La lettre juridique n°497 du 13 septembre 2012 : Entreprises en difficulté

[Textes] "Petroplus" : commentaire de la loi et du décret

Réf. : Loi n° 2012-346 du 12 mars 2012 (N° Lexbase : L3777ISP) ; décret d'application de la loi n° 2012-346, passé en Conseil d'Etat et à paraître au JO

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N3459BTB

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprise

le 13 Septembre 2012

Une loi du 12 mars 2012 n° 2012-346, relative aux mesures conservatoires en matière de procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire et aux biens qui en font l'objet (1) vient ajouter, dans le livre VI du Code de commerce, la possibilité de pratiquer des mesures conservatoires sur des biens appartenant à des tiers, soit lorsque la procédure collective ouverte contre le débiteur est susceptible d'être étendue à ces tiers sur le fondement de la confusion des patrimoines ou de la fictivité, soit lorsque cette procédure peut donner lieu à une action en responsabilité pour contribution à la cessation des paiements contre un dirigeant de droit ou de fait de la société débitrice.
Connu sous le nom de loi "Petroplus", procédure collective médiatisée, le texte vient répondre à certains actes estimés comme moralement répréhensibles et en tous cas économiquement dévastateurs, que l'on a pu constater, consistant pour des sociétés multinationales à dépecer des filiales en difficulté, en reprenant les biens, propriété des premières, dans la procédure collective des secondes (2).
La proposition de loi a été enregistrée à la présidence de l'Assemblée nationale le 22 février 2012 et a abouti à un vote, obtenu à l'unanimité des deux assemblées, en une semaine. C'est dire l'émoi suscité, dans la classe politique, par le dossier Petroplus, filiale d'un groupe suisse exploitant en France une raffinerie de pétrole, et où l'on a vu la société mère tenter de récupérer des actifs lui appartenant, empêchant la poursuite d'exploitation de sa filiale.
Cette loi, applicable en France métropolitaine et dans les départements d'Outre-mer, s'applique aussi en Nouvelle-Calédonie et dans les îles Wallis et Futuna (art. 5).
L'article 6, pour sa part, démontre, s'il en était besoin, l'empressement de la classe politique à lutter contre la pratique rencontrée dans le dossier Petroplus, en prévoyant que la loi est applicable aux procédures de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciaires en cours à la date de sa publication, laquelle est intervenue au Journal officiel du 13 mars 2012.
Le décret est passé en Conseil d'Etat, mais n'a pas encore été publié au Journal officiel. Son application est étendue à Wallis et Futuna. Une délibération spéciale devra intervenir pour son application sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie.
Cette législation a pour finalité de permettre de pratiquer des mesures conservatoires sur les biens d'un tiers, en attendant l'extension de la procédure à son égard ou le prononcé d'une condamnation en responsabilité pour contribution à la cessation des paiements. L'article 8 du décret, qui emporte création d'un article R. 662-1-1 du Code de commerce, précise que les mesures conservatoires ici étudiées sont soumises aux dispositions de la partie réglementaire du Code des procédures civiles d'exécution. Le nouvel article R. 662-1-2 du code, qui résulte de ce même article 8, précise que ces mesures conservatoires seront mises en oeuvre à l'initiative de l'administrateur judiciaire, du mandataire judiciaire et du liquidateur. Le commissaire à l'exécution, qui ne représente pas le débiteur, n'a logiquement pas qualité pour agir.

Nous envisagerons successivement les nouveaux cas de prise de mesures conservatoires (I), avant d'exposer le régime des biens objets des mesures conservatoires (II).

I - Les nouveaux cas de prise de mesures conservatoires

Jusqu'à la loi "Petroplus", le livre VI du Code de commerce contient deux dispositions relatives aux mesures conservatoires.

La première est l'article L. 631-10 du Code de commerce (N° Lexbase : L3467ICE), qui intéresse le redressement judiciaire, et qui se justifie dans la perspective du sauvetage de l'entreprise, à l'aune du dessaisissement partiel du débiteur. Ce texte, qui prévoit une incessibilité des parts ou actions détenues par les dirigeants de la personne morale débitrice, n'a pas son équivalent dans la procédure volontariste de sauvegarde.

La seconde est celle prévue à l'alinéa 2 de l'article L. 651-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L3852ISH), qui autorise la prise de mesures conservatoires sur les biens d'un dirigeant, dont la responsabilité pour insuffisance d'actif est recherchée.

Ce dispositif est apparu insuffisant pour lutter contre les agissements de tiers, rencontrés dans le dossier Petroplus. Il s'est d'abord agi de créer de nouvelles possibilités de pratiquer des mesures conservatoires sur les biens de tiers, dans toutes les procédures collectives, sauvegarde, redressement et liquidation judiciaires. Il a ensuite été question de compléter le dispositif prévu à l'article L. 651-4 du Code de commerce.

Ainsi deux nouveaux cas de prise de mesures conservatoires sont-ils envisagés, qui ont en commun de porter sur des biens appartenant à des tiers et qui nous semblent devoir être détachées du cadre classique de l'exigence d'une créance dont le recouvrement serait en péril ( C. proc. civ. execution, art. 511-1 N° Lexbase : L5913IRG) (3). Il s'agit, d'une part, de la prise de mesures conservatoires dans le cadre des extensions de procédure (A) et, d'autre part, de la prise de mesures conservatoires dans le cadre de l'action en responsabilité pour contribution à la cessation des paiements (B).

A - Prise de mesures conservatoires dans le cadre des extensions de procédure

L'article 1er de la loi du 12 mars 2012 prévoit que pour l'application des deuxième et troisième alinéas de l'article L. 621-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L3851ISG), "le président du tribunal peut ordonner toute mesure conservatoire utile à l'égard de biens du défendeur à l'action mentionnée à ces mêmes alinéas". Ainsi, selon le texte, des mesures conservatoires peuvent être prises contre les biens de personnes cibles de l'action en extension, soit pour confusion des patrimoines, soit pour fictivité, dans un cadre classique. Cela explique le visa du deuxième 2ème alinéa de l'article L. 621-2. Les mesures conservatoires peuvent également être prises, dans le cadre d'une action en réunion de patrimoines, lorsqu'il est question d'étendre la procédure ouverte à l'encontre du patrimoine d'un l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée à un ou plusieurs autres de ses patrimoines. Cela justifie le visa du troisième alinéa de l'article L. 621-2.

Précisons que l'article L. 631-7 (N° Lexbase : L4018HBG) rendant applicable en redressement judiciaire l'article L. 621-2, et l'alinéa 1er de l'article L. 641-1 (N° Lexbase : L3431IC3) rendant applicable en liquidation judiciaire ce même article, le dispositif résultant de l'article 1er de la loi du 12 mars 2012 s'appliquera tant en sauvegarde, qu'en redressement et en liquidation judiciaires.

Pour donner une portée véritable au texte, il faut comprendre que les mesures conservatoires peuvent être sollicitées dans le cadre de l'instance en extension de procédure. En effet, une fois l'extension intervenue, le patrimoine de la société cible est placé sous procédure collective et, de ce fait, est considéré comme faisant corps avec le patrimoine de la société dont la procédure collective a été étendue. La mesure conservatoire ne sert alors plus à rien. Elle n'a donc d'utilité que si elle est pratiquée alors que l'extension n'est pas encore prononcée.

Dans ce contexte, il est logique que les personnes ayant qualité pour saisir le président du tribunal aux fins d'ordonner toute mesure conservatoire soient les mêmes que celles ayant qualité pour agir en extension de la procédure : administrateur, mandataire judiciaire, ministère public ou tribunal d'office. C'est ce que prévoit l'article 1er de la loi du 12 mars 2012, qui devient le troisième alinéa de l'article L. 621-2.

L'article 2 du décret insère dans le Code de commerce un nouvel article R. 621-8-2, qui donne au juge des indications sur le montant des sommes pour la garantie desquelles la mesure conservatoire sera autorisée. Ce texte s'applique également en liquidation judiciaire (C. com., art. R. 641-1, réd. décret, art. 5). Malgré le silence du décret, il s'applique aussi en redressement, du fait des termes de l'article R. 631-7 (N° Lexbase : L0990HZP), qui prévoit l'application en redressement des articles R. 621-7 (N° Lexbase : L0853HZM) à R. 621-9 (N° Lexbase : L0855HZP). Ce texte distingue deux situations.

Dans la première, au moment où le juge statue sur la mesure conservatoire sollicitée, le délai de déclaration des créances est expiré. Il faut donc comprendre que plus de deux mois se sont écoulés depuis la publication au Bodacc du jugement d'ouverture de la procédure qu'il est question d'étendre. En ce cas, la mesure sera ordonnée au vu du montant des créances déclarées. On mesure immédiatement les dangers pour la personne cible de l'extension, si les créances ont été déclarées pour un montant très supérieur à celui qui sera retenu pour leur admission. La mesure conservatoire pourra porter sur des biens d'une valeur bien supérieure au montant du passif.

Dans la seconde, au moment où le juge statue sur la mesure conservatoire demandée, le délai de déclaration des créances n'est pas encore expiré. Le juge ne peut donc se baser sur les sommes déclarées au passif et c'est pourquoi le décret suggère alors de retenir le montant des relevés des créances salariales. En l'absence d'établissement de ce document, il apparaît que le juge ne peut statuer et, par voie de conséquence, ne peut autoriser la mesure conservatoire.

Précisons immédiatement que l'alinéa 2 de l'article 2 de la loi du 12 mars 2012 (C. com., art. L. 631-10-2 N° Lexbase : L3835IST) prévoit l'information des institutions représentatives du personnel par l'administrateur ou le mandataire judiciaire, sur les mesures conservatoires prises en application de l'article L. 621-2. Le décret (C. com., art. R 631-7-1) prévoit que cette information doit être faite sans délai, dès que la décision ordonnant la mesure conservatoire est signifiée au défendeur à l'action en extension. Ce texte du redressement judiciaire est également applicable en liquidation (C. com., art. R. 641-1, réd. D., art. 5) (4). Pareille précision n'est pas apportée dans le cas de l'extension de la procédure de sauvegarde.

B - Prise de mesures conservatoires dans le cadre de l'action en responsabilité pour contribution à la cessation des paiements

L'article 2 de la loi du 12 mars 2012 crée un deuxième cas de prise de mesures conservatoires. Saisi par l'administrateur ou le mandataire judiciaire, le président du tribunal peut ordonner "toute mesure conservatoire utile à l'égard des biens du dirigeant de droit ou de fait à l'encontre duquel l'administrateur ou le mandataire judiciaire a introduit une action en responsabilité fondée sur une faute ayant contribué à la cessation des paiements du débiteur". C'est l'objet du nouvel article L. 631-10-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L3834ISS).

L'article 4 du décret insère dans le Code de commerce un nouvel article R. 631-14-1, dont l'objet est de donner des précisions au juge appelé à statuer sur la demande d'autorisation de pratique des mesures conservatoires. Le juge devra limiter le montant des sommes pour la garantie desquelles la mesure conservatoire est ordonnée au montant des dommages et intérêts demandés en réparation du préjudice causé par la faute de celui qui a contribué à la cessation des paiements. Cette solution d'évidence aura, de manière nouvelle, l'occasion de jouer pour les mesures conservatoires pratiquées sur les biens des dirigeants, dans le cadre de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif. L'article 6 du décret ajoute, en ce sens, un alinéa à l'article R. 651-5 du Code de commerce, qui, jusqu'alors, restait muet sur cette question.

Sous prétexte d'envisager une possibilité de pratiquer des mesures conservatoires, l'article L. 631-10-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L3834ISS) crée, en réalité, une nouvelle action en responsabilité pécuniaire contre les dirigeants de personne morale débitrice (5), sans en préciser davantage les contours, accréditant l'idée que ce cas de responsabilité préexiste dans le livre VI du Code de commerce.

Depuis la loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150HGT), et plus encore depuis l'ordonnance du 18 décembre 2008 (ordonnance n° 2008-1345 N° Lexbase : L2777ICT), l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, autrefois dénommée action en comblement de passif, ne peut être intentée contre un dirigeant qu'en cas de liquidation judiciaire de la personne morale débitrice.

Le texte ici étudié, qui crée un article L. 631-10-1 du Code de commerce, permet de rendre responsable, dans la procédure de redressement judiciaire, le dirigeant, de droit ou de fait, qui a contribué à la cessation des paiements du débiteur.

Observons d'abord que le lien de causalité s'apprécie ici, mutatis mutandis, comme en matière d'action en responsabilité pour insuffisance d'actif. Il n'est pas exigé que la faute ait causé la cessation des paiements. Il suffit qu'elle y ait contribué. Elle peut n'être que pour partie la cause de la cessation des paiements. C'est donc un lien de causalité distendu par rapport à l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ).

Indiquons ensuite que la faute envisagée ne serait pas nécessairement une faute de gestion (6).

Précisons encore que ce texte est inapplicable dans la procédure de sauvegarde, procédure volontariste où l'on évite de sanctionner un dirigeant. Le texte est tout aussi inapplicable en liquidation judiciaire, puisque, dans cette procédure, subsiste l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, qui se substitue à l'action en responsabilité pour contribution à la cessation des paiements. Il a d'ailleurs fallu envisager le cas de la conversion du redressement en liquidation judiciaire. C'est l'objet de l'article 3 de la loi du 12 mars 2012, qui prévoit que le président du tribunal pourra "maintenir la mesure conservatoire ordonnée à l'égard des biens du dirigeant de droit ou de fait en application de l'article L. 631-10-1". Ce texte est inséré au deuxième alinéa de l'article L. 651-4. Il faut dès lors comprendre que l'action en responsabilité pour contribution à la cessation des paiements ne pourra prospérer en liquidation judiciaire (7). Mais elle pourra être remplacée par une action en responsabilité pour insuffisance d'actif. La substitution devrait pouvoir se faire par voie de conclusions. Une nouvelle assignation serait inutile. La substitution devra toutefois être faite dans le délai de prescription de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif -trois ans du prononcé de la liquidation judiciaire-. On peut ici transposer purement et simplement les solutions jurisprudentielles retenues, entre le 1er janvier 2006 et le 14 février 2009 -pour assurer le passage de l'action en redressement ou en liquidation judiciaire à titre personnel à l'action en obligation aux dettes sociales-.

Dès lors que l'on cantonne l'action en responsabilité pour contribution à la cessation des paiements à la seule procédure de redressement judiciaire, il faut admettre qu'elle ne pourra, en pratique, développer ses effets que dans le cadre de l'exécution du plan de redressement. Mais on peut alors légitimement se demander quel préjudice le dirigeant, qui a contribué à la cessation des paiements, va devoir réparer. Si le plan est exécuté, tout le passif, une fois les remises acceptées, y compris dans les comités de créanciers, est payé ; il ne subsiste plus de dette. Où donc se trouve le préjudice ? Dans les dettes générées par l'ouverture de la procédure collective, peut-être ?

Si le plan est résolu, et s'il y a cessation des paiements, une nouvelle procédure -une liquidation judiciaire- va s'ouvrir. L'action en responsabilité pour contribution à la cessation des paiements peut-elle véritablement prendre corps dans cette seconde procédure ? Nous avons du mal à l'admettre, puisque cette procédure est nouvelle.

Nous peinons donc à comprendre l'utilité de cette action et, par voie de conséquence, l'utilité de pratiquer des mesures conservatoires sur les biens du dirigeant responsable.

Le législateur ne s'est pas contenté de créer des cas de mesures conservatoires, parfois assis sur de nouvelles actions en responsabilité. Il a, en outre, imaginé d'aménager de manière assez surprenante le régime des biens objets des mesures conservatoires.

II Le régime des biens objets des mesures conservatoires

L'article 4 de la loi du 12 mars 2012 envisage la possibilité de cession des biens objets de mesures conservatoires (A) et rend possible une affectation particulière du prix de vente des biens objets des mesures conservatoires (B).

A - Possibilité de cession des biens objets de mesures conservatoires

L'article 4, alinéa 1er, de la loi du 12 mars 2012 insère un article L. 663-1-1 dans le Code de commerce (N° Lexbase : L3836ISU) disposant que, lorsque les mesures conservatoires que nous avons précédemment examinées "portent sur des biens dont la conservation ou la détention génère des frais ou qui sont susceptibles de dépérissement, le juge-commissaire peut autoriser, aux prix et conditions qu'il détermine, l'administrateur, s'il a été nommé, ou le mandataire ou le liquidateur à les céder. Les sommes provenant de cette cession sont immédiatement versées en compte de dépôt à la Caisse des dépôts et consignations".

Ainsi, le texte permet au juge-commissaire d'autoriser la cession de biens, appartenant à un tiers, objets de mesures conservatoires.

Contrairement à la solution retenue en droit commun des mesures conservatoires, et compte tenu de la gravité de la solution, le juge-commissaire appelé à statuer sur l'autorisation de vendre les biens objets de la mesure conservatoire ne peut le faire qu'après avoir entendu ou dûment appelé le propriétaire des biens saisis. Il entend ou appelle également le débiteur (C. com., art. R. 662-17, al. 1er, réd. D. art. 9).

La demande ici présentée étant chose grave, et étant particulièrement dérogatoire au droit commun des mesures conservatoires, il est prévu la présence à l'audience du ministère public, et non pas la simple communication à celui-ci (C. com., art. R. 662-17, al. 2, réd. D. art. 9).

Les biens ici envisagés, encore que le texte légal n'en dise mot, seront le plus généralement des biens corporels.

En droit commun, la saisie conservatoire de meubles corporels est le préalable normal à la saisie-vente, en l'attente d'un titre exécutoire. La saisie conservatoire porte sur des biens appartenant au débiteur. En l'espèce, le débiteur est bien le propriétaire des biens en question.

De quoi est-il débiteur ? Il est débiteur éventuel des sommes que doit la personne placée sous la procédure collective qu'il est question d'étendre. En effet, une fois la procédure collective étendue, il sera débiteur des mêmes sommes que le débiteur initial. Il peut aussi être débiteur éventuel des sommes auxquelles il pourrait être condamné si sa responsabilité pour contribution à la cessation des paiements est retenue.

Ainsi, la nature précise de cette mesure conservatoire n'apparaît pas discutable, même si la créance qui la fonde n'est que très floue, dans son quantum, parce qu'elle est encore plus évanescente, dans sa réalité, du fait de sa simple éventualité.

En droit commun, la saisie conservatoire n'autorise pas la vente des biens. Elle prépare la saisie-vente, qui permettra de vendre le bien, lorsque le créancier sera en possession d'un titre exécutoire.

La solution envisagée par la loi du 12 mars 2012 est donc parfaitement dérogatoire au droit commun de la saisie conservatoire de meubles corporels, lorsqu'il est envisagé la possibilité de vendre les biens objets de la mesure conservatoire. Il a été écrit qu'il s'agissait là de "responsabilités [...] sanctionnées avant d'être jugées" (8).

La cession du bien objet de la mesure conservatoire, en application de la loi du 12 mars 2012, doit toutefois rester exceptionnelle. Le texte n'envisage la possibilité pour le juge-commissaire -lequel sera saisi par voie de requête par l'organe compétent- d'autoriser la cession qu'en présence de biens dont la conservation ou la détention génère des frais. Les travaux parlementaires font état de produits alimentaires pour la première catégorie, de produits chimiques ou pétroliers, pour la seconde (9). Mais les observateurs font déjà remarquer que la formule est suffisamment compréhensive pour englober une masse très importante de biens (10). Si cette détention ou cette conservation est financièrement neutre pour la procédure collective, l'autorisation de vente ne pourra être donnée par le juge-commissaire que si les biens sont soumis à dépérissement.

Le seul fait de vendre les biens objets de la saisie conservatoire ne permettra pas le versement des honoraires de réalisations d'actif au profit du liquidateur. Ces honoraires ne seront dus que s'il y a conversion en saisie définitive (C. com., art. R. 663-29, IV, réd. D., art. 10).

Il reste alors à savoir, lorsque la vente des biens, objets de la mesure conservatoire aura été autorisée par le juge-commissaire, ce que devient le prix de vente.

B - Affectation particulière du prix de vente des biens objets des mesures conservatoires

En droit commun, le créancier ne peut se faire attribuer la somme saisie. Pas davantage, il ne peut obtenir la remise du prix de vente du bien qui aurait vendu. La solution n'est pas prévue, pour cette simple raison que la vente du bien ne l'est pas davantage.

Le principe ici posé par l'alinéa 1er de l'article 4 de la loi du 12 mars 2012, qui devient l'article L. 663-1-1, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L3836ISU), est celui du versement en compte de dépôt à la Caisse des dépôts et consignations, du prix de vente du bien. Le texte légal ne précise pas davantage. Pour sa part, le décret (art. 11) modifie la rédaction de l'article R. 663-45, alinéa 1er, du Code de commerce, pour viser, dans cette disposition qui concerne la nomenclature des comptes bancaires rémunérés ouverts dans les livres de la Caisse des dépôts et consignations, les fonds déposés en application de l'article L. 663-1-1 du Code, à savoir les fonds provenant de la vente des biens saisis à titre conservatoire.

L'article 11 du décret modifie encore l'alinéa 2 de ce même article R. 663-45 du Code. Le principe est le suivant "les intérêts des comptes bancaires sont imputés au crédit du compte ouvert au nom du fonds dans les livres de la Caisse des dépôts et consignations". Il n'en sera pas ainsi des intérêts dus au titre de sommes déposées en application de l'article L. 663-1-1.

Il n'y a pas de difficulté à comprendre que cette consignation débouche sur une appréhension par la procédure collective, si la mesure conservatoire est suivie d'une extension de la procédure.

Si la mesure conservatoire est suivie de la très hypothétique condamnation en responsabilité pour contribution à la cessation des paiements, on ignore ce que devient le prix. Il faut, semble t-il, décider qu'une fois la condamnation prononcée contre le dirigeant, cette dernière s'exécutera à due concurrence sur les sommes placées à la Caisse des dépôts et consignations, ce qui, ici encore, aboutira à une appréhension par la procédure collective.

En revanche, si aucune condamnation n'est prononcée, les sommes consignées devront être restituées à la personne concernée.

Particulièrement exorbitante du droit commun, apparaît la disposition de l'alinéa 2 de l'article 4 de la loi du 12 mars 2012, devenu l'alinéa 2 de l'article L. 663-1-1 du Code de commerce, qui dispose que "le juge-commissaire peut autoriser l'affectation des sommes provenant de cette cession au paiement des frais engagés par l'administrateur, le mandataire judiciaire ou le liquidateur pour les besoins de la gestion des affaires du propriétaire de ces biens, y compris pour assurer le respect des obligations sociales et environnementales de la propriété de ces biens, si les fonds disponibles du débiteur n'y suffisent pas".

Le pouvoir réglementaire a entouré l'autorisation d'affectation des sommes en cause des mêmes précautions que celles existant pour la possibilité de cession des biens objets de mesures conservatoires (C. com., art. R. 662-17).

Sur le fond, le texte pose un principe de subsidiarité dans l'affectation des sommes : elle ne pourra avoir lieu que si le débiteur ne dispose pas des fonds suffisants pour assurer la gestion des biens du tiers propriétaire, objets des mesures conservatoires.

Si le débiteur ne dispose pas des fonds nécessaires, les fonds provenant de la vente pourront, sur autorisation du juge-commissaire, être affectés au paiement des frais engagés pour assurer la gestion des biens.

Le texte prend le soin de préciser que cela englobe les obligations sociales du propriétaire du bien. On pourrait, dans une première approche, comprendre que des salariés sont attachés au bien, par exemple les salariés attachés à un fonds de commerce. Cette approche ne semble toutefois pas la bonne, car si des salariés sont attachés au fonds, les obligations sociales pèsent sur l'exploitant et non sur le propriétaire du fonds. Dans une seconde approche, on peut comprendre que le tiers, propriétaire des biens, objets des mesures conservatoires, a des obligations sociales envers les salariés du débiteur au titre, par exemple, d'une obligation de reclassement, notamment s'il est qualifié de co-employeur.

Le texte prend également le soin de prévoir le respect des obligations environnementales. Il faut ici supposer que le tiers, sur les biens duquel ont été pratiquées des mesures conservatoires, a des obligations environnementales liées à la propriété des biens en question.

Le texte n'envisage pas l'affectation de l'intégralité du prix de vente des biens objets des mesures conservatoires, mais ne l'interdit pas davantage. Tout sera fonction de l'importance des frais auxquels se seront exposés les organes de la procédure, pour assurer la gestion des biens, objets des mesures conservatoires.

Il s'agit bien d'une affectation de sommes, laquelle est exclusive du concours avec d'autres créanciers. Il s'agit donc d'un droit très supérieur à celui que détiendra un créancier au titre du privilège du conservateur de la chose.

Faute de dispositions particulières, le droit commun des voies de recours sur les ordonnances en matière de mesures conservatoires sera applicable : appel si le demandeur succombe, demande de rétraction par le défendeur à la mesure (11).

Précisons que les décisions autorisant les mesures conservatoires ici étudiées ne seront pas exécutoires de plein droit à titre provisoire. Il appartiendra donc au tribunal de décider ou non d'accorder l'exécution provisoire (C. com., art. R. 661-1, al. 2, réd. D. art. 7). Si l'exécution provisoire est facultativement ordonnée, elle peut être arrêtée, non seulement dans les conditions classiques du droit des entreprises en difficulté, si les moyens invoqués par l'appellant apparaissent sérieux, mais en outre, de manière dérogatoire par rapport au droit commun des procédures collectives, si l'exécution risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives (C. com., art. R. 661-1, al. 3, réd., D., art. 7), ce qui est le critère d'arrêt de l'exécution provisoire en droit commun. La dérogation s'explique ici par le particularisme de ces mesures conservatoires, qui peuvent déboucher sur la vente des biens, voire l'affectation de leur prix au préjudice du propriétaire.

Au final, il ne peut être discuté, sur un plan journalistique, que les mesures contenues dans la loi du 12 mars 2012, peuvent se comprendre. Elles n'en sont pas moins choquantes, sur un plan juridique. Elles autorisent la vente de biens, par la procédure collective, qui n'appartiennent pas au débiteur. Il y a là une atteinte grave au droit de propriété, qui nous semble faire difficulté, tant au regard des principes constitutionnels, qu'au regard de l'article 1er du protocole additionnel n° 1 à la CESDH (N° Lexbase : L1625AZ9), qui garantit le droit de propriété, atteinte d'autant plus grave que les fonds provenant de la vente peuvent être appréhendés par la procédure collective, et tout cela alors que, peut-être, l'action qui justifiait les mesures n'aboutira pas, parce que les conditions n'en étaient pas réunies. On pense tout spécialement à l'action en extension de procédure sur le fondement de la confusion des patrimoines. Tous ceux qui "jouent" ne gagent pas...

Les bonnes idées ne font pas nécessairement les bonnes lois, alors même que ces idées seraient communément partagées, comme c'est le cas de la loi du 12 mars 2012, adoptée par les deux assemblées à l'unanimité.

Mais cette réflexion est déjà trop tardive. Contentons-nous de souhaiter qu'il soit fait un usage modéré des opportunités extravagantes qu'offre cette législation (12) !


(1) F. Pérochon, De la mesure dite conservatoire à l'exécution sommaire anticipée, BJE, avril 2012, p. 73 ; Ph. Roussel Galle, La loi Pétroplus : quelques réflexions...avec un peu de recul, Rev. proc. coll., mai 2012, études 16, p. 11 ; G. Teboul, La nouvelle loi sur les mesures conservatoires en matière de procédures collectives : une loi de circonstance ou une loi préventive, LPA, 2 mars 2012, n° 45, p. 8 ; J.-P. Legros, Présentation de la loi n° 2012-346 du 12 mars 2012, Dr. Sociétés, mai 2012, comm. 85 à 88.
(2) Observons immédiatement, à la suite d'un auteur, que l'objectif qui consiste à s'attaquer aux agissements de multinationales risque fort d'achopper lorsque les biens de la personne cible de l'extension ou du dirigeant fautif ou sont hors du territoire français : Ph. Roussel Galle, préc., sp. p. 13, n° 12.
(3) Rapport Ass. nat., F. Guégot, n° 4411, p. 8 ; adde J.-P. Legros, préc., comm. 86 ; Ph. Roussel Galle, préc., sp. p. 13, n° 18.
(4) Comparer, J.-P. Legros, préc., comm. 86.
(5) Ph. Roussel Galle, Mesures conservatoires, confusion des patrimoines et action en responsabilité, DPDE, mars 2012, p. 3.
(6) Rapport Sénat, J.-P. Sueur, n° 448, p. 14 ; Ph. Roussel Galle, La loi Pétroplus : quelques réflexions...avec un peu de recul, préc. note 1, sp. p. 13, n° 15.
(7) Comparer, Ph. Roussel Galle, préc. note 1, sp. p. 13, n° 16.
(8) G. Teboul, préc. note 1.
(9) Rap. Ass. nat., F. Guégot, n° 4411, p. 22.
(10) Ph. Roussel Galle, préc. note 1, sp. p. 14, n° 23.
(11) J.-P. Legros, préc..
(12) Rappr. Ph. Roussel Galle, préc. note 1, sp. p. 14, n° 29.

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