Lecture: 10 min
N3420BZP
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Yves Avril, Docteur en Droit, Avocat honoraire, Ancien Bâtonnier
le 01 Décembre 2022
Mots-clés : avocat honoraires • faute • convention d’honoraires • responsabilité • compétence
L'organisation de la profession d'avocat est fortement marquée par l'autorégulation, la liberté laissée à la profession de faire respecter les règles qu'elle a, en bonne part, édictées.
Au regard du droit commun des obligations, l'autorégulation emporte des conséquences qui peuvent paraitre subtiles, même aux yeux des praticiens. Tel est le cas de la taxation des honoraires d'avocat quand des règles viennent télescoper celles de la responsabilité civile ou de la responsabilité disciplinaire.
Les honoraires de l’avocat relèvent du droit des obligations. La doctrine les considère comme des contrats de prestation de service [1]. Envers les clients un auteur de référence estime que le régime de la défaillance contractuelle s’applique [2]. Le formalisme est aussi celui d’une obligation contractuelle.
Depuis la loi du 6 août 2015 [3], les honoraires de l’avocat sont fixés en accord avec le client et une convention écrite doit être passée, portant le nom de convention d’honoraires. Y font exception les cas d’urgence ou de force majeure.
Si l’on procédait à une étude classique du droit des obligations, les honoraires de l’avocat pourraient ne pas être dus quand il y a une faute de sa part. En effet l’article 1219 du Code civil N° Lexbase : L0944KZY est formel : « une partie peut refuser d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave ».
Le Code civil ancien s’exprimait de façon plus lapidaire, mais en toute hypothèse, le principe est connu de longue date sous le nom d’exception « non ad impleti contractus ». À partir du moment où le principe est admis, il faut encore remplir des conditions pour que l’on puisse ainsi échapper à l’obligation. Dans ces conditions, de principe, les honoraires de l’avocat pourraient ne pas être dus en cas de faute de sa part.
Le droit positif montre que sur le plan pratique les honoraires de l’avocat restent dus même lorsque celui-ci est fautif. Les raisons proviennent de règles procédurales spécifiques qui contraignent le client à explorer d’autres possibilités d’action.
I. Le particularisme de la procédure
Les spécificités qui font exception à la règle de droit commun des obligations tiennent à des règles procédurales propres à la profession d’avocat.
Il existe un contentieux particulier pour tout ce qui touche aux honoraires. Les dispositions applicables résultent de la loi du 31 décembre 1971 [4] et plus particulièrement de son article 10, exprimé dans de nouveaux termes par la loi du 6 août 2015 précitée. Ces dispositions encadrent, au plan contractuel, les possibilités offertes aux parties dans la fixation des honoraires, interdisant notamment le pacte de quota litis, mais permettent d’envisager un honoraire de résultat. Le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 [5] fournit les détails sur une procédure vraiment spécifique pour les « contestations en matière d’honoraires et débours ». Sans s’étendre sur des règles procédurales relatives à la réclamation, sur un délai pour statuer ou sur les possibilités d’appel, on voit que la personne appelée à statuer sur les honoraires est le bâtonnier, doté ainsi d’une compétence manifestement étrangère au droit commun.
Cela entraîne des effets particuliers à tous les stades. Le bâtonnier constitue-t-il une juridiction ? La réponse est mitigée. La Cour de cassation ne se prononce pas, mais estime que ses décisions ne contreviennent pas au respect du procès équitable tel que l’impose l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme N° Lexbase : L7558AIR [6]. En revanche le Conseil d’État a rappelé que « la décision du bâtonnier n’acquiert le caractère exécutoire que sur décision du président du tribunal de grande instance » [7], ce qui ne permet pas de relever l’existence d’une juridiction. Au stade de l’exécution provisoire, les dispositions du Code de procédure civile ne s’appliquent pas mais un texte récent, le décret n° 2021-1322 du 11 octobre 2021 [8] permet, dans des conditions limitées, d’ordonner l’exécution provisoire [9].
II. Un cadre distinct pour la responsabilité
Lorsque le client veut faire retenir la responsabilité de l’avocat et former une demande reconventionnelle en dommages-intérêts, la loi lui impose de suivre les voies du droit commun, c’est-à-dire de saisir la juridiction ordinaire qu’est le tribunal judiciaire.
Le texte qui fonde cette compétence est exprimé sous une forme lapidaire, inchangée depuis la loi du 31 décembre 1971 [10]. De principe, le fond du litige en matière de responsabilité civile suit les règles du droit commun soit pour le fondement (C. civ., ancien art. 1147 ; C. civ., art. 1231-1 N° Lexbase : L0613KZQ) soit pour choisir le tribunal compétent, le plus souvent le tribunal judiciaire.
Ces différences significatives vont produire un effet radical qui prohibe l’emploi de l’exception d’inexécution, mais laisse subsister des possibilités de faire sanctionner les fautes éventuelles des avocats.
Cette possibilité mérite le nom de cloisonnement ou d’étanchéité [11]. Saisi d’une contestation d’honoraires, le bâtonnier va écarter toute demande reconventionnelle tendant à se fonder sur l’exception d’inexécution pour parvenir à une compensation, celle-ci étant un moyen d’extinction de la dette [12].
L’irrecevabilité de toute demande de réparation pour une faute de l’avocat est à ce stade une règle procédurale ancienne [13], mais elle est rappelée de façon très régulière par la Haute juridiction [14] quand les ordonnances de premier président de la cour d’appel ont tendance à s’écarter du principe. Le principe est également reconnu par les cours d’appel [15].
L’application de ce cloisonnement conduit encore à interdire au client d’invoquer devant le juge de l’honoraire le manquement au devoir d’information de l’avocat sur les conditions de sa rémunération. Le juge de l’honoraire doit se déclarer incompétent !
La règle doit encore s’appliquer quand le juge de l’honoraire doit se prononcer sur l’exigibilité d’un honoraire de résultat. Toute autre solution entraîne la cassation de l’ordonnance du premier président de la cour d’appel, incompétent pour se prononcer sur la qualité des prestations de l’avocat [16].
On aurait pu penser que la jurisprudence connaissait un infléchissement digne d’attention. La deuxième chambre à la Cour de cassation paraissait fidèle au principe de cloisonnement [17], mais quelques mois plus tard elle rendait une solution inverse [18]. Cette dernière décision reconnait au juge de l’honoraire la possibilité de statuer sur les honoraires inutiles avant d’opérer la taxation. Cette appréciation revient à se prononcer du bout des lèvres sur la responsabilité civile. Ce moyen est fréquemment soulevé mais presque aussi fréquemment écarté devant les cours d’appel. Il peut être retenu favorablement [19], mais le plus souvent écarté [20], car les clients se bornent rarement à ne soulever que le caractère inutile des honoraires.
Ainsi le bilan doit être fait en l’état de la jurisprudence. Les honoraires de l’avocat sont dus en cas de faute de sa part. L’exception d’inexécution ne peut être soulevée, ce qui prohibe la possibilité d’une demande reconventionnelle et d’une compensation. Éconduit par le juge de l’honoraire, le justiciable peut agir avec succès dans le cadre de la responsabilité civile professionnelle. La jurisprudence est relativement mince, particulièrement sur le manquement au devoir d’information, mais lorsqu’un exemple est venu devant la Cour de cassation [21], un commentaire s’imposait. La décision de la Haute juridiction incitait, au plan du principe, à donner satisfaction au justiciable.
Le juge de l’honoraire répète à l’envi, face aux griefs d’ordre déontologique, qu’il n’est pas le juge disciplinaire. Faute d’avoir pu se faire entendre le justiciable pourra inciter le bâtonnier ou le procureur général à saisir la juridiction disciplinaire. Mieux encore, il peut la saisir lui-même depuis le 1er juillet 2022 [22], ce qui constitue une innovation majeure du droit disciplinaire. Les manquements sont couramment sanctionnés et peuvent entraîner des sanctions disciplinaires, mais aussi des sanctions pénales [23].
En appréciant les comportements, la juridiction disciplinaire peut retenir, cumulativement, un manquement aux principes essentiels que sont la modération, la délicatesse, l’honneur, la probité, le désintéressement et l’humanisme [24]. Au reste, malgré l’expression de la Cour de cassation, l’humanité serait un principe plus exact. En l’espèce la Haute juridiction rend définitive une interdiction d’exercer la profession pendant deux ans.
Ainsi le client ne peut opposer la faute de l’avocat pour refuser le paiement. Sa situation se trouve moins favorable que pour un co-contractant ordinaire, mais en faisant preuve de persévérance il conserve à sa disposition quelques possibilités d’action.
[1] F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, F. Chenedé, Droit civil, Les obligations, Dalloz 2018 § 389 et s.
[2] Ph. Le Tourneau (Dir), Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action 2021, § 3325.17.
[3] Loi n° 2015-990, du 6 août 2015, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques N° Lexbase : L4876KEC.
[4] Loi n° 71-1130, du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques N° Lexbase : L6343AGZ.
[5] Décret n°91-1197, du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat, art. 174 à 179 N° Lexbase : L8168AID.
[6] Cass. civ. 2, 29 mars 2012, n° 11-30.013, FS-P+B+R N° Lexbase : A9965IG8 : D., 2012, 495.
[7] CE, 2 octobre 2006, n° 28208 N° Lexbase : A6891DRN : A.-L. Debono, AJDA, 2007, 645.
[8] Décret n° 2021-1322, du 11 octobre 2021, relatif à la procédure d'injonction de payer, aux décisions en matière de contestation des honoraires d'avocat et modifiant diverses dispositions de procédure civile N° Lexbase : L4794L83.
[9] P. Lingibé, Exécution des ordonnances de taxe du bâtonnier, aménagement technique ou réforme de fond ? Dalloz actualités, 15 octobre 2021 [en ligne].
[10] Loi n° 71-1130, du 31 décembre 1971, préc., art. 26 « Les instances en responsabilité civile contre les avocats suivent les règles ordinaires de procédure ».
[11] Y. Avril, La responsabilité des avocats, civile, disciplinaire, pénale, Dalloz Référence 2021, n° 131.33.
[12] C. civ., art. 1347 N° Lexbase : L1002KZ7.
[13] Cass. civ. 1, 29 janvier 1976, n° 74-11.982 N° Lexbase : A8430C4Y.
[14] V. par ex., Cass. civ. 2, 24 octobre 2013, n° 12-27.841, F-D N° Lexbase : A4765KNS.
[15] CA Metz, 21 septembre 2022, n° 21/01023 N° Lexbase : A99958KE : H. Viana, La responsabilité de l’avocat ne se conteste, même à titre incident, ni devant le président de la cour d’appel ni devant le bâtonnier en première instance, Lexbase Avocats, octobre 2022 N° Lexbase : N2772BZP.
[16] Cass. civ. 2, 11 juin 2015, n° 13-27.987, F-D N° Lexbase : A8937NK9.
[17] Ibid.
[18] Cass. civ. 2, 8 décembre 2015, n° 15-26.683, F-D N° Lexbase : A3804SPL.
[19] Rennes, 27 octobre 2015, n° RG 14/04581 N° Lexbase : A1390NUZ.
[20] Nîmes, 24 mai 2018, n° 16/01805 N° Lexbase : A1906XPB.
[21] Cass. civ. 1, 23 septembre 2020, n° 19-13.214, FS-P+B N° Lexbase : A04713WD : Y. Avril, Une mise en cause nouvelle de la responsabilité civile de l’avocat, Lexbase avocats, novembre 2020 N° Lexbase : N5096BYE.
[22] Décret n° 2022-965, du 30 juin 2022, modifiant le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, art. 16 N° Lexbase : L2884MD8.
[23] S. Bortoluzzi, D. Piau et T. Wickers, Dalloz Action 2022, § 721.121 et s ; 721.131 et s.
[24] Cass. civ. 1, 16 mars 2022, n° 20-12.866, F-D N° Lexbase : A90057QL.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:483420