Réf. : Cass. com., 11 juin 2013, n° 12-22.296, F-P+B (N° Lexbase : A5797KGS)
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par Jean-Baptiste Lenhof, Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne, Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)
le 25 Juillet 2013
I - L'affectio societatis, concept propre au droit des sociétés
C'est peu dire que l'affectio societatis a suscité des interrogations en doctrine (A), interrogations sans cesse renouvelées par les incertitudes pratiques quant à la mesure de son champ d'application et de ses effets sur la vie de la société (B).
A - Les incertitudes sur la définition de la notion
On chercherait vainement, dans le Code civil, la mention explicite de l'existence de l'affectio societatis. Elle a pu être, essentiellement, déduite de l'analyse des dispositions de l'article 1832 de ce code (N° Lexbase : L2001ABQ) qui établit que "la société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent, par un contrat, d'affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie [...]", d'où, la "volonté de s'associer" sans laquelle le juge du droit n'a cessé de rappeler qu'il ne saurait y avoir de société (1). Il demeure qu'au-delà de la volonté, on y rattache également " l'entreprise commune' de l'article 1832 et l'intérêt commun' de l'article 1833 (N° Lexbase : L2004ABT)" (2). Hamel, ainsi, y voyait une "volonté d'union ou de convergence d'intérêt" (3), formule synthétique sur laquelle la doctrine se livrera à de nombreuses variations, non par spéculation mais parce qu'en dépit de l'origine prétorienne de la notion, le juge du droit a tardé à en dispenser une définition. On enseigne, généralement, que celle-ci a, enfin, pris matérialité à l'occasion d'un arrêt du 3 juin 1986 qui a précisé que sont liés par l'affectio societatis les associés qui, en substance, collaborent de façon effective à l'exploitation, dans un intérêt commun et sur un pied d'égalité, chacun participant aux bénéfices ainsi qu'aux dettes (4).
La formulation de la définition (5), toutefois, n'était pas si rigide (6) que le juge du droit n'ait pu la faire évoluer. La première chambre civile, en effet, avait adopté, quelques mois avant la Chambre commerciale, une rédaction quelque peu différente, selon laquelle l'affectio societatis serait "la volonté de collaborer activement, sur un pied d'égalité à la réalisation d'un projet commun" (7). La même chambre, en 2008, y verra la "volonté commune des époux de s'associer sur un pied d'égalité en partageant les bénéfices et aux pertes" (8). La Chambre commerciale, semblablement, fera varier sa rédaction avec, par exemple, en 1991, la "volonté d'union et acceptation d'aléas communs" (9), utilisant parfois le terme d'intention comme, ainsi, en 2004 "l'intention de collaborer sur un pied d'égalité à la réalisation d'un projet commun", à propos, il est vrai, d'une société créée de fait où, par essence la volonté d'instituer une société était absente. En tout état de cause, ces flottements n'ont en rien altéré le fond de la notion que les auteurs estiment, aujourd'hui, devoir être "stabilisée" (10) autour de la formulation la plus courante qui revient à celle de l'arrêt de la première chambre civile rendu en 2006 : "la volonté de collaborer activement, sur un pied d'égalité à la réalisation d'un projet commun".
Ce n'est, ainsi, pas tant l'analyse de la notion qui est susceptible d'interprétation que les effets qu'elle est susceptible de produire, au point que des auteurs ont pu évoquer le "spectre" de l'affectio societatis (11).
B - Les incertitudes sur les effets de la notion
On sait le rôle majeur que la jurisprudence fait jouer à l'affectio societatis : en l'érigeant en condition de formation du contrat de société, le juge exige que soient réunis les éléments caractérisant tout contrat de société, c'est-à-dire l'existence d'apports, l'intention de collaborer sur un pied d'égalité à la réalisation d'un projet commun et l'intention de participer aux bénéfices ou aux économies ainsi qu'aux pertes éventuelles pouvant en résulter. Sur ces bases, l'affectio societatis trouve ses illustrations les plus courantes dans la reconnaissance par le juge de l'existence d'une société créée de fait (12) et permet, à l'occasion, d'entraîner la nullité d'une société pour fictivité (13). Ainsi, nul doute que, se rapportant à la formation du contrat de société, l'affectio societatis, doive être apprécié comme reposant, fondamentalement, sur la volonté des parties. Ceci étant, la question se pose de savoir si la mise en oeuvre de la notion doit être appréhendée dans une perspective exclusivement civiliste.
Ainsi, lorsque la jurisprudence établit que son existence s'apprécie au moment de la création de la société (14), une analyse fondée sur le droit des obligations devrait conduire à estimer que la disparition ultérieure de l'affectio societatis n'aurait aucune incidence, en droit, car constituant seulement une condition de formation du contrat. De nombreux arrêts, cependant, ont pu utiliser la notion au cours de la vie de la société. Par essence, en effet, l'affectio societatis n'est pas strictement assimilable à la volonté, condition de formation des contrats de l'article 1108 du Code civil (N° Lexbase : L1014AB8), car, au cas contraire, le juge du droit n'aurait pas éprouvé le besoin de créer un concept distinct. De là, la doctrine souligne le "pluralisme" de la notion, précisant qu'elle va se rencontrer "non seulement lors de la formation de la société mais encore tout au long de la participation à la vie sociale" (15).
Il est une chose, toutefois, de la constance dans le temps de l'affectio societatis qui constitue un fait de nature économique, et une autre, que de reconnaître la possibilité de s'appuyer sur cette permanence pour en tirer des effets juridiques après la phase de formation du contrat de société. Le juge du droit, cependant, n'a pas hésité à franchir cet obstacle à différentes occasions. Il a, ainsi, décidé à plusieurs reprises, que la disparition de l'affectio societatis justifiait la dissolution de la société (16) ainsi qu'un motif de juste retrait d'une société civile (17). La doctrine de souligner, alors, que la "logique de cette proposition est contestable : suffit-il qu'une partie n'ait plus l'intention de s'associer pour qu'une société prenne fin ?"
II - Les limites à l'effet de l'affectio societatis
Confronté à ces solutions, l'auteur du pourvoi était en mesure d'imaginer qu'en plaidant la disparition de l'affectio societatis, il pourrait justifier, dans un contexte de changement de contrôle, l'absence de réunion des conditions de formation du contrat de cession (A). La réponse de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, en rejetant les deux pourvois examinés, semble, toutefois, illustrer un mouvement de clarification des effets de la notion au cours de la vie sociale (B).
A - Affectio societatis et modification du contrôle de la société
L'argument, nouveau, à notre connaissance, avancé par l'auteur du pourvoi, tendait à lier la perte supposée d'affectio societatis à une modification du contrôle de la société. Il invoquait, ainsi, à l'appui de la violation des articles 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) et 1832 du Code civil, le fait qu'à "l'instar du contrat de société originaire [...], la cession partielle de titres sociaux, lorsqu'elle vise pour le cédant à partager le contrôle de sa société avec de nouveaux associés spécialement choisis à cet effet, exige aussi bien l'existence d'une affectio societatis de la part du cédant et du cessionnaire". Il ne s'agissait pas, en conséquence, d'invoquer la perte de l'affectio societatis mais son absence au moment de la formation du contrat de cession.
Envisagé sous cet angle, le pourvoi ne pouvait prospérer : jamais l'hypothèse de l'absence d'affectio societatis d'un nouvel associé n'a pu faire obstacle à la perfection de l'acte de cession, la seule hypothèse connue d'examen de l'existence d'un associé fictif n'ayant pas abouti devant les juges du droit (18). La présentation du moyen, en revanche, permettait de dépasser ces limitations en soulignant que cette cession s'inscrivait dans un changement de contrôle visant à établir, semble-t-il, un pouvoir égalitaire au sein de la société. L'auteur du pourvoi soutenait, en effet, que cette cession présentait la particularité, puisqu'elle modifiait le contrôle, d'aboutir à ce que "chacun soit appelé à s'associer et à concourir ensemble à la réalisation de l'objet social". En d'autres termes, le pacte social aurait été, en l'espèce, modifié de telle façon que rien ne serait demeuré du contrat originaire et que, compte tenu de cette altération, l'affectio societatis aurait constitué, comme à l'origine de la société, une condition de formation du contrat.
La réponse de la Cour de cassation est dépourvue d'équivoque : reprenant la solution dégagée par le juge d'appel, elle établira que "l'affectio societatis n'est pas une condition requise pour la formation d'un acte emportant cession de droits sociaux". Ainsi, le changement de contrôle de la société est indifférent à l'application de la jurisprudence constante qui concerne les cessions simples de titres.
En suite de la réponse à ce premier moyen, l'examen du second ne pouvait que conduire à un rejet du pourvoi. Son auteur, en effet, soutenait que le cédant devait être admis, lorsqu'il devait partager le contrôle avec le cessionnaire, "à renoncer unilatéralement à l'opération s'il apparaît, une fois la promesse conclue, que l'affectio societatis fait défaut chez le cessionnaire". Cet argument, cependant, était intimement lié au précédent : si l'affectio societatis n'est pas une condition de formation du contrat de cession de contrôle, il ne saurait, en conséquence, justifier, au cas où il serait absent, l'existence d'un pouvoir de révocation unilatérale au profit du cédant. Le juge du droit rejettera, donc, le deuxième moyen (le troisième n'étant pas examiné) reprenant intégralement les dispositions de l'article 1134, alinéa 2, du Code civil : "les conventions légalement formées ne peuvent être révoquées que du consentement mutuel de ceux qui les ont faites ou pour les causes que la loi autorise". Il ajoutera, ensuite, que "l'absence d'affectio societatis en la personne du cessionnaire de droits sociaux ne constitue pas l'une de ces causes".
B - Vers la clarification des fonctions de l'affectio societatis
La rigueur de la solution du juge du droit mérite, en soi, peu de commentaires, sinon à souligner son orthodoxie : le contrat en question est un contrat de cession et, à ce titre, se trouve soumis aux seules conditions de formation des contrats de l'article 1108 du Code civil.
L'arrêt présente cependant, selon nous, un autre intérêt. Nous nous trouvions face à un pourvoi qui ne manquait pas de logique. En effet, puisque la Chambre commerciale admet que la perte d'affectio societatis peut entraîner la dissolution de la société, elle aurait pu, a fortiori, reconnaître que, dans la même situation, une convention de cession de contrôle d'une société n'avait pu être formée. Ainsi, assez habilement, le troisième moyen du pourvoi (non examiné mas joint à l'arrêt) s'appuyait sur la représentation traditionnelle du "pluralisme" (19) de la notion pour affirmer que : "l'affectio societatis est exigée non seulement au jour de la formation du contrat de société mais encore au cours de son exécution".
La manifestation de ce pluralisme, cependant, ne perdrait-elle pas de son intensité ? Un arrêt inédit (20) fort récent, du 9 octobre 2012 laisserait à penser que la Chambre commerciale ne s'attacherait qu'exceptionnellement à faire produire un effet à l'affectio societatis en dehors de la période de formation du contrat de société. Dans cet arrêt, en effet, alors que deux sociétés avaient été dissoutes pour mésentente, le juge du droit relèvera que si la perte de l'affectio societatis avait été constatée, c'est au constat, au surplus, de la paralysie de la société que les juges du fond avaient pu, exactement, prononcer la dissolution. Le rejet du pourvoi, ainsi, confirme ce que la doctrine soulignait : en substance, que la perte de l'affectio societatis est insuffisante pour justifier la dissolution (21). Ainsi en revient-on à la position de la troisième chambre civile qui, dans un arrêt du 16 mars 2011 a estimé que la perte de l'affectio societatis est synonyme de "mésentente", telle qu'entendue par l'article 1844-7, 5° du Code civil (N° Lexbase : L3736HBY) et, par voie de conséquence, qu'elle ne saurait entraîner la dissolution de la société qu'à la condition qu'il existe, en outre, une paralysie de son fonctionnement (22).
Ainsi, pourrait-on, éventuellement, en déduire, avec toutes les précautions d'usage, que la contradiction de jurisprudence entre les chambres ne serait qu'apparente, et si il y a bien pluralisme de l'affectio societatis, ce pluralisme pourrait n'emporter, dans les faits, que des conséquences économiques. Reste à la Chambre commerciale à confirmer explicitement cette interprétation, résolvant, ainsi, la question de la fonction de l'affectio societatis au cours de la vie sociale.
(1) Cass. com., 10 juin 1953, JCP, 1954, II, 7908, note D. Bastian
(2) P. Le Cannu, B. Dondero, Droit des sociétés, Montchrestien 2012, 4ème éd., n° 98.
(3) J. Hamel, L'affectio societatis, RTDCom., 1925, p. 671.
(4) Cass. com., 3 juin 1986, n° 85-12.118 (N° Lexbase : A5073AA7), Rev. Soc., 1986, p. 585, note Y. Guyon.
(5) I.e. "[ ...] la cour d'appel, qui n'a pas recherché si en s'intéressant' à la gestion du fonds M. Y. avait collaboré de façon effective à l'exploitation de ce fonds dans un intérêt commun et sur un pied d'égalité avec son associé aux bénéfices tout en participant dans le même esprit aux pertes, n'a pas donné de base légale à sa décision".
(6) La rédaction de l'arrêt ne donne pas cette définition en forme d'un attendu de principe, le juge se prononçant, toutefois, au visa de l'article 1832 du Code civil (N° Lexbase : L2001ABQ).
(7) Cass. civ. 1, 28 février 2006, n° 04-15.116, F-D (N° Lexbase : A4182DN9).
(8) Cass. civ. 1, 3 décembre 2008, n° 07-13.043, FS-D (N° Lexbase : A5147EBA).
(9) Cass. com., 19 février 1991, n° 89-16.590, inédit (N° Lexbase : A8199CWL).
(10) P. Le Cannu, B. Dondero, op.cit., n° 98, citant Cass. civ. 1, 20 janvier 2010 n° 08-13.200, FS-P+B (N° Lexbase : A4595EQA), Bull Joly Sociétés, mai 2010, p. 448, note J. Vallansan.
(11) J.-M. de Bermond de Vaulx, Le spectre de l'affectio societatis, JCP éd. E, 1994, I, 346.
(12) D. Gibirila, Jcl, Fasc.80 Société, 17 : "S'agissant précisément de la société créée de fait, l'affectio societatis y a une force et une coloration particulières. Il convient d'ailleurs de rechercher la définition jurisprudentielle de l'affectio societatis dans la définition des sociétés créées de fait".
(13) Par exemple, Cass. civ. 1, 23 mai 1977 (N° Lexbase : A5094AYC), D., 1978, jur. p. 89, note M. Jeantin.
(14) Cass. civ. 1, 24 octobre 1978, n° 77-13.884 (N° Lexbase : A3359AGI).
(15) F.-G. Trébulle, Précisions sur l'appréciation des éléments constitutifs du contrat de société, Droit des sociétés, n° 10, octobre 2004, comm. 163 : "Pluraliste, également, dans la mesure où cette intention de collaborer à un projet commun va se rencontrer non seulement lors de la formation de la société mais encore tout au long de la participation à la vie sociale (Y. Guyon, Droit des affaires : Economica, 12e éd. 2003, t. 1. - Ph. Merle, droit commercial, sociétés commerciales : Dalloz, 9e éd., n° 43 souligne qu'il s'agit d'une notion multiforme dont le plus petit commun dénominateur englobe la volonté des associés de collaborer ensemble, sur un pied d'égalité, au succès de l'entreprise commune')".
(16) Cass. civ. 1, 14 décembre 2004, n° 02-13.582, F-D (N° Lexbase : A4631DEA), Bull Joly Sociétés, 2005, note J.-J. Daigre ; Cass. com., 19 septembre 2006, n° 03-19.416, F-D (N° Lexbase : A2937DR9), Bull Joly Sociétés, 2007, note P. Le Cannu.
(17) Par exemple, Cass, civ. 3, 27 septembre 2006, n° 05-16.573, FS-D (N° Lexbase : A3517DRP) ; Cass, civ. 3, 17 décembre 2008, n° 07-14.601, FS-D (N° Lexbase : A8967EBQ) ; Cass, civ. 3, 14 janvier 2009, n° 07-20.813, FS-D (N° Lexbase : A3446ECM).
(18) Cass. com., 19 septembre 2006, préc. ; cf. Revue Lamy Droit des affaires, 2007, n° 13, page 10.
(19) F.-G. Trébulle, op. cit. loc. cit.
(20) Cass. com., 9 octobre 2012 n° 11-21.761, F-D (N° Lexbase : A3521IUX).
(21) P. Le Cannu, B. Dondero, op.cit., n° 103.
(22) Cass. civ. 3, 16 mars 2011, n° 10-15.459, FS-P+B (N° Lexbase : A1735HDM), note F.X. Lucas, Bull. Joly Sociétés, juin 2011, p. 471 ; Droit des sociétés, n° 6, juin 2011, comm. 106, obs. M. L. Coquelet ; D. Gibirila, La dissolution d'une SCI pour mésentente entre ses associés, Lexbase Hebdo n° 247 du 14 avril 2011 - édition affaires (N° Lexbase : N9640BRH) adde, Cass. com., 9 octobre 2012, n° 11-21.761, F-D, préc..
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