La lettre juridique n°910 du 16 juin 2022 : Avocats/Procédure

[Brèves] Recours obligatoire via e-barreau : quand le formalisme excessif de la Cour de cassation méconnait le droit d’accès au juge…

Réf. : CEDH, 9 juin 2022, Req. 15567/20 N° Lexbase : A07327Z7

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N1803BZS

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par Marie Le Guerroué

le 15 Juin 2022

► Le fait d’exiger, à peine d’irrecevabilité, la présentation d’un recours par voie électronique en dépit des obstacles pratiques auxquels s’est heurté le requérant constitue un formalisme excessif de la Cour de cassation et méconnaît le droit d’accès au juge garanti par l’article 6 § 1 de la CESDH.

E-barreau (rappel).  E-barreau est une plateforme de services de communication électronique sécurisée, destinée aux seuls avocats. L’arrêté du 30 mars 2011 a défini les modalités techniques applicables à la communication électronique devant la cour d’appel. Il a notamment imposé aux auxiliaires de justice l’utilisation d’e‑barreau pour la remise dématérialisée des actes de procédure. Cette interface permet aux avocats de consulter l’état d’avancement des dossiers dans lesquels ils interviennent devant les tribunaux judiciaires, les tribunaux de commerce et les cours d’appel, de saisir des recours en ligne et de transmettre des actes ou des pièces de procédure de manière dématérialisée. L’affaire concernait l’obligation de saisir la cour d’appel par voie électronique, via la plateforme e-barreau.

Faits et procédure. Le requérant avait, en effet, formé un recours en annulation à l’encontre d’une sentence arbitrale auprès de la cour d’appel de Douai. L’acte fut établi sur papier par son avocat et envoyé au greffe. Ses contradicteurs contestèrent sa recevabilité, en arguant qu’il aurait dû être remis par voie dématérialisée. Le 29 janvier 2015, le conseiller de la mise en état jugea que le recours litigieux devait en principe être transmis par voie électronique en application des articles 1495 N° Lexbase : L2225IP4 et 930-1 alinéa 1er N° Lexbase : L7249LE9 du Code de procédure civile. Il estima cependant que le requérant justifiait d’une « cause étrangère » empêchant une telle transmission au sens de l’article 930-1 alinéa 2 et déclara son recours recevable. Cette ordonnance fit l’objet d’un déféré. Par un arrêt du 17 mars 2016, la cour d’appel de Douai conclut également à la recevabilité du recours en annulation du requérant. Elle releva que ni l’arrêté du 30 mars 2011, pris pour l’application de l’article 930-1 du CPC, ni la convention conclue le 10 janvier 2013 entre la cour d’appel de Douai et les dix barreaux de son ressort n’avaient prévu d’inclure le recours en annulation d’une sentence arbitrale dans le champ de la communication électronique obligatoire. La cour d’appel releva que le formulaire informatique mis en ligne ne permettait pas de saisir la nature de ce recours et la qualité des parties sous leurs dénominations juridiques exactes. Elle en déduisit qu’il n’y avait pas lieu de reprocher au requérant de n’avoir pas remis son recours par voie électronique. Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation prononça, par un arrêt du 26 septembre 2019 (Cass. civ. 2, 26 septembre 2019, n° 18-14.708, F-P+B+I N° Lexbase : A7137ZPZ), la cassation sans renvoi de cet arrêt. Invoquant les articles 6 § 1 N° Lexbase : L7558AIR (droit à un procès équitable) et 13 N° Lexbase : L4746AQT (droit à un recours effectif) de la Convention, le requérant se plaint d’une atteinte à son droit d’accès à un tribunal, au motif que son recours en annulation a été rejeté comme irrecevable faute d’avoir été présenté par voie électronique.

Réponse de la CEDH. La Cour considère, dans cette affaire, qu’en faisant prévaloir le principe de l’obligation de communiquer par voie électronique pour saisir la cour d’appel sans prendre en compte les obstacles pratiques auxquels s’était heurté le requérant pour la respecter, la Cour de cassation a fait preuve d’un formalisme que la garantie de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice n’imposait pas et qui doit, dès lors, être regardé comme excessif. Elle conclut que le requérant s’est vu imposer une charge disproportionnée qui rompt le juste équilibre entre, d’une part, le souci légitime d’assurer le respect des conditions formelles pour saisir les juridictions et d’autre part le droit d’accès au juge.

Violation. Dans son arrêt de chambre, la Cour européenne des droits de l’Homme dit donc, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme

 

 

 

 

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