Le Quotidien du 4 mai 2021 : Propriété intellectuelle

[Brèves] AOP : une protection étendue à la reproduction de la forme ou de l’apparence caractérisant le produit

Réf. : Cass. com., 14 février 2021, n° 17-25.822, FS-P (N° Lexbase : A80904PC)

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[Brèves] AOP : une protection étendue à la reproduction de la forme ou de l’apparence caractérisant le produit. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/67635173-0
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par Vincent Téchené

le 03 Mai 2021

► Une AOP n'est pas protégée uniquement contre l'utilisation par un tiers de la dénomination enregistrée, mais aussi contre la reproduction de la forme ou de l'apparence caractérisant le produit couvert par la dénomination enregistrée lorsque cette reproduction est susceptible d'amener le consommateur à croire que le produit en cause est couvert par l'AOP.

Faits et procédure. Le syndicat interprofessionnel de défense du fromage Morbier (le syndicat) est un organisme de défense et de gestion de ce fromage du Jura qui bénéficie, depuis un décret du 22 décembre 2000, d'une appellation d'origine contrôlée (AOC), et d'une inscription, à compter du 10 juillet 2002, au registre des appellations d'origine protégée (AOP). Une société, établie dans le Puy-de-Dôme, fabrique et commercialise des fromages. Produisant depuis 1979 un fromage sous le nom « Morbier », elle a été autorisée, dans le cadre de la période transitoire prévue par le décret du 22 décembre 2000 pour les entreprises situées en dehors de l'aire géographique de référence définie par le texte, à utiliser ce nom, sans la mention AOC, jusqu'au 11 juillet 2007, date à partir de laquelle elle lui a substitué la dénomination « Montboissié du Haut-Livradoi ». Cette société a déposé, en outre, le 5 octobre 2001, aux États-Unis, la marque américaine « Morbier du Haut-Livradois », qu'elle a renouvelée en 2008 pour dix années, avant de la radier en 2013, et, le 5 novembre 2004, la marque française « Montboissier » pour les produits de la classe 29.

Reprochant à cette société de porter atteinte à l'AOP « Morbier » et de commettre des actes de concurrence déloyale et parasitaire en fabriquant et en commercialisant un fromage reprenant l'apparence visuelle du produit protégé par cette AOP afin de créer la confusion avec celui-ci et de profiter de la notoriété de cette appellation d'origine sans avoir à se plier à son cahier des charges, le syndicat l'a assignée afin qu'elle soit condamnée à cesser toute pratique portant atteinte à l'AOP « Morbier » et à indemniser son préjudice. La société a demandé reconventionnellement des dommages-intérêts pour procédure abusive.

La cour d’appel de Paris a débouté le syndicat de ses demandes (CA Paris, Pôle 2, 5ème ch., 16 juin 2017, n° 16/11371 N° Lexbase : A3031WI4). Ce dernier a donc formé un pourvoi en cassation.

Par un arrêt du 19 juin 2019 (Cass. com., 19 juin 2019, n° 17-25.822, FS-D N° Lexbase : A2918ZG8), la Cour de cassation a saisi la CJUE d'une question préjudicielle portant sur l'interprétation des articles 13, § 1, du Règlement n° 510/2006 du 20 mars 2006 (N° Lexbase : L9902HH9) et du Règlement n° 1151/2012 du 21 novembre 2012 (N° Lexbase : L9174IUC). La CJUE a répondu à la question préjudicielle par un arrêt du 17 décembre 2020 (CJUE, 17 décembre 2020, aff. C-490/19 N° Lexbase : A21294A4).

Décision. La Cour de cassation, après avoir rappelé les termes des articles 13, § 1, des Règlements précités, relève que la CJUE, après avoir souligné que les AOP sont protégées en tant qu'elles désignent un produit qui présente certaines qualités ou certaines caractéristiques et que l'AOP et le produit couvert par celle-ci sont intimement liés (point 37), a dit pour droit que ces articles 13, § 1, « […] doivent être interprétés en ce sens qu'ils n'interdisent pas uniquement l'utilisation par un tiers de la dénomination enregistrée. [Ils] doivent être interprétés en ce sens qu'ils interdisent la reproduction de la forme ou de l'apparence caractérisant un produit couvert par une dénomination enregistrée lorsque cette reproduction est susceptible d'amener le consommateur à croire que le produit en cause est couvert par cette dénomination enregistrée. Il y a lieu d'apprécier si ladite reproduction peut induire le consommateur européen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, en erreur, en tenant compte de tous les facteurs pertinents en l'espèce ».

Or, la Haute juridiction relève ensuite que pour rejeter les demandes du syndicat, l'arrêt d’appel énonce que la réglementation sur les AOP ne vise pas à protéger l'apparence d'un produit ou ses caractéristiques décrites dans le cahier des charges, mais sa dénomination, de sorte qu'elle n'interdit pas la fabrication d'un produit selon les mêmes techniques que celles définies dans les normes applicables à l'indication géographique et qu'en l'absence de droit privatif, la reprise de l'apparence d'un produit n'est pas fautive, mais relève de la liberté du commerce et de la libre concurrence. Il constate, en outre, que les caractéristiques invoquées par le syndicat relèvent d'une tradition historique et ont été mises en œuvre par la société, avant même l'obtention de l'AOP « Morbier », et qu'elles ne reposent pas sur des caractéristiques que le syndicat ou ses membres auraient réalisées. Il relève également que le trait bleu horizontal est une technique ancestrale qui se retrouve dans d'autres fromages. L’arrêt d’appel retient, ainsi, que les deux fromages ne sauraient être assimilés par la caractéristique du charbon végétal puisque depuis plusieurs années la société l'a remplacé par du polyphénol de raisin et qu'il existe d'autres différences notamment en ce que le Montboissié utilise du lait pasteurisé et le Morbier du lait cru, caractéristique essentielle dès lors que le public auquel est destiné le Montboissié est celui des cantines et des hôpitaux. Il en déduit que le syndicat tente d'étendre la protection dont bénéficie la dénomination « Morbier » dans un intérêt commercial illégitime et contraire au principe de la libre concurrence.

Appliquant ainsi la solution dégagée par la CJUE dans son arrêt du 17 décembre 2020, la Cour de cassation censure logiquement la décision des juges d’appel : « en se déterminant ainsi, alors qu'une AOP n'est pas protégée uniquement contre l'utilisation par un tiers de la dénomination enregistrée mais aussi contre la reproduction de la forme ou de l'apparence caractérisant le produit couvert par la dénomination enregistrée lorsque cette reproduction est susceptible d'amener le consommateur à croire que le produit en cause est couvert par l'AOP, la cour d'appel, qui n'a pas recherché si le trait bleu horizontal ne constituait pas une caractéristique de référence et particulièrement distinctive du fromage "Morbier" et, dans l’affirmative, si sa reproduction, combinée avec tous les facteurs pertinents de l'espèce, n’était pas susceptible d'induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit commercialisé sous la dénomination "Montboissié", a privé sa décision de base légale ».

À noter : cet arrêt fera l'objet d'un commentaire de Caroline Le Goffic, à paraître dans Lexbase Affaires n° 675 du 13 mai 2021. 

 

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