La lettre juridique n°910 du 16 juin 2022 : Sociétés

[Jurisprudence] Revirement de jurisprudence : la Cour de cassation admet l’appel réformation contre la décision du président refusant de désigner l’expert de l’article 1843-4

Réf. : Cass. com., 25 mai 2022, n° 20-14.352, FS-B+R N° Lexbase : A14857YN

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N1817BZC

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par Philippe Duprat, Avocat à la cour, ancien Bâtonnier de Bordeaux, Chargé d’enseignement à l’Université de Bordeaux.

le 16 Juin 2022

Mots clés : président du tribunal • expert • évaluation des titres sociaux • appel nullité • appel réformation

Selon l’article 1843-4 du Code civil, si la décision par laquelle le président du tribunal procède à la désignation d’un expert chargé de déterminer la valeur de droits sociaux est sans recours possible, la cour d’appel saisie dans le cadre d’un appel réformation d’une décision de première instance ayant refusé de désigner un expert peut y procéder elle-même.


 

À la confluence du droit civil, du droit des sociétés et du droit judiciaire privé, se trouve l’article 1843-4 du Code civil N° Lexbase : L1737LRR dont la mise en œuvre suscite de longue date un abondant contentieux.

Celui-ci s’est essentiellement cristallisé autour de trois grandes questions.

D’abord, celle de son domaine d’application. Au fil du temps, la jurisprudence a précisé ce qu’il fallait entendre par cession intervenant en application d’une disposition légale renvoyant à ce texte, ou encore, lorsque les statuts prévoient la cession des droits sociaux d’un associé [1].

La deuxième question concerne l'étendue des pouvoirs confiés au tiers estimateur, improprement qualifié d’expert. Ce dernier dispose-t-il de toute liberté pour procéder à l’estimation des titres sociaux ou doit-il, lorsque les parties en ont préalablement fait la prévision, appliquer les critères d’évaluation qu’elles ont retenus ? Sur ce point, la controverse a trouvé sa solution par la réforme intervenue au terme de l’ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014 N° Lexbase : L1321I4P. L’article 1843-4 précise désormais que l’expert désigné est « tenu d’appliquer, lorsqu’elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par les statuts de la société ou par toute convention liant les parties ». Sans que cette réforme ne règle toutes les difficultés, elle remédie néanmoins à ce qui paraissait être une forme d’incongruité qui imposait au juge, et surtout aux parties, les résultats d’une évaluation faite sur la base de critères, qui pouvaient ne pas être ceux qu’elles avaient imaginés, ou pire encore, préalablement évincés.

La troisième grande question s’est dès l’origine focalisée sur l’aspect procédural de l’article 1843-4 du Code civil. Dès lors que le texte initial prévoyant que, lorsque les conditions d’application étaient réunies, il appartenait au président du tribunal (judiciaire ou de commerce) de statuer sans recours possible, la jurisprudence a dû trancher deux difficultés. En premier lieu, l’absence théorique de tout recours entraîne-t-elle l’impossibilité définitive de déférer la décision rendue en première instance à l’examen d’une juridiction de rang supérieur ? En second lieu, la compétence d’attribution dévolue au seul président du tribunal exclut-elle qu’une juridiction de rang différen puisse à la faveur d’un recours procéder à la désignation du tiers estimateur ?

Sur ces deux points, l’on pouvait penser que jusqu’à l’intervention de l’arrêt sous examen, les positions étaient bien fixées.

D’une part, l’absence de recours possible n’interdisait toutefois pas l’appel nullité de la décision refusant de désigner un expert. D’autre part, en toute hypothèse, la jurisprudence était ferme sur l’impossibilité pour la cour d’appel, annulant la décision de première instance, de nommer elle-même cet expert [2].

Depuis l’arrêt du 25 mai 2022, objet du présent commentaire, la Cour de cassation, opérant un revirement de jurisprudence, modifie le régime procédural applicable à la décision du président refusant de désigner le tiers estimateur de l’article 1843-4 du Code civil.

Les faits au soutien de cette décision remarquable sont d’une rare banalité. Ayant été exclus d’une société civile, deux époux, associés d’une SCI, saisissent le président du TGI sur le fondement de l’article 1843-4 aux fins de désignation d’un expert pour fixer la valeur de leurs droits sociaux, après qu’un arrêt d’appel du 29 mars 2001 eut constaté qu’ils avaient perdu leur qualité d’associé, et les eut, en conséquence, renvoyés devant le président aux fins prévues par l’article 1843-4.

Par ordonnance du 5 mai 2009, le président du tribunal les déclarera irrecevables en leur demande en constatant qu’une sentence arbitrale du 16 août 1996 avait déjà fixé la valeur de leurs parts sociales, ce qu’ils avaient expressément accepté.

Advenant le décès du mari, ses ayants droit vont, aux mêmes fins, saisir la même juridiction, de la même demande.

Ces derniers seront également déclarés irrecevables.

Ils forment un pourvoi. La Cour de cassation le rejette au terme d’une décision spécialement motivée.

La Cour estime en effet que la décision du président, rejetant la désignation d’un expert est susceptible d’un appel reformation et non d’un appel nullité, ce qui doit conduire les juges d’appel, en cas de réformation de la décision déférée, à pouvoir désigner l’expert.

Dès lors que cet ordonnancement, résultant du revirement de jurisprudence que la Cour de cassation consacre, n’était pas prévisible pour les plaideurs demeurés bien fondés à considérer que seul un recours nullité pouvait être engagé, la Cour de cassation déclare leur pourvoi recevable. Au fond, elle le rejette, mais pour des considérations étrangères au périmètre d’application de l’article 1843-4 du Code civil et tiré de l’exception de la chose déjà jugée attachée à la sentence arbitrale de 1996.

Par ce revirement, dont l’importance est capitale, la Haute juridiction prend mieux en compte la finalité du dispositif de l’article 1843-4 du Code civil. Par souci de célérité, elle opère la mise en place d’un régime différencié des voies de recours à engager à l’encontre de la décision du président (I) dont on appréciera la portée effective, non exempte de difficultés à venir (II).

I. Le revirement : l’ordonnance du président soumise à un régime différencié des voies de recours

Le mécanisme de l’article 1843-4 du Code civil a une origine ancienne.

On en trouve une première trace dans le Code Justinien qui admettait déjà que le prix de vente pût être fixé par un tiers.

L’Ancien droit et le Droit intermédiaire connaissaient, l’un et l’autre, sous des formes quelque peu différentes, de telles hypothèses.

Plus récemment, pour remédier à l’application littérale de l’article 1868 du Code civil de 1804, qui aurait pu conduire au partage partiel du fonds social destiné à désintéresser l’héritier de l’associé décédé, la pratique avait adopté d’insérer dans les statuts la possibilité d’évaluer à dire d’expert le montant devant revenir à l’héritier. Cette pratique sera entérinée par les lois du 24 juillet 1966 sur les sociétés. Aux termes de l’article 1868 du Code civil, issu de la loi n° 66-538 du 24 juillet 1966, la valeur des droits sociaux dont l’héritier était créancier devait être déterminée au jour du décès, par un expert désigné soit par les parties, soit par décision du président du tribunal statuant sans recours possible.

La lettre de l’actuel article 1843-4 est directement issue de la réforme opérée par la loi n° 78-9 du 4 janvier 1978 modifiant le titre IX du livre III du Code civil N° Lexbase : L1471AIC, spécialement le chapitre consacré au contrat de société, ultérieurement complétée par l’ordonnance du 31 juillet 2014, précitée.

Le mécanisme poursuit deux finalités distinctes, mais complémentaires.

D’une part, faire en sorte que l’associé cédant ses titres ne demeure prisonnier ni d’un désaccord persistant sur leur évaluation, ni d’une évaluation notoirement insuffisante qui confinerait à la spoliation. La nomination d’un expert impartial et indépendant est alors la seule mesure qui puisse conjurer ces deux craintes.

D’autre part, éviter que le recours à un expert ne soit une source de ralentissement du mécanisme d’évaluation puis d’indemnisation de l’associé cédant. C’est la raison pour laquelle le législateur a prévu que la décision du président intervient « sans recours possible».

Dans l’absolu, l’objectif de rapidité est atteint toutes les fois qu’un processus intervient au visa d’une décision exécutoire de plein droit, ou par provision, ou encore dépourvue de recours.

Toutefois, l’absence de recours voulu par le législateur ne signifie pas que la jurisprudence ne veuille pas exercer un certain contrôle lorsqu’il apparaît, notamment, que la décision de première instance recèlerait un excès de pouvoir.

C’est à ce contrôle minimum que répond l’usage de l’appel nullité, voie de recours d’origine prétorienne.

On sait que la voie de l’appel nullité est ouverte lorsque celle de l’appel réformation est fermée. L’appel nullité n’est donc recevable que dans des hypothèses limitées. Telle est bien la situation en l’espèce : l’absence de recours énoncé à l’article 1843-4 interdit la voie classique de l’appel réformation, mais laisse subsister celle de l’appel nullité.

Cependant, afin de limiter autant que possible la mise en œuvre de cette voie de recours, la jurisprudence a, de longue date, décidé que le bien-fondé de l’appel nullité était subordonné à la démonstration d’un excès de pouvoir commis par le juge.

En l’absence de toute définition légale de ce que serait en pareille matière l’excès de pouvoir, seule la consultation de la jurisprudence permet d’appréhender le contenu de cette notion. Or en ce domaine, toujours dans le souci de limiter les hypothèses de recours, c’est-à-dire le flux des dossiers, la Cour de cassation adopte une position très restrictive. Très rares sont les décisions qui consacrent l’existence d’un excès de pouvoir. Généralement, lorsque la Cour de cassation est saisie d’un pourvoi – qui ne peut être qu’un pourvoi nullité – elle procède par la négative et juge, non ce que serait un excès de pouvoir, mais ce qu’il n’est pas. Elle a ainsi jugé que ne constituait pas un excès de pouvoir « l’inobservation à la supposer établie, des conditions d’application de ce texte [celui de l’article 1843-4] » [3]. Elle avait déjà jugé que la fausse application de l’article 1843-4 ne constituait pas un excès de pouvoir, mais une simple erreur de droit [4]. De la même façon, il a été jugé que ne constituait pas un excès de pouvoir le refus de nommer l’expert alors même que les conditions de l’article 1843-4 étaient réunies [5] ou l’inverse, consistant à nommer un expert alors que les conditions de l’article 1843-4 auraient dû conduire à rejeter la demande [6]. Ne constitue pas un excès de pouvoir, ni la violation du principe du contradictoire [7], ni la violation du principe de l’autorité de la chose jugée [8]. À vrai dire, la jurisprudence n’admet au titre de l’excès de pouvoir que les rares hypothèses où le juge, excédant ses pouvoirs propres, viole les règles de compétence. Par exemple en ne se limitant pas à désigner l’expert, mais en lui impartissant d’avoir à respecter une certaine méthodologie ou certains critères d’évaluation des titres sociaux, et notamment ceux prévus par les associés. On doit cependant à la vérité dire que ce contentieux s’est noué avant la réforme du 31 juillet 2014, à une époque où l’expert désigné devait précisément s’affranchir des prévisions des parties. Lui imposer de les respecter constituait alors un excès de pouvoir. De la même manière, constitue, pour la Cour la cassation, un excès de pouvoir le fait pour une cour d’appel de désigner un expert en lieu et place du président [9], ou, pour le président, de procéder en sa qualité de juge des référés alors qu’il ne peut y procéder que sur le fondement de l’article 1843-4 du Code civil [10].

C’est donc avec un certain réalisme que l’on a pu parler du « Bunker » de l’article 1843-4 résistant à l’excès de pouvoir [11].

La Cour de cassation vient, mais pour partie seulement, avec l’arrêt sous examen, de faire céder la résistance.

Désormais, il devient possible lorsque le président du tribunal aura refusé de désigner un expert, de déférer sa décision dans le cadre d’un appel réformation à la cour d’appel. La Cour de cassation justifie sa décision par deux considérations.

D’abord par un souci de célérité, dont on doit comprendre qu’il s’agit de la rapidité (relative au demeurant, au cas d’espèce la première décision remontait à 1996 !) avec laquelle les parties doivent pouvoir obtenir la désignation d’un expert pour qu’il soit procédé à l’évaluation des titres sociaux.

Ensuite, par l’interprétation littérale de l’article 1843-4 du Code civil qui selon la Haute Cour ne conduirait pas à justifier que l’appel nullité soit la seule voie de recours possible à l’encontre d’une décision refusant de nommer un expert.

Il en résulte que la décision rendue sur le fondement de l’article 1843-4 du Code civil est donc susceptible de deux voies de recours. L’appel nullité, lorsqu’ayant désigné un expert le juge aurait néanmoins commis un excès de pouvoir – toujours aussi restrictivement entendu – et, l’appel réformation, lorsque le président a refusé de désigner un expert.

Cette différenciation des voies de recours selon la nature du jugement rendu dans le cadre de la procédure accélérée au fond constitue à l’évidence un revirement dont la pratique devra tenir compte à l’avenir. Sa portée mérite d’être appréciée.

II. La portée du revirement : les difficultés à venir

L’une des premières difficultés est d’ordre procédural. Aux termes de l’article 933 du Code de procédure civile N° Lexbase : L8616LYR, la déclaration d’appel désigne le jugement dont il est fait appel, et précise les chefs du jugement critiqués auxquels l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement. La déclaration d’appel étant dématérialisée il appartiendra au plaideur, c’est-à-dire à son avocat, d’être particulièrement vigilant lors de l’établissement de la déclaration d’appel. En présence d’une décision refusant de nommer un expert, il devra être mentionné que l’appel tend à la réformation de la décision en ce qu’il n’a pas été fait droit à la demande de désignation d’un expert, et non à la nullité de la décision. Il ne sera pas davantage bienvenu de mentionner qu’il est fait appel total, alors même que la décision n’aura fait que refuser la désignation d’un expert. En effet, dans ce cas l’appel est dépourvu de tout effet dévolutif. À défaut de correctement rédiger la déclaration d’appel, il ne pourrait y avoir de régularisation qu’à charge pour l’appelant de faire une autre déclaration d’appel dans le délai imparti à l’appelant pour conclure au fond. Il s’agit là d’appliquer la solution dégagée par la jurisprudence [12].

En revanche, en présence d’une décision ayant fait droit à la demande de désignation d’un expert, la déclaration d’appel devra mentionner que l’appel est interjeté aux fins de nullité du jugement, puisqu’il faudra alors prouver l’excès de pouvoir.

La deuxième difficulté est encore d’ordre procédural. La Cour de cassation considère désormais, comme conséquence inhérente à l’appel réformation, le pouvoir pour la cour d’appel, en cas de réformation de la décision de première instance, de nommer l’expert. Se pose alors la question de savoir si elle pourra le faire dans le cadre de son pouvoir d’évocation lorsqu’elle aura à connaitre de l’appel d’un jugement sur le fond ayant tranché une difficulté entre associés et n’ayant pas, par hypothèse, nommé d’expert. Il suffit d’imaginer que la cour saisie du contentieux de l’exclusion d’un associé rende un arrêt validant l’exclusion, cela entrainera nécessairement l’obligation de lui rembourser ses droits sociaux et, en cas de contestation sur leur valeur, à dire d’expert. La cour pourra-t-elle, dans le cadre de ce contentieux, si elle en est saisie sur le fondement de l’article 1843-4, désigner l’expert ? Jusqu’à intervention de l’arrêt commenté la réponse était négative. Il s’agissait même d’un excès de pouvoir. La cour ne pouvait que renvoyer les parties devant le président aux fins de désignation de l’expert. Le temps perdu pouvait être considérable surtout si la décision de première instance était à son tour frappée d’appel nullité. En raison du revirement, on peut penser que la cour pourra, dans cette hypothèse, procéder à la désignation de l’expert, puisqu’elle devient juridiction d’appel du président et que, par souci de célérité, rien ne justifierait qu’elle se déclare incompétente en renvoyant sur ce point au président du tribunal. Rien n’est cependant certain et l’intervention de toute décision dans ce sens constituera un précieux réconfort.

La dernière difficulté identifiée sur le plan procédural conduit à rappeler que la décision de la cour nommant l’expert devient à son tour susceptible d’un pourvoi en cassation ; il ne sera plus aux fins de nullité mais, si l’on ose dire, classique. En théorie, les moyens de pourvoi devraient être limités mais l’on peut toujours compter sur l’imagination des plaideurs pour qu’il en soit autrement.

L’objectif de célérité, justifiant pour partie le revirement, pourrait à la pratique apparaître comme moins souvent atteint qu’espéré.

C’est également au regard du droit des sociétés que l’on doit tenter d’apprécier la portée du revirement du 25 mai 2022. La désignation d’un tiers estimateur au visa de l’article 1843-4 est souvent corrélée à la question de savoir quelle est la validité ou la portée des clauses ou conventions dont l’expert devra tenir compte pour procéder à l’évaluation des titres sociaux. Dès lors que le président refuse de nommer un expert, la cour d’appel, désormais saisie par la voie de l’appel réformation, le pourra. Dans ce cas, la cour devra préciser la ou les règles, applicables contenues « dans les statuts ou par toute convention liant les parties » à laquelle l’expert devra se référer pour remplir sa mission.

Or à ce stade il est tout à fait possible que les parties soient en désaccord sur la validité, le contenu, ou la portée de ces principes directeurs.

En pareille hypothèse on sait que la Cour de cassation a récemment rendu plusieurs décisions.

Le 7 juillet 2021 par arrêt de sa Chambre commerciale [13], cassant un arrêt qui avait rejeté l’appel nullité à l’encontre d’une décision par laquelle de président avait désigné un expert, la Haute Cour a jugé « qu’il n’entre pas dans les pouvoirs du président du tribunal, saisi sur le fondement de l’article 1843-4 du Code civil, de trancher la contestation relative à la détermination des statuts applicables ». Cette solution a été réitérée par un arrêt rendu le même jour que celui commenté [14]. Mais le 8 janvier 2020 la première chambre civile [15] avait jugé que la cour d’appel n’avait pas « excédé ses pouvoirs en donnant mission à l’expert de déterminer cette valeur [celle des titres sociaux] notamment par référence au système convenu entre les parties ». Dans le premier cas la Cour considère que le juge chargé de désigner l’expert n’est pas compétent pour trancher le litige relatif à la détermination des critères d’évaluation, alors que dans la seconde hypothèse, l’ayant fait de manière implicite, elle ne considère pas que le premier juge aurait outrepassé sa compétence.

La question est dès lors de savoir si, en considération du revirement intervenu, la cour d’appel saisie par voie d’un appel réformation devra, dans l’hypothèse où elle envisagerait de réformer la décision de refus de nommer un expert, surseoir à statuer et renvoyer au juge compétent l’examen du contentieux relatif à la détermination de la norme applicable, ou si elle pourra elle-même, au titre de son pourvoir d’évocation, et à raison du caractère indivisible de la matière, trancher cette question.

La logique du revirement intervenu devrait conduire la cour d’appel à pouvoir trancher ce contentieux, pour gagner du temps et éviter la multiplication des contentieux avant d’obtenir une décision à l’application effective. Rien ne servirait d’avoir obtenu plus rapidement la désignation d’un expert si c’est pour subir un nouveau combat judiciaire, long et onéreux, avant qu’il ne puisse effectivement commencer à officier.

Néanmoins, tant l’appel nullité que le renvoi au juge de première instance ont pour effet de préserver le principe du double degré de juridiction auquel on sait les parties attachées. Finalement, il est fort probable que la « saga » de l’article 1843-4 se poursuive encore quelque temps. Le contentieux pourraît changer de nature mais persister.


[1] Cass. com., 5 janvier 2016, n° 14-19.584, F-D N° Lexbase : A3901N3U, Rev. Sociétés, 2016, p. 514, note J. Moury.

[2] Cass. com., 10 octobre 2018, n° 16-25.076, F-D N° Lexbase : A3318YGY.

[3] Cass. com., 7 juillet 2020, n° 18-18.190, F-D N° Lexbase : A11853RC, Bull. Joly Sociétés, 2020, p. 15 note M. Stork.

[4] Cass. com., 12 avril 2016, n° 14-26.555, F-D N° Lexbase : A6774RIQ, Bull. Joly Sociétés, 2016, p. 382 note D. Gallois-Cochet.

[5] Cass. com., 18 mars 2008, n° 07-13.189, F-S+B N° Lexbase : A4067D7R, Rev. Sociétés, 2008, p. 355, note J.-F. Barbièri.

[6] Cass. com., 15 mai 2012, n° 11-17.866, F-P+B N° Lexbase : A6914ILN, Bull. Joly Sociétés, 2012, p. 542, note P. Le Cannu.

[7]  Cass. mixte, 28 janvier 2005, n° 02-19.153, P N° Lexbase : A6459DGC.

[8] Cass. com., 17 mars 2021, n° 19-14.679, F-D N° Lexbase : A88204LA, Bull. Joly Sociétés, 2021, p. 21, note M. Storck.

[9] Cass. civ 1, 25 novembre 2003, n° 00-22.089, FS-P N° Lexbase : A3015DAW, Bull. Joly Sociétés, 2004, p. 286, note A. Couret.

[10] Cass. com., 10 mars 1998, n° 95.21.329, publié N° Lexbase : A2473ACL, Rev. Sociétés, 1998, p. 541, note B. Saintourens – Cass. com., 7 mars 2018, n° 16-25.197, F-D N° Lexbase : A6710XGM.

[11] P. Le Cannu, préc., note sous Cass. com., 15 mai 2012, n° 11-17.866, préc.

[12] Cass. civ 2, 30 janvier 2020, n° 18-22.528, FS-P+B+I N° Lexbase : A89403C4.

[13] Cass. com., 7 juillet 2021, n° 19-23.699, FS-B N° Lexbase : A41364YT, Bull. Joly Sociétés, 2021, p. 4, note A Reygrobellet ; Ph. Duprat, Lexbase Affaires, juillet 2021, n° 685 N° Lexbase : N8391BYG.

[14] Cass. com., 25 mai 2022, n° 20-18.307, F-B N° Lexbase : A14847YM

[15] Cass. civ. 1, 8 janvier 2020, n° 17-13.863, FS-P N° Lexbase : A5574Z9C, Bull. Joly Sociétés, 2020, p. 32, note M. Caffin-Moi.

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