Cahiers Louis Josserand n°2 du 23 février 2023 : Responsabilité médicale

[Chronique] Droit de la responsabilité civile et assurances

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par Pierrick Maimone, Doctorant, Équipe de recherche Louis Josserand

le 26 Juin 2024

Rappels sur la responsabilité médicale des médecins libéraux 

♦ CA Lyon, 1re ch. civ. A, 16 juin 2022, n° 19/03472 N° Lexbase : A625078Y

Mots-clés : responsabilité médicale • faute de diagnostic • médecin libéral

Par un arrêt du 16 juin 2022, la cour d’appel de Lyon vient rappeler la nécessité de prouver la faute du professionnel de santé, dans le cadre de sa responsabilité médicale.

En l’espèce, en 2012, une personne contacte SOS Médecins, pour obtenir une visite médicale à son domicile. Le médecin ne diagnostique aucune difficulté de santé grave et ne prescrit donc qu’un traitement des symptômes et une radiographie. Quelques heures après sa venue, un voisin contacte le SAMU pour prendre en charge cette personne. Le diagnostic tombe alors : elle fait un accident vasculaire cérébral. Elle assigne donc en justice le médecin, sur le fondement de sa responsabilité médicale, eu égard à la faute de diagnostic qu’il aurait commise, et qui lui aurait causé un certain nombre de préjudices.

Par un jugement en date du 18 mars 2019, le tribunal de grande instance de Lyon déboute la demanderesse, ainsi que la CPAM, citée à l’instance en ce qu’elle lui a versé certaines prestations, de l’ensemble de leurs demandes. Un appel est donc interjeté. Préalablement à la décision d’appel, la Commission de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux est saisie. Après la réception de deux expertises, elle conclut en le nécessaire engagement de la responsabilité médicale du praticien et recommande la réparation d’un préjudice de perte de chance de 25 %. S’appuyant sur cet avis, la demanderesse souhaite que le jugement soit réformé, afin d’obtenir l’indemnisation de 25 % des préjudices allégués, sur le fondement de la faute de diagnostic du médecin, découlant de l’absence de réalisation des actes conformes aux données de la médecine, qui lui aurait fait donc perdre une partie de la chance d’éviter les préjudices subis. La CPAM reprend le raisonnement de la demanderesse et exige, ainsi, le remboursement des prestations versées par elle à cette dernière. Logiquement, le défendeur demande que toutes les prétentions soient rejetées et que le jugement soit confirmé. Pour confirmer la décision de première instance, la cour d’appel vient rappeler que si un médecin libéral peut se voir reprocher une faute de diagnostic, encore faut-il que le demandeur arrive à établir son existence.

La faute de diagnostic fait partie des faits générateurs de la responsabilité médicale, telle que prévue à l’article L. 1142-1, alinéa 1er, du Code de la santé publique N° Lexbase : L1910IEH. En effet, ce dernier précise que, en tant que fondement de ce régime de responsabilité, elle est notamment liée aux « actes individuels […] de diagnostic ». Dans ce cadre, et comme le rappelle la cour d’appel, il faut distinguer l’erreur de la faute de diagnostic (sur cette distinction, v. par exemple : Y. Lambert-Faivre, S. Porchy-Simon, Droit du dommage corporel, Paris, Dalloz, coll. Précis, 2022, 9e éd., n° 696). En effet, la seconde ne résulte pas du non-diagnostic de la maladie, ce qui créerait une forme d’automaticité de la responsabilité médicale, mais de la violation des obligations incombant au médecin. Ainsi, la cour d’appel mobilise l’article R. 4127-33 du Code de la santé publique N° Lexbase : L8271GTI qui fixe plusieurs critères pour permettre sa caractérisation, en ce que le médecin est tenu de réaliser ce diagnostic « avec le plus grand soin, en y consacrant le temps nécessaire, en s’aidant dans toute la mesure du possible des méthodes scientifiques les mieux adaptées et, s’il y a lieu, de concours appropriés ». En conséquence, le professionnel de santé n’est, s’agissant du diagnostic, que tenu d’un devoir de moyens (Y. Lambert-Faivre, S. Porchy-Simon, Droit du dommage corporel, op. cit., n° 696). Cela permet alors d’écarter un certain nombre de situations dans lesquelles, bien que le bon diagnostic n’ait pas été posé, cela n’est en rien fautif, eu égard au respect, par le professionnel, des exigences de la médecine (en ce sens, v. CE, 4e-5e s.-sect. réunies, 11 juillet 2008, n° 278279, Centre hospitalier de Bourges N° Lexbase : A6037D9H ; CE, 9 décembre 2009, 4e-5e s.-sect. réunies, n° 308914, Beau N° Lexbase : A4289EPK ; Cass. civ. 1, 3 avril 2007, n° 05-10.515, F-D N° Lexbase : A8931DUC ; Cass. civ. 1, 17 juin 2015, n° 14-19.725, F-D N° Lexbase : A5262NLH).

La cour d’appel, suivant en cela les principes de la procédure civile (CPC, art. 9 N° Lexbase : L1123H4D), réaffirme que le demandeur doit établir la preuve des trois conditions de la responsabilité médicale que sont la faute, le préjudice et le lien de causalité. Si, en principe, « la preuve peut être apportée par tout moyen » (C. civ., art. 1358 N° Lexbase : L1008KZD), encore faut-il que ces moyens emportent la conviction du juge quant à la réalité des faits avancés. Or elle constate que la demanderesse ne parvient pas à démontrer la faute de diagnostic du médecin. Tout d’abord, elle relève une certaine incohérence dans ses propos, eu égard aux nombreuses évolutions des versions du déroulement des faits. Ensuite, il est décrit qu’elle n’avait pas transmis, avec suffisamment de complétude, les informations tenant à ses opérations chirurgicales antérieures. En sus, le premier rapport d’expertise, constatant la faute du praticien, est critiqué, en ce qu’il se fonde sur une recommandation de 2019, de la Haute autorité de santé, pour justifier l’existence de la faute, alors même que les faits se sont déroulés en 2012. Enfin, le second rapport d’expertise mobilisé, malgré les reproches non prouvés de la demanderesse tenant à sa partialité, retient que les premiers symptômes constatés lors de la visite du médecin ne permettaient pas, à eux seuls, et eu égard au caractère évolutif d’un AVC, de le constater. Ainsi, face à toutes ces lacunes et ces divergences, entre les experts et les versions du déroulement des faits, la demanderesse n’a, pour la cour, pas démontré la réalité de la faute du praticien qui, bien qu’il ait commis une erreur, ne peut donc pas voir sa responsabilité engagée. En effet, la charge de la preuve reposant sur le demandeur, le risque subséquent lui incombe également et, en l’absence d’établissement de la réalité d’une faute de diagnostic, la demanderesse ne pouvait pas obtenir l’indemnisation de ses préjudices, sur le fondement de la responsabilité médicale du professionnel de santé l’ayant occultée.

Si ce régime de responsabilité a été construit dans le souci de mieux protéger les victimes, il demeure que ce courant ne conduit pas à les soustraire à certaines des exigences probatoires classiques.

Par Pierrick Maimone

Rappels sur la responsabilité médicale des chirurgiens-dentistes

♦ CA Lyon, 1re ch. civ. A, 23 juin 2022, n° 20/03619 N° Lexbase : A625078Y

Mots-clés : responsabilité médicale • devoir d’information • chirurgien-dentiste

Par un arrêt du 23 juin 2022, la cour d’appel de Lyon vient formuler quelques rappels sur les conditions de la responsabilité médicale d’un chirurgien-dentiste.

En 2015, une personne vient en consulter un, en raison d’un problème à une dent. Celui-ci réalise alors les premiers soins nécessaires, dans l’attente de la pose d’une couronne. Cependant, face aux coûts envisagés chez ce premier praticien, la victime décida de se rendre chez d’autres spécialistes, pour procéder à la finalisation du traitement. Lors de ces nouvelles consultations, les dentistes constatent qu’un morceau de l’instrument, utilisé lors du soin initial, est resté logé dans la dent, ce qui a aggravé la fracture de sa racine, exigeant son extraction et la pose d’un implant. La victime se tourne alors vers son assureur, lequel mandate un expert aux fins d’établir les faits. Des suites du dépôt du rapport, elle assigne le premier chirurgien-dentiste, ainsi que son assureur, pour obtenir l’indemnisation des préjudices résultant du traitement de sa dent, sur le fondement de la responsabilité médicale.

Par un jugement en date du 15 juin 2020, le tribunal judiciaire de Lyon décide que si l’indemnisation du préjudice ne peut être accordée que sur le fondement du manquement du chirurgien-dentiste à son devoir d’information. Ainsi, les juges de première instance accordent 1 000 euros de dommages et intérêts à la victime. Non satisfaite de ce jugement, la victime interjette appel, afin que le montant de l’indemnisation soit revu à la hausse. En effet, elle estime qu’il existe bien, contrairement à ce que le tribunal a décidé, un lien de causalité entre la faute du praticien dans l’exécution des actes de soin et les préjudices allégués. Subsidiairement, elle demande que le jugement de première instance soit confirmé, quant à l’indemnisation sur le fondement du manquement au devoir d’information du praticien. Quant au défendeur, il souhaite, logiquement, que cette décision soit infirmée. Pour ce faire, il avance qu’il n’existe pas de lien de causalité entre les actes de soins réalisés et les préjudices allégués et que, s’agissant du manquement à son devoir d’information, la victime n’établit pas, avec suffisamment de rigueur, les préjudices en résultant. Or la cour d’appel vient confirmer le jugement de première instance, tant relativement au manquement aux exigences de la médecine qu’eu égard à celui au devoir d’information. Néanmoins, s’agissant du premier fondement, les juges d’appel ne précisent pas, avec suffisamment de clarté, que l’indemnisation est exclue eu égard à l’absence de lien de causalité.

Dans un premier temps, la cour d’appel lyonnaise rappelle que selon le premier alinéa de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique N° Lexbase : L1910IEH, instaurant un régime de responsabilité médicale, « hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de santé […] ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute ». Les chirurgiens-dentistes relavant du champ d’application de cet article (Cass. civ. 1, 13 juillet 2016, n° 15-19.871, F-D N° Lexbase : A2051RXA), il est alors nécessaire, pour établir leur responsabilité médicale, de démontrer notamment l’existence d’une faute. Dès lors, la cour s’intéresse à celles liées à l’exécution d’un soin, en rappelant une position classique de la Cour de cassation, selon laquelle la maladresse chirurgicale est susceptible de caractériser une faute, au sens de la responsabilité médicale (par exemple, v. Cass. civ. 1, 23 mai 2000, Bull. civ., n° 134 et 135 ; Cass. civ. 1, 27 novembre 2019, n° 18-24.906, F-D N° Lexbase : A3600Z44). Logiquement donc, la cour d’appel réaffirme que ces professionnels de santé sont soumis au devoir de n’entraîner aucune lésion, sans rapport avec l’intervention chirurgicale, ou aucune aggravation de l’état de santé du patient, par la réalisation d’actes maladroits. Mais, rappelant que la charge de la preuve incombe au demandeur (CPC, art. 9 N° Lexbase : L1123H4D), et mobilisant le rapport d’expertise judiciaire, la cour constate qu’une maladresse a bien été commise, dès lors que le chirurgien-dentiste n’a pas retiré la partie fracturée de l’instrument chirurgical utilisé, qui s’était logée dans la dent de la victime. Pour autant, encore fallait-il qu’elle établisse le lien de causalité entre ce manquement et les préjudices allégués. Or elle n’apporte pas d’éléments suffisants permettant de contredire le rapport d’expertise établissant que ce n’est pas la maladresse du praticien qui a nécessité l’extraction de la dent, mais bien, d’une part, l’état antérieur de sa dentition et, d’autre part, le retard dans les consultations odontologiques. Il s’agit, là encore, d’une position classique de la jurisprudence (par exemple, v. Cass. civ. 2, 24 janvier 2002, n° 00-10.650, inédit N° Lexbase : A8407AXN). Par conséquent, faute de preuve suffisante, la responsabilité médicale du praticien n’a pas pu être engagée sur ce premier fondement.

Dans un second temps, et selon l’article L. 1111-2 du Code de la santé publique N° Lexbase : L4848LWH, la cour d’appel vient ensuite rappeler l’existence d’un devoir d’information, dont le manquement entraîne la caractérisation d’une faute « contre la conscience médicale » (Y. Lambert-Faivre, S. Porchy-Simon, Droit du dommage corporel, Paris, Dalloz, coll. Précis, 2022, 9e éd., n° 694, spéc. p. 648). La cour affirme alors qu’il implique la communication d’un certain nombre de données quant aux « risques fréquents ou graves normalement prévisibles » (CSP, art. L. 1111-2, I N° Lexbase : L4848LWH), pendant et après l’intervention. Également, le fait que la concrétisation d’un risque ne soit liée qu’à une maladresse chirurgicale ne suffit pas, à lui seul, à conclure à l’absence de manquement au devoir d’information (CE, 5e-6e ch. réunies, 11 mai 2022, n° 439623, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A83067WK, consid. 6). Enfin, si la preuve de la transmission des informations est libre, elle incombe au professionnel de santé (CSP, art. L. 1111-2, IV, al. 2 N° Lexbase : L4848LWH). En conséquence, les juges d’appel, constatant, par le truchement du rapport d’expertise, non contredit par le défendeur, que, des suites de l’intervention chirurgicale, le praticien avait observé, sur un cliché radiographique, la présence d’une partie de l’instrument dans la dent de la victime, sans qu’il ne l’ait informée du risque, avant l’opération, ou après le constat effectué, constituait un manquement au devoir d’information. Ne pouvant pas réparer le préjudice de perte de chance d’éviter le dommage, eu égard à l’absence de lien de causalité entre, d’une part, le rôle du médecin et, d’autre part, le dommage subi duquel découle cette perte de chance, la cour d’appel a donc accepté la réparation du préjudice moral d’impréparation. En effet, il est admis, tant dans l’ordre judiciaire (Cass. civ. 1, 25 janvier 2017) qu’administratif (CE, 4e-5e ch. réunies, 16 juin 2016, n° 382479, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3530RTW), qu’un demandeur peut obtenir sa réparation, et qu’il est entendu comme celui lié aux « troubles qu’il a pu subir du fait qu’il n’a pas pu se préparer à [une] éventualité, notamment en prenant certaines dispositions personnelles » (CE, 4e-5e s.-sect. réunies, 10 octobre 2012, n° 350426, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2702IUM, consid. 5), préjudice causé donc par un manquement au devoir d’information.

Cet arrêt rappelle que, malgré les obstacles attachés à la preuve du lien de causalité dans le cadre d’une faute liée à l’exécution des actes de soin, le manquement au devoir d’information et le préjudice d’impréparation constituent des éléments permettant de les surmonter.

Par Pierrick Maimone

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