Réf. : CEDH, 4 octobre 2022, Req. 78017/17, Mortier c/ Belgique N° Lexbase : A36028MD
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N2869BZB
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par Laïla Bedja
le 06 Octobre 2022
► La CEDH estime que le cadre législatif belge relatif aux actes préalables à l’euthanasie et les conditions dans lesquelles l’euthanasie de la mère du requérant a été pratiquée ne violent pas l’article 2 de la CESDH (le droit à la vie). Elle conclut à une non-violation de l’article 8 estimant que les médecins de la mère du requérant ont fait tout ce qui était raisonnable, dans le respect de la loi, de leur devoir de confidentialité et de maintien du secret médical, ainsi que des directives déontologiques, pour qu’elle contacte ses enfants au sujet de sa demande d’euthanasie.
En revanche, la Cour juge qu’il y a une violation de l’article 2 à raison des défaillances du contrôle a posteriori de l’euthanasie pratiquée. Elle estime que l’État belge a manqué à son obligation positive procédurale tant en raison du manque d’indépendance de la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie qu’à cause de la durée de l’enquête pénale menée en espèce.
Les faits et procédure. Souffrant d’une grave dépression et d’un trouble grave de la personnalité, la mère du requérant a demandé à bénéficier de l’euthanasie telle que le permet la loi belge du 28 mai 2002, relative à l’euthanasie. Entre 2011 et 2012, elle consulta le professeur D. ainsi que d’autres médecins dans le cadre de la procédure d’euthanasie. Au cours de la procédure, les médecins l’incitèrent plusieurs fois à prendre contact avec ses enfants pour les informer de sa demande. Après plusieurs oppositions, elle informa ses enfants par courriel de sa volonté d’euthanasie. Une lettre d’adieu fut également adressée. Le 19 avril 2012, le professeur a pratiqué l’euthanasie et la mère du requérant décéda.
En juin 2013, dans le cadre de son contrôle automatique, la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie – dont le professeur D. était le coprésident – conclut que l’euthanasie de la mère du requérant avait été effectuée selon les conditions et la procédure prévues par la loi relative à l’euthanasie.
En février 2014, ce dernier déposa une plainte contre le professeur D. auprès du Conseil de l’Ordre des Médecins. En avril 2014, il déposa une plainte contre X concernant l’euthanasie de sa mère. Après une instruction, le parquet a estimé que l’euthanasie de la mère du requérant avait respecté les conditions de fond prescrites par la loi et qu’elle s’était déroulée selon les prescrits légaux.
Saisine de la CEDH. Invoquant l’article 2 de la Convention N° Lexbase : L4753AQ4 (droit à la vie), le requérant allègue que l’État a failli à ses obligations positives de protéger la vie de sa mère dans la mesure où la procédure prévue par la loi relative à l’euthanasie n’aurait pas été respectée en l’espèce, de sorte que les garanties qu’elle prévoit étaient illusoires. Invoquant l’article 13 de la Convention N° Lexbase : L4746AQT (droit à un recours effectif), il se plaint également de l’absence d’enquête approfondie et effective sur les faits qu’il a dénoncés.
La décision. Il s’agit de la première affaire dans laquelle la Cour est amenée à examiner la conformité à la Convention d’une euthanasie qui a été pratiquée. Elle estime dès lors nécessaire de clarifier la nature et l’étendue des obligations d’un État au regard de l’article 2 de la Convention dans ce contexte avant d’examiner le respect de ces obligations dans le cas d’espèce.
Si la Cour conclut que la loi belge sur l’euthanasie n’entre pas en contradiction avec le droit européen, elle condamne l’État belge pour le manque d’indépendance de sa commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie et pour la durée de l’enquête pénale. La Cour considère que laisser à la seule discrétion du membre concerné la décision de garder le silence lorsqu’il constate qu’il était impliqué dans l’euthanasie faisant l’objet du contrôle ne saurait être considéré comme suffisant pour assurer l’indépendance de la Commission.
En ce qui concerne l’enquête, la Cour constate que la première enquête pénale, menée par le parquet à la suite de la plainte déposée par le requérant, a duré environ trois ans et un mois alors qu’aucun devoir d’enquête ne semble avoir été entrepris par le parquet. La seconde enquête pénale menée sous la direction d’un juge d’instruction après la communication de la présente requête au Gouvernement a quant à elle duré environ un an et sept mois. Aux yeux de la Cour, prise dans son ensemble, et eu égard à l’absence de devoirs entrepris au cours de la première enquête, l’enquête pénale n’a pas satisfait à l’exigence de promptitude requise par l’article 2 de la Convention.
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