Le Quotidien du 6 juin 2022 : Bancaire

[Brèves] Obligation d’information du prêteur et devoir de mise en garde de l’intermédiaire

Réf. : Cass. civ. 1, 25 mai 2022, n° 21-10.635, F-B N° Lexbase : A14887YR

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N1662BZL

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par Jérôme Lasserre-Capdeville

le 03 Juin 2022

► Lorsqu’il consent à un emprunteur non averti un prêt comportant des paliers d’échéances, dont le montant de certaines est inférieur à celui des intérêts échus, de sorte que le règlement de ces échéances n’affecte pas le capital emprunté, et que la différence calculée entre le montant de l’échéance et ces intérêts s’ajoute au capital restant dû, le prêteur est tenu à une obligation d'information et l’intermédiaire en crédit à un devoir de mise en garde sur le risque d'amortissement négatif qui en résulte.

Bien que parfaitement connu du grand public, le devoir de mise en garde du banquier continue de donner lieu, régulièrement, à des décisions de jurisprudence remarquées (v. par ex., Cass. civ. 1, 5 janvier 2022, n° 20-18.893, FS-B N° Lexbase : A42197HQ). Tel est à nouveau le cas dans l’affaire sélectionnée (ayant déjà donné lieu à un arrêt de cassation : Cass. civ. 1, 28 novembre 2018, n° 17-24.481, F-D N° Lexbase : A9255YN4).

Faits et procédure. En août 2004, une banque a consenti à M. et Mme W. un prêt de 220 000 euros d'une durée de vingt ans, destiné au financement de leur résidence principale. Ce prêt, stipulant un taux d'intérêt fixe de 3,55 % pendant les trois premiers mois et susceptible de variations en fonction de l’évolution de l’indice Tibeur 3 mois, prévoyait deux périodes de différés d'amortissement avec franchise partielle d’intérêts, l’amortissement du capital prenant effet avec le cinquante-deuxième versement.

Un intermédiaire en opérations de crédit et en service d’investissement (IOBSP) avait accompagné les emprunteurs dans leur recherche de prêt, puis dans leurs discussions avec le prêteur. Surtout, elle leur avait consenti une assurance et avait souscrit à leur bénéfice un engagement de caution. La société en question est en effet également agréée comme société de financement.

Soutenant que la banque et l’intermédiaire avaient manqué à leurs devoirs d’information et de conseil, ainsi que de mise en garde, pour leur avoir fourni un produit dangereux et inadapté à leur situation financière, les emprunteurs ont sollicité leur condamnation en paiement de dommages et intérêts. La cour d’appel de Paris ne leur ayant pas donné raison, ils ont formé un pourvoi en cassation. Deux moyens étaient notamment mis en avant.

Pourvoi. En premier lieu, les emprunteurs faisaient grief à l’arrêt de la cour d’appel d’avoir rejeté leurs demandes d'indemnisation formées contre l’intermédiaire pour manquement à son obligation de mise en garde, faute de les avoir informés du risque d’amortissement négatif lié à la mise en place d'un prêt par palier, alors « que l'intermédiaire en crédit qui prête son concours à la mise en place d'un prêt à long terme accordé à taux variable et remboursable par paliers à échéance constante sur une première période de remboursement des seuls intérêts suivie d'une période d'amortissement se doit de mettre en garde l'emprunteur contre le risque d'amortissement négatif inhérent à un tel prêt, ledit risque existant dès l'instant où, lors du remboursement du prêt, les intérêts à rembourser sont supérieurs au montant de l'échéance acquittée, et où la différence entre le montant de l'échéance et le solde des intérêts du capital initial génère des intérêts ». Dès lors, en rejetant les demandes d'indemnisation formées sur le fondement d’un manquement au devoir de mise en garde, la cour d’appel aurait violé l'article 1147 du Code civil N° Lexbase : L1248ABT, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.

En second lieu, les emprunteurs reprochaient aux juges du fond d’avoir rejeté leurs demandes d’indemnisation contre la banque pour manquement à son devoir d'information sur un risque d'amortissement négatif lié à la mise en place d'un prêt par paliers, alors « que le banquier qui consent un prêt à long terme à un taux variable et remboursable par paliers à échéance constante sur une première période de remboursement des seuls intérêts suivie d'une période d'amortissement est tenu d'informer l'emprunteur du risque d'amortissement négatif inhérent à un tel prêt, ledit risque existant dès l'instant où, lors du remboursement du prêt, les intérêts à rembourser sont supérieurs au montant de l'échéance acquittée, la différence entre le montant de l'échéance et les intérêts étant capitalisée ». Or, il résultait des énonciations de l’arrêt que le prêt « comportait trois paliers d'échéances, dont les deux premiers ne sont pas progressifs mais dégressifs pour une raison qui reste inconnue, lesquels ne permettent pas avec des montants de 491 euros et 357 euros de couvrir la totalité du montant mensuel des intérêts générés par le capital emprunté de 220 000 euros », et que « la part d'intérêts non réglée durant les quarante et un premiers mois » faisait « l'objet d'un report avec une capitalisation mensuelle et un cumul ». Il était par ailleurs constant qu'aucune information n'avait été délivrée quant à un risque d'amortissement négatif. Dès lors, en rejetant les demandes d’indemnisation des époux W. à ce titre, la cour d'appel aurait violé l'article 1147, ancien, du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.

Décision. Ce pourvoi se révèle utile, puisque la Cour de cassation casse la décision de la cour d’appel de Paris du 18 novembre 2020.

La Haute juridiction commence par poser un principe. Selon elle, en effet, il résulte de l’article 1147 du Code civil que lorsqu’il consent à un emprunteur non averti un prêt comportant des paliers d'échéances, dont le montant de certaines est inférieur à celui des intérêts échus, de sorte que le règlement de ces échéances n'affecte pas le capital emprunté, et que la différence calculée entre le montant de l'échéance et ces intérêts s'ajoute au capital restant dû, « le prêteur est tenu à une obligation d'information et l'intermédiaire en crédit à un devoir de mise en garde sur le risque d'amortissement négatif qui en résulte ».

Or, pour rejeter les demandes des emprunteurs au titre des manquements de l’intermédiaire à son obligation de mise en garde et de la banque à son obligation d'information, l’arrêt de la cour d’appel de Paris a retenu que les emprunteurs ne démontraient pas que le prêt litigieux, bien que comportant des remboursements par paliers, ainsi qu’un taux variable, emportait un risque d’amortissement négatif.

Dès lors, en statuant ainsi, après avoir relevé, d'une part, que le prêt litigieux comportait trois paliers d'échéances, dont les deux premiers n'étaient pas progressifs mais dégressifs et ne permettaient pas de couvrir la totalité du montant mensuel des intérêts générés par le capital emprunté, d'autre part, que la part d'intérêts non réglée durant les quarante et un premiers mois faisait l'objet d'un report avec une capitalisation mensuelle et un cumul, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l’article 1147 précité.

Observations. Cette décision appelle plusieurs commentaires. D’abord, on notera que, concernant le prêteur, les juges n’évoquent pas un manquement au devoir de mise en garde, mais un manquement à une obligation d’information. Il en découle alors qu’en présence d’un crédit comportant des paliers d’échéances, dont le montant de certaines est inférieur à celui des intérêts échus, de sorte que le règlement de ces échéances n'affecte pas le capital emprunté et que la différence calculée entre le montant de l'échéance et ces intérêts s’ajoute au capital restant dû, le prêteur est automatiquement tenu de respecter cette obligation d'information.

Plus concrètement, dans un tel cas, le professionnel du crédit devra nécessairement informer l’emprunteur des caractéristiques de la situation, mais aussi se ménager la preuve du respect de cette obligation. À défaut, il verra sa responsabilité engagée et devra verser des dommages et intérêts à l’emprunteur. Il importera peu, dans cette hypothèse, que l’emprunteur soit averti ou non averti, cette circonstance étant indifférente en matière d’obligation d’information. Les banquiers proposant des produits analogues peuvent alors légitimement craindre une telle création jurisprudentielle, qui ne leur est pas favorable. Ils devront rapidement se mettre « en conformité ».

Ensuite, concernant les IOBSP, la décision les soumet à un devoir de mise en garde sur le risque d’amortissement négatif résultant du produit concerné.

Cette dernière solution ne nous convainc pas. Il n’y a pas, dans le droit positif applicable aux IOBSP, de dispositions qui laisseraient penser qu’une telle obligation de mise en garde pèserait aussi sur l’intermédiaire. Nous sommes dès lors toujours gênés par les décisions qui, comme l’arrêt étudié, caractérisent un tel devoir à la charge de l’intermédiaire (v. également, CA Besançon, 23 novembre 2021, n° 20/00239 N° Lexbase : A70537DL ; CA Amiens, 5 mai 2022, n° 20/05246 N° Lexbase : A31807WP). D’ailleurs, ce dernier n’ayant même pas à apprécier la solvabilité de son client (J. Lasserre-Capdeville, Les courtiers en crédit doivent-ils analyser la solvabilité de leurs clients ?, Gaz. Pal. 2022, à paraître), on ne voit pas comment il pourrait, dans les faits, le mettre en garde à propos du risque d’endettement excessif du crédit.

Ne faudrait-il pas plutôt voir ici un manquement au devoir de conseil pesant sur le courtier (J. Lasserre-Capdeville, Conseil et intermédiation en matière bancaire : tentative de clarification, Banque et droit, juillet-août 2022, à paraître) ? On peut légitimement se le demander, et ce d’autant plus que le manquement portait, en l’occurrence, sur le « risque d'amortissement négatif » résultant du crédit en question, et non de la situation de l’emprunteur. Or, ce sont deux choses bien différentes.

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