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N3308BTP
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par Thierry Lambert, Professeur à Aix Marseille Université
le 13 Septembre 2012
Dans cette affaire, la situation est très banale. Dans le cadre d'un examen de situation fiscale personnelle, un couple de contribuables a été interrogé, sur le fondement de l'article L. 16 du LPF (N° Lexbase : L5579G4E), qui permet à l'administration d'adresser des demandes d'éclaircissements ou de justifications sur l'origine et la nature des sommes portées aux crédits de leurs comptes bancaires. Certaines sommes sont restées inexpliquées. En conséquence, celles-ci ont été taxées d'office, en vertu des dispositions de l'article L. 69 du LPF (N° Lexbase : L8559AEQ).
En l'espèce, les contribuables n'apportent pas la preuve que ces sommes inexpliquées correspondent au remboursement de prêts et avances par des tiers ou des proches et que, d'autres sommes étaient des avances consenties par des proches pour financer la caution judiciaire réclamée à l'époux dans le cadre d'une instance pénale. Il est de jurisprudence constante que le contribuable n'apporte pas la preuve des emprunts qu'il a faits s'il ne produit pas les contrats de prêts (CE 3° s-s., 13 juin 1979, n° 13358, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2672AK8, Droit fiscal, 1980, concl. Fabre, comm. 910). De la même façon, les reconnaissances de dettes qui n'ont pas date certaine sont dépourvues de valeur probante (CE, 23 mai 1984, n° 34502, inédit au recueil Lebon, RJF, 1984, 7, comm. 418). Ne sont pas des justifications probantes, des attestations postérieures à la période des faits et qui ne permettent pas d'admettre la réalité d'un emprunt (CE 7° et 9° s-s-r., 25 mars 1983, n° 33110, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9031AL3, Droit fiscal, 1984, concl. Léger, comm. 176). En outre, les remboursements auxquels il aurait été procédé postérieurement à l'année d'imposition, à supposer qu'ils soient établis, n'apportent pas, par eux-mêmes, la preuve des prêts allégués.
Lorsque le contribuable s'abstient de répondre ou apporte des réponses qualifiées par l'administration de non probantes, il appartient à cette dernière de réintégrer d'office dans le revenu global les sommes dont l'origine demeure inexpliquée, et qui ne peuvent pas être prises en compte dans une catégorie particulière de revenus ou de bénéfices (CE 7° et 8° s-s-r., 9 octobre 1992, n° 88301, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7766AR3, RJF, 1992, 12, comm. 1613).
Il résulte des dispositions du dernier alinéa de l'article L. 10 (N° Lexbase : L4149ICN) et de l'article L. 59 (N° Lexbase : L5471H9I) du LPF que, lorsque subsistent des désaccords entre le contribuable et l'administration sur des rectifications envisagées, le contribuable, s'il s'y croit fondé, peut faire appel à l'interlocuteur départemental, aussi bien avant la saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires qu'après que cette commission ait rendu un avis, et ce jusqu'à la date de la mise en recouvrement. En effet, la garantie attachée à la faculté de faire appel à l'interlocuteur départemental ne peut être mise en oeuvre qu'avant la décision d'imposition, c'est-à-dire la date de mise en recouvrement (CE 10° et 9° s-s-r., 30 juin 2010, n° 310294, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6011E3Z, Droit fiscal, 2010, 35, comm. 445, concl. Burguburu). Lorsque la demande d'entretien avec l'interlocuteur départemental, formulée par le contribuable avant la mise en recouvrement du rôle, ne peut être satisfaite que postérieurement à cette date, la procédure d'imposition est irrégulière (CAA Lyon, 7 juin 2000, n° 96LY01141, inédit au recueil Lebon, concl. Millet, BCF, 2000, 11, comm. 127).
Rappelons que le droit pour le contribuable de saisir le supérieur hiérarchique est subordonné à la condition qu'il en fasse expressément la demande. Lorsqu'un contribuable demande à rencontrer l'interlocuteur départemental, l'administration est tenue de donner suite, car la méconnaissance de cette exigence a le caractère d'une irrégularité substantielle (CE 10° et 9° s-s-r., 21 juin 2002, n° 219313, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9684AYC, RJF, 2002, 11, comm. 1138).
Dans la faculté offerte au contribuable de faire des recours, il lui est fait obligation de saisir le supérieur hiérarchique du vérificateur avant l'interlocuteur départemental (CE 9° s-s., 27 octobre 2004, n° 264493, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5808D7A, RJF, 2005, 1, comm. 50). La démarche n'est pas sans risque, car aucune disposition législative ou réglementaire n'interdit à l'administration, après que le contribuable ait rencontré l'interlocuteur départemental de lui adresser une nouvelle proposition de rectification, à condition toutefois que celle-ci intervienne dans le délai de reprise et que le contribuable ait pu, s'agissant des nouvelles rectifications, bénéficier de l'ensemble des garanties prévues par la loi (CE 3° et 8° s-s-r., 5 janvier 2005, n° 254556, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2265DGY, RJF, 2005, 3, comm. 213).
En revanche, la demande de saisine de l'interlocuteur départemental par le contribuable n'est nullement conditionnée à ce que la commission ait rendu un avis défavorable au contribuable, ou se soit déclarée incompétente. Après que l'avis ait été rendu par la commission, les contribuables peuvent de nouveau demander à rencontrer l'interlocuteur départemental.
Par conséquent, le Conseil d'Etat a jugé que l'administration n'entache pas d'irrégularité la procédure d'établissement de l'impôt en s'abstenant de donner suite à une telle demande conditionnelle de saisine de l'interlocuteur départemental, qui ne peut être regardée comme régulièrement formée.
Un contribuable, principal associé de plusieurs sociétés, a fait l'objet d'un examen de situation fiscale personnelle à la suite duquel des rectifications lui ont été notifiées avec application d'une majoration pour mauvaise foi, nous dirions aujourd'hui pour manquement délibéré, prévue à l'article 1729 du CGI (N° Lexbase : L4733ICB), alors applicable. Pour établir ces graves manquements, l'administration s'est fondée, dans la proposition de rectification, comme devant le juge, d'une part, sur l'importance des sommes taxées dans la catégorie des revenus d'origine indéterminée et, d'autre part, sur le fait que le contribuable a refusé de collaborer lors du contrôle, en refusant notamment de communiquer sa nouvelle adresse et en n'essayant pas de justifier l'origine de ses revenus lors des entretiens ayant précédé l'envoi de la proposition de rectification.
L'article 1729 précité a pour seul objectif de sanctionner la méconnaissance par le contribuable de ses obligations déclaratives.
Concernant les manquements délibérés (la mauvaise foi), l'administration doit apporter la preuve, d'une part, de l'insuffisance, de l'inexactitude ou du caractère incomplet des déclarations et, d'autre part, de l'intention du contribuable d'éluder l'impôt.
Le caractère délibéré du manquement résulte de l'ensemble des éléments de fait de nature à établir que les erreurs, inexactitudes ou omissions commises par le contribuable n'ont pu l'être de bonne foi. Il s'apprécie en fonction des circonstances propres à chaque affaire. Dès lors qu'il procède à l'accomplissement conscient d'une infraction, le manquement délibéré est suffisamment établi chaque fois que l'administration est en mesure de démontrer que l'intéressé a nécessairement eu connaissance des faits ou des situations qui motivent les rehaussements. Enfin, le caractère délibéré du manquement peut être considéré comme établi chaque fois que le rehaussement porte sur une question de principe ayant déjà fait l'objet, à l'encontre du contribuable, d'une décision administrative non contestée par l'intéressé ou ayant acquis l'autorité de la chose jugée.
La jurisprudence en la matière est abondante.
Par exemple, le manquement délibéré est établi lorsque le contribuable ne pouvait pas ignorer le caractère imposable de sommes importantes qu'il a omis de mentionner dans ses déclarations (CE 3° et 8° s-s-r., 29 juillet 2002, n° 220728, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0739A47, RJF, 2002, 11, comm. 1303), en l'absence de caractère suivi et probant de la comptabilité et de l'importance des minorations de recettes déclarées (CE 9° et 10° s-s-r., 19 mars 2001, n° 197352, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1561ATY, RJF, 2001, 6, comm. 818), ou encore lorsque en fin d'exercice le contribuable minore systématiquement les soldes des comptes clients par la passation d'écritures d'extourne, suivies de contre-passations du même montant au début de l'exercice suivant (CE 8° s-s., 5 novembre 2003, n° 247309, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0938DAY, RJF, 2004, 1, 86).
En revanche, le Conseil d'Etat a jugé que le manquement délibéré du redevable n'était pas établi s'agissant d'une entreprise nouvellement créée, que ses dirigeants ont regardé à tort comme une entreprise nouvelle, par le seul fait que l'un des gérants de la société créée était également chef des ventes de la société préexistante (CE 9° et 10° s-s-r., 20 octobre 2004, n° 253089, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6288DDA, RJF, 2005, 1, comm. 10). La manquement délibéré ne peut pas non plus être retenu lorsque les irrégularités de la comptabilité ne procèdent pas de l'intention de dissimuler les bases d'imposition (CE 7° et8° s-s-r., 17 juin 1981, n° 13147, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6687AKU, RJF, 1981, comm. 406).
En outre, pour établir le caractère intentionnel du manquement, l'administration doit se placer au moment de la déclaration ou de la présentation de l'acte comportant l'indication des éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt. Mais, si en plus l'administration se fonde sur des éléments tirés du comportement du contribuable pendant le contrôle, la mention d'un tel motif, qui ne peut en lui-même justifier l'application d'une telle pénalité, ne fait pas obstacle à ce que la mauvaise foi (manquement délibéré) soit regardée comme établie.
En l'espèce, l'importance des sommes qualifiées de revenus d'origine indéterminée ne saurait, à elle seule, caractériser un manquement délibéré. Quant au comportement du contribuable au cours de la vérification, il n'est pas de nature à qualifier l'intention du contribuable au moment où celui-ci souscrit ses déclarations.
Par cet arrêt, le Conseil d'Etat fixe pour principe que le caractère intentionnel, subordonnant l'application de la pénalité pour manquement délibéré, s'apprécie au moment de la déclaration, sans que le seul comportement postérieur du contribuable puisse être déterminant.
L'administration aurait pu, concernant le refus de communiquer le changement d'adresse en cours de vérification, envisager une opposition à contrôle fiscal, sans d'ailleurs être certaine que ce fondement lui soit favorable.
Nul ne peut contester que le principe de la question prioritaire de constitutionnalité soit une avancée positive pour les citoyens du point de vue du respect de leurs droits et libertés garantis par la Constitution. Mais la mise en oeuvre de cette procédure et l'usage qui en est fait peuvent être appréciés diversement.
Le Conseil d'Etat, par trois arrêts rendus le même jour, a refusé, comme il en a le droit, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question portant sur les nouvelles procédures applicables aux impôts directs recouvrés par voie d'avis de mise en recouvrement et non plus par voie de rôle.
La requérante contestait les articles 21 de loi n° 2002-1576 du 30 décembre 2002 (N° Lexbase : L9372A8M) et 37 de la loi n° 2003-1312 du 30 décembre 2003 (N° Lexbase : L6330DME). Ces dispositions confiaient aux comptables de la direction générale des impôts le soin de recouvrer l'impôt sur les sociétés et les contributions soumises au même régime, au lieu et place des comptables du Trésor, chargés du recouvrement des impôts directs, sans préciser, à la différence des mentions apportées pour l'imposition forfaitaire annuelle et la taxe sur les salaires, que ces impositions seraient de ce fait recouvrées non plus par voie de rôle mais par avis de mise en recouvrement.
Depuis le 1er novembre 2004 (décret n° 2004-469 du 25 mai 2004 N° Lexbase : L2178DYC), c'est auprès de la recette des impôts, et non plus de la trésorerie, que les entreprises doivent payer l'impôt sur les sociétés et les contributions assimilées (instruction du 26 novembre 2004, BOI 4 A-10-04 N° Lexbase : X4640ACT).
Dans cette affaire, la requérante se pourvoyait en cassation contre un arrêt par lequel la cour administrative d'appel (CAA Versailles, 29 novembre 2011, n° 10VE01208, inédit au recueil Lebon) rejetait sa demande concernant l'impôt sur les sociétés. A cette occasion, elle contestait l'ordonnance par laquelle le président de la cour avait refusé de transmettre une question prioritaire de constitutionalité au Conseil d'Etat. De plus, par un mémoire distinct, elle demandait au Conseil d'Etat de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionalité concernant les mêmes dispositions législatives et les mêmes normes constitutionnelles, mais à l'appui de moyens différents.
Ces trois arrêts sont l'occasion pour le Conseil d'Etat de rappeler un certain nombre des principes concernant le recours à la question prioritaire de constitutionalité.
Le Conseil d'Etat décide que, lorsqu'une cour administrative d'appel a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité, il appartient à l'auteur de cette question de contester ce refus dans un pourvoi en cassation dirigé contre l'arrêt qui statue sur le litige. Ceci doit se faire dans le délai de recours contentieux, par un mémoire distinct et motivé, que le refus de transmission l'ait été par une décision distincte de l'arrêt, dont il joint une copie, ou directement par cet arrêt.
Les Sages du Palais-Royal font valoir que les modalités de recouvrement relatives à l'impôt sur les sociétés et aux contributions soumises au même régime sont suffisamment précisées par les articles législatifs relatifs aux procédures applicables aux impôts recouvrés par les comptables de la direction générale des impôts, notamment par les articles 1668 du CGI (N° Lexbase : L0682IHQ) et L. 256 (N° Lexbase : L1498IP8) et suivants du LPF. Il était inutile que le législateur précise à nouveau les règles et, en conséquence, il n'a pas méconnu l'étendue de sa compétence.
Le Conseil d'Etat rappelle que les dispositions de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 (N° Lexbase : L0276AI3), qui prévoient que "le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garanties par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation", n'ont ni pour objet, ni pour effet de permettre à celui qui a déjà présenté une question prioritaire de constitutionnalité devant une juridiction statuant en dernier ressort de s'affranchir des conditions définies par les articles 23-1 et 23-2 de la loi organique précitée et de l'article R. 771-16 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L5778IG4), selon lesquelles le refus de transmission peut être contesté devant le juge de cassation.
Le Conseil d'Etat par trois fois a rejeté le pourvoi du contribuable, considérant qu'il n'y avait lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 21 de la loi n° 2002-1576 du 30 décembre 2002 et de l'article 37 de la loi n° 2003-1312 du 30 décembre 2003.
Aujourd'hui, le recouvrement des impôts est assuré par les agents de la direction générale des finances publiques, issue de la fusion de la direction générale des impôts et de la direction générale de la comptabilité publique. Qu'il s'agisse d'impôts recouvrés par voie de rôle ou par voie de mise en recouvrement, les poursuites sont engagées, au nom du comptable, par les inspecteurs des finances publiques ou, sur décision du directeur départemental des finances publiques et à titre temporaire, par les contrôleurs des finances publiques.
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