Réf. : Cass. com., 10 février 2021, n° 19-10.306, F-P (N° Lexbase : A79884GX)
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par Vincent Téchené
le 24 Février 2021
► Faute pour un expert-comptable de prouver que les prestations de services qu'il fournissait étaient accessoires à sa mission d’expert-comptable et de nature commerciale, il ne peut, à la suite de la résiliation contractuelle, réclamer l’indemnisation pour rupture brutale de la relation sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce (N° Lexbase : L7575LB8 ; désormais C. com, art. L. 442-1, II N° Lexbase : L0680LZ9).
Faits et procédure. La société X a, par lettre de mission du 20 octobre 2006, confié à la société Y la tenue de sa comptabilité, ce qui comprenait notamment l'établissement de ses comptes annuels et de ses bulletins de salaires. Le 3 mars 2011, la société X a décidé d'embaucher un comptable et réduit les tâches confiées à la société Y. La société X ayant, par lettre du 31 juillet 2012, résilié le contrat la liant à la société Y, celle-ci l'a assignée en paiement d'une indemnité de résiliation contractuelle, de factures au titre de prestations impayées et de diverses sommes en réparation des préjudices causés par le retrait de sa mission et la rupture brutale d'une relation commerciale établie.
Cette dernière demande ayant été rejetée par la cour d’appel de Paris (CA Paris, Pôle 5, 9ème ch., 8 novembre 2018, n° 17/09803 N° Lexbase : A7912YKA), la société Y a formé un pourvoi en cassation.
Décision. La Cour de cassation rappelle qu’il résulte de l'article 22 de l'ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945, portant institution de l'ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession d'expert-comptable (N° Lexbase : L8059AIC), modifiée par la loi n° 2010-853 du 23 juillet 2010 (N° Lexbase : L8265IM3), que l'activité d'expert-comptable est incompatible avec toute activité commerciale ou acte d'intermédiaire, à l'exception de ceux répondant à la double condition d'être réalisés à titre accessoire et de ne pas mettre en péril les règles d'indépendance et de déontologie de la profession. Ce texte précise que les conditions et limites à l'exercice de ces activités et à la réalisation de ces actes seront fixées par les normes professionnelles élaborées par le conseil supérieur de l'ordre et agréées par arrêté du ministre chargé de l'Économie. Or, en l'absence de publication de cette norme, et faute pour la société expert-comptable d'avoir établi que les prestations de services dont elle reprochait l'interruption brutale étaient accessoires à sa mission d'expert-comptable et de nature commerciale, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 (N° Lexbase : L0386LQD), n'étaient pas applicables aux relations ayant existé entre les deux sociétés.
Toutefois, la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au visa de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 (N° Lexbase : L4857KYK), relatif à l’exécution de bonne foi des conventions (désormais, C. civ., art. 1104 N° Lexbase : L0821KZG). La cour d’appel a, en effet, retenu que la société d’expert-comptable a été régulièrement informée de l'interruption de sa mission, trois mois avant la fin de celle-ci bien qu’aucune lettre recommandée en ce sens ne lui ait été adressée. Or, la lettre de mission stipulait expressément que la mission en cours ne pouvait être interrompue qu'après que l'expert-comptable en ait été informé, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, trois mois avant la date de cessation, faute de quoi il devrait lui verser une indemnité égale à 25 % des honoraires pour l'exercice en cours. Ainsi, la cour d’appel, qui a refusé d'appliquer cette clause contractuelle, a violé le texte susvisé.
Observations. L'absence d'application des dispositions de l'actuel article L. 442-1, II du Code de commerce aux experts-comptables est à rapprocher de solutions déjà retenues par la Cour de cassation concernant d’autres professionnels, notamment des professions juridiques. Ainsi, un notaire a été déclaré mal fondé à demander réparation pour rupture brutale de crédits personnels et professionnels, l'article 13, 1° du décret du 19 décembre 1945, relatif au statut du notariat interdisant aux notaires de se livrer à des opérations de commerce (Cass. com., 20 janvier 2009 n° 07-17.556, F-P+B N° Lexbase : A6375EC4 ; D. Bakouche, in Chron., Lexbase Droit privé, février 2009, n° 337 N° Lexbase : N4911BIQ). Il en est de même pour un avocat (Cass. com., 24 novembre 2015 n° 14-22.578, F-D N° Lexbase : A0932NY8) et ce quel qu’en soit le mode d’exercice (ex. pour l’exercice en SELARL : CA Paris, Pôle 5, 4ème ch., 29 juin 2016, n° 14/07291 N° Lexbase : N3776BWR ; B. Brignon, Lexbase Avocats, septembre 2016, n° 222 N° Lexbase : N4020BWS) ou un conseil en propriété industrielle (Cass. com., 3 avril 2013 n° 12-17.905, F-P+B N° Lexbase : A6378KBT ; B. Brignon, Lexbase Affaires, avril 2013, n° 337 N° Lexbase : N6873BTQ) car leurs professions sont incompatibles avec une activité à caractère commercial. Des chirurgiens réunis en SEL se sont également vu refuser l'application de ce texte en cas de rupture de la relation nouée avec une clinique (Cass. com., 23 octobre 2007, n° 06-16.774, FS-P+B N° Lexbase : A8484DYU).
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