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par Véronique Nicolas, Professeur, doyen de la Faculté de droit de l'Université de Nantes, en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences et avocat au barreau de Paris, membres de l'IRDP (Institut de recherche en droit privé)
le 13 Septembre 2012
Les manquements des mandataires furent à l'honneur ce printemps, si l'on examine l'ensemble du contentieux. En revanche, reconnaissons bien volontiers, que celui relatif à la conclusion de contrats d'assurance vie par le biais d'un cabinet de courtage ne s'avère pas si fréquent. Est-ce à dire que le sérieux de ces intermédiaires mériterait donc d'être souligné ? Sans doute au moins pour ne pas donner une image négative de la profession à raison de la présente espèce. En effet, dans l'arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 14 juin 2012, un courtier en assurances -qui se trouvait aussi être le gérant de la société de courtage C.- n'a pas fait preuve de la rigueur et même de la probité la plus élémentaire attendue dans le cadre de la mission que lui avait confiée une femme ayant contracté un contrat d'assurance vie auprès d'un assureur, devenu G..
En effet, cette dernière -qui avait confié au mandataire des sommes destinées à alimenter le contrat-, avait, hélas, constaté que la somme ne figurait pas sur son relevé de compte. La mandante avait donc déposé plainte et obtenu gain de cause sur ce terrain là du droit, puisqu'un tribunal correctionnel avait reconnu le courtier coupable d'abus de confiance, sans compter que sa société de courtage avait été placée en liquidation judiciaire, et ce gérant déclaré en faillite personnelle. Ces derniers éléments permettent de mieux saisir la raison de la réclamation à l'assureur, et non au mandataire, par l'assurée de la somme détournée. En effet, le mandataire devenu insolvable, la mandante ne pouvait plus qu'espérer obtenir de l'assureur le règlement de la perte subie en capital.
Tout juriste sait pourtant qu'un courtier d'assurance ne saurait être assimilé à un agent d'assurance, représentant de l'assureur, en ce qu'il ne relève pas du même statut juridique. Commerçant indépendant, inscrit au registre du commerce et des sociétés, assuré lui-même pour sa responsabilité professionnelle, un courtier s'entend d'un mandataire de l'assuré. Par conséquent, de prime abord, l'attente de l'assurée vis-à-vis de l'assureur vie apparaissait vaine. Plus encore, pour ce projet d'accord de volonté au moins, sa conclusion n'était pas bien établie, puisque les assureurs exigent le versement d'un montant minimal ; pour autant, le sujet n'était pas abordé. Et sans que les termes de la décision de première instance soient connus, la cour d'appel de Rouen, saisie de ce dossier, avait déclaré recevable et bien fondée l'action de l'assurée contre l'assureur, le condamnant à lui rembourser la somme initiale augmentée d'intérêts au taux légal.
Mécontent, l'assureur ne juge utile que de se fonder sur le texte de l'article L. 530-2-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L9819HEE) pour décider que les garanties souscrites auprès des assureurs de responsabilité professionnelle du courtier -lesquelles sont garantes de celui-ci-, n'avaient pas été mises en oeuvre. Par conséquent, l'assureur déniait devoir les sommes sollicitées. Or, la Cour de cassation a rendu une décision dont l'importance doit être soulignée, ainsi que son caractère avantageux et protecteur des mandants floués dans de telles circonstances. Est-ce au risque de prendre des libertés avec la législation et la jurisprudence ? C'est qu'ainsi formulé le fond du problème n'était pas bien posé ; ainsi s'explique la cassation décidée par notre Haute juridiction de droit privé.
Ne nous attardons pas sur le fait que l'assureur invoquait l'ancien article L. 530-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L0506AAY), abrogé par la loi n° 2005-1564 du 15 décembre 2005 (N° Lexbase : L5277HDS). L'esprit de ce texte fut repris par la nouvelle loi puisqu'elle impose à tout intermédiaire, et donc au courtier en assurance, de justifier d'une garantie financière spécialement affectée au remboursement des fonds aux assurés. L'avocat de la compagnie n'avait décidément pas soigné son dossier, au point que la Cour de cassation le lui fasse remarquer de manière aussi nette. Peu importe, là ne se situait pas l'enjeu. Car, sous l'empire de l'ancienne législation comme de la nouvelle, la loi n'a jamais tranché la vraie difficulté : l'obligation ou non, pour la personne lésée, y compris lorsqu'il s'agit d'un cocontractant, de solliciter la mise en oeuvre de cette assurance de responsabilité là.
Or telle était bien la présente situation : l'assurée n'entend pas -et ce n'est pas son intérêt- solliciter le (ou les) assureur(s) du courtier malhonnête. Tel est son droit le plus strict. Et cette liberté n'est pas propre à l'assurance ; c'est une disposition générale du droit, même si elle n'est pas énoncée de cette manière dans le présent cadre. Tant qu'un sujet de droit dispose de la possibilité d'agir contre plusieurs personnes, il lui est loisible d'opter pour l'une ou pour l'autre, s'il dispose des actions correspondantes. A tout le moins, lui est-il laissé le choix de l'ordre dans lequel il entend ester en justice contre tel avant tel autre. C'est, indirectement, ce que rappellent nos Hauts magistrats. Toutefois, ils ne s'arrêtent pas à ce stade. D'un mot, le rappel d'une règle jurisprudentielle majeure s'impose. Dernier mot de tout l'arrêt, il est peut-être le plus important : apparent. L'assurée peut solliciter la société d'assurances car il a été le mandataire apparent de celle-ci.
La solution n'est pas nouvelle. On se souvient de nombreux arrêts dans lesquels la Cour de cassation, à l'instar du droit du travail, a décidé que le courtier qui travaillait pour une entreprise d'assurance, ainsi qu'il est fréquent en pratique, engageait la responsabilité de la société d'assurance lorsqu'un doute naissait sur son rôle exact, c'est-à-dire lorsqu'il avait pu paraître n'être qu'un agent d'assurance, salarié de l'assureur. L'apport du présent arrêt, depuis la loi n° 2005-1564 du 15 décembre 2005, consiste au moins à confirmer que cette jurisprudence antérieure demeure d'actualité. On ne peut que s'en féliciter, surtout dans des hypothèses comme celle ayant donné lieu à cette affaire d'escroquerie pure et simple.
Pour autant, d'aucuns ne manqueront pas de s'en étonner puisque l'un des objectifs de la loi consistait justement à contraindre tous les intermédiaires, au sens large de l'expression et donc sans exception, à disposer de garanties complètes et efficaces, pour éviter que les assureurs ne soient trop souvent mis en cause en raison d'attitudes plus que négligentes, voire fautives. Faisons cependant confiance à nos magistrats pour ne pas détourner l'esprit de la loi dès qu'ils en auront la possibilité juridique.
Véronique Nicolas, Professeur agrégé, doyen de la Faculté de droit de l'université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", membre de IRDP
Le privilège du chroniqueur est de pouvoir suivre, au fil des mois, certaines questions.
Il y a près d'un an, un arrêt de la deuxième chambre civile (Cass. civ. 2, 30 juin 2011, n° 10-23.004, F-P+B N° Lexbase : A6609HUC) avait attiré notre attention pour débattre de l'opportunité de distinguer la faute dolosive d'avec la faute intentionnelle, notions visées par l'article L. 113-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L0060AAH), qui pose le principe de non-assurance de la "faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré".
La faute dolosive et la faute intentionnelle sont-elles deux notions qui se recoupent au point de se confondre ou bien sont-elles, en jurisprudence, distinguées ?
Les partisans d'une lecture plus stricte à l'égard de l'assuré fautif, et moins engageante pour les assureurs, lisent la faute dolosive comme distincte et retiennent l'exclusion légale dès lors qu'en raison de son activité ou de ses connaissances, la situation qu'il a créé ne pouvait que nécessairement conduire à un dommage dont il est réputé avoir nécessairement pleine conscience, sans que l'on doive, in concreto, démontrer qu'il l'a voulu tel qu'il s'est réalisé.
La doctrine a relevé qu'en matière d'activité professionnelle, certaines décisions retiennent que des manquements délibérés constituent une faute dolosive ayant pour effet de retirer aux contrats d'assurance leur caractère aléatoire (cf., notamment, Cass. civ. 2, 16 octobre 2008, n° 07-14.373 N° Lexbase : A8012EAY ; RGDA, 2008, 912, 2ème esp., note J. Kullmann). Sont particulièrement visés les comportements de professionnels, notamment de la construction, hautement critiquables au regard des règles de l'art, qui les conduisent à une inexécution consciente et volontaire.
David Noguero a suggéré trois pistes pour délimiter le périmètre des notions de faute intentionnelle et de faute dolosive :
- dans une première approche, maximaliste, la faute dolosive en assurance correspondrait à une faute délibérée, sans la recherche du dommage. Il n'y aurait pas lieu d'établir la volonté de réaliser le dommage; il suffirait de caractériser le caractère délibéré de la faute ;
- dans une deuxième approche, l'autonomie de la faute dolosive serait déniée et il serait toujours nécessaire d'exiger l'intention de l'assuré d'une recherche de la production du dommage, tel qu'il est survenu ;
- dans une troisième approche, la faute dolosive reposerait sur une faute volontaire conduisant à un dommage inéluctable, notion qui serait plus large que celle du "dommage tel que survenu".
La jurisprudence a donné des gages d'une volonté de s'engager dans cette dernière voie, de nature à donner une assise à la notion de faute dolosive distincte de celle de faute intentionnelle.
Un arrêt du 22 septembre 2005 (Cass. civ. 2, 22 septembre 2005, n° 04-17.232 N° Lexbase : A5241DKC ; RCA, 2005, n° 370, 1ère esp., note H. Groutel ; D., 2006, Somm. 1785, obs. H. Groutel ; JCP éd. G, 2006, I, 135, n° 1, obs. J. Kullmann) a ainsi été remarqué car il s'appuie sur la qualité de professionnel de la société assurée pour retenir qu'elle avait "eu nécessairement conscience de l'illégalité encourue", qu'elle avait "délibérément violé les règles" de sorte qu'elle "avait non seulement pris le risque de créer un dommage à la société Q., mais en avait effectivement créé un, ce dont elle ne pouvait pas ne pas être consciente", détruisant par là même tout aléa.
Un arrêt du 24 mai 2006 (Cass. civ. 2, 24 mai 2006, n° 03-21.024, FS-D N° Lexbase : A7334DPC) semble à mettre au crédit de cette même ligne jurisprudentielle en construction. On notera toutefois que l'arrêt n'utilise pas le vocabulaire de faute dolosive mais celui de faute intentionnelle. Toutefois, la logique est assez voisine car elle consiste à déduire des connaissances et de la conscience de l'assuré de causer un dommage dont l'ampleur était par lui parfaitement cerné, la volonté de "causer le dommage tel qu'il est survenu". En l'espèce, l'avocat mandaté par ses clients pour participer à une adjudication et qui tarde à consigner le prix sur un compte séquestre "avait parfaite connaissance et conscience du dommage qu'il causait aux époux X en ne consignant pas dans les délais impartis le prix [...] dès lors qu'en tant qu'avocat spécialisé [...], il savait que ce retard ou cette omission de consignation des fonds qui lui avaient été remis faisaient courir au préjudice des adjudicataires des intérêts de retard ; que par ces constatations et énonciations, qui impliquent que M. Y avait l'intention de causer le dommage tel qu'il est survenu, la cour d'appel a légalement justifié sa décision". Ici, la connaissance et la conscience du dommage créé, dont, en tant que professionnel, l'assuré a nécessairement apprécié l'ampleur, implique son intention de causer le dommage tel qu'il est survenu. L'emploi du verbe "impliquer" forme un lien entre la formule traditionnelle et ces critères fondés sur la compétence de l'assuré.
Nous avions appelé de nos voeux à une simplification, notamment par le recours à la formule "faute dolosive" si les magistrats entendent donner corps à une notion autonome.
C'est ici que l'arrêt rapporté de la troisième chambre civile du 11 juillet 2012 apporte une contribution intéressante, car il traduit un contrôle normatif lourd de la Cour de cassation, alors que, plus souvent, elle se contente de censurer les juges du fond pour manque de base légale si elle estime que ceux-ci n'ont pas suffisamment caractérisé en quoi l'assuré a voulu le dommage tel qu'il s'est réalisé.
Dans notre espèce, la troisième chambre civile censure, au visa conjugué des articles L. 113-1 du Code des assurances et 1964 du Code civil (N° Lexbase : L1727IEP) -ce qui matérialise doublement la présence de l'aléa au coeur du débat-, les juges d'appel qui, pour décharger l'assureur de l'architecte de son obligation à garantir celui-ci, avaient énoncé :
"que M. Z [l'architecte] a délibérément violé une règle d'urbanisme dont il avait parfaite connaissance et qu'il a non seulement pris le risque de créer un dommage à la victime mais en a effectivement créé un dont il ne pouvait pas ne pas avoir conscience et qu'il a ainsi fait perdre tout caractère incertain à la survenance du dommage devenu inéluctable".
Il semble clair que la cour d'appel avait pris le parti de s'inscrire dans le mouvement dit de "troisième approche", rejoignant l'arrêt susmentionné du 22 septembre 2005 dans sa logique de faute dolosive qui, chez un professionnel, implique la conscience de causer un dommage inéluctable dont l'intéressé est apte à mesurer les conséquences et qui, en toute hypothèse suffit en tant que tel à détruire l'aléa.
La cour d'appel est toutefois censurée par les Hauts magistrats qui énoncent :
"qu'en statuant ainsi sans constater que M. Z avait eu la volonté de créer le dommage tel qu'il est survenu, la cour d'appel a violé les textes susvisés".
La troisième chambre civile semble, visiblement, ne pas faire place à une notion distincte de faute dolosive. Elle préfère s'en tenir à la faute intentionnelle et à son critère classique. Ce serait consacrer la "deuxième approche" du triptyque...
Les assurés s'en réjouiront. L'auteur de ces lignes le regrettera, car la faute dolosive en assurances de responsabilité civile professionnelle est une notion rationnelle.
La deuxième chambre civile saura-t-elle répondre au classicisme de la troisième chambre civile, avec audace, et maintenir un particularisme naissant de la faute dolosive aux côtés de la faute intentionnelle ?...
Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de Droit de Nantes, IRDP, Avocat au barreau de Paris, Cabinet Hubert Bensoussan
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