La lettre juridique n°901 du 7 avril 2022 : Voies d'exécution

[Jurisprudence] « Saisie-attribution sur compte bancaire : touche pas à mon solde »

Réf. : Cass. civ. 2, 24 mars 2022, n° 20-12.241, F-B N° Lexbase : A27887RP

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par Sylvian Dorol, Huissier de justice associé (Vénézia & Associés), Intervenant à l’ENM, EFB et Yvon-Rodrigue Miyamou Responsable d’unité CCS Voies d’Exécution (Crédit Mutuel Alliance Fédérale)

le 06 Avril 2022

Mots-clés : saisie-attribution • tiers saisi • solde • virements • dénouement des opérations en cours (CPCEx, art. L. 162-1)

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dans son arrêt rendu le 24 mars 2022, vient préciser que dans le cadre d’une saisie-attribution, les virements ordonnés par le débiteur titulaire du compte avant la saisie, qui ne sont pas au nombre des opérations limitativement énumérées à l'article L. 162-1, 2° du Code des procédures civiles d’exécution, ne peuvent affecter le solde saisi attribué au préjudice du saisissant. Il s’agit là d’une décision qui, bien que juridiquement fondée, révèle le caractère anachronique de son fondement textuel.


 

« En matière de saisie-attribution, c’est toujours la période des soldes. Sauf pour le tiers saisi qui peut prendre cher ».

La trivialité de la formule ne saurait en occulter la vérité : dans la procédure de saisie-attribution, la banque tiers saisi est régulièrement attraite devant les tribunaux pour voir sa responsabilité engagée, notamment car le code des procédures civiles d’exécution facilite ce recours pour s’assurer du concours du tiers saisi.

Si la mise en jeu de la responsabilité du tiers saisi est fréquente, le fait qu’elle le soit au visa de l’article L. 162-1 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L5835IRK l’est beaucoup moins, ce qui explique pourquoi la décision rendue par la Cour de cassation le 24 mars 2022 [1] doit retenir l’attention.

Pour mémoire, cet article prévoit notamment que lorsque la saisie est pratiquée entre les mains d'un établissement habilité par la loi à tenir des comptes de dépôt, celui-ci est tenu de déclarer le solde du (ou des) compte(s)du débiteur au jour de la saisie. Dans le délai de quinze jours ouvrables, le solde déclaré peut être affecté à l'avantage ou au préjudice du saisissant par les opérations suivantes dès lors qu'il est prouvé que leur date est antérieure à la saisie : 1° Au crédit : les remises faites antérieurement, en vue de leur encaissement, de chèques ou d'effets de commerce, non encore portées au compte ; 2° Au débit : a) L'imputation des chèques remis à l'encaissement ou portés au crédit du compte antérieurement à la saisie et revenus impayés ; b) Les retraits par billetterie effectués antérieurement à la saisie et les paiements par carte, dès lors que leurs bénéficiaires ont été effectivement crédités antérieurement à la saisie.

La lecture de l’article L. 162-1 du Code des procédures civiles d’exécution laisse donc entendre que le tiers saisi n’a pas droit à l’erreur lorsqu’il répond à un huissier de justice, mais garde une possibilité de préciser sa réponse. Dès lors, le tiers saisi, assurant sous son entière responsabilité la comptabilisation ainsi que le dénouement des opérations en cours, susceptibles d’affecter le solde à l’avantage ou au préjudice du saisissant, doit veiller à cet équilibre entre le droit établi et les intérêts des parties. Le tiers saisi banque ne peut donc prendre délibérément le risque d’ajuster une opération, eu préjudice du saisissant, alors-même que celle-ci n’entre pas dans la liste des opérations fixées par la loi.

C’est sur ce point qu’il convient de commenter l’arrêt évoqué puisque l’article L. 162-1 du Code des procédures civiles d’exécution n’évoque pas les virements bancaires, malgré le fait qu'en 2019, il y a eu plus de 4,2 milliards de virements bancaires en France [2]. Faut-il regretter cette situation et, dans l’affirmative, qu’espérer ?

L’opération de saisie nécessitant une réponse du tiers saisi à l’huissier, il est logique de suivre cette chronologie et d’exposer d’abord le regard de l’officier public et ministériel (I), puis celui du tiers saisi (II).

I. Le regard de l’huissier

L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 24 mars 2022 illustre des faits communs (A) en offrant une solution peu commune, voire dangereuse (B).

A. Des faits très communs

Les faits de l’espèce sont très communs et illustrent la réalité des saisie-attributions.

Un créancier a fait délivrer par acte d'huissier du 29 janvier 2016 un procès-verbal de saisie attribution à une banque pour un montant de 17 502,08 euros.

Le tiers saisi répond à l’acte que le solde du compte est de 23 485, 16 euros. Mais, le 2 février 2016, elle informe l'huissier de justice que, à la suite de la comptabilisation d'opérations en cours de traitement au moment de la saisie (mandat-cash et virement), le solde du compte était désormais nul. Ce n'est que le 27 avril 2016, que la banque a transmis à l'huissier les opérations antérieurement reçues avec les pièces justificatives faisant ainsi état d'un mandat-cash et de quatre virements.

Mécontent, le créancier assigne la banque en responsabilité.

La cour d’appel enseigne dans son arrêt que le mandat-cash est assimilé à un retrait en billetterie susceptible d'affecter valablement l'assiette de la saisie. Par contre, elle énonce que les virements ne sont pas prévus dans la liste de l'article L 162-1 du Code des procédures civiles d'exécution, et qu’ils ne peuvent donc pas affecter le solde du compte saisi. En conséquence, la cour d’appel a déduit que la banque avait effectué une déclaration inexacte et l’a condamnée, après avoir énoncé que la demanderesse était en droit de saisir les montants correspondants aux quatre virements, à lui verser des dommages-intérêts à hauteur de cette somme.

La banque fait grief à l’arrêt rendu le 5 décembre 2019 par la cour d’appel de Nîmes de l’avoir condamnée à payer à la demanderesse une certaine somme à titre de dommages et intérêts et fait valoir la violation de l’article L. 162-1 du Code des procédures civiles d’exécution dans son pourvoi en cassation.

B. Une solution peu commune

La Cour de cassation répond dans son arrêt, de manière lapidaire que les virements ordonnés par le débiteur titulaire du compte avant la saisie, qui ne sont pas au nombre des opérations limitativement énumérées à l'article L. 162-1, 2°, précité, ne peuvent affecter le solde saisi attribué au préjudice du saisissant. Elle en conclut que l’arrêt d’appel est fondé et que la condamnation de la banque est valide.

Si l’arrêt est fondé, est-il possible de s’en satisfaire ? Oui, et non.

  • Oui, il est possible de se satisfaire de cet arrêt dans la mesure où cette décision bénéficie au créancier qui voit son préjudice réparé. Concernant la responsabilité du tiers saisi, l’arrêt commenté ne constitue en rien une nouveauté puisqu’il est constant que le tiers saisi qui ne s'est pas abstenu de procéder à la déclaration requise mais qui a fourni des renseignements inexacts ou mensongers encourt une condamnation au paiement de dommages-intérêts [3].
  • Non, il n’est pas possible de s’en satisfaire car il convient d’envisager le cas où le virement bancaire viendrait augmenter le solde saisi, et non le diminuer ou l’annihiler comme c’était le cas en l’espèce. Dans cette hypothèse, il serait saugrenu d’imaginer que le créancier se plaigne puisque l’opération bancaire lui bénéficierait alors même que le virement n’est pas prévu à l'article L. 162-1, 1°, précité. Mais le débiteur pourrait contester sur ce motif, et la jurisprudence commentée, apparemment favorable au créancier, lui causerait finalement préjudice.

Deux solutions sont envisageables pour améliorer la sécurité juridique du tiers saisi sans compromettre celle du créancier, tout en lui évitant les « faux espoirs » des comptes apparemment créditeurs.

  • La première consiste à actualiser la liste de l’article L. 162-1 du Code des procédures civiles d’exécution en y prévoyant l’hypothèse des virements. Cela n’est pas possible sans envisager une actualisation complète de ce code qui, bien qu’ayant à peine dix ans, souffre d’un retard certain sur les pratiques.
  • La seconde consisterait à introduire l’exception de « motif légitime » au sein du second alinéa de l’article R. 211-5, Code des procédures civiles d'exécution N° Lexbase : L2211IT3. Cet article pourrait donc être ainsi rédigé : « Le tiers saisi qui, sans motif légitime, ne fournit pas les renseignements prévus est condamné, à la demande du créancier, à payer les sommes dues à ce dernier sans préjudice de son recours contre le débiteur (al.1). Sauf motif légitime, il peut être condamné à des dommages et intérêts en cas de négligence fautive ou de déclaration inexacte ou mensongère (al.2) ». Les saisie-attributions étant aujourd’hui dématérialisées, cette formulation pourrait permettre d’envisager un bug informatique ou une cyberattaque qui contraindrait la banque à indiquer malgré elle une réponse inexacte.

II. Le regard du tiers saisi

Le tiers saisi ne peut pas rester insensible à l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 24 mars 2022, et penser que la réponse des juges est toute aussi juridique qu’anachronique (A), alors même que la réalité bancaire ne correspond plus à l’écriture de l’article L. 162-1 2e, précité (B).

A. Une réponse juridique mais anachronique

Dans l’arrêt sous commentaire, la Cour de cassation n’a pas suivi les moyens de la banque qui soutenait que le « virement ordonné au débit du compte bancaire du débiteur saisi antérieurement à la saisie-attribution une opération de débit susceptible d’affecter le solde du comte au préjudice du saisissant » ; au motif que « les virements ordonnés par le débiteur titulaire du compte avant la saisie, qui ne sont pas au nombre des opérations limitativement énumérées à l’article L. 162-1 2e, précité, ne peuvent affecter le solde saisi attribué au préjudice du saisissant ».

L’intérêt de la décision de la Cour de cassation, ici commentée, est de mesurer la portée de l’article L. 162-1 du Code des procédures civiles d’exécution [4] dans le temps, alors même que les réalités socio-économiques ainsi que les moyens de paiement ont évolué depuis plus de trente ans.

En matière de saisie-attribution sur compte bancaire, il est frappant de s’apercevoir que la position de la Cour de cassation n’apporte pas de réponse nouvelle au droit anciennement établi depuis plus de trente ans. En effet, la liste de l’article L. 162-1 du Code des procédures civiles d’exécution, concernant les opérations en cours susceptibles d’affecter en plus ou en moins les sommes rendues indisponibles par la saisie, est limitative et ne vise pas les saisies !

Il faut retenir que le virement bancaire, tant qu’il n’est pas inscrit au débit du compte, n’emporte pas transfert de la provision du bénéficiaire [5]. C’est cette même position, à la fois jurisprudentielle et doctrinale, qui a traversé le temps, voilà déjà plus de trente ans, sans ne pas pouvoir l’adopter. Le positivisme juridique de la Cour de cassation, ici relevé à travers sa décision du 22 mars 2022, semble marquer une conciliation impossible entre le droit et l’évolution de la société ainsi que les moyens de paiements.

B. Une réponse devant évoluer

Les temps actuels militent en faveur d’une impérative évolution législative. Et pour cause, le marché étant en constante évolution, les moyens de paiements se sont considérablement transformés au cours du temps. La banque aussi.

Au regard de l’utilisation des moyens de paiement scripturaux en France, le virement a largement devancé le paiement par chèque ; alors même que seul le chèque, comparé donc au virement, figure sur la liste des opérations limitativement énumérées à l’article L. 162-1 précité…

Force est de constater que le chèque est désormais très peu utilisé en France contrairement aux autres moyens de paiements. En effet, le montant moyen d’un paiement par virement, pour la clientèle des systèmes de paiement de montant élevé (TARGET2 et EURO1) a augmenté de 135% en 2020.

Le chèque connaît, lui, une baisse tendancielle du nombre d’émission depuis une vingtaine d’années et s’est accélérée au cours des dernières années, soit 5% de transactions scripturales en 2020 [6].

Le virement est aujourd’hui principalement utilisé par les entreprises ou particuliers pour payer leurs fournisseurs, payer les salaires ou même les différents services (prestations entre particuliers ou familiales). En conséquence, dès lors qu’il est enregistré dans le système informatique de la banque, avant la saisie, tout virement ordonné par le titulaire du compte devra nécessairement faire l’objet d’un ajustement comptable ; et entrer dans la liste des opérations susceptible d’affecter l’assiette de la saisie conformément aux termes de l’article L. 162-1 précité.

Dans un monde où tout s’accélère ; où les paiements sont devenus sans contact et où encore les virements sont devenus quasi-instantanés, au détriment du chèque, l’article L. 162-1 du Code des procédures civiles d’exécution a nécessairement besoin d’une actualisation législative. Ce n’est qu’à ce prix qu’il sera possible de solder réellement les comptes entre les parties.


[1] Cass. civ. 2, 24 mars 2022, n° 20-12.241, F-B N° Lexbase : A27887RP.

[2] Source site statista [en ligne].

[3] Cass. civ. 2, 13 juillet 2005, n° 03-19.138, F-P+B N° Lexbase : A9193DIC.

[4] Anciennement article 47 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : C14247BD.

[5] QE n° 34397, réponse publiée au JOAN Q, 9 mai 1988, p. 1967 [en ligne].

[6] Source : Banque de France : Cartographie des moyens de paiements scripturaux, Bilan de la collecte 2021, données 2020.

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