Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 31 mai 2022, n° 455349, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A61877YS
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par Marie-Claire Sgarra
le 15 Juin 2022
► Le Conseil d’État a jugé dans un arrêt du 31 mai 2022, qu’un sursis d’imposition bénéficiant à une soulte n’excédant pas 10 % qui assortit une opération d’apport constitue un abus de droit.
Les faits. L’administration fiscale a remis en cause le montage de contribuables mettant en place un sursis d’imposition bénéficiant à une soulte n’excédant pas 10 % qui assortit une opération d’apport.
Principes :
En instituant un mécanisme de sursis d'imposition, le législateur a entendu favoriser les restructurations d'entreprises susceptibles d'intervenir par échange de titres en évitant que l'imposition immédiate de la plus-value constatée à l'occasion d'une telle opération, alors que le contribuable ne dispose pas des liquidités lui permettant d'acquitter cet impôt, fasse obstacle à sa réalisation. Si, dans la version du texte applicable au litige, le sursis d'imposition bénéficie à la totalité de la plus-value résultant d'une opération d'apport avec soulte lorsque le montant de celle-ci n'excède pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus en rémunération de l'apport, le but ainsi poursuivi par le législateur n'est pas respecté si la stipulation d'une soulte au profit de l'apporteur en complément de l'attribution de titres de la société bénéficiaire de l'apport n'a aucune autre finalité que de permettre à celui-ci d'appréhender, en franchise immédiate d'impôt, des liquidités détenues par cette société ou par celle dont les titres sont apportés. Dans ce cas, l'administration est fondée, sur le fondement de l'article L. 64 du LPF, à considérer qu'en stipulant l'octroi de cette soulte, les parties à l'opération d'apport ont recherché le bénéfice d'une application littérale des dispositions de l'article 150-0 B du CGI à l'encontre des objectifs poursuivis par le législateur, dans le seul but d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'apporteur aurait normalement supportées. |
Solution du Conseil d’État.
En premier lieu, s'agissant de l'opération d'apport à la société D2R des titres de la société CFPR détenus par la société d'acquêts constituée par les requérants, la cour administrative d'appel de Versailles, pour juger que la stipulation au profit d’un des requérants, d'une rémunération en numéraire était constitutive d'un abus de droit et ne pouvait, pour ce motif, ouvrir droit, à raison des sommes en cause, au bénéfice du sursis d'imposition prévu par les dispositions de l'article 150-0 B du CGI, s'est fondée sur ce que pouvait seule être regardée comme une soulte, au sens de ces dispositions, une prestation pécuniaire ayant le caractère d'une véritable contrepartie à l'opération d'échange de titres, à savoir une prestation convenue à titre contraignant en tant que complément à l'attribution de titres représentatifs du capital social de la société bénéficiaire de l'apport, et a estimé que tel n'était pas le cas des sommes en litige.
► En statuant ainsi alors, d'une part, qu'une somme dont le traité d'apport stipule qu'elle est versée en rémunération des apports, en complément de l'attribution de titres de la société bénéficiaire, constitue une soulte au sens des dispositions de l'article 150-0 B du CGI et, d'autre part, que la remise en cause de la qualification de soulte, au sens de ces dispositions, suffisait à justifier le refus du bénéfice des dispositions de l'article 150-0 B du CGI sans qu'il y ait lieu de mettre en œuvre la procédure de répression des abus de droit, la cour administrative d'appel a entaché son arrêt d'erreur de droit.
En second lieu, s'agissant de l'opération d'apport à la société A. des titres et droits démembrés de la société CFPR détenus par le requérant, la CAA a relevé que, compte tenu des statuts respectifs de ces sociétés, la liquidité des titres de la société A. remis en rémunération de l'apport était moindre que celle des titres de la société CFPR apportés. Elle a estimé que cette perte de liquidité justifiait le versement par la société A... de soultes aux apporteurs, ce dont elle a déduit que le requérant établissait que la stipulation d'une soulte à son profit ne pouvait être regardée comme visant exclusivement à lui permettre de percevoir en sursis d'imposition des liquidités provenant du versement par la société CFPR de dividendes à la société A. et que l'administration n'était pas fondée à assujettir immédiatement, par la mise en œuvre de la procédure de répression des abus de droit, les époux requérants à l'impôt sur le revenu à raison de ces sommes. Toutefois, ainsi qu'il ressort également des énonciations de l'arrêt attaqué, le requérant a, dès le lendemain de ces opérations, fait donation à ses cinq filles de la nue-propriété et à ses douze petits-enfants de la pleine propriété de la quasi-totalité des titres qu'il avait reçus en pleine propriété lors de l'échange, lesquels représentaient plus de 47 % du total des titres ou droits qu'il avait reçus, si bien qu'il n'a personnellement été exposé, pour la part substantielle correspondant aux titres ou droits dont il a fait donation, à aucune conséquence liée à la perte de liquidité des titres en cause.
► Par suite, en jugeant que la perte de liquidité des titres subie à la suite de l'opération d'échange justifiait l'octroi d'une soulte au requérant, de sorte que la stipulation de cette soulte pouvait être regardée comme poursuivant un but autre que celui d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé aurait normalement dû supporter à l'occasion de cette opération, la cour a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.
Sursis d’imposition et abus de droit, les différentes étapes jurisprudentielles ► Le Conseil d’État a appliqué l’abus de droit en matière de report d’imposition (CE 8° et 3° ssr., 8 octobre 2010, n° 301934, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3490GBU et CE 8° et 3° ssr., 8 octobre 2010, n° 313139, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3503GBD), et l’a ensuite étendu au sursis d’imposition (CE 9° et 10° ssr., 27 juillet 2012, n° 327295, mentionné aux tables du recueil Lebon [LXB=A0694IR7). ► Plus tard, le Conseil d’État a refusé de transmettre une QPC au Conseil constitutionnel, relative au régime de sursis d'imposition automatique des plus-values d'échange de titres, tel qu'interprété par la jurisprudence en cas d'apport-cession de titres (CE 9° et 10° ch.-r., 22 septembre 2017, n° 412408, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7392WSL). ► Le CE a précisé ensuite que lorsqu’une opération d’apport-cession de titres est placée en sursis d’imposition avant le 14 novembre 2012, le réinvestissement du produit de la cession dans l’acquisition de titres appartenant au contribuable ne présente pas un caractère économique (CE 9° et 10° ch.-r., 10 juillet 2019, n° 411474, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6816ZIB). ► Dans une affaire de gain réalisé par un dirigeant à l’occasion de la vente d’actions qu’il avait acquises dans le cadre d’un management package, les juges ont qualifié un circuit juridique d’« artificiel » alors que tous les maillons de la chaîne avaient de la substance (CE 9° et 10° ch.-r., 12 février 2020, n° 421444, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A34993EC). Lire en ce sens, les conclusions du Rapporteur public, A. Iljic, Lexbase Fiscal, mars 2020, n° 817 N° Lexbase : N2601BYY. ► Dernièrement, enfin, le CE a jugé dans le cadre d’une opération d’apport-cession que le nantissement de sommes en vue de couvrir une garantie de passif ne caractérise pas un réinvestissement (CE 3° et 8° ch.-r., 28 mai 2021, n° 442711, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A48694TI). Lire en ce sens, les conclusions du Rapporteur public, R. Victor, Lexbase Fiscal, juillet 2021, n° 871 N° Lexbase : N8091BYC. |
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