Réf. : Cass. crim., 9 juin 2022, n° 21-80.237, FS-B N° Lexbase : A793074H
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par Adélaïde Léon
le 21 Juin 2022
► En vertu de l’infléchissement de la jurisprudence de la Chambre criminelle, le principe ne bis in idem ne s’oppose pas, en cas de poursuites concomitantes, à ce qu’une même personne soit déclarée concomitamment coupable des chefs d’association de malfaiteurs et d’une infraction commise en bande organisée ; Cette règle s’applique également lorsque des faits identiques sont retenus pour caractériser l’association de malfaiteurs et la bande organisée et, il importe peu que l’association de malfaiteurs ait visé la préparation de la seule infraction poursuivie en bande organisée.
Rappel des faits. Une information judiciaire a été ouverte sur les activités de deux hommes et une femme, soupçonnés d’appartenir à un réseau organisé de transports illicites de fonds.
À l’issue de l’instruction, les intéressés ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel pour avoir notamment participé à une association de malfaiteurs en vue de la préparation du délit de blanchiment aggravé et à des opérations de blanchiment en bande organisée.
Le tribunal, après avoir requalifié les faits de blanchiment aggravé en blanchiment présumé en bande organisée, a condamné les trois prévenus pour les faits reprochés.
Ces derniers, ainsi que le procureur de la République, ont relevé appel de cette décision.
En cause d’appel. La cour d’appel a confirmé la déclaration de culpabilité des prévenus et condamné la première, pour tentative de transfert de capitaux sans déclaration, blanchiment aggravé et association de malfaiteurs, le deuxième et le troisième, pour transfert de capitaux sans déclaration, blanchiment aggravé et association de malfaiteurs, à quatre ans d'emprisonnement, une amende douanière et a ordonné une mesure de confiscation.
Les trois intéressés ont formé des pourvois contre l’arrêt d’appel.
Moyens des pourvois. Il était fait grief à la cour d’appel d’avoir procédé à une double déclaration de culpabilité en condamnant les prévenus des chefs d’association de malfaiteurs et de blanchiment présumé commis en bande organisée. Selon les pourvois, c’était à tort que la juridiction d’appel avait confirmé la déclaration de culpabilité des prévenus des chefs d’association de malfaiteurs et de blanchiment présumé commis en bande organisée dès lors que ces infractions procédaient d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable et que la première avait pour unique objet de préparer la seconde.
Décision. La Cour rejette les pourvois formés contre l'arrêt d'appel.
Application traditionnelle du principe ne bis in idem. La Chambre criminelle rappelle que sa jurisprudence interdit traditionnellement, en vertu du principe ne bis in idem, le cumul du délit d’association de malfaiteurs et d’une infraction aggravée par la circonstance qu’elle a été commise en bande organisée lorsque les mêmes faits ou des faits indissociables ont été retenus pour caractériser l’association de malfaiteurs et la bande organisée (v. not., Cass. crim., 16 mai 2018, n° 18-81.151, FS-P+B N° Lexbase : A4521XNR : v. N. Catelan, Carrousel de TVA : escroquerie en bande organisée, Ne bis in idem et réparation, Lexbase Pénal, juillet 2018 N° Lexbase : N5025BXE).
Nuance en cas d’infractions distinctes. La Haute juridiction souligne toutefois que ce principe n’est pas méconnu lorsqu’est retenue, au titre de l’association de malfaiteurs, la préparation d’infractions distinctes de celles poursuivies en bande organisée (Cass. crim., 9 mai 2019, n° 18-82.885, FS-P+B+I N° Lexbase : A0696ZBE). Il en est de même lorsque les faits retenus pour caractériser l’association de malfaiteurs et la bande organisée sont identiques (Cass. crim., 22 avril 2022, n° 19-84.464, F-P+B+I N° Lexbase : A17693L4), avec cette précision, non rappelée par la Cour, que l’infraction préparée devait être différente de celle poursuivie..
Infléchissement, du principe à la règle encadrée. La Chambre criminelle rappelle que, par un arrêt du 15 décembre 2021 (Cass. crim., 15 décembre 2021, n° 21-81.864, FP-B N° Lexbase : A17417GL), dans une affaire intéressant le cumul de l’usage de faux et de l’escroquerie, elle avait infléchi son interprétation en encadrant les cas dans lesquels des faits identiques ne peuvent donner lieu à plusieurs déclarations de culpabilité concomitantes contre une même personne. Au terme de cet arrêt, ce cumul est interdit en cas de fait(s) identique(s) reproché(s) à une même personne :
Résumant cette dernière position, la Haute juridiction affirme que l’application de l’interdiction du cumul de qualification implique désormais deux conditions cumulatives :
Dès lors que l’une de ces conditions n’est pas remplie, le cumul est autorisé.
Application de l’infléchissement. Appliquant cette position au cas d’espèce, la Chambre criminelle déduit des articles 450-1 N° Lexbase : L1964AMP et 132-71 N° Lexbase : L0425DZR du Code pénal que le délit d’association de malfaiteurs, lequel implique un acte de participation à un groupement établi en vue de la commission d’infractions, diffère de la circonstance de bande organisée, laquelle aggrave l’infraction dès lors qu’elle a été commise ou préparée par un groupement structuré (à la différence de l’association de malfaiteurs), sans exiger la participation de son auteur.
La Cour souligne également que les éléments constitutifs du délit d’association de malfaiteurs et de l’infraction consommée poursuivie en bande organisée ne sont pas susceptibles d’être incompatibles et aucune de ces qualifications n’incrimine une modalité particulière de l’action répréhensible sanctionnée par l’autre infraction.
La Haute juridiction conclut que, en vertu de l’infléchissement de sa jurisprudence, le principe ne bis in idem ne s’oppose pas, en cas de poursuites concomitantes, à ce qu’une même personne soit déclarée concomitamment coupable des chefs d’association de malfaiteurs et d’une infraction commise en bande organisée. Cette règle s’applique également lorsque des faits identiques sont retenus pour caractériser l’association de malfaiteurs et la bande organisée et, enfin, il importe peu que l’association de malfaiteurs ait visé la préparation de la seule infraction poursuivie en bande organisée.
Reste à savoir si cette jurisprudence est à même de satisfaire la Cour européenne des droits de l’Homme qui, dans le cas d’un concours association de malfaiteurs/infraction cible avait rappelé que « la question à trancher n'est pas celle de savoir si les éléments constitutifs des infractions reprochées dans les procédures correctionnelle et criminelle étaient ou non identiques, mais si les faits reprochés au requérant dans le cadre des deux procédures se référaient à la même conduite » (CEDH, 19 décembre 2017, Req. 78477/11, § 87 N° Lexbase : A1489W8N)…
Pour aller plus loin :
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