La lettre juridique n°901 du 7 avril 2022 : Assurances

[Brèves] Substitution du bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie : la question du formalisme, de retour devant la Cour de cassation !

Réf. : Cass. civ. 2, 10 mars 2022, n° 20-19.655, F-B N° Lexbase : A03517Q3

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[Brèves] Substitution du bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie : la question du formalisme, de retour devant la Cour de cassation !. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/83338175-breves-substitution-du-beneficiaire-dun-contrat-dassurance-vie-la-question-du-formalisme-de-retour-d
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par Anne-Lise Lonné-Clément

le 06 Avril 2022

► La désignation ou la substitution du bénéficiaire d'un contrat d'assurance sur la vie, que l'assuré peut, selon l'article L. 132-8 du Code des assurances dans sa rédaction applicable au litige, opérer jusqu'à son décès n'a pas lieu, pour sa validité, d'être portée à la connaissance de l'assureur lorsqu'elle est réalisée par voie testamentaire.

La décision ainsi rendue vient clore une affaire qui revient pour la deuxième fois devant la Haute juridiction, et qui concerne le formalisme exigé pour modifier valablement le bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie.

L’affaire. En l’espèce, lors de son adhésion à la garantie décès d'un contrat d'assurance sur la vie, le souscripteur avait désigné son fils, ou, à défaut, son épouse, comme bénéficiaire des sommes garanties ; il avait fait part à l'assureur, dans une lettre du 20 juin 1982, de la modification de la clause bénéficiaire en faveur de son épouse ; à la suite du décès de son époux survenu le 1er septembre 1990, cette dernière avait obtenu de l'assureur le règlement du capital garanti, qui lui avait été versé le 17 octobre 1991 ; se prévalant de l'intention de son père de le désigner en définitive comme unique bénéficiaire du contrat d'assurance, en vertu d’un écrit daté du 29 juillet 1987 et signé de l’assuré, indiquant que le capital-décès de son assurance-vie revenait à son fils, ce dernier avait assigné l’épouse survivante en restitution de ce capital.

Question soulevée. La question soulevée dans cette affaire concernait le cas précis où l’assureur est donc avisé du changement de bénéficiaire, en vertu d’une lettre manuscrite de l’assuré, reçue après le décès de ce dernier. La substitution du bénéficiaire peut-elle être considérée comme répondant aux conditions de forme posées par l’article L. 132-8 du Code des assurance ?

Le formalisme requis par l’article L. 132-8, strictement apprécié par la Cour de cassation. Comme elle l’avait rappelé dans son premier arrêt rendu le 13 juin 2019 dans le cadre de la présente affaire (Cass. civ. 2, 13 juin 2019, n° 18-14.954, F-P+B+I N° Lexbase : A5718ZEI), il résulte de l’article L. 132-8 du Code des assurances N° Lexbase : L6141H9C dans sa rédaction applicable au litige, que :

  • l'assuré peut modifier jusqu'à son décès le nom du bénéficiaire du contrat d'assurance sur la vie dès lors que sa volonté est exprimée d'une manière certaine et non équivoque et que l'assureur en a eu connaissance ;
  • en l'absence de désignation d'un bénéficiaire dans la police ou à défaut d'acceptation par le bénéficiaire, le contractant a le droit de désigner un bénéficiaire ou de substituer un bénéficiaire à un autre ;
  • cette désignation ou cette substitution ne peut être opérée, à peine de nullité, qu'avec l'accord de l'assuré, lorsque celui-ci n'est pas le contractant ;
  • cette désignation ou cette substitution peut être réalisée soit par voie d'avenant au contrat, soit en remplissant les formalités édictées par l'article 1690 du Code civil N° Lexbase : L1800ABB, soit par voie testamentaire.

Alors que, dans un arrêt rendu le 28 mars 2018, la cour d’appel de Paris avait admis la validité de la substitution du bénéficiaire résultant de la lettre écrite le 29 juillet 1987, et ainsi accueilli la demande du fils en restitution du capital versé à l’épouse, la Cour de cassation, dans son arrêt rendu le 13 juin 2019, avait censuré la décision, dès lors qu’il n’était pas caractérisé que l’écrit constituait un testament olographe.

La Cour avait alors retenu que « ne saurait, dès lors, produire effet, la substitution du bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie, dans un document rédigé par le souscripteur, mais envoyé à l’assureur postérieurement au décès du souscripteur, ce dont il résulte que l'assureur n'en a pas eu connaissance du vivant de l'assuré, et alors qu’il n’est pas caractérisé que cet écrit constitue un testament olographe ».

La décision de la Haute juridiction marquait alors une rupture avec l’approche plus souple qu’elle  avait pu retenir dans le passé, dans ce cas précis où l’assureur est avisé du changement de bénéficiaire en vertu d’une lettre manuscrite de l’assuré, reçue après le décès (Cass. civ. 2, 13 septembre 2007, n° 06-18.199, FS-P+B N° Lexbase : A4301DYX : admettant la validité de la substitution opérée, retenant que « dans les assurances sur la vie, l'assuré peut modifier jusqu'à son décès la répartition du capital entre les bénéficiaires, dès lors que la volonté du stipulant est exprimée d'une manière certaine et non équivoque et que, comme en l'espèce, l'assureur en a eu connaissance »).

Dans ses observations sous l’arrêt rendu le 13 juin 2019, Jérôme Casey avait indiqué que « comme la lettre reçue par l’assureur était entièrement manuscrite, qu’elle était datée et signée de l’assuré, on pourra toujours songer à faire valoir, devant la cour de renvoi, qu’il s’agit d’un testament olographe, et donc que c’est là un support valable pour opérer le changement de bénéficiaire » (J. Casey, Sommaires de jurisprudence en droit des successions et libéralités (janvier - juillet 2019) - Seconde partie, Lexbase Droit privé n° 800, 24 octobre 2019 N° Lexbase : N0903BY4).

C’est exactement ce qui a été soutenu devant la cour d’appel de renvoi, laquelle a de nouveau admis la validité de la substitution du bénéficiaire, après avoir retenu l’assuré avait indiqué dans un écrit du 29 juillet 1987, s'analysant en un testament olographe, que le capital décès de son assurance-vie devait revenir à son fils, et décidé que ce dernier soutenait à juste titre que la substitution de bénéficiaire pouvait être effectuée par voie testamentaire, cette modalité étant expressément prévue par l'article L. 132-8 précité, peu important que l'assureur n'en ait pas été avisé.

La décision est donc cette fois approuvée en tous points par la Cour suprême qui, dans le présent arrêt rendu le 10 mars 2022, en complément des indications apportées dans l’arrêt de 2019, précise : « la désignation ou la substitution du bénéficiaire d'un contrat d'assurance sur la vie, que l'assuré peut, selon l'article L. 132-8 du Code des assurances dans sa rédaction applicable au litige, opérer jusqu'à son décès n'a pas lieu, pour sa validité, d'être portée à la connaissance de l'assureur lorsqu'elle est réalisée par voie testamentaire ».

En résumé. La décision rendue le 10 mars 2022 ne fait donc que réaffirmer les règles suivantes. Pour être valable, le changement de bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie doit respecter deux conditions :

- d’une part, le changement de bénéficiaire doit reposer sur la volonté certaine et non équivoque du souscripteur-assuré ;
- d’autre part, le changement doit être porté à la connaissance de l’assureur avant la réalisation du risque (donc avant le décès de l’assuré), sauf à ce qu’il soit exprimé dans un testament.

Et comme l’indique l’article L. 132-8, la désignation ou la substitution peut donc être réalisée :

- soit par voie d'avenant au contrat ;
- soit en remplissant les formalités édictées par l'article 1690 du Code civil N° Lexbase : L1800ABB ;
- soit par voie testamentaire.

 

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