Le Quotidien du 14 décembre 2020 : Pénal

[A la une] Procès des « écoutes » : la 32ème chambre a le sort de Nicolas Sarkozy dans une main, celui du Parquet national financier dans l’autre

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[A la une] Procès des « écoutes » : la 32ème chambre a le sort de Nicolas Sarkozy dans une main, celui du Parquet national financier dans l’autre. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/62567378-a-la-une-proces-des-ecoutes-la-32eme-chambre-a-le-sort-de-nicolas-sarkozy-dans-une-main-celui-du-par
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par Axel Valard

le 13 Décembre 2020

► Cela faisait déjà deux bonnes heures qu’il déposait à la barre. Quand, tout d’un coup, lundi 7 décembre, Nicolas Sarkozy proposa à la 32ème chambre du tribunal judiciaire de Paris un voyage dans le temps. Sans même s’en apercevoir. « Je vous le jure, madame la présidente ! », lança-t-il à la présidente Christine Mée. « Je vous le jure … dans les yeux même ! ». À gauche de l’ancien président, sur leur estrade, les deux procureurs, Jean-Luc Blachon et Céline Guillet, ont immédiatement marqué un temps d’arrêt. Le stylo en l’air, en signe de surprise. Évidemment, ils ont dû penser à Jérôme Cahuzac… Comment ne pas songer à l’ancien député (PS) du Lot qui, « les yeux dans les yeux » de l’Assemblée nationale, avait démenti posséder le moindre compte bancaire à l’étranger ?

Sauf que les deux procureurs n’ont pas besoin de machine à remonter le temps. Ils connaissent l’histoire par cœur. Ils savent que Jérôme Cahuzac a finalement avoué, le 2 avril 2013. Que c’est précisément cette affaire qui a entraîné la création du Parquet national financier (PNF), le 1er février 2014. Et que c’est leur ancienne cheffe, Éliane Houlette en personne, qui est descendue dans l’arène requérir « une peine d’au moins trois ans de prison ferme » à son encontre, le 14 septembre 2016. Trois mois après, elle était exactement suivie dans ses réquisitions. C’était la belle époque du PNF.

Autre temps, autres mœurs… Quatre ans plus tard, ce parquet spécialisé est passé d’un député à un ancien chef de l’État. D’accusations de « fraude fiscale » et de « blanchiment » à celles de « corruption active » et de « trafic d’influence ». Mais peut-être aussi de la grandeur à la décadence, tant celui-ci paraît fragilisé aujourd’hui. Le jugement qui sera rendu par la 32ème chambre le 1er mars 2021, à 13 heures 30, dans l’affaire dite « des écoutes de Paul Bismuth » devrait d’ailleurs en donner une indication.

Après trois semaines d’audience, Christine Mée et ses deux assesseurs se trouvent en effet sur un étroit chemin de crêtes. À leur gauche, la défense qui a plaidé la relaxe des trois prévenus. À leur droite, le ministère public qui a requis, comme un prix de gros, la lourde peine de quatre ans de prison dont deux avec sursis à l’encontre des trois même prévenus. Le vide de chaque côté. Et au milieu, une grande responsabilité à prendre.

Qu’elle condamne et elle redonnera des couleurs au PNF

Car Christine Mée est bien trop expérimentée pour savoir que cette affaire n’est pas que celle des écoutes de la ligne secrète « Paul Bismuth ». Pas que celle d’un prétendu pacte de corruption qui aurait permis à Nicolas Sarkozy d’obtenir des informations sur la procédure « Bettencourt » auprès du magistrat Gilbert Azibert en échange d’un « coup de pouce » pour lui obtenir un poste prestigieux à la cour de révision de Monaco. Avec l’avocat Thierry Herzog en guise d’intermédiaire de luxe. Non, la présidente de la 32ème chambre sait qu’elle tient aussi une partie du sort du Parquet national financier dans ses mains.

Qu’elle condamne lourdement et elle redonnera des couleurs au PNF. Qu’elle relaxe l’ex-président et elle l’enfoncera un peu plus dans la crise. Une éventualité qui ne semble guère faire de doute pour les ténors qui ont plaidé la relaxe. Jacqueline Laffont en défense de Nicolas Sarkozy, Dominique Allegrini pour Gilbert Azibert, Paul-Albert Iweins et Hervé Témime pour Thierry Herzog. Deux après-midis entières à détricoter le dossier. Une maille à l’endroit, une maille à l’envers. Pour qu’au final, il ne reste au sol qu’une pelote désormais inutilisable. Quel que soit le fil que l’on tire...

La plus belle illustration de ce ressenti est en fait à chercher en dehors des plaidoiries, aussi brillantes furent-elles. C’est d’abord Jacqueline Laffont qui, au soir des lourdes réquisitions du parquet, brisa son vœu de silence pour annoncer devant les caméras qu’elle ferait litière « très facilement » des accusations dès le lendemain lors de sa plaidoirie. C’est aussi et surtout Hervé Témime, technicien hors-pair, qui fit un pas de côté lors de son exposé de trois heures pour parler, une fois n’est pas coutume, de la « crédibilité » de ses contradicteurs. « Quand on est magistrat, on a une obligation de prudence. Ce n’est pas une leçon que je donne. Je déteste les donneurs de leçon ! Mais on ne peut pas donner des accusations comme ça... » Et s’il y avait besoin de sous-titres, il précisa même quelques minutes plus tard qu’il souhaitait que le PNF soit « maintenu » mais qu’il fallait bien reconnaître qu’il « ne fonctionne pas comme il fonctionnait en 2014 ».

A-t-on déjà entendu une avocate annoncer sa victoire avant même de plaider ? A-t-on déjà vu un avocat, ténor du barreau même, se prononcer sur l’organisation des parquets ? Non, c’est habituellement le rôle dévolu aux hommes politiques. Et Nicolas Sarkozy a rappelé à tout le monde qu’il en était toujours un, même si Les Républicains ne se sont pas bousculés au portillon de la salle 2.01 pour venir le soutenir, tout au long de ces trois semaines de procès.

À l’heure de prononcer ses derniers mots à la barre, jeudi 10 décembre, l’ex-chef de l’État a annoncé qu’il ne dirait qu’une phrase. Et en bon avocat de formation, il en a lâché six : « Cette affaire a été pour moi un chemin de croix. Mais si c’était le prix à payer pour que la vérité chemine, je suis prêt à l’accepter. Je vous ai dit la vérité pendant ces trois semaines. Comme je l’ai dit en garde à vue. Comme je l’ai dit pendant l’instruction. J’ai encore confiance en la justice de notre pays. »

C’est surtout cette dernière phrase qui a marqué les esprits. Le mot « encore » particulièrement. En l’entendant, les magistrats du parquet se sont sans doute dit que les « petits pois » étaient désormais cuits. Archi-cuits, même. En guerre ouverte contre les juges depuis qu’il est sorti de l’Élysée, Nicolas Sarkozy vient en effet de proposer à Christine Mée de passer l’éponge, à condition qu’elle enterre le Parquet national financier. Sinon, comment comprendre exactement sa sortie ?

« Zéro + zéro + zéro, ça ne fait pas grand-chose » pour Hervé Témime

Mais comment en est-on arrivé là avec ce dossier qui remonte à 2014 ? Sans doute parce que le « poisson pourrit toujours par la tête », pour reprendre une des nombreuses expressions imagées lâchées par Dominique Allegrini, lors de sa plaidoirie en défense de Gilbert Azibert. Et que le ver était dans le fruit depuis trop longtemps. De cette affaire « des écoutes Paul Bismuth », on ne savait en fait pas grand-chose. Simplement quelques phrases publiées par les journaux. Celle de Nicolas Sarkozy disant à propos de Gilbert Azibert : « Je l’aiderai […] Je le fais monter. » Celle de Thierry Herzog qualifiant les juges du dossier « Bettencourt » de « bâtards de Bordeaux ». Sur le papier, c’est alléchant. Mais cela ne fait pas le début d’une preuve.

Et on ne la fait pas à Hervé Témime, lui qui a obtenu la relaxe de Bernard Tapie ou encore de Mohamed Al-Jaber dans le dossier Balkany, ces dernières années. « En cinq heures de réquisitoire [plutôt quatre en réalité, ndlr], pas une fois vous n’avez prononcé le mot ‘preuve’ » a-t-il balancé aux procureurs dès le début de sa plaidoirie. « Alors que c’est le seul qui aurait dû guider votre démonstration ! » Et rappelant que « zéro + zéro + zéro, ça ne fait pas grand-chose », l’avocat a, à l’inverse, truffé son propos du mot « rien » comme pour mieux rappeler la vacuité du dossier. « Vous n’avez pas une pièce ! Vous n’avez pas un docu ! Vous n’avez pas un post-it ! Vous n’avez pas une annotation ! Vous n’avez pas un témoignage ! Il n’y a rien ! Rien ! Rien ! Rien ! »

Si, il y a tout de même 3 770 écoutes versées au dossier… Mais seules 19 d’entre elles parlent de l’affaire des « agendas de Nicolas Sarkozy ». Cela fait peu pour un principe bafoué. Celui du secret professionnel qui veut que, normalement, on n’écoute pas les conversations entre un avocat et un client. Comme si cela ne suffisait pas, les juges ont également épluché les fadettes d’une grosse dizaine de robes noires pour tenter d’identifier « la taupe » qui aurait prévenu Nicolas Sarkozy qu’il était sur écoute. En catimini pendant longtemps. Et surtout sans succès…

Évidemment, les avocats se sont insurgés de ces pratiques. Avant, pendant et encore après le procès. Dans le prétoire et dans les couloirs. Et c’est ce qui explique la gêne des deux procureurs à devoir requérir sur la base de ce dossier qu’ils savaient mal ficelé. La preuve étant sans doute qu’ils ont passé les audiences, en retrait, à ne poser des questions que du bout des lèvres, à quelques rares exceptions près.

Aujourd’hui, ils doivent presque être soulagés d’avoir refilé la patate chaude à Christine Mée. Qui sait même s’ils ne lui ont pas souhaité « bon courage » sitôt les débats clos ? La juge sait que le 1er mars, le jugement qu’elle prononcera sera forcément écouté et surtout commenté. D’autant plus qu’il donnera une teinte à la façon dont la justice entend traiter les nombreuses affaires de Nicolas Sarkozy à l’avenir. Et en cas de relaxe, lui ne manquera pas une occasion de le rappeler à tout le monde et à toute occasion. À commencer par le 17 mars 2021 dans ce même tribunal, où il a, à nouveau, rendez-vous. Cette fois-ci, sera pour répondre des accusations de « financement illégal de campagne électorale » dans le dossier dit « Bygmalion ».

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