La lettre juridique n°926 du 1 décembre 2022 : Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Focus] Crypto-actifs, metavers : vers une imposition à la TVA « 3.0 » ?

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par Pierre Pradeau - Olivier Galerneau et Maxime Mahtout, Avocats, EY Société d'avocats

le 30 Novembre 2022

Mots-clés : TVA • cryptoactifs • metavers • bitcoin • fiscalité

Le développement du monde numérique est en marche ; rien ne peut plus l’arrêter. Cet emprunt, quelque peu modifié, de la fameuse formule de Émile Zola publiée dans un article du Figaro de 1897, ne peut qu’illustrer la déferlante des nouveaux usages qui ont émergé avec le monde numérique.

Véritable révolution, le développement du monde numérique devrait bousculer les nombreux usages et modes de consommation que nous avons connus jusqu’à ce jour.
Or, face à cette révolution, comment appréhender ces nouvelles opérations en matière de taxe sur la valeur ajoutée ?


 

Existants depuis quelques années, les cryptoactifs peuvent revêtir différentes natures (fongible, non fongible) et avoir des utilisations différentes.

Ainsi, comme le précise le rapport du député Pierre Person « Monnaies, banques et finance : vers une nouvelle ère crypto », le cryptoactif peut :

  • avoir la qualité d’une monnaie, en étant un moyen d’échange volatile (comme le bitcoin) ou stable (comme un stablecoin qui est un cryptoactif ayant la valeur d’une monnaie traditionnelle) ;
  • avoir la qualité d’un actif financier, c’est-à-dire une représentation de la performance d’une entreprise ou un instrument financier traditionnel transposé dans le monde numérique ;
  • avoir la qualité d’un jeton utilitaire, c’est-à-dire un jeton représentant des droits sur un service futur, une créance sur une entreprise dans le développement de son futur produit ;
  • Enfin (iv) il peut être cet objet protéiforme qu’est le NFT, qui constitue une enveloppe technologique permettant de créer la rareté en rendant numériquement une chose (qu’il s’agisse de biens matériels ou immatériels, de droits, etc.) totalement unique.

Dès lors, face à un cryptoactif multiforme, quel régime de TVA doit être appliqué aux opérations le concernant ?

I. Le régime de TVA applicable aux NFT (« non fongible tokens »)

Les NFT peuvent, selon nous, faire l’objet d’une distinction selon que leur sous-jacent est un service numérique ou non.

En effet, comment ne pas considérer qu’un NFT portant sur un objet physique ou une prestation consommée dans le monde « réel » est différent du NFT rendant son détenteur propriétaire d’une « parcelle » dans le métavers ou donnant un droit d’accès à un concert se déroulant uniquement dans le métavers ?

Les NFT étant dorénavant liés à l’exploitation économique des mondes informatiques parallèles (tel que le métavers), ils peuvent également se rapporter à de nouvelles catégories d’opérations qui sont réalisées uniquement dans le monde numérique au moyen des fichiers numériques. Le développement des œuvres digitales en est le parfait exemple.

A. Les NFT portant sur des opérations autres que des fichiers numériques

Dès lors que les droits associés au NFT portent sur une livraison de bien ou la réalisation d’une prestation de services et que l’opération est réalisée par une personne assujettie à la TVA agissant en tant que telle, le régime de TVA applicable devrait être celui du bien ou de la prestation de services sous-jacente.

Dans cette situation, le NFT devrait, selon nous, être assimilé à un bon comme prévu par l’article 256 ter du CGI N° Lexbase : L8904LN4.

En effet, il résulte de cet article que constitue un bon un instrument qui réunit les conditions cumulatives suivantes :

  • il est remis à titre onéreux à son bénéficiaire par son émetteur ou un tiers ;
  • il comporte une obligation de l’accepter comme contrepartie totale ou partielle de la fourniture d’une ou plusieurs livraisons de biens ou de prestations de services ; et,
  • il est indiqué sur l’instrument lui-même (où dans la documentation correspondante) les livraisons de biens ou prestations de services concernées ou les fournisseurs et prestataires potentiels.

Conformément à la Directive de l’Union européenne portant sur les bons [1], il existe deux types de bons :

  • les bons à usage uniques : ce sont ceux pour lesquels le lieu de la livraison des biens ou de la prestation de services à laquelle le bon se rapporte et la TVA due sur ces biens ou services (assiette, taux, territorialité) sont connus au moment de l’émission du bon.

L’administration fiscale précise dans sa doctrine qu’un instrument qui donne droit à obtenir plusieurs prestations de services de même nature dont l’ensemble des modalités de taxation est connu à l’émission constitue également un bon à usage unique.

Elle indique également qu’un bon qui « permettrait en échange d’avoir accès à des livraisons de biens ou à des prestations de services de nature différentes mais dont le montant de la taxe dû (même taux et assiette) et le lieu des livraisons de biens ou des prestations de services auxquels le bon se rapporte sont déterminés dès son émission, constitue un bon à usage unique » (BOI-TVA-CHAMP-10-10-40-50).

  • les bons à usage multiples : ils sont pour leur part définis de manière négative puisqu’il s’agit d’un bon autre qu’un bon à usage unique.

Plus particulièrement, concernant les bons à usage multiples, la Cour de justice de l’Union européenne a récemment précisé « qu’un instrument qui donne à son titulaire le droit de bénéficier de divers services à un endroit donné, pendant une période limitée et à concurrence d’un certain montant, peut constituer un « bon » [..] même si, en raison de la durée de validité limitée de cet instrument, un consommateur moyen ne saurait bénéficier de la totalité des services proposés. Ledit instrument constitue un « bon à usages multiples », […] dès lors que la taxe sur la valeur ajoutée due sur ces services n’est pas connue au moment de l’émission de celui-ci » (CJUE, 28 avril 2022, aff. C-637/20, DSAB Destination Stockholm AB N° Lexbase : A92787U8).

Ce régime des bons devrait trouver à s’appliquer sous réserve que les NFT comportent une obligation d’être acceptés comme contrepartie à la réalisation des opérations sous-jacentes et que le NFT ou sa documentation mentionne les livraisons de biens ou prestations de services concernées, ou les fournisseurs et prestataires potentiels.

Si la nature de l’opération (prestation de service ou livraison de bien), la territorialité, et le taux de TVA de l’opération sont connus lors de sa vente au client, le NFT devrait suivre le régime de TVA applicable aux bons à usage unique.

Dans cette situation, le régime TVA applicable est connu, chaque cession à titre onéreux du NFT par un assujetti sera réputé consister en la cession du bien sous-jacent ou à la prestation de service sous-jacente.

Comme le précise la doctrine administrative [2], « la remise matérielle des biens ou la prestation effective des services en échange d’un bon à usage unique accepté en contrepartie totale ou partielle par le fournisseur ou le prestataire n’est pas considérée comme une opération distincte de la vente du bon ».

Ces règles appliquées à des transactions successives sur des NFT pourraient donner lieu à des problématiques telles que celles d’immatriculation à la TVA des opérateurs en cas de ventes successives.

Si le NFT est assimilable à un bon à usage multiple, c’est-à-dire que la nature de l’opération (prestation de service ou livraison de bien, ou un ensemble d’opérations), la territorialité, le taux de TVA ne sont pas connus lors de sa cession par un assujetti à la TVA agissant en tant que tel, le régime de TVA devrait être le suivant :

  • lors de la vente du NFT par l’assujetti à son client : cette vente est considérée comme hors du champ d’application de la TVA puisqu’il n’existe aucun lien direct entre cette vente et la fourniture du service ou du bien sous-jacent à ce moment ;
  • lors de la réalisation de l’opération sous-jacente (c’est-à-dire au moment de la consommation du NFT) : cette opération sera soumise à la TVA au taux qui lui est propre et selon la règle d’exigibilité qui lui est propre.

En cas de la remise d’un bien, la TVA sera exigible selon le BOI « à la date de l’acceptation des bons par les fournisseurs dès lors qu'il peut être considéré que la livraison de ces biens est effectuée à l'instant où les bons sont repris en échange par les points de vente » (BOI-TVA-BASE-20-40).

Pour la réalisation d’une prestation de services, l’exigibilité de la TVA interviendra lors de la reprise du NFT assimilé à un bon par le prestataire (dès lors que c’est lui qui a émis le NFT).

La base d’imposition de la TVA sera constituée de la contrepartie payée en échange du NFT, c’est-à-dire aux sommes perçues par la société lors de la vente du chèque cadeau puisqu’elle est également l’émettrice du NFT.

B. Les NFT portant sur des opérations exclusivement numériques

Les NFT peuvent constituer le support d’un droit dans le monde numérique tel qu’une œuvre d’art numérique, le droit d’assister à un concert se déroulant exclusivement dans le métavers ou encore le droit de suivre un enseignement exclusivement virtuel par exemple (tel qu’un enseignement de techniques de médecine avec un casque de réalité virtuelle).

Dès lors que ces opérations sont réalisées avec une contrepartie et par un assujetti agissant en tant que tel, elles rentrent dans le champ d’application de la TVA.

Ces opérations sont d’ores et déjà appréhendées par la TVA puisque l’article 256, IV du CGI N° Lexbase : L5704MAI dispose que toutes les opérations ne pouvant pas être qualifiées de livraison de biens constituent des prestations de services. Ainsi, ces opérations ne pouvant pas être qualifiées de livraisons de biens, elles constituent nécessairement des prestations de services.

La cession d’un tel NFT suivra ainsi les règles de TVA applicables aux prestations de services.

S’agissant d’une prestation de service, les règles de territorialité et de redevabilité pourront être différentes selon que l’acquisition du NFT est faite par un assujetti à la TVA (opération dite B to B) ou qu’elle soit faite par un non-assujetti (opération dite B to C).

Il convient de s’interroger sur la question de savoir si le critère de l’utilisation effective pourrait créer des difficultés pratiques. En effet, dans le cadre de la vente d’un NFT donnant accès à des manifestations culturelles, artistiques, sportives, scientifiques, éducatives, ou encore de divertissement à un assujetti ou à un non assujetti, comment déterminer le lieu de taxation de l’opération ?

Devrait-on retenir le lieu où le serveur du métavers est situé ? Ou l’opération devrait-elle être réputée effectuée au lieu où l’acquéreur du NFT à son domicile ? Ou encore au lieu où le preneur « consomme » l’opération ?

Il nous semble d’ores et déjà que le lieu où le preneur « consomme » le droit à un tel accès pourrait donner lieu à des difficultés tant il semble difficile pour l’assujetti vendant le NFT d’être en mesure de déterminer ce lieu, à moins qu’il soit possible de déterminer de manière sécurisée ce lieu lors de la réalisation de la prestation de service ?

En pratique, on peut constater que la législation française appréhende d’ores et déjà ces opérations si elles peuvent être qualifiées de services fournis par voie électronique au sens de l’article 98 C de l’annexe III au CGI N° Lexbase : L8131LZ8 et sont réalisées dans le cadre de relations B to C. Dans cette situation, ces opérations ne se situeront pas dans le champ d’application territorial de la TVA française dès lors que le preneur non assujetti n’est pas domicilié en France.  

Si les opérations ne peuvent pas être qualifiées de services numériques au sens de l’article 98 C de l’annexe III au CGI, la Directive « taux » [3], qui n’a pas encore été transposée en droit français à ce jour, prévoit que l’opération sera réputée entrer dans le champ d’application territorial de la TVA du pays où le consommateur est établi.

II. Les « fongibles tokens »

A. Quelle qualification juridique des jetons fongibles ?

Contrairement aux NFT, les jetons fongibles constituent des actifs numériques indifférenciés et échangeables.

Il résulte des dispositions du code monétaire et financier qu’il existe deux types d’actifs numériques :

  • les jetons mentionnés à l'article L. 552-2 du CMF N° Lexbase : L7517LQH : c’est-à-dire « tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d'un dispositif d'enregistrement électronique partagé permettant d'identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien ». Cela vise des biens proches de titres financiers sans en être réellement ;
  • les cryptomonnaies, c’est-à-dire « toute représentation numérique d'une valeur qui n'est pas émise ou garantie par une banque centrale ou par une autorité publique, qui n'est pas nécessairement attachée à une monnaie ayant cours légal et qui ne possède pas le statut juridique d'une monnaie, mais qui est acceptée par des personnes physiques ou morales comme un moyen d'échange et qui peut être transférée, stockée ou échangée électroniquement ».

À cet égard, le rapport du député Pierre Person « Monnaies, banques et finance : vers une nouvelle ère crypto » distingue trois types de jetons de paiement :

  • les cryptomonnaies qui sont des actifs volatiles (tels que le Bitcoin ou l’ether par exemple) ;
  • le Stablecoin : adossé à une valeur telle que l’or, ou une monnaie ayant cours légal (le Dollar US ou l’euro par exemple) ;
  • les monnaies numériques de banques centrales : monnaie « traditionnelle » sous forme dématérialisée.

B. Quel régime TVA en cas d’opération relative à la cession ou l’acquisition de cryptomonnaies ?

L’article 261 C, d du CGI N° Lexbase : L6279LU4 prévoit que « les opérations, y compris la négociation, portant sur les devises, les billets de banque et les monnaies qui sont des moyens de paiement légaux à l'exception des monnaies et billets de collection » sont exonérées de TVA.

L’administration fiscale a apporté des commentaires sur l’application de cette exonération de TVA au BOI-TVA-SECT-50-10-10. Elle a ainsi notamment précisé que bénéficient de l’exonération de TVA l’ensemble des opérations portant sur des monnaies ayant cours légal.

Pour autant, aucun commentaire dédié aux cryptomonnaies n’a été intégré dans ce BOFiP.

C’est dans le BOFIP relatif aux bons (BOI-TVA-CHAMP-10-10-40-50) que l’administration a précisé que « au regard des règles applicables en matière de TVA, la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, 22 octobre 2015, affaire C-264/14, Hedqvist N° Lexbase : A8604NTT) applique aux actifs numériques contenant des unités de valeur non monétaire reconnus par les parties participant à l’opération comme un moyen de paiement acceptable tels que les « Bitcoins », le même régime que celui applicable aux moyens de paiement légaux. Partant, ce type d’actifs numériques ne peut être qualifié de bons au sens des dispositions de l'article 256 ter du CGI. Les opérations de change de devises traditionnelles contre ces actifs numériques et inversement, ainsi que les opérations de change entre ces actifs numériques sont exonérées de TVA en application du d du 1° de l'article 261 C du CGI ».

Autrement dit, il résulte de la jurisprudence de la CJUE et de la doctrine fiscale que l’exonération de TVA est applicable :

  • aux opérations de change de devises contre des actifs numériques contenant des unités de valeur non monétaire (et inversement) ;
  • aux opérations de change entre les actifs numériques définis à l’article L. 54-10-1 du CMF précédemment cité.

Les cryptoactifs laissent entendre l’introduction de nouvelles opérations dans un monde virtuel où la définition des règles fiscales semble trouble.

Cependant, et comme nous l’avons vu ci-dessus, nous pouvons constater que les règles actuelles en matière de TVA peuvent permettre d’appréhender une majorité d’opérations.

Une vigilance particulière devrait toutefois être portée aux opérations internationales, tant au regard des éventuels conflits de champ d’application territoriale des taxes indirectes qu’au regard des éventuels schémas de fraudes permettant d’échapper à l’impôt. Par exemple, les mécanismes permettant la taxation au lieu d’établissement du consommateur pourraient être contournés grâce à l’utilisation de VPN permettant de géolocaliser la taxation dans des pays à fiscalité plus avantageuse.

 

[1] Directive (UE) n° 2016/1065 du Conseil, 27 juin 2016, modifiant la Directive 2006/112/CE en ce qui concerne le traitement des bons N° Lexbase : L1346K9Q, transposée en France à compter du 1er janvier 2019 à l’article 256 ter du CGI.

[2] BOI-TVA-CHAMP-10-10-40-50.

[3] Directive (UE) n° 2022/542 du Conseil du 5 avril 2022, modifiant les Directives 2006/112/CE et (UE) 2020/285 en ce qui concerne les taux de taxe sur la valeur ajoutée N° Lexbase : L3527MCM, applicable à compter du 1er janvier 2025.

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