surtout si comparaison est faite avec les directives anticipées, les missions de la personne de confiance demeurent assez méconnues [44]. La cause résiderait notamment dans une information imparfaite du public par les professionnels de santé, dont les médecins traitants ; encore que l’effectivité de la transmission des informations dépende de la faculté du patient à les comprendre. Il peut être délicat de comprendre que la personne de confiance porte la parole du patient sans donner son avis, ce qui peut la conduire à témoigner d’une volonté qu’elle ne partage pas. De même qu’il n’est pas toujours évident de saisir que la personne de confiance, en matière de santé, n’est ni la personne de confiance du Code de l’action sociale et des familles [45] ni la « personne à prévenir [46] ».
Du côté des professionnels de santé, c’est moins le rôle de la personne de confiance que son articulation avec le droit des majeurs protégés qui peut se révéler compliquée [47]. Les difficultés d’articulation entre les Codes civil et de la santé publique sont pointées du doigt par la doctrine depuis plus de dix ans [48]. L’ordonnance n° 2020-232, du 11 mars 2020, relative au régime des décisions prises en matière de santé, de prise en charge ou d’accompagnement social ou médico-social à l’égard des personnes majeures faisant l’objet d’une mesure de protection juridique N° Lexbase : L4705LW8 a amélioré l’articulation des codes, mais est loin d’avoir réglée tous les problèmes [49]. Le vocabulaire utilisé dans le Code de la santé publique reste parfois sibyllin et toutes les mesures de protection judiciaires ne sont pas envisagées, ce qui laisse des zones d’ombre. Pourtant, toute confusion entre les pouvoirs de la personne en charge de la protection et les missions de la personne de confiance n’a pas lieu d’être puisqu’elles n’agissent pas sur le même plan. À tout le moins, en attendant une nouvelle réforme, une meilleure formation des professionnels de santé sur ces questions est à encourager [50].
D’autre part, une dernière série de limites concerne plus spécialement chacune des missions de la personne de confiance.
D’abord, en ce qui concerne la personne de confiance comme témoin privilégié, la mission induit une charge morale que tout le monde n’est pas prêt à assumer [51]. Comment s’assurer que son témoignage reflète la volonté du patient ? Et si sa volonté avait changé ? L’obligation pesant sur la personne de confiance doit toutefois être relativisée. Il ne s’agit pas d’une obligation civile, dont la violation serait source de responsabilité, et encore moins d’une obligation de résultat : il doit simplement témoigner de ce qu’il pense être la volonté du patient. D’autant que le témoignage de la personne de confiance n’est pas contraignant et qu’en pratique, en général, les médecins sont réservés à l’idée de suivre les dires d’une personne de confiance qui ne sont pas partagés par le reste de l’entourage [52]. L’utilité pratique de la personne de confiance est donc nécessairement limitée, mais telle est la volonté, en réalité, du législateur [53].
Ensuite, en ce qui concerne la personne de confiance comme aide à la décision, il n’est pas exclu qu’elle puisse exercer une influence indue sur le patient, notamment en utilisant, consciemment ou non, la technique du « nudge », c’est-à-dire une manipulation douce, des « coups de pouce ». Comment alors s’assurer que la volonté exprimée par le patient est bien la sienne ? Le risque ne doit toutefois pas être exagéré et il n’est pas exclusif de la situation du patient. La confiance se muera difficilement en abus de confiance parce que le médecin, en dernier ressort, jugera de la capacité décisionnelle du patient et pourra ne pas suivre la volonté exprimée. Et si le patient bénéficie d’une mesure de protection judiciaire, en particulier d’une mesure de représentation, le représentant jouera le rôle de garde-fou. C’est dire, à nouveau, que si la personne de confiance constitue assurément un moyen pour le patient de transmettre ou construire sa volonté, son rôle dans la décision médicale reste marginal. Elle n’est qu’un maillon dans la chaîne complexe de la codécision médicale.
Par Guillaume Millerioux
[1] A. Catherine, La codécision : entre mythe et réalité, in AFDS, Consentement et santé, Dalloz, 2014, p. 119.
[2] A. Laude, Le patient, nouvel acteur de santé ?, D., 2007, 1151.
[3] B. Kouchner, JOAN 3 octobre 2001, p. 5319.
[4] C. Byk, Le sujet, le droit et la médecine, RGDM, 2021, n° 78, 61.
[5] CCNE, Consentement éclairé et information des personnes qui se prêtent à des actes de soin ou de recherche, avis n° 58, 12 juin 1998.
[6] D. Roman, Le respect de la volonté du malade : une obligation limitée ?, RDSS, 2005, 423.
[7] M.-A. Frison-Roche, Remarques sur la distinction de la volonté et du consentement en droit des contrats, RTD civ., 1995, 573.
[8] M. Fabre-Magnan, L’institution de la liberté, PUF, 2018, p. 60.
[9] P. Véron, Décision médicale et vulnérabilité psychique, in F.-X. Roux-Demare (dir.), La santé des personnes vulnérables, IFJD, Lextenso-LGDJ, 2014, p. 256 : « l’exigence légale de ‘‘décision partagée’’ ne saurait d’un coup de baguette magique gommer la dissymétrie irréductible de la relation soignant-soigné, entre celui qui sait et celui qui ne sait pas, entre celui qui demande de l’aide et celui qui apporte son aide ».
[10] L’actualité l’a encore démontré. Voir en ce sens la jurisprudence consolidée du Conseil d’État sur les transfusions sanguines imposées à des patients témoins de Jéhovah (CE Contentieux, 16 août 2002, n° 249552, Mme Valérie Feuillatey N° Lexbase : A6294A4U ; CE référé, 20 mai 2022, n° 463713, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A08807YA) et la constitutionnalité de l’alinéa 3 de l’article L. 1111-11 du Code de la santé publique N° Lexbase : L4870LWB permettant au médecin d’écarter les directives anticipées notamment lorsqu’elles sont manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale du patient (Cons. const., décision n° 2022-1022 QPC, du 10 novembre 2022 N° Lexbase : Z489892L).
[11] Sur la distinction entre pouvoir et paternalisme, v. not. : P. Lokiec, La décision médicale, RTD civ., 2004, 641.
[12] A. Bensamoun, La personne de confiance, RRJ-Droit prospectif, 2007, n° 4, 1679, spéc. p. 1672.
[13] C. Esper, La personne de confiance : obligations morale, légale, juridique ?, RGDM, 2003, n° 11, 81.
[14] Constat de L. René, Code de déontologie médicale, Éditions du Seuil, 1996, p. 125.
[15] CCNE, Consentement éclairé et information des personnes qui se prêtent à des actes de soin ou de recherche, précité.
[16] Ibidem.
[17] Pour reprendre l’expression de M. Grosset, Étude sur les directives anticipées et la personne de confiance : le rôle du tiers dans l’expression de la volonté du sujet empêché, D., 2019, 1947.
[18] A. Vignon-Barrault, La prise en charge des malades d’Alzheimer : entre protection et autonomie, RDSS, 2021, 486.
[19] Pas même une représentation conférant à la personne de confiance des pouvoirs limités (comme pouvait le soutenir C. Taglione, La personne de confiance : facteur de progrès ou source de difficultés à venir ?, RGDM, 2005, n° 17, 397, spéc. p. 416 : « Le législateur n’a pas voulu donner à la personne de confiance d’autre mandat que celui de mettre à disposition des acteurs de santé les informations que lui aurait préalablement communiquées le patient, il s’agit d’une représentation qui ne confère au mandataire qu’un pouvoir très limité »).
[20] F. Arhab-Girardin, L’aide à la décision médicale de la personne âgée vulnérable, RDSS, 2018, 779.
[21] P. Lokiec, La personne de confiance, RDSS, 2006, 865.
[22] La « confiance » étant éminemment subjective, le patient est libre dans la désignation de la personne de confiance. Il peut s’agir d’un membre de la famille, d’un proche ou de son médecin traitant (CSP, art. L. 1111-6, al. 1er N° Lexbase : L4868LW9).
[23] La règle est également mentionnée à l’alinéa 6, de l’article L. 1111-4 du Code de la santé publique N° Lexbase : L4849LWI.
[24] La loi ne règle pas expressément la question de savoir si la personne de confiance peut être sollicitée si les directives anticipées, bien que rédigées, sont écartées. L’affirmative semble s’imposer, d’autant que la personne de confiance peut (re)donner du sens à des directives anticipées imparfaites.
[25] CSP, art. L. 1122-1, III N° Lexbase : L4570LNL.
[26] M. Girer, L’accompagnement des personnes âgées vulnérables. Accompagnement et soins, Dr. fam., 2017, n° 3, dossier 22 ; J.-R. Binet, Trois contes juridiques sur la fin de vie, RLDC, 2013, n° 108 : ce qui explique que, en tant qu’accompagnateur, ne remplaçant pas le patient dans sa décision, la personne de confiance n’a pas accès au dossier médical.
[27] D’autres États ont néanmoins créé des mécanismes de « soutien à la décision », y compris en matière civile. C’est le cas de la « prise de décision appuyée », ou « tomada de decisão apoiada », au Brésil (sur cette mesure, v. not. : B. Graeff et M. Rebourg, La prise de décision appuyée du droit brésilien : un nouvel instrument de soutien à l’exercice de la capacité juridique, Dr. fam., 2019, n° 6, étude 7), ou encore de « l’assistant au majeur » québécois, dont les dispositions sont entrées en vigueur le 1er novembre 2022 (article 297.10 et s. du Code civil du Québec).
[28] C. civ., art. 467, al. 2 N° Lexbase : L8453HWY.
[29] V. en ce sens : C. Leprince, L’assistance dans l’élaboration d’un acte juridique, PUR, 2018, p. 148.
[30] Que le juge intervienne pour autoriser le majeur, bénéficiant d’une mesure de représentation relative à la personne, à désigner une personne de confiance (CSP, art. L. 1111-6, al. 5 N° Lexbase : L4868LW9) ne remet pas en cause cette affirmation. Le juge ne choisit pas la personne à sa place. Il contrôle, valide un choix effectué en amont par le majeur, conformément à ses intérêts.
[31] La désignation d’une personne de confiance ressemble alors à un acte strictement personnel de l’article 458 du Code civil N° Lexbase : L8442HWL pour lequel un majeur protégé doit personnellement consentir et ne peut jamais être assisté ou représenté.
[32] D’où le fait qu’il puisse être librement révisé ou révoqué à tout moment (CSP, art. L. 1111-6, al. 1er N° Lexbase : L4868LW9).
[33] La difficulté est bien connue en droit des majeurs protégés à l’égard des actes de l’article 458 du Code civil N° Lexbase : L8442HWL (pour une illustration : Cass. civ. 1, 8 octobre 2008, n° 07-16.094, FS-P+B+I N° Lexbase : A6928EAT : D., 2008, 2663, note V. Norguin ; AJ fam.,,- 2008, 435, obs. L. Pécaut-Rivolier ; RTD civ., 2008, 655, obs. J. Hauser ; D., 2008, 2663, obs. V. Égéa ; D., 2009, 773, obs. F. Granet-Lambrechts ; D., 2009, 2183, obs. J.-M. Plazy ; Dr. fam., 2008, n° 12, comm. 173, obs. P. Murat ; JCP G, 2009, n° 4, II, 10012, obs. Y. Favier). Un jugement isolé a contourné la difficulté en effectuant un contrôle de conventionnalité in concreto (TGI Avesnes-sur-Helpe, 13 juin 2018, n° 18/007790 : AJ fam., 2018, 674, obs. J. Mattiussi), puis le législateur est finalement intervenu lors de la récente réforme de l’adoption, mais uniquement pour régler le cas du consentement à sa propre adoption (v. C. civ., art. 348-7 N° Lexbase : L5326MEY).
[34] CSP, art. L. 1111-6, al. 5 N° Lexbase : L4868LW9.
[35] Autrement dit, ne seraient contrôlées que les désignations effectuées moins de deux ans avant la publicité du jugement d’ouverture d’une tutelle.
[36] Surtout quand l’on sait que, « de manière générale, les juges usent d’une formule de style par laquelle ils révoquent toutes les procurations données par la personne protégée avant l’ouverture de la mesure de protection » (A. Caron-Déglise et G. Raoul-Cormeil, La fin de vie de la personne protégée et l’office du juge des tutelles. Réflexions sur la recherche du consentement des personnes vulnérables, Les cahiers de la justice, 2017, 443).
[37] V. en ce sens l’étude de L. Barret, S. Fillion et L.-C. Viossat, Évaluation de l’application de la loi du 2 février 2016 sur la fin de vie, T. 1, IGAS, avril 2018, p. 51-52.
[38] CSP, art. L. 1111-6, al. 3 N° Lexbase : L4868LW9.
[39] Dans son étude, l’IGAS relève à ce titre que la désignation d’une personne de confiance se fait majoritairement à l’entrée à l’hôpital, et non en amont, signe que ce dispositif, en tant outil d’anticipation, est un échec (L. Barret, S. Fillion et L.-C. Viossat, Évaluation de l’application de la loi du 2 février 2016 sur la fin de vie, précité, p. 53).
[40] L’identité et les coordonnées de la personne de confiance sont ainsi inscrites dans le dossier médical partagé et pourront servir pour l’avenir (CSP, art. R. 1111-42, 3° N° Lexbase : L3365MGQ).
[41] CSP, art. L. 1111-6, al. 1er N° Lexbase : L4868LW9.
[42] C. civ., art. 479, al. 1er N° Lexbase : L8465HWG.
[43] C. civ., art. 477-1 N° Lexbase : L0229KWE.
[44] V. en ce sens : CNCDH, Avis sur le consentement des personnes vulnérables, 16 avril 2015 ; L. Barret, S. Fillion et L.-C. Viossat, Évaluation de l’application de la loi du 2février 2016 sur la fin de vie, précité, p. 52.
[45] V. CASF, art. L. 311-5-1 N° Lexbase : L0224KW9. L’existence de deux « personnes de confiance » est inopportune et source de confusions puisqu’elles n’ont pas les mêmes missions. Pour y remédier, soit les deux personnes de confiance pourraient fusionner (même nom, mêmes missions), soit la terminologie devrait être modifiée.
[46] Cette confusion semble néanmoins se réduire (L. Barret, S. Fillion et L.-C. Viossat, Évaluation de l’application de la loi du 2 février 2016 sur la fin de vie, précité, p. 52).
[47] Pour les détails, il est renvoyé à notre thèse : La capacité juridique des majeurs vulnérables, IFJD, n° 213, LGDJ-Lextenso, 2022, n° 364, p. 362 et s.
[48] A. Batteur, Recherche d’une articulation entre le Code de la santé publique et le Code civil : un défi à relever en faveur des personnes vulnérables, Dr. fam., 2011, n° 2, dossier 5.
[49] Pour une critique, voir : A. Batteur, L. Mauger-Vielpeau, F. Rogue et G. Raoul-Cormeil, Régime des décisions médico-sociales relatives aux personnes protégées : une ordonnance affligeante !, D., 2020, 992.
[50] V. en ce sens : I. Maria, Le respect de la volonté des personnes âgées malades, Droit, Santé et Société, 2021, n° 1, 47.
[51] Sur ce point, v. : M. Grosset, Étude sur les directives anticipées et la personne de confiance : le rôle du tiers dans l’expression de la volonté du sujet empêché, D., 2019, 1947.
[52] L. Barret, S. Fillion et L.-C. Viossat, Évaluation de l’application de la loi du 2 février 2016 sur la fin de vie, précité, p. 53.
[53] Pour un rappel, v. J. Chochois, L’absence d’encadrement de la décision médicale du patient non protégé. De la suffisance ou de l’insuffisance du rôle de la personne de confiance, RGDM, 2017, n° 65, 127.
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