Réf. : CE référé, 21 juin 2022, n° 464648 N° Lexbase : A983877I
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par Joël Andriantsimbazovina, Agrégé des facultés de droit, Professeur à l’Université Toulouse 1 – Capitole, Institut de Recherche en Droit Européen, International et Comparé Directeur de l’Ecole Doctorale Droit et Science politique
le 06 Octobre 2022
Mots clés : Accès au service public • déféré-laïcité • neutralité • laïcité • piscine municipale
La Haute juridiction administrative confirme la suspension du nouveau règlement des piscines de la ville de Grenoble qui autorise le port du burkini, la dérogation très ciblée apportée, pour satisfaire une revendication religieuse, aux règles de droit commun de port de tenues de bain près du corps édictées pour des motifs d'hygiène et de sécurité, étant de nature à affecter le bon fonctionnement du service public et l'égalité de traitement des usagers dans des conditions portant atteinte au principe de neutralité des services publics.
Les règles de droit et le prétoire des juridictions sont plus que jamais le théâtre de batailles politiques et stratégiques qui font du juge le régulateur final des questions sociétales. Face à la banalisation intensive de ce phénomène, le juriste est pris au piège : il est tenté soit par l’enfermement dans un positivisme formaliste qui isolerait le droit du contexte politique d’une affaire, soit par une perméabilité sans limite aux dimensions politiques des débats.
L’affaire dite du burkini dans les piscines municipales de la ville de Grenoble en est un exemple type.
Au nom de la lutte contre les discriminations et dans un contexte de revendications de certaines associations en faveur du port de cette tenue de bain et de campagne médiatique menée par le maire de la ville, le conseil municipal de Grenoble a modifié le règlement intérieur des piscines municipales, le 16 mai 2022, pour autoriser, a contrario, le burkini. Selon l’article 10 du règlement intérieur litigieux : « (…) Les tenues non prévues pour un usage strict de la baignade (short, bermuda, sous-vêtements, etc…), les tenues non près du corps plus longues que la mi-cuisse (robe ou tunique longue, large ou évasées) et les maillots de bain-short sont interdits. (…) ». Autrement dit, est autorisé l’usage de tenues de bains non près du corps moins longue que la mi-cuisse.
La veille de la délibération du conseil municipal, sur instruction du ministre de l’Intérieur, le préfet de l’Isère annonçait par communiqué de presse son intention, en cas d’adoption de la délibération, de saisir le tribunal administratif de Grenoble par un « référé laïcité en vue d’obtenir la suspension, en complément du déféré annulation » ; la délibération contrevenait selon lui au principe de laïcité posé par la loi du 9 décembre 1905, concernant la séparation des Églises et de l'État N° Lexbase : L0978HDL, et aux dispositions de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021, confortant les principes de la République N° Lexbase : L6128L74. Ce qu’il fit puisqu’effectivement le cinquième alinéa de l’article L. 2131-6 du Code général des collectivités territoriales N° Lexbase : L4930L84 introduit par la loi du 24 août 2021 précitée permet au préfet d’introduire un tel référé « lorsque l’acte attaqué est de nature à (…) porter gravement atteinte aux principes de laïcité et de neutralité des services publics ».
Le 25 mai 2022, après avoir admis l’intervention de l’association Alliances citoyennes et de la Ligue des droits de l’Homme, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble fit droit à cette demande en prononçant la suspension de la délibération litigieuse ; il s’appuyait sur les dispositions de l’article 1er de la Constitution N° Lexbase : L1277A98 qui « interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances pour s’affranchir des règles communes et assurant le fonctionnement des services publics » (pt 4) et sur le principe de neutralité du service public (pt 6).
La ville de Grenoble fit appel de cette ordonnance devant le Conseil d’État. Dans l’ordonnance du 21 juin 2022, après avoir admis les interventions de l’association Alliances citoyennes, de la Ligue des droits de l’Homme au soutien des moyens de la requête de la ville de Grenoble, et de la Ligue du droit international des femmes au soutien du préfet de l’Isère, le juge des référés du Conseil d’État, statuant en formation collégiale, confirme la suspension de la délibération du conseil municipal de Grenoble.
Cette ordonnance a fait l’objet d’un accueil mitigé. Les uns la critiquent, soit parce qu’elle aurait été dictée par un positionnement politique nuisible aux principes juridiques [1], soit parce qu’elle manquerait de pédagogie et serait défavorable aux libertés [2], soit parce qu’elle ferait de l’égalité un creuset d’une discrimination fondée sur le sexe et la religion [3] ; les autres la louent, soit pour avoir mis un coup d’arrêt à l’offensive islamiste dans les piscines municipales [4], soit pour avoir encadré rigoureusement le pouvoir de l’administration en matière d’adaptation des règles d’organisation et de fonctionnement d’un service public aux demandes des usagers, particulièrement concernant l’accès à celui-ci [5] ; d’autres enfin, tout en approuvant le raisonnement et la pédagogie du juge des référés du Conseil d’État, s’interrogent sur leur portée future devant le juge du fond et au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme [6].
Ces commentaires contradictoires, à l’instar des opinions exprimées par une partie de la doctrine dans la presse et sur les blogs juridiques à propos de l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, sont généralement marqués par le propre postulat et le propre schéma de pensée de chacun des auteurs autour de la laïcité, de la neutralité des services publics, de la liberté de religion, de la lutte contre la discrimination, du degré de contrôle juridictionnel du juge administratif et de la comparaison avec des droits étrangers.
Au-delà de la position doctrinale des uns et des autres, à bien y regarder et en s’éloignant de la passion légitime que peut susciter un sujet sensible dans la société française depuis quatre décennies, l’ordonnance rendue par le juge des référés du Conseil d’État mérite mieux que des concerts bruyants d’approbation ou de désapprobation.
Le point 8 de l’ordonnance de référés est un condensé de la jurisprudence administrative sur les principes de laïcité et de neutralité des services publics en mettant l’accent sur l’égalité de traitement des usagers ; c’est aussi un vademecum des conditions d’adaptation des services publics face à des demandes de prise en compte des convictions religieuses des usagers. Le point 9 consacré à l’application à l’espèce des conditions fixées dans le point précédent met en lumière l’attention particulière accordée par le juge des référés au but visé par les mesures dérogatoires d’adaptation des règles d’accès à un service public.
À quelques exceptions près, les critiques et les interrogations sont fondées sur un regard et sur des méthodes qui, d’une part, ne prennent pas en compte ou refusent de prendre en compte l’évolution du cadre juridique des principes de laïcité et de neutralité (I), et, d’autre part, minimisent ou écartent l’évolution des méthodes de conciliation des droits et des libertés dans un contexte de tension entre les aspirations à la non-discrimination individuelle et communautaire et la recherche de préservation de la cohésion nationale (II).
I. Une suspension ancrée dans l’évolution du cadre juridique des principes de laïcité et de neutralité des services publics
Le Conseil d’État ne pouvait pas faire abstraction du changement de l’environnement juridique des principes de laïcité et de neutralité des services publics. Tous les éléments de cette mutation n’apparaissent pas dans l’ordonnance de référé, mais le dit (A°) comme le non-dit (B°) peuvent expliquer la position du juge des référés du Conseil d’État.
A. Le dit
Les visas mêmes de l’ordonnance de référé permettent de prendre la mesure de la transformation profonde des textes applicables. Si la référence à la Constitution, notamment son préambule, et à la loi du 9 décembre 1905, concernant la séparation des Églises et de l’État constitue une continuité lorsque sont en cause la laïcité et l’égalité, la mention de la loi du 24 août 2021, confortant les principes de la République est le signe que celle-ci est un nouveau passage obligé sur les questions ayant trait à ces deux principes. Cette nouvelle législation est à l’origine de l’introduction du référé-laïcité mentionné à l’article L. 2131-6 du Code général des collectivités territoriales. Ce référé-laïcité constitue un instrument procédural aux mains du préfet pour demander la suspension de tout acte qui porte atteinte gravement aux principes de laïcité et de neutralité. L’insertion de ces dispositions dans le Code de justice administrative (articles L. 554-1 N° Lexbase : L8280KGR et L. 554-3 N° Lexbase : L4037MAR) n’est pas une innovation mineure. Son inauguration dans cette affaire confirme son utilité. Quelle que soit l’appréciation que l’on peut porter sur cette nouvelle voie de droit, elle pèse de son poids et change l’office du juge : la laïcité et la neutralité sont au centre des services publics et le juge est tenu de rechercher l’existence ou non d’une atteinte grave à ces principes.
Par ailleurs, l’atmosphère générale de la loi du 24 août 2021 est celle du renforcement de la neutralité du service public à travers une garantie stricte de l’égalité des usagers devant les services publics [7]. Comme on le verra, cette tendance n’est pas indifférente à la conception française de la lutte contre les discriminations devant les services publics.
Cette ambiance générale a conduit aussi le juge des référés du Conseil d’État à rappeler et à reprendre l’interprétation de l’article 1er de la Constitution par le Conseil constitutionnel : « les dispositions de l’article 1er de la Constitution interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre les collectivités publiques et les particuliers » (pt 8)[8]. Sur ce point, le Conseil d’État partage la position du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble même si celui-ci a spécifiquement axé la fin de sa phrase sur l’interdiction « à quiconque de s’affranchir des règles communes organisant et assurant le bon fonctionnement des services publics » (pt 4).
En dépit des critiques dont elles peuvent faire l’objet, ces transformations du cadre juridique des principes de laïcité et de neutralité des services publics constituent des données qui s’imposent au juge administratif.
À cela s’ajoutent d’autres changements qui ne sont pas visibles dans l’ordonnance. Ils ne sont pourtant pas à négliger.
B. Le non-dit
À la différence du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, le Conseil d’État n’a pas visé la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme. Malgré cette absence, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme comporte des éléments qui peuvent venir en renfort de la tendance récente de l’évolution des principes de laïcité et de neutralité des services publics dans le droit positif français. Bien que cette jurisprudence concernant la France touche les agents publics et non les usagers, elle reconnaît le rôle des principes de laïcité de l’État et de neutralité des services publics tel qu’il est tiré de la jurisprudence du Conseil d’État ; le premier principe « intéresse les relations entre les collectivités publiques et les particuliers », le second est le « corollaire du principe d’égalité qui régit le fonctionnement de ces services et vise au respect de toutes les convictions » [9]. De même, la Cour européenne des droits de l’Homme établit un lien étroit entre la laïcité et la neutralité en les mettant sous le chapeau unique du « principe de laïcité et de neutralité » [10].
En tant que « principe fondateur de l’État » [11], ce principe peut faire l’objet d’une application stricte ; par ailleurs, sa mise en œuvre laisse au décideur national, à savoir l’État français, « une ample marge d’appréciation » [12]. Si cette marge d’appréciation est soumise au contrôle de la Cour européenne des droits de l’Homme, son ampleur n’est pas à négliger dans l’application concrète du principe de laïcité et de neutralité au sens de la jurisprudence européenne.
De nombreux commentateurs ont transposé la position du juge des référés du Conseil d’État qui a suspendu l’interdiction du burkini à la plage [13] au cas de la délibération du conseil municipal qui autorise le burkini dans les piscines municipales de Grenoble pour soutenir la légalité de cette dernière.
L’affaire du burkini dans les piscines de Grenoble met à jour la mutabilité concrète de l’application du principe de laïcité et de neutralité en fonction des espaces publics. Un raisonnement purement fondé sur l’ordre public matériel prime dans l’espace public accessible à tous comme la plage [14] ; un raisonnement basé sur le principe de neutralité du service public dans un souci de l’égalité stricte de traitement des usagers l’emporte dans les espaces clos de service public.
Ces différents changements sont à l’origine d’évolution de méthodes du juge administratif. Il y est conduit d’autant plus que la loi du 24 août 2021 incite fortement à une conciliation des droits et des libertés dans la quête de l’équilibre entre les aspirations à la non-discrimination individuelle ou/et de groupe et la préservation de la cohésion nationale.
II. Une suspension baignée dans de nouvelles méthodes de conciliation des droits et des libertés
Il est tentant d’analyser l’ordonnance du juge des référés du Conseil d’État sous l’angle des méthodes classiques du contrôle de proportionnalité posées de longue date et particulièrement par la jurisprudence « Benjamin » [15]. Outre que l’on se trouve en l’espèce dans le cadre d’une procédure d’urgence, un tel angle d’attaque privilégie un raisonnement opposant la liberté et la restriction de police. Or, une telle approche s’avère inadaptée en matière d’application du principe de laïcité et de neutralité au fonctionnement des services publics [16]. En effet, en la matière la laïcité « figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit » [17]. En tant que liberté, comme tous les droits et les libertés conditionnels, elle peut être conciliée avec les autres libertés, y compris la liberté de religion, et vice versa. Dans cette conciliation, l’on a tendance à appréhender la liberté de religion comme une liberté monolithique, sauf que celle-ci a une dimension interne et une dimension externe. Comme le dit la Cour de justice de l’Union européenne : « il convient d’interpréter la notion de « religion » (…) comme couvrant tant le forum internum, à savoir le fait d’avoir des convictions, que le forum externum, à savoir la manifestation en public de la foi religieuse » [18].
Le régime juridique de ces deux dimensions de la liberté de religion est différent. Le forum internum ne saurait faire l’objet de limitation car on ne saurait sonder les cœurs et les reins comme le montre la protection absolue de la liberté de changer de religion ou de conviction [19] et du caractère secret des croyances et des convictions religieuses [20]. Le forum externum peut faire l’objet de limitations encadrées [21]. En matière de fonctionnement des services publics, cette nouvelle approche de la conciliation des libertés ne fait pas de la liberté de religion une liberté sans limite. Elle privilégie également une approche objective des droits fondamentaux [22], notamment par un encadrement du droit à la non-discrimination. Dans le cadre ainsi tracé, le principe de neutralité - égalité est le principe et l’adaptation aux convictions philosophiques et religieuses l’exception (A°). Compte tenu des nombreux risques de déconstruction de la cohésion nationale engendrés par les revendications de traitement différencié au nom de la non-discrimination individuelle ou/et de groupes, la règle commune est l’important et le traitement différencié est l’accessoire (B°).
A. La neutralité – égalité est le principe, l’adaptation l’exception
Au préalable, il est important de noter la non-utilisation par le Conseil d’État de l’expression « accommodement raisonnable » employée par une partie de la doctrine [23] et par le Défenseur des droits. Inspirée notamment de pays anglo-américains ayant une approche totalement différente des rapports entre l’État et les religions, elle n’a pas pénétré le droit positif français.
Dans l’esprit de la loi du 24 août 2021, la Charte de la laïcité dans les services publics du 9 décembre 2021 dresse une liste claire des limites de l’expression des croyances religieuses dans les services publics.
Comme l’écrit C. Calvès, « le droit français ne fixe aucun cadre d’ensemble » [24] en matière de prise en compte par l’administration des demandes d’aménagement du fonctionnement du service public pour motif religieux.
La jurisprudence du Conseil d’État est habitée par la philosophie « ni obligation pour l’administration de tenir compte des demandes d’adaptation du fonctionnement du service public liées à des convictions religieuses, ni droit pour les usagers de les voir satisfaites ».
Le point 8 de l’ordonnance du juge des référés du Conseil d’État le dit en termes limpides. Il synthétise ainsi une politique jurisprudentielle déjà tracée. Il l’applique aux menus de substitution dans les cantines scolaires [25].
Sans rentrer ici dans les subtilités de cette politique jurisprudentielle, l’ordonnance de référé du 21 juin 2022 fait « du respect de la neutralité du service et notamment de l’égalité du traitement des usagers » le devoir principal du gestionnaire d’un service public dans la définition des règles d’organisation et de fonctionnement de ce service. En matière d’accès au service public, la satisfaction de « l’intérêt général qui s’attache à ce que le plus grand nombre puisse accéder effectivement au service public » doit tenir compte du cadre réglementaire et légal et de « l’interdiction de se prévaloir de ses convictions religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre les collectivités publiques et les particuliers ».
Dans un souci d’organisation du service public, le gestionnaire d’un service public dispose de la faculté de procéder à des adaptations pour tenir compte des convictions religieuses, mais dans ce cas, il doit veiller à ne pas prendre des mesures susceptibles de porter atteinte à l’ordre public ou au bon fonctionnement du service public. Les mesures sont soumises ainsi à des conditions drastiques : ne pas être fortement dérogatoires par rapport aux règles de droit commun et sans réelle justification, ne pas rendre plus difficile le respect de ces règles pour les usagers ne bénéficiant pas de la dérogation, ne pas se traduire par une rupture caractérisée de l’égalité de traitement des usagers.
On comprend dans le cas particulier des piscines municipales les difficultés d’expliquer aux usagers qui ne bénéficient pas de la dérogation au profit du burkini de l’interdiction visant certaines tenues de bain comme le bermuda.
En tant que dérogations, les mesures d’adaptation sont d’interprétation stricte par le juge administratif. L’exigence de « réelle justification » pour déroger à la règle commune conduit le juge administratif des référés à privilégier le contrôle du but de la mesure litigieuse.
B. La règle commune est l’important, le traitement différencié est l’accessoire
Ce contrôle du but d’une mesure a toujours fait l’objet d’une méfiance légitime en raison de sa charge morale ou de sa charge de moralité administrative et aussi de sa dimension subjective. La multiplication des textes relatifs à l’éthique et à la déontologie, relatifs à la lutte contre le harcèlement et surtout relatifs à la lutte contre les discriminations conduit cependant le juge à sonder l’administration pour faire apparaître le véritable but d’une mesure administrative. Conjuguée avec le succès grandissant des référés, cette nouvelle tendance du contrôle exercé par le juge administratif des référés pourrait s’enraciner dans le contentieux administratif de l’immédiateté comme l’écrit Benoît Plessix [26].
En matière d’accès, d’organisation et de fonctionnement du service public, le contrôle du but a la préférence du Conseil d’État par rapport à un contrôle du respect de l’ordre public immatériel [27]. Ayant l’avantage théorique de prendre en compte les principes de dignité humaine ou d’égalité entre les femmes et les hommes, ce contrôle a l’inconvénient de ne reposer actuellement sur aucune législation spécifique et de favoriser au moins en apparence la subjectivité philosophique et politique du juge.
L’affaire du burkini dans les piscines municipales de Grenoble a démontré l’efficacité de ce contrôle du but : l’oralité des débats a poussé la commune de Grenoble dans ses derniers retranchements.
Certains auteurs se demandent cependant si l’approche française de protection de la règle commune, qui conduit à minimiser et à marginaliser le principe de non-discrimination au profit d’une approche rigoureuse du principe de neutralité – égalité des services publics, résisterait au contrôle de proportionnalité exercé sur les restrictions de la liberté de religion par la Cour européenne des droits de l’Homme [28].
Outre que la soumission de la conciliation des droits fondamentaux à l’effectivité du principe de non-discrimination [29] est porteuse de déconstruction de la vie en société et de la cohésion nationale, le contexte national et international autour du voile islamique et du développement du fondamentalisme religieux pourrait ne pas laisser la Cour européenne des droits de l’Homme indifférente. Surtout, l’amplification dans la jurisprudence européenne du principe de subsidiarité et de la règle de la marge nationale d’appréciation insérés dans le préambule de la Convention par le protocole n° 15 laisse les débats ouverts.
[1] J. de Gliniasty, Laïcité dans les piscines municipales : entre principe juridique et argument politique (CE, Ord., 21 juin 2022, Commune de Grenoble »), RDLF, 2022, chr. n° 33.
[2] X. Bioy, AJDA, 2022, p. 1736.
[3] G. Gonzalez, JCP éd. G, n° 26, 4 juillet 2002, 803.
[4] R. Letteron, Du bon usage du référé laïcité par le Conseil d’État, blog Liberté, Libertes chéries.
[5] J.P. Camby, J.E. Schoettl, RFDA, 2022, p. 689.
[6] F. Chaltiel, Les Petites Affiches, juillet-août 2022, p. 4, LPA201s3 ; L. Eck, JCP éd. A, n° 34, 29 août 2027, 2237.
[7] E. Sales, Présentation générale de la loi confortant le respect des principes de la République, Revue du droit des religions, 13/2022, pp. 17-40.
[8] Voir Cons. const., décision n° 2004-505 DC du 19 novembre 2004 N° Lexbase : A9156DDH, cons. 18.
[9] CEDH, 26 novembre 2015, Req. 64846/11, Ebrahimian c/ France N° Lexbase : A9183NXE, § 66.
[10] Idem, § 67.
[11] Idem.
[12] Idem, § 66.
[13] CE, référé, 26 août 2016, n° 402742, n° 402777 N° Lexbase : A6904RYD.
[14] TA Bastia, ord., 6 sept. 2016, n° 1600975 N° Lexbase : A9823RYH.
[15] CE, 19 mai 1933, n° 17413 N° Lexbase : A3106B8K, Rec. 541.
[16] G. Calvès, Burkini dans les piscines grenobloises : un déféré-laïcité à haut risque, Blog Le club des juristes.
[17] Cons. constit, décision n° 2012-297 QPC du 21 février 2013 N° Lexbase : A2772I88, Rec. 293, ECLI :FR :CC :2013 : 2012.297.QPC, cons. 5.
[18] CJUE, Gr. ch., 14 mars 2017, aff. C-188/15, Asma Bougnaoui, Association de défense des droits de l’homme N° Lexbase : A4830T3B, pt 30 ; CJUE, Gr. ch., 14 mars 2017, aff. C-157/15, G4S Secure Solutions et Samira Achbita N° Lexbase : A4829T3A, pt 28 ; CJUE, Gr. ch., 28 mai 2018, aff. C-426/16, Liga van Moskeeën en Islamitische Organisaties Provincie Antwerpen VZW e.a N° Lexbase : A4886XPN, pt 44 ; CJUE, gr. ch., 10 juillet 2018, aff. C-25/17, Tietosuojavaltuutettu, Jehovan todistajat – uskonnollinen yhdyskunta N° Lexbase : A6542XXL, pt 47 ; CJUE, 4 octobre 2018, aff. C-56/17, Bahtiyar Fathi N° Lexbase : A5569YEY, pt 81 ; CJUE, Gde ch., 17 décembre 2020, aff. C-336/19, Centraal Israëlitisch Consistorie van België e.a N° Lexbase : A71654AM, pt. 52.
[19] CEDH, 25 mai 1993, Req. 14307/88, Kokkinakis c/ Grèce N° Lexbase : A6556AWQ, § 31 ; CJUE, 4 octobre 2018, aff. C-56/17, Bahtiyar Fathi N° Lexbase : A5569YEY.
[20] CEDH, 2 février 2010, Req. 21924/5, Sinan Isik c/ Turquie N° Lexbase : A49208M8 ; CEDH, 21 février 2008, Req. 19516/06, Alexandridis c/ Grèce N° Lexbase : A9980D4E ; CEDH, 18 février 1999, Req. 24645/94, Buscarini c/ Saint-Marin N° Lexbase : A6756AW7.
[21] CJUE, Gr. ch., 15 juillet 2021, aff. C-804/18, IX c/ WABE eV, C-341/19, MH Müller Handels Gmbh c/ MJ N° Lexbase : A01924Z7 ; CJUE, Gr. ch., 14 mars 2017, aff. C-188/15, Asma Bougnaoui, Association de défense des droits de l’homme, préc. ; CJUE, Gr. ch., 14 mars 2017, aff. C-157/15, G4S Secure Solutions et Samira Achbita N° Lexbase : A4829T3A.
[22] Sur cette tendance, v. M. Guerini, La cohésion nationale : théâtre des droits fondamentaux, RDLF, 2021, chr. n° 03.
[23] Par ex. : G. Calvès, Service public et fait religieux : la question des accommodements raisonnables, RDLF, 2022, chr. n° 29.
[24] Op. cit.
[25] CE, 11 décembre 2020, n° 426483 N° Lexbase : A653039Q, pts 6 et 8.
[26] B. Plessix, Les cœurs et les reins, Droit administratif, n°8-9, août 2022, Repère 8.
[27] Comparer M.O. Peyroux-Sissoko, L’ordre public immatériel en droit public français, LGDJ, 2018 ; V. Gazagne-Jammes, Les actes nuisibles à la vie en société. Etude sur les exigences de la vie en société à partir de l’article 5 de la Déclaration de 1789, LGDJ, 2022.
[28] CEDH, 10 janvier 2017, Req. 29086/12, Osmanoglu et Kocabas c/ Suisse N° Lexbase : A2776S4L : la compatibilité avec la Convention d’un refus d’exemption de cours de natation mixtes obligatoire était justifiée par l’autorisation du port du burkini.
[29] R. Medard Inghilterra, La réalisation du droit de la non-discrimination, LGDJ, 2022.
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