Le Quotidien du 13 janvier 2023 : Bancaire

[Brèves] Précisions sur l’appréciation du caractère non averti d’une personne morale

Réf. : Cass. com., 4 janvier 2023, n° 15-20.117, F-B N° Lexbase : A008887E

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par Jérôme Lasserre-Capdeville

le 12 Janvier 2023

► Le caractère averti de l’emprunteur, personne morale, s'apprécie en la personne de son représentant légal. Or, en l’espèce, si l’intéressé n’avait pas auparavant exercé ses compétences dans une société holding, il était toutefois à même de mesurer, par les compétences acquises dans la société cible, le risque d'endettement né de l'octroi du prêt souscrit par la holding, dont il était le gérant, et qui dépendait des résultats de l’entreprise cible. La holding  avait donc la qualité d’emprunteur averti et la banque n'était pas tenue d'un devoir de mise en garde à son égard.

Le devoir de mise en garde à la charge du banquier dispensateur de crédit doit être vu comme l’obligation pour le prêteur d’alerter son cocontractant sur les risques d’endettement excessif de l’opération envisagée. Ce devoir, d’origine jurisprudentielle, s’impose lorsque deux conditions sont réunies : d’une part, que le concours présente bien un risque d’endettement successif et, d’autre part, que l’emprunteur n’est pas « connaisseur en matière de crédit », c’est-à-dire qu’il peut être qualifié de non averti.

Mais que faire lorsque l’emprunteur est une personne morale ? La jurisprudence est venue clarifier cette situation. En effet, lorsque l’emprunteur présente une telle qualité, il est acquis que l’appréciation du caractère averti ou non averti se reportera sur la personne du dirigeant. Il en va ainsi en présence d’une société (Cass. com., 10 juillet 2012, n° 11-10.548, F-D N° Lexbase : A8000IQD ; Cass. com., 4 mars 2014, n° 13-10.588, F-D N° Lexbase : A4099MGW ; concernant une société en formation : Cass. com., 14 janvier 2014, n° 12-28.784, F-D N° Lexbase : A7453MHI) ou d’une association emprunteuse (Cass. civ. 1, 20 mai 2020, n° 18-21.567, FS-P+B N° Lexbase : A0184Y4L). Un dirigeant ou un président, dépourvu d’expérience en matière de crédits bancaires, pourra dès lors être qualifié de non averti et la personne morale le sera également en conséquence. Tout dépendra ainsi des circonstances de fait.

Or, la décision sélectionnée, en date du 4 janvier 2023, est à l’origine de précisions utiles en la matière.

Faits et procédure. Par un acte du 1er février 2008, quatre salariés de la société R., dont M. M. et Mme E., avaient constitué la société holding A., afin d’acquérir la totalité des parts sociales de cette même société R. Cette acquisition avait été notamment financée au moyen d’un prêt consenti le 6 février 2008 par la banque X., et garanti par le cautionnement de M. M. Après la mise en redressement puis liquidation judiciaires de la holding A., la banque avait assigné M. M. en paiement.

La cour d’appel de Rouen avait, par une décision du 23 avril 2015 (CA Rouen, 23 avril 2015, n° 13/02791 N° Lexbase : A1510NHE), condamné M. M. à payer une certaine somme à la banque au titre du cautionnement et rejeté sa demande de dommages et intérêts pour manquement de la banque à son obligation de le mettre en garde, en sa qualité de gérant et de caution de la holding A., contre le caractère disproportionné du prêt consenti à cette dernière.

Pourvoi. L’intéressé avait alors formé un pourvoi en cassation. Plusieurs arguments y étaient développés, notamment concernant la qualité d’emprunteur non averti de la holding A. Ainsi, en retenant que cette dernière, prise en la personne de son gérant, avait la qualité d'emprunteur averti pour cette seule raison que M. M. avait participé au développement de l'entreprise contrôlée par la société holding, c’est-à-dire la société R., les juges du fond auraient privé leur décision de base légale au regard de l’article 1147 du Code civil N° Lexbase : L1248ABT.

Décision. La Cour de cassation ne lui donne cependant pas raison et rejette le pourvoi.

Elle observe d’abord que la cour d’appel avait retenu que M. M., salarié de la société R., avait une expérience de cinq ans au sein de cette entreprise, qu’il y exerçait les fonctions de responsable commercial et en avait doublé le chiffre d'affaires par la mise en place d'une réelle stratégie commerciale et en lui insufflant un nouvel élan. Les juges du fond avaient ajouté que cette même société R. était la société cible de l’opération, un montage juridique ayant été effectué pour concrétiser le financement de son rachat par l'endettement.

La Cour de cassation rappelle ensuite que le caractère averti de l’emprunteur, personne morale, s'apprécie en la personne de son représentant légal.

Elle observe alors que la cour d’appel avait fait ressortir, par ses appréciations et constatations, que, bien que M. M. n’ait pas auparavant exercé ses compétences dans une société holding, il était toutefois à même de mesurer, par les compétences acquises dans la société R., le risque d’endettement né de l'octroi du prêt souscrit par la holding A., dont il était le gérant, et qui dépendait des résultats de l'entreprise cible, c’est-à-dire la société R. Il résultait alors de cette situation que la holding A. avait la qualité d’emprunteur averti et que la banque n’était pas tenue d'un devoir de mise en garde à son égard.

La Haute juridiction considère par conséquent que la cour d’appel de Rouen avait légalement justifié sa décision.

Observations. Cette solution est, selon nous, convaincante. Le juge doit déterminer la qualité d’averti ou de non averti de l’emprunteur personne physique à la vue, notamment, de son activité professionnelle, mais aussi de son passé bancaire. Tel avait été finalement le cas ici, pour M. M. Les juges avaient pris en considération le fait qu’il avait été le responsable commercial d’une personne morale, la société R., dont il avait doublé le chiffre d'affaires. Il paraissait donc suffisamment connaisseur pour les magistrats, c’est-à-dire averti en matière de crédit. Or, une telle solution est, nous le voyons, de nature à conférer la même qualité aux personnes que l’intéressé est amené, par la suite, à diriger.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Droit de la responsabilité du banquier dispensateur de crédit, Le contenu du devoir de mise en garde, in Droit bancaire, (dir. J. Lasserre-Capdeville), Lexbase N° Lexbase : E14203PB.

 

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