Réf. : Cass. crim., 15 novembre 2022, n° 21-87.295, F-B N° Lexbase : A11048T3
Lecture: 5 min
N3326BZ9
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Helena Viana
le 01 Décembre 2022
► En matière de criminalité organisée, l’autorisation du magistrat de procéder à la perquisition en dehors des heures légales peut être délivrée deux mois avant ladite perquisition, dès lors que les enquêteurs en avisent le magistrat instructeur lorsque la perquisition est réalisée ou que celui-ci a donné son accord verbal au moment de la perquisition. Afin d’assurer un contrôle réel et effectif du magistrat, il importe en effet que la condition d’urgence persiste au moment de la perquisition au regard des éléments de fait et de droit énoncés dans l’ordonnance délivrée en avance.
Faits et procédure. Une information judiciaire a été ouverte des chefs d’importation de stupéfiants et infractions à la législation sur les stupéfiants. Sur le fondement des articles 706-91 N° Lexbase : L4851K88 et 706-92 N° Lexbase : L0577LTK du Code de procédure pénale, le juge d’instruction a rendu le 13 septembre 2021 une ordonnance motivée par les interpellations à venir et par le risque de dépérissement des preuves pour autoriser une perquisition nocturne sur le mis en cause. Ladite perquisition a été effectivement réalisée le 13 décembre 2021. Par la suite, le principal intéressé a formé une requête en nullité de la perquisition au motif que l’urgence devait être caractérisée au moment de la perquisition, et que, de fait, l’autorisation du magistrat ne pouvait être donnée en avance, deux mois au préalable.
En cause d’appel. La chambre de l’instruction a rejeté la requête en nullité formulée par l’intéressé au motif que la perquisition litigieuse trouvait son fondement dans l’autorisation délivrée par le juge deux mois plus tôt et était dès lors régulière. Elle justifiait l’urgence par les recherches infructueuses menées pour retrouver le mis en cause et sa fuite avant l’arrivée des enquêteurs.
Décision. Au visa des articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme N° Lexbase : L4798AQR, 706-91 et 706-92 du Code de procédure pénale la Chambre criminelle casse l’arrêt.
Elle commence par rappeler sa jurisprudence en matière de perquisition nocturne applicable pour la criminalité organisée. Pour ce faire, elle souligne l’exigence d’un « contrôle réel et effectif » de la mesure, lequel n’est assuré que lorsque le magistrat instructeur a rendu une ordonnance écrite et motivée justifiant, par des motifs propres, le recours à la perquisition en dehors des heures légales de droit commun (Cass. crim., 8 juillet 2015, n°15-81.731, FS-P+B+I N° Lexbase : A6246NMB). Le défaut de motifs propres à justifier une telle atteinte à la vie privée causant nécessairement grief à la personne intéressée, la Cour de cassation avait, à juste titre, déduit que l'autorisation verbale donnée par ce magistrat, même suivie, après la réalisation de l'acte, de la formalisation d'une ordonnance écrite et motivée était nulle (Cass. crim., 13 septembre 2022, n° 21-87.452, F-B N° Lexbase : A99668HL).
Ces principes rappelés, la Haute juridiction en déduit que le magistrat instructeur peut autoriser ces perquisitions dérogatoires avant même que la date des interpellations ne soit fixée au regard de la situation d’urgence que celles-ci impliquent et du risque de dépérissement des preuves qui en résulterait. Néanmoins, elle pose une condition à cette antériorité : celle de « la persistance de cette urgence au regard des éléments de fait et de droits énoncés dans ladite ordonnance, avant que ces perquisitions ne soient réalisées ».
En pratique, cela signifie, comme le souligne la Cour, que les enquêteurs disposant d’une autorisation à l’avance d’une perquisition nocturne, doivent s’assurer auprès du juge d’instruction, au besoin oralement, que les éléments qui ont justifié le rendu de son ordonnance persistent au moment où ils s’apprêtent à effectuer la perquisition. Et de surcroît, la Cour précise qu’ils doivent en faire état dans la procédure.
Or, en l’espèce, la Chambre criminelle reproche aux juges du fond de ne pas avoir vérifié que les enquêteurs avaient avisé le magistrat, ni que celui-ci ait donné son accord pour effectuer la perquisition litigieuse.
La solution peut sembler être en contradiction avec celle qu’elle a rendue le 13 septembre dernier en validant cette fois-ci l’autorisation verbale donnée par le juge d’instruction. Mais la chronologie n’est pas identique : dans les faits qui nous intéressent aujourd’hui, l’autorisation écrite avait déjà été donnée avant l’autorisation verbale et la perquisition, alors que dans les faits du 13 septembre l’autorisation verbale avait précédé l’autorisation écrite, laquelle est elle-même intervenue postérieurement à la perquisition litigieuse.
Pour autant on peut utilement interroger une pratique à venir consistant, pour le juge d’instruction, à rendre une ordonnance d’autorisation en début de procédure. Les officiers de police judiciaire n’auront qu’à l’informer du moment de la perquisition, lorsqu’ils la jugent opportune, faisant ainsi fi du contrôle réel et effectif du magistrat exigé. Il aurait été souhaitable que la Cour déclare le simple avis magistrat insuffisant et impose a minima un accord verbal de celui-ci.
Pour aller plus loin :
|
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:483326