La lettre juridique n°912 du 30 juin 2022 : Procédure civile

[Panorama] Panorama de jurisprudence : remettre toujours le métier sur l’ouvrage

Réf. : Cass. civ. 2, 9 juin 2022, cinq arrêts, n° 20-22.588, FS-B N° Lexbase : A7921747 ; n° 21-10.724, F-B N° Lexbase : A793374L ; n° 21-11.401, FS-B N° Lexbase : A791374T ; n° 20-16.239, F-B N° Lexbase : A41147XN ; n° 19-11.671, F-B N° Lexbase : A790874N

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N1989BZP

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par Yannick Ratineau, Maître de conférences à l’Université Grenoble Alpes, Directeur adjoint de l’Institut d’Études Judiciaires de Grenoble, Centre de Recherches Juridiques – EA 1965

le 06 Novembre 2023

Mots clés : Appel • formalisme • conclusions • déféré • indivisibilité de l’objet du litige • dépendance nécessaire • radiation

Par cinq arrêts rendus le 9 juin 2022, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation procède à quelques rappels toujours utiles manifestement, comme lorsqu’elle réaffirme que si l’appelant a l’obligation de mentionner, dans le dispositif de ses conclusions d’appel s’il demande l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement, ou l'annulation du jugement, cette obligation ne peut être appliquée qu’aux déclarations d’appel postérieures au 17 septembre 2020, ou que la cour d'appel, saisie sur déféré, ne peut statuer que dans le champ de compétence d'attribution du conseiller de la mise en état et ne peut connaître de prétentions ou d'incidents qui n’ont pas été soumis à ce dernier. Mais au sein de ces cinq arrêts, d’autres décisions se veulent plus novatrices. Tel est le cas lorsque la Haute juridiction affirme que lindivisibilité de l'objet du litige doit être expressément mentionnée par l'appelant dans sa déclaration d'appel, lorsqu'il entend s'en prévaloir, et ne peut être déduite de formules englobantes, alors qu’il incombe à la cour d’appel de rechercher s'il existe un lien de dépendance entre les chefs de jugement critiqués et les chefs de jugement délaissés. Enfin, il convient de signaler une décision dans laquelle la deuxième chambre civile retient que la radiation de l'instance d'appel, fût-ce pour inexécution du jugement frappé d'appel, n'entraîne pas la suspension du délai imparti à l'appelant pour conclure dans les procédures introduites avant l’entrée en vigueur des dispositions du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 qui ont modifiées l’article 526 du Code de procédure civile (devenu l’article 524).


 

  • Formalisme des conclusions d’appel : petit rappel relatif à l’application dans le temps de la solution nouvelle de la Cour de cassation (Cass. civ. 2, 9 juin 2022, n° 20-22.588, FS-B N° Lexbase : A7921747)

Résumé : la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rappelle que l’obligation pour l’appelant de mentionner, dans le dispositif de ses conclusions d’appel s’il demande l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement, ou l'annulation, affirmée pour la première fois par un arrêt publié en date du 17 septembre 2020, fait peser sur les parties une charge procédurale nouvelle qui ne peut être appliquée qu’aux déclarations d’appel postérieures au 17 septembre 2020.

L’on se souvient qu’à l’occasion de l’arrêt rendu le 17 septembre 2020 [1], la Cour de cassation a retenu qu’il résulte « des articles 542 N° Lexbase : L7230LEI et 954 N° Lexbase : L7253LED du Code de procédure civile que lorsque l’appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l’infirmation ni l’annulation du jugement, la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement. » Eu égard à la sévérité de la sanction encourue par les plaideurs, la haute juridiction avait fait le choix de moduler dans le temps l’application de la solution nouvelle par deux arrêts en date du 20 mai 2021 [2] en affirmant qu’elle ne pouvait être appliquée aux déclarations d’appel antérieures à la date du 17 septembre 2020, au risque de priver l’appelant de son droit à un procès équitable. C’est précisément cette solution que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rappelle dans l’arrêt commenté.

En l’espèce, une salariée relève appel d’un jugement rendu par un conseil de prud’hommes dans un litige l’opposant à une société de taxi qui soulève, devant le conseiller de la mise en état, la caducité de la déclaration d’appel au motif que le dispositif des premières conclusions de l'appelante ne contient aucune demande d'infirmation du jugement du conseil de prud'hommes, de sorte qu'elles ne satisfont pas aux exigences de l'article 908 du Code de procédure civile N° Lexbase : L7239LET. Le conseiller de la mise en état, qui a rejeté cette demande, voit son ordonnance déférée à la cour d’appel qui prononce la caducité de la déclaration d’appel au motif que les conclusions d'appelant ne comportent aucune formule indiquant que l’appelante sollicite l'infirmation ou la réformation de la décision critiquée.

Dans son pourvoi, la demanderesse fait grief à l'arrêt d’avoir déclaré caduc l'appel qu’elle a interjeté le 28 juillet 2017 alors que la solution nouvelle introduite par l’arrêt du 17 septembre 2020 ne peut être appliquée à des instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date dudit arrêt sans priver les appelants du droit à un procès équitable ; qu'il en résulte donc que la cour d'appel, en décidant que l'appel était caduc dès lors que les conclusions d'appelant ne comportait aucune formule indiquant qu'elle sollicitait l'infirmation ou la réformation de la décision critiquée, a violé les articles 542 et 954 du Code de procédure civile, ensemble l'article 6 §.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales N° Lexbase : L7558AIR.

Dans son arrêt n° 20-22.588 du 9 juin 2022, la Cour de cassation, au visa des articles 542, 908 et 954 du Code de procédure civile et 6, §. 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, approuve le raisonnement du demandeur au pourvoi et rappelle que l'objet du litige devant la cour d'appel étant déterminé par les prétentions des parties, le respect de l'obligation faite à l'appelant de conclure conformément à l'article 908 s'apprécie nécessairement en considération des prescriptions de l'article 954 du code précité. Or, il résulte de ce dernier texte, en son deuxième alinéa, que le dispositif des conclusions de l'appelant remises dans le délai de l'article 908 doit comporter une prétention sollicitant expressément l'infirmation ou l'annulation du jugement frappé d'appel. En cas de non-respect de cette règle, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement, sauf la faculté qui lui est reconnue de relever d'office la caducité de l'appel. Lorsque l'incident est soulevé par une partie, ou relevé d'office par le conseiller de la mise en état, ce dernier, ou le cas échéant la cour d'appel statuant sur déféré, prononce la caducité de la déclaration d'appel si les conditions en sont réunies [3]. Cette obligation de mentionner expressément la demande d'infirmation ou d'annulation du jugement, affirmée pour la première fois par un arrêt publié du 17 septembre 2020, fait peser sur les parties une charge procédurale nouvelle dont l’application immédiate dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date de cet arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable, ce qui était le cas en l’espèce, puisque l’appelante avait relevé appel, le 28 juillet 2017.

Avec cette décision, la Cour de cassation confirme une solution qui peine pourtant à convaincre, tant en ce qui concerne l’alourdissement du formalisme des conclusions d’appel que l’atteinte supposée au droit fondamental processuel au juge, comme nous avons déjà eu l’occasion de le dire [4]. D’une part, parce que le renforcement du formalisme des conclusions d’appel ne s’impose pas comme une évidence dès lors que la modification de l'article 542 du Code de procédure civile par le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile N° Lexbase : L2696LEL, qui pose le principe selon lequel « l'appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel », n'emportait pas, selon nous, l'ajout d’une référence à une réformation ou à une annulation du jugement, mais la simple adjonction de la proposition de la critique du jugement, ce qui n'a rien à voir ; d’autre part, parce que l’on peut douter, malgré ce que dit la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, que la modulation dans le temps de l’application de la nouvelle charge procédurale imposée aux parties ait pour objectif la préservation de l’accès au juge d’appel face à une interprétation jurisprudentielle inattendue des règles de droit.

Sur le premier point, nous nous contenterons de rappeler que les dispositions de l’article 542 du Code de procédure civile enseignent seulement que les conclusions doivent formuler expressément les prétentions des parties (alinéa 1er), qu’elles doivent comporter une discussion des prétentions et un dispositif récapitulant les prétentions (alinéa 2), et que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif (alinéa 3), point de référence à l'exigence d'une demande de réformation ou d'annulation qui constituerait donc une prétention, là où l'on aurait pu penser qu’elle était consubstantielle à la voie de recours qu'est l'appel.

Sur le second point, il est possible de s’interroger sur le fait de savoir si la modulation dans le temps de la solution nouvelle posée par la Cour de cassation a réellement pour finalité de garantir le droit au juge des plaideurs en cause d’appel, puisque c’est bien de ce droit fondamental processuel dont la Haute juridiction se fait la garante ? Si l’article 910-4 du Code de procédure civile N° Lexbase : L9354LTM dispose qu’à peine d’irrecevabilité, relevée d’office, l’appelant doit présenter dès ses premières conclusions l’ensemble de ses prétentions sur le fond, il faut rappeler, d’une part, que la demande d’infirmation ou d’annulation est nécessairement contenue dans la discussion des premières conclusions de l’appelant qui critique le jugement dont il fait appel, de sorte que le fait de reprendre formellement cette demande dans le dispositif de conclusions ultérieures ne devraient pas en faire une prétention nouvelle, et d’autre part, rien ne lui interdit d’ajouter dans des conclusions ultérieures des prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses (CPC, art. 910-4), de sorte que, si l’absence de la demande d’infirmation ou d’annulation dans le dispositif des conclusions de l’appelant est soulevée par l’intimé, l’appelant devrait pouvoir y répliquer en ajoutant cette demande dans son dispositif. Ainsi, il nous semble que l’omission de mentionner expressément la demande d’infirmation ou d’annulation dans le dispositif des conclusions de l’appelant peut être contournée en pratique dès lors que l’appelant régularise l’omission dans ses dernières écritures.

À retenir : l’obligation pour l’appelant de mentionner, dans le dispositif de ses conclusions d’appel s’il demande l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement, ou l'annulation du jugement, ne peut être appliquée qu’aux déclarations d’appel postérieures au 17 septembre 2020.

  • Il n’est dévolu qu’autant qu’il a été jugé ou les limites de l’office de la cour d’appel statuant sur déféré (Cass. civ. 2, 9 juin 2022, n° 21-10.724, F-B N° Lexbase : A793374L)

Résumé : au visa des articles 914 et 916 du Code de procédure civile, la Cour de cassation rappelle que la cour d'appel, saisie sur déféré, ne peut statuer que dans le champ de compétence d'attribution du conseiller de la mise en état et ne peut connaître de prétentions ou d'incidents qui n’ont pas été soumis à ce dernier.

Si la Cour de cassation a été contrainte de rappeler récemment au conseiller de la mise en état qu’il n’appartient qu’à la formation collégiale de la cour d’appel de statuer sur l'absence d’effet dévolutif de la déclaration d’appel tendant à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués, quand bien même la nullité de cette déclaration d’appel aurait été rejetée par le conseiller de la mise en état [5], elle est maintenant contrainte de rappeler à la cour d’appel que, lorsqu’elle statue dans le cadre d’un déféré, qui n’est qu’un renvoi à la formation collégiale de la cour d’appel saisie à l’encontre des décisions de son conseiller de la mise en état [6], et non une voie de recours introduisant une instance autonome [7] ayant un effet suspensif [8], elle ne peut statuer que dans le champ de compétence d'attribution du conseiller de la mise en état et ne peut connaître de prétentions ou d'incidents qui n’ont pas été soumis à ce dernier.

En l’espèce, par acte du 23 mai 2007, deux vendeurs ont cédé une parcelle à des acquéreurs, aux droits duquel est venue une SCI qui a assigné les vendeurs, pour les voir condamner, notamment, au paiement de diverses sommes du fait d'une servitude sur le fonds. De leur côté, les vendeurs ont soutenu que l'acte de vente était un faux et conclu à la nullité de la vente, provoquant l’intervention volontaire d’une SCP, notaire instrumentaire. Par jugement du 11 janvier 2018, le tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre a dit que l'acte authentique n'était pas un faux, prononcé la nullité pour dol de la vente consentie le 23 mai 2007 et débouté les parties du surplus de leurs demandes. La SCI a relevé appel de ce jugement par déclaration du 26 avril 2018, puis elle a formé une seconde déclaration d'appel le 30 avril 2018 afin d’intimer d’autres consorts omis de la première déclaration ; les deux déclarations ont été jointes le 14 mai 2018. Le 14 septembre 2018, les vendeurs ont saisi le conseiller de la mise en état d'un incident de caducité de la déclaration d'appel et ont déféré à la cour d'appel son ordonnance du 25 mars 2019 ayant rejeté leur demande.

Dans son pourvoi, la SCI fait grief à l'arrêt de déclarer caduque les deux déclarations d’appel, enrôlées après jonction et de dire que sa décision mettait fin à l'instance, alors que la cour d’appel n’était saisie que d'un déféré à l'encontre d'une ordonnance du conseiller de la mise en état se bornant à statuer sur un incident soulevé par les seuls consorts L., intimés, tiré de la caducité de la déclaration d'appel du 28 avril 2018. Or, la cour d’appel, statuant sur déféré d'une ordonnance du conseiller de la mise en état, ne peut connaître de prétentions ou soulever d'office des incidents qui n'ont pas été soumis au conseiller de la mise en état sans violer les articles 914 et 916 du Code de procédure civile N° Lexbase : L8615LYQ, ce qu’elle a fait en l’espèce en retenant que la déclaration d'appel du 28 avril 2018 était caduque à l'égard de la SCP, qui n'avait pas soumis un tel incident au conseiller de la mise en état, et que la déclaration d'appel du 30 avril 2018 était également caduque.

Au visa des articles 914 et 916 du Code de procédure civile, la Cour de cassation accueille favorablement les arguments du demandeur au pourvoi, et rappelle que la cour d'appel, saisie sur déféré, ne peut statuer que dans le champ de compétence d'attribution du conseiller de la mise en état et ne peut connaître de prétentions ou d'incidents qui ne lui ont pas été soumis. Or, en relevant d’office, pour prononcer la caducité de la déclaration d'appel du 26 avril 2018, dirigée notamment contre la SCP et celle du 30 avril 2018 dirigée contre plusieurs vendeurs, alors qu’elle n’était saisie que du déféré formé contre une ordonnance d'un conseiller de la mise en état ayant rejeté un incident de caducité de l'appel soulevé par un seul des intimés, que le litige est indivisible à l'égard de l'ensemble des intimés, la cour d’appel, qui s'est prononcée sur des incidents qui n'avaient pas été soumis au conseiller de la mise en état, a violé les articles 914 et 916 du Code de procédure civile.

La décision commentée peut surprendre tant la solution retenue par la Cour de cassation est classique. En effet, les décrets n° 2009-1524 du 9 décembre 2009 N° Lexbase : L0292IGW, n° 2010-1647 du 28 décembre 2010 N° Lexbase : L9934INA réformant la procédure d'appel avec représentation obligatoire, et n° 2017-891 du 6 mai 2017 précité, ont accru les compétences du conseiller de la mise en état afin de concentrer le règlement des incidents au stade de la mise en état et de permettre à la cour d'appel de se pencher avant tout sur le fond de l'affaire. Dans cette logique, l’article 914 du Code de procédure civile dispose désormais que le conseiller de la mise en état est, jusqu'à la clôture de l'instruction, seul compétent pour prononcer la caducité de l'appel, pour déclarer l'appel irrecevable et trancher à cette occasion toute question ayant trait à la recevabilité de l'appel, pour déclarer les conclusions irrecevables en application des articles 909 N° Lexbase : L7240LEU et 910 N° Lexbase : L7241LEW du Code de procédure civile ou encore pour déclarer les actes de procédure irrecevables en application de l'article 930-1 (obligation de remise par voie électronique à la juridiction des actes de procédure dans la procédure d'appel avec représentation obligatoire, sauf si la partie est représentée par un défenseur syndical). Il est donc acquis, depuis plusieurs années maintenant que, dans le cadre du déféré, la cour d'appel ne statue que dans la limite de la compétence d'attribution du conseiller de la mise en état [9], ce qui a notamment conduit la Cour de cassation à juger que la cour d'appel saisie sur déféré n'a pas à connaître d'une cause d'irrecevabilité de l'appel qui n'avait pas été soulevée devant le conseiller de la mise en état [10]. La solution est parfaitement compréhensible dès lors que l’effet dévolutif qui s’attache, aussi, au déféré et qui a déjà été rappelé par la Cour de cassation[11] fait que l’on ne peut demander à la cour statuant sur déféré de juger au-delà de ce qui a été demandé préalablement au conseiller de la mise en état.

À retenir : la cour d'appel, saisie sur déféré, ne peut statuer que dans le champ de compétence d'attribution du conseiller de la mise en état et ne peut connaître de prétentions ou d'incidents qui n’ont pas été soumis à ce dernier.

  • Il n’est dévolu qu’autant qu’il est appelé ou la nécessaire mention expresse de l’indivisibilité de l’objet du litige dans la déclaration d’appel (Cass. civ. 2, 9 juin 2022, n° 21-11.401, FS-B N° Lexbase : A791374T)

Résumé : Si l'appelant n'est pas tenu de mentionner dans la déclaration d'appel un ou plusieurs des chefs de dispositif du jugement qu'il critique, lorsqu'il entend se prévaloir de l'indivisibilité de l'objet du litige, il n'en doit pas moins se référer, dans la déclaration d’appel, à cette indivisibilité [12].

De la même manière que l'indivisibilité entre les parties entraîne des conséquences particulières quant à la portée de l'acte d'appel, il va de soi que l'indivisibilité de l'objet du litige a des effets sur l'étendue de la dévolution. Lorsque l'appel porte seulement sur certains chefs du jugement, mais que ceux-ci sont liés d'une manière indivisible à d'autres chefs qui n'ont pas été visés expressément par l'acte d'appel, il était jusqu’à présent acquis que les uns comme les autres étaient en principe dévolus à la cour. Si le principe demeure, l’arrêt rendu le 9 juin 2022 vient toutefois en atténuer la portée en imposant à l’appelant de mentionner, dans la déclaration d’appel, l’indivisibilité de l’objet du litige lorsqu’il entend s’en prévaloir, au risque de voir l’effet dévolutif ne pas opérer devant la cour d’appel.

En l’espèce, un tribunal d’instance a condamné une femme à se séparer de deux coqs sous astreinte et à payer à ses voisins une certaine somme à titre de dommages-intérêts. La plaignante a interjeté appel du jugement. La Cour d’appel de Dijon, par arrêt du 10 novembre 2020, a constaté que la déclaration d'appel de l’appelante mentionne que l'appel est « limité aux chefs de jugement expressément critiqués », sans les détailler, de sorte qu’en l'absence de référence à l'indivisibilité de l'objet du litige dans la déclaration d'appel, elle en a déduit que l'effet dévolutif n'avait pas opéré.

Dans son pourvoi en cassation, la demanderesse fait grief à l'arrêt de dire que n'étaient pas déférés à sa connaissance les chefs du jugement frappé d'appel, alors que la dévolution s'opère pour le tout lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible, alors qu’en l’espèce, les deux chefs de dispositif du jugement ayant condamné un propriétaire à se séparer de ses coqs sous astreinte pour anormalité du trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage et à verser des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, sont nécessairement unis de manière indivisible par un lien de dépendance et de subordination. En énonçant, pour dire que l'objet du litige ne pouvait être qualifié d'indivisible et, par suite, en déduire que l'effet dévolutif de l'acte d'appel, « limité aux chefs de jugement expressément critiqués », ne s'était pas opéré, au motif que le recours de l’appelante pouvait porter sur l'une de ses condamnations, plusieurs d'entre elles, et ou non le rejet de sa demande pour procédure abusive, la cour d'appel a violé l'article 562, alinéa 2, du Code de procédure civile N° Lexbase : L7233LEM, ensemble l'article 901-4° du même code.

La Cour de cassation rejette le pourvoi en commençant par rappeler le contenu de l’article 562 du Code de procédure civile en vertu duquel « l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent. La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible ». Elle déduit de ce texte que, « si l'appelant n'est pas tenu de mentionner, dans la déclaration d'appel, un ou plusieurs des chefs de dispositif du jugement qu'il critique lorsqu'il entend se prévaloir de l'indivisibilité de l'objet du litige, il n'en doit pas moins se référer, dans la déclaration à cette indivisibilité » pour retenir que, la cour d'appel qui relève que la déclaration d'appel se borne à mentionner en objet que l'appel est « total » ou encore qu'il est « limité aux chefs de jugement expressément critiqués » sans les détailler, en a exactement déduit que l'effet dévolutif n'avait pas opéré, en l'absence de référence à l'indivisibilité de l'objet du litige dans la déclaration d'appel.

Si le principe d’indivisibilité de l’objet du litige en lui-même ne présente aucune difficulté – sauf dans l’hypothèse de demandes incidentes en garantie [13] – la volonté de renforcer le formalisme de la déclaration d’appel qui innerve l’œuvre jurisprudentielle comme législative de ces dernières années conduit la Cour de cassation à restreindre une solution jurisprudentielle ancienne [14] frappée du sceau du « bon sens ». En effet, il était acquis jusqu’à présent que l’objet du litige est indivisible lorsqu’il n’est pas possible d’attaquer certains chefs du jugement sans attaquer indirectement les autres. En pareille hypothèse, il était de jurisprudence constante de considérer que l’effet dévolutif opérait pour le tout. En l’espèce, l’on se trouvait bien en présence d’un objet du litige indivisible comme en la demanderesse au pourvoi le démontrait, les deux chefs de dispositif du jugement l’ayant condamnée à se séparer de ses coqs sous astreinte pour anormalité du trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage, et à verser des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, étaient manifestement unis de manière indivisible par un lien de dépendance et de subordination. Mais c’était sans compter sur les évolutions de la jurisprudence de la Cour de cassation qui n’a eu de cesse de renforcer le formalisme de la déclaration d’appel – et nous l’avons suffisamment écrit au fil des mois dans les colonnes de cette revue pour ne pas y revenir une fois encore – de sorte qu’il était prévisible, qu’à la première occasion, la Haute juridiction ferait le choix de rompre avec la logique qui irriguait jusqu’alors sa jurisprudence en imposant aux plaideurs qui entendent se prévaloir de l’indivisibilité de l’objet du litige de le mentionner expressément dans leur déclaration d’appel. C’est désormais chose faite !

Nous ne pouvons que conseiller aux avocats qui nous lisent de se montrer extrêmement vigilants lors de la rédaction de la déclaration d’appel. Non seulement, la solution retenue à l’occasion de l’arrêt commenté leur impose désormais de mentionner s’ils entendent se prévaloir de l’indivisibilité de l’objet du litige, mais encore, de démontrer cette indivisibilité de l’objet du litige. Il nous semble certain que la notion d’indivisibilité va être l’objet de toutes les attentions devant les cours d’appel, et que les plaideurs ne démontrant pas suffisamment l’indivisibilité de l’objet du litige se verront opposer par les cours d’appel le fait que l’effet dévolutif n’a pas opéré, comme cela a été le cas dans l’arrêt commenté.

À retenir : l'indivisibilité de l'objet du litige doit être expressément mentionnée par l'appelant dans sa déclaration d'appel, lorsqu'il entend s'en prévaloir. Elle ne peut être déduite de formules englobantes.

Résumé : selon l'article 562, alinéa 1er, du Code de procédure civile, l'appel ne défère à la cour d'appel que la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent, lesquels s'entendent de tous ceux qui sont la conséquence des chefs de jugement expressément critiqués. Il appartient à la cour d'appel de rechercher s'il existe un lien de dépendance entre les chefs de jugement et dont l'appelant invoque l'existence. Encourt la cassation un arrêt qui retient que ce moyen est inopérant, dès lors que l'appelant s'est abstenu de critiquer la disposition du jugement déféré.

Consacré par l’article 562 du Code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 qui a abandonné la référence à la connaissance des chefs du jugement implicitement critiqués qui était source d’imprécision dans le texte, le principe selon lequel l'appel « ne défère à la cour que la connaissance des chefs du jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent » emporte comme conséquence qu’il appartient à l’appelant d’indiquer dans sa déclaration d'appel les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible, et que l’appelant ne peut sortir des limites qu’il a assignées à son appel [15], la cour étant néanmoins saisie des chefs visés dans les appels incidents [16]. Reste que l’article 562 du Code de procédure civile prévoit les cas où la limitation de l’appel à certaines dispositions de la décision attaquée est sans effet : tel est le cas de l'indivisibilité et de la dépendance nécessaire qui existerait entre les chefs de jugement critiqués et les chefs de jugement délaissés. La notion de dépendance nécessaire, qui semble impliquer une appréciation plus souple que celle d'indivisibilité [17], est au cœur de l’arrêt rendu le 9 juin 2022 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation.  

En l’espèce, mandaté par un syndicat de copropriétaires pour effectuer certains travaux, le gérant d’une Sarl a été blessé à la suite d'une chute survenue depuis une nacelle, prise en location auprès d’une société, qui s'est déséquilibrée au moment de son intervention sur le parking d'un membre d’une copropriété voisine sur laquelle la nacelle était installée. Le gérant a assigné devant le Tribunal de grande instance de Besançon les deux syndicats de copropriétaire et l’assureur du premier, aux fins de les condamner, sur le fondement de leur responsabilité civile, à réparer les préjudices subis. La seconde assurance du second syndicat des copropriétaires est intervenue volontairement à l'instance. Par jugement du 16 juillet 2019, le tribunal a notamment dit que la demande du gérant est recevable et fondée, mais sur les articles 1er et suivants de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 N° Lexbase : L7887AG9, mis hors de cause les sociétés d'assurance, fixé l'assiette des préjudices, débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires et ordonné la réouverture des débats en invitant le gérant à justifier de tous éléments sur l'indemnisation éventuellement perçue par l'assureur de la nacelle ou des actions entreprises à son encontre. Par déclaration du 28 août 2019, le gérant a formé un appel puis, par acte du 22 octobre 2019, a assigné en intervention forcée la société propriétaire de la nacelle, et son assureur.

Par arrêt du 10 mars 2020, la cour d’appel de Besançon a déclaré le gérant irrecevable en ses demandes tendant à remettre en cause le régime juridique applicable au litige et les modalités de fixation de ses préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux et, en conséquence, a confirmé le jugement rendu le 16 juillet 2019 par le tribunal de grande instance de Besançon, en ce qu'il a mis hors de cause les assureurs, en leur qualité d'assureur de responsabilité civile immeuble et propriétaire d'immeuble du syndicat des copropriétaires de l'immeuble. Mais surtout, la cour d’appel retient que le gérant invoque à son bénéfice l'alinéa 1er de l'article 562 et prétend qu'en critiquant la seule mise hors de cause des assureurs, il a nécessairement critiqué l'application de la loi du 5 juillet 1985. Les juges bisontins considèrent que cet argument est inopérant puisqu’il s'est abstenu de critiquer la disposition du jugement déféré disant que sa demande est recevable et fondée mais sur les articles 1er et suivant de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985.

Dans son pourvoi en cassation, le gérant fait valoir que, si son acte d'appel se borne effectivement à critiquer le dispositif du jugement rendu le 16 juillet 2019 en ce qu'il a mis hors de cause les assureurs en leurs qualités respectives d'assureurs des syndicats de copropriétaires, cela implique nécessairement celle du chef de dispositif du jugement qui a dit sa demande recevable exclusivement sur le fondement des dispositions de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 dès lors que la mise hors de cause des assureurs n'a résulté que du choix de ce fondement, puisque la garantie qu'ils apportaient aux syndicats ayant pour objet de couvrir, non des sinistres résultant d'un accident de la circulation, mais des accidents résultant de la « responsabilité civile immeuble et propriétaires d'immeuble ». En jugeant donc que la demande du gérant tendant à remettre en cause le régime juridique applicable au litige était irrecevable, au seul motif que le chef du dispositif du jugement ayant retenu l'application de la loi du 5 juillet 1985 n'était pas visé par son acte d'appel, sans rechercher, comme elle y était invitée, et comme la loi le lui imposait, s'il n'existait pas un lien de dépendance nécessaire entre le chef du jugement portant sur la mise hors de cause des assureurs, dont il était fait appel, et le chef du jugement ayant décidé que l'indemnisation du gérant reposait sur la seule loi susvisée, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 562 alinéa 1er du Code de procédure civile, en vertu duquel « l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent ».

Dans son arrêt du 9 juin 2022, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Besançon au visa de l’article 562 du Code de procédure civile. La Haute juridiction commence par rappeler que selon ce texte, l'appel ne défère à la cour d'appel que la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent, lesquels s'entendent de tous ceux qui sont la conséquence des chefs de jugement expressément critiqués, puis reprend le raisonnement des juges d’appel ainsi que celui du demandeur au pourvoi exposé supra, avant de trancher la question qui lui est soumise en retenant qu’en se déterminant comme elle l’a fait, sans rechercher s'il existait un lien de dépendance entre les chefs de jugement portant sur la mise hors de cause des assureurs et le chef de jugement ayant tranché le régime de responsabilité applicable, la cour d'appel qui, au surplus, ne pourrait que constater l'absence d'effet dévolutif sur ce point, n'a pas donné de base légale à sa décision.

Les arrêts relatifs au lien de dépendance existant entre les chefs de jugement critiqués et les chefs de jugement délaissés sont peu nombreux, et c’est bien là tout l’intérêt de la présente décision. En vertu de l’adage « tantum devolutum quantum appellatum », il relève de l’office du juge d’appel de recherche s’il existe un lien de dépendance entre les chefs de jugement critiqués par l’appelant dans sa déclaration d’appel, laquelle fixe l’objet de l’instance d’appel, et les chefs de jugement délaissés par ce dernier. En effet, l’appelant peut limiter son appel à certains chefs du jugement, de sorte qu’il n’est en principe alors dévolu qu’autant qu’il est appelé. Et si le nouvel article 562 du Code de procédure civile, modifié par le décret n° 2017-891du 6 mai 2017, ne fait plus référence à la critique implicite du jugement, ce texte précise néanmoins que même lorsque la dévolution est limitée, elle s’étend toutefois aux chefs du jugement qui dépendent des chefs critiqués expressément. Toute la difficulté pour le juge d’appel est de caractériser le lien de dépendance qui peut exister entre les chefs de jugement expressément critiqués dans la déclaration d’appel et les chefs de jugement délaissés par l’appelant. En l’espèce, aucune des parties ne se prévalait, à juste titre, de l'indivisibilité de l’objet du litige et il n'était pas davantage sollicité l'annulation du jugement attaqué mais son infirmation partielle. Toutefois, l’appelant invoquait à son bénéfice l'alinéa 1er de l’article 562 du Code de procédure civile et prétendait qu'en critiquant la seule mise hors de cause des assureurs des deux syndicats de copropriétaires il avait nécessairement critiqué l'application de la loi du 5 juillet 1985. Toute la difficulté, comme le relève d’ailleurs la cour d’appel, tient dans le fait que l’appelant s'est abstenu de critiquer la disposition du jugement affirmant que la demande de gérant était recevable et fondée mais sur les articles 1er et suivant de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, de même qu’il s’est abstenu de critiquer dans sa déclaration d'appel le chef du jugement déboutant les parties de leurs demandes plus amples et contraires et celui fixant assiette de ses préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux en en énumérant les différents quantums, de sorte que la cour d’appel pouvait effectivement considérer, au regard du contenu de la déclaration d'appel, que l’appelant ne critiquait que la mise hors de cause du litige des assureurs des deux syndicats de copropriétaires et donc la mise en œuvre de leur garantie. Mais la cour d’appel a commis une erreur en retenant que l’argument, tiré de ce que la critique dirigée contre la mise en hors de cause des assureurs emportait également celle du régime juridique retenu par le tribunal pour fonder la décision, était « inopérant ». Cet argument soulevait précisément la question de la dépendance de deux chefs de dispositif du jugement, car la mise hors de cause des assureurs n'a résulté que du choix du fondement des dispositions de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985. Il existait donc, manifestement, une interrogation sur l’existence d’un lien de dépendance nécessaire entre le chef du jugement portant sur la mise hors de cause des assureurs, dont il était fait appel, et le chef du jugement ayant décidé que l'indemnisation de gérant reposait sur la seule loi du 5 juillet 1985 à laquelle la cour d’appel n’a pas répondu. Et c’est bien cette absence de réponse qui est censurée par la Cour de cassation.

À retenir : il incombe à la cour d’appel de rechercher s'il existe un lien de dépendance entre les chefs de jugement critiqués et les chefs de jugement délaissés.

  • Radiation : Exécutez d’abord, vous discuterez ensuite (Cass. civ. 2, 9 juin 2022, n° 19-11.671, F-B, cassation N° Lexbase : A790874N)

Résumé : il résulte des articles 377 N° Lexbase : L2241H4R, 526 N° Lexbase : L7263LEQ, 908 et 911-2 N° Lexbase : L7244LEZ du Code de procédure civile, dans leur rédaction antérieure au décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, que la radiation de l'instance d'appel, fût-ce pour inexécution du jugement frappé d'appel, n'entraîne pas la suspension du délai imparti à l'appelant pour conclure.

En principe, le procès est suspendu lorsque survient un incident qui oblige le juge à suspendre l’instance. Il en est ainsi chaque fois que la loi l’y contraint, par exemple, pour permettre à un héritier de faire inventaire ou à une partie d’appeler un garant en cause. Mais il existe une autre cause de suspension de l’instance bien plus redoutable, spécifique à la procédure d’appel : la radiation de l’appel prévue à l’article 526 du Code de procédure civile – devenu 524 depuis l’entrée en vigueur des dispositions du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile N° Lexbase : L8421LT3. Ce texte disposait alors que « lorsque l'exécution provisoire est de droit ou a été ordonnée, le premier président ou, dès qu'il est saisi, le conseiller de la mise en état peut, en cas d'appel, décider, à la demande de l'intimé et après avoir recueilli les observations des parties, la radiation du rôle de l'affaire lorsque l'appelant ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée d'appel ou avoir procédé à la consignation autorisée dans les conditions prévues à l'article 521, à moins qu'il lui apparaisse que l'exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives ou que l'appelant est dans l'impossibilité d'exécuter la décision. Le premier président ou le conseiller chargé de la mise en état autorise, sauf s'il constate la péremption, la réinscription de l'affaire au rôle de la cour sur justification de l'exécution de la décision attaquée ». Une question, âprement débattue en doctrine, consistait à se demander si la décision de radiation emportait une suspension des délais dans lesquels l’appelant doit conclure ? C’est à cette question que la Cour de cassation répond dans l’arrêt du 9 juin 2022, dans la droite ligne de la solution retenue par le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017. 

En l’espèce, une société, domiciliée en Belgique, a interjeté appel le 25 février 2015 d'un jugement rendu dans un litige l'opposant à deux autres sociétés. La société appelante a déposé et notifié à l’une des sociétés intimées ses premières conclusions d'appel le 17 juillet 2015. L'affaire a été radiée le 17 juillet 2015 en raison de l'inexécution du jugement par la société appelante. L’autre société intimée a constitué avocat le 10 août 2015 et l'affaire ayant été rétablie au rôle le 19 avril 2017, la société appelante a notifié ses conclusions d'appel à l’ensemble des sociétés intimées le 21 avril 2017. Celles-ci ont saisi le conseiller de la mise en état d’un incident de caducité de la déclaration d’appel. Les sociétés intimées ont déféré l’ordonnance du conseiller de la mise en état ayant rejeté leur incident de caducité de la déclaration d'appel fondé sur l'article 908 du Code de procédure civile devant la cour d’appel. Pour confirmer le rejet de l'incident de caducité de la déclaration d'appel, la cour d’appel retient qu'en l'état du droit antérieur à l'entrée en vigueur, le 1er septembre 2017, du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, la radiation de l'affaire pour inexécution du jugement, en application de l'article 377 du Code de procédure civile et en l'absence de texte contraire, a entraîné la suspension de l'instance et des délais prévus aux articles 908 et 911-2 du Code de procédure civile, de sorte que l'instance, suspendue le 17 juillet 2015 du fait de la radiation prononcée sur le fondement de l'article 526 du même Code, a repris son cours le 19 avril 2017. Elle en déduit que la notification de ses conclusions par la société appelante aux sociétés intimées le 21 avril 2017 est intervenue avant l'expiration du délai de cinq mois résultant des articles 908 et 911-2, qui avait couru du 25 février 2015 au 17 juillet 2015, et qui a recommencé à courir à compter du 19 avril 2017.

Dans leur pourvoi, les deux sociétés font grief à l'arrêt d’avoir rejeté le déféré et de dire que l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 12 septembre 2017 sortira son plein et entier effet, alors que la radiation prononcée sur le fondement de l'article 526 du Code de procédure civile n'emporte ni suspension ni interruption du délai imparti à l'appelant par les articles 908 et 911-2 du Code de procédure civile. De fait, pour les deux sociétés, en jugeant que la radiation prononcée le 17 juillet 2015 avait eu pour effet d'interrompre ce délai, la cour d'appel a violé ces dispositions.

Pour la Cour de cassation, il résulte des articles 377, 526, 908 et 911-2 du Code de procédure civile, dans leur rédaction antérieure au décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, que la radiation de l'instance d'appel, fût-ce pour inexécution du jugement frappé d'appel, n'entraîne pas la suspension du délai imparti à l'appelant pour conclure, de sorte qu’en déduisant que la notification de ses conclusions par la société appelante aux sociétés intimées est intervenue avant l'expiration du délai de cinq mois résultant des articles 908 et 911-2, qui avait couru du 25 février 2015 au 17 juillet 2015, et qui a recommencé à courir à compter du 19 avril 2017, alors que la radiation de l'instance d'appel prononcée le 17 juillet 2015 n'avait pas pour effet de suspendre le délai pour conclure imparti à la société appelante, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Dans la droite ligne de l’article 526 du Code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, devenu 524 depuis l’entrée en vigueur des dispositions du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, la Cour de cassation considère que la demande de radiation ne suspend que les délais impartis à l'intimé par les articles 905-2,909,910 et 911 du même Code, et notamment les délais pour conclure, et en déduit naturellement que la suspension des délais consécutive à la demande de radiation fondée sur l’article 526 du Code de procédure civile, et non les délais de l’appelant qui continuent donc à courir malgré la radiation ordonnée. Il appartient donc à ce dernier, lorsqu’une demande de radiation a été formée sur le fondement de ce texte, de conclure au soutien de son appel pour éviter la caducité de son appel, et ce, quel que soit le sort qui sera réservé à la demande de radiation de l’intimé, et avant même qu’il n’ait été statué sur cette demande. La solution pourrait être discutée dès lors qu’antérieurement à l’entrée en vigueur des dispositions du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, l’article 377 du Code de procédure civile prévoyant qu’« en dehors des cas où la loi le prévoit, l'instance est suspendue par la décision qui sursoit à statuer, radie l'affaire ou ordonne son retrait du rôle », il était permis de penser, en l’absence de texte contraire, que la radiation entraînait la suspension de l'instance, et des délais prévus aux articles 908 et 911-2 du même Code à l’égard de toutes les parties. Cette interprétation ne nous semble toutefois pas emporter la conviction dès lors que la radiation est une sanction qui a vocation à inciter l’appelant à exécuter le jugement assorti de l’exécution provisoire qu’il frappe d’appel s’il souhaite pouvoir effectivement contester cette décision avant que la péremption ne vienne le priver définitivement de cette possibilité. La finalité de la radiation interdit de faire bénéficier l’appelant de la suspension des délais pour conclure, et c’est bien la solution qui a été retenue par le législateur. De ce point de vue, la décision de la Cour de cassation nous semble devoir être pleinement approuvée.

À retenir : la radiation de l'instance d'appel, fût-ce pour inexécution du jugement frappé d'appel, n'entraîne pas la suspension du délai imparti à l'appelant pour conclure dans les procédures introduites avant l’entrée en vigueur des dispositions du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 qui ont modifiées l’article 526 du Code de procédure civile (devenu l’article 524).


[1] Cass. civ. 2, 17 septembre 2020, n° 18-23.626, FS-P+B+I [LXB=A88313TA.

[2] Cass. civ. 2, 20 mai 2021, n° 19-22.316, F-P N° Lexbase : A25334SM ; Cass. civ. 2, 20 mai 2021, n° 20-13.210, F-P N° Lexbase : A25324SL.

[3] Cass. civ. 2, 4 novembre 2021, n° 20-15-766, F-B N° Lexbase : A07267BI.

[4] Y. Joseph-Ratineau, Dispositif des conclusions d’appel : application dans le temps de la solution nouvelle de la Cour de cassation, Lexbase Droit privé, juin 2021, n° 868 N° Lexbase : N7812BYY ; V. égal. : Y. Joseph-Ratineau, Précisions des chefs de jugement critiqués dans le dispositif des conclusions d’appel : tout va bien (ou presque…) Lexbase Droit privé, mars 2022, n° 900 N° Lexbase : N0911BZR.

[5] Cass. civ. 2, 19 mai 2022, n° 21-10.685, F-B N° Lexbase : A41087XG ; Y. Joseph-Ratineau, Panorama de jurisprudence : la procédure d’appel dans tous ses états, Lexbase Droit privé, juin 2022, n° 909 N° Lexbase : N1753BZX.

[6] Cass. civ. 2, 11 janvier 2018, n° 16-23.992, F-P N° Lexbase : A2014XAT ; Cass. civ. 2, 25 mars 2021, n° 18-23.299, F-B, N° Lexbase : A67504MX.

[7] Il serait donc opportun que les cours d’appel cessent d’attribuer des numéros de RG au déféré formé et de supprimer le précédent RG attribué à l’instance au fond car c’est une source de complications inutiles, et cette pratique ne répond nullement à une quelconque exigence du code.

[8] Cass. civ. 2, 14 novembre 2019, n° 18-23.631, F-P+B+I N° Lexbase : A6637ZYH.

[9] Cass. civ. 2, 13 octobre 2016, n° 15-24.932, F-P+B N° Lexbase : A9663R7Z.

[10] Cass. civ. 2, 31 janvier 2019, n° 17-22.765, FS-P+B N° Lexbase : A9790YU7.

[11] Cass. civ. 2, 13 mai 2015, n° 14-13.801, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8860NHM ; Cass. civ. 2, 31 janvier 2019, n° 17-22.765, FS-P+B N° Lexbase : A9790YU7 ; Cass. civ. 2, 4 mars 2021, n° 19-15.695, FS-PN° Lexbase : A00264K8.

[12] V. égal. : Cass. civ. 2, 9 juin 2022, n° 20-20.936, FS-B N° Lexbase : A791574W ; A. Martinez-Ohayon, Appel civil et indivisibilité de l’objet du litige : l’appelant est tenu d’en faire référence dans sa déclaration d’appel, Lexbase Droit privé, juin 2022, n° 911 N° Lexbase : N1906BZM.

[13] V. not., en matière d’arrêté d’un plan de sauvegarde en procédures collectives (Cass. com., 9 juill. 2019, n° 18-17.129, FS-D N° Lexbase : A3292ZK7 ; en matière d’admission des créances en procédures collectives : Cass. civ. 2, 10 janvier 2019, n° 17-27.060, F-D N° Lexbase : A9770YSN ; en matière de saisie immobilière entre tous les créanciers : Cass. civ. 2, 21 février 2019, n° 17-31.350, F-P+B N° Lexbase : A8802YYN ; en matière de fixation de la date de cessation des paiements en procédures collectives : Cass. com., 8 mars 2017, n° 15-20.289, F-D N° Lexbase : A4560T3B.

[14] Cass. soc. 30 juin 1950, Bull. III, n° 562. – Cass. civ., 15 décembre1943, DP 1944, 37.

[15] V. not. : Cass. civ. 3, 14 novembre. 1991, n° 89-16.683, P N° Lexbase : A2712AB3 ; Cass. civ. 2, 7 mars 2002, n° 00-16.240, P N° Lexbase : A1808AYM.

[16] Cass. civ. 2, 13 octobre 2016, n° 15-21.973, F-P+B N° Lexbase : A9620R7G.

[17] Cass. civ. 2, 26 octobre 2006, n° 05-21.398, FS-P+B N° Lexbase : A3429DSS ; Cass civ. 2, 15 décembre 2005, n° 04-12.299, F-P+B N° Lexbase : A9967DLQ.

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