Réf. : Cass. civ. 1, 18 novembre 2020, n° 19-15.438, FS-P+B+I (N° Lexbase : A8166349)
Lecture: 8 min
N5442BY9
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Anne-Lise Lonné-Clément
le 25 Novembre 2020
► Les dispositions de l’article 10, point 1a), du Règlement « Succession » (UE) n° 650/2012 du 4 juillet 2012 (N° Lexbase : L8525ITW) doivent-elles être interprétées en ce sens que, lorsque la résidence habituelle du défunt au moment du décès n’est pas située dans un État membre, la juridiction d’un État membre dans lequel la résidence habituelle du défunt n’était pas fixée mais qui constate que celui-ci avait la nationalité de cet État et y possédait des biens doit, d’office, relever sa compétence subsidiaire prévue par ce texte ? C’est sur cette question que la CJUE a été saisie à titre préjudiciel et sur laquelle elle sera prochainement amenée à se prononcer.
En l’espèce, un Français était décédé en France, laissant pour lui succéder son épouse, et ses trois enfants issus d’une première union. Les enfants avaient assigné l’épouse du défunt devant le président d’un tribunal de grande instance statuant en la forme des référés afin d’obtenir la désignation d’un mandataire successoral en invoquant la compétence des juridictions françaises sur le fondement de l’article 4 du Règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen, en soutenant que la résidence habituelle du de cujus au jour de son décès était située en France.
Dispositions du Règlement conférant compétence subsidiaire. Selon l’article 10, point 1a), du Règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen, auquel le Royaume-Uni n’est pas partie, lorsque la résidence habituelle du défunt au moment du décès n’est pas située dans un État membre, les juridictions de l’État membre dans lequel sont situés des biens successoraux sont néanmoins compétentes pour statuer sur l’ensemble de la succession dans la mesure où le défunt possédait la nationalité de cet État membre au moment du décès.
Obligation pour le juge de relever d’office sa compétence subsidiaire ? Cette disposition n’avait pas été invoquée par les consorts X devant la cour d’appel de Versailles, laquelle, après avoir estimé que la résidence habituelle du défunt était située au Royaume-Uni, avait dit que, conformément à l’article 4 du Règlement, la juridiction française était incompétente pour statuer sur sa succession et désigner un mandataire successoral.
Ainsi que le relève la Cour de cassation, il s’agissait, donc, de déterminer si la cour d’appel, qui constatait que le de cujus était de nationalité française et possédait des biens en France, était tenue de relever d’office sa compétence subsidiaire énoncée à l’article 10 du Règlement.
Recherche des éléments de réponse par la Cour de cassation. Si l’article 15 du Règlement prévoit que la juridiction d’un État membre saisie d’une affaire de succession pour laquelle elle n’est pas compétente en vertu de ce règlement se déclare d’office incompétente, il ne précise pas s’il lui appartient de vérifier au préalable si les conditions de sa compétence non seulement principale (article 4) mais également subsidiaire (articles 10 et 11) ne sont pas remplies. Le règlement ne précise pas si la compétence subsidiaire présente un caractère facultatif.
- En faveur de l’obligation pour le juge de rechercher d’office sa compétence sur le fondement de l’article 10 lorsque le défunt n’avait pas sa résidence habituelle dans un État membre au moment de son décès, il convient de relever que le Règlement (UE) n° 650/2012 met en place un système global qui résout tous les conflits internationaux de juridictions résultant de litiges dont sont saisis les juges des États membres en matière successorale et se substitue donc à l’ensemble des solutions que ceux-ci appliquaient jusqu’alors. Il institue un système de résolutions des conflits de juridiction que les juges des États membres doivent appliquer d’office dès lors que le litige relève du domaine matériel couvert par le texte. Or, la compétence subsidiaire, prévue à l’article 10 du règlement a pour objet de fixer des critères de compétence applicables dans l’hypothèse où aucune juridiction d’un État membre ne serait compétente au regard de la règle principale énoncée à l’article 4. Il ne serait donc pas logique qu’après avoir relevé d’office la mise en oeuvre du règlement pour trancher un conflit de juridiction, les juges puissent écarter leur compétence au profit d’un État tiers, sur le fondement du seul l’article 4, sans avoir à vérifier au préalable leur compétence subsidiaire sur celui de l’article 10. Au contraire, il serait plus cohérent que les juridictions saisies soient tenues de vérifier tous les critères de compétence possibles, dès lors qu’aucun autre État membre n’est compétent, y compris d’office. Ainsi, il n’y aurait pas lieu de distinguer l’obligation faite aux juges de rechercher d’office s’ils sont compétents selon que cette compétence résulte de l’article 4 ou de l’article 10.
- Cependant, la règle de l’article 10, présentée par le règlement comme subsidiaire, a pour effet de déroger au principe d’unité des compétences judiciaire et législative qui innerve le Règlement dont le considérant 23 insiste sur la nécessité « d’assurer une bonne administration de la justice au sein de l’Union et de veiller à ce qu’un lien de rattachement réel existe entre la succession et l’État membre dans lequel la compétence est exercée » puisque lorsqu’une juridiction de l’État dans lequel le défunt n’avait pas sa compétence habituelle se reconnaît compétente sur le fondement de l’article 10, elle sera néanmoins conduite à appliquer la loi de l’État de résidence habituelle, sauf s’il résulte de l’ensemble des circonstances de la cause que, au moment de son décès, le défunt présentait des liens manifestement plus étroits avec un autre État (article 21 du Règlement) ou avait fait le choix exprès de la loi d’un autre État (article 22). Il paraît dès lors difficile d’admettre qu’une règle de compétence qualifiée comme subsidiaire, qui déroge aux principes généraux qui servent de fondement au Règlement, doit être obligatoirement relevée par les juges, même si les parties ne l’invoquent pas. Par ailleurs, si le Règlement prévoit expressément, à l’article 15, l’obligation pour le juge incompétent de relever d’office son incompétence, il ne prévoit aucune disposition équivalente en cas de compétence. Rien dans le Règlement ne permet de considérer que le juge d’un État membre, saisi sur le fondement de l’article 4, doit rechercher d’office si sa compétence est acquise en application d’une autre règle, notamment de l’article 10 qui ne prévoit qu’une compétence subsidiaire. Cette asymétrie s’explique par le fait que l’objectif de la règle de l’article 15 est de faciliter la reconnaissance et l’exécution des décisions prises par une juridiction qui s’est reconnue compétente et d’éviter qu’il ne puisse être objecté ensuite dans un autre État membre qu’elle n’était en réalité pas compétente. Enfin, les règles sur les successions relèvent, au sens du Règlement, des droits disponibles, puisque cet instrument autorise les parties à convenir de la compétence par une convention d’élection de for (article 5) et retient la possibilité pour une juridiction de se déclarer compétente sur le fondement de la seule comparution (article 9). Il serait dès lors illogique que le juge soit tenu de relever un critère subsidiaire de compétence que les parties n’ont pas envisagé de soulever.
Doute raisonnable/renvoi à la CJUE d’une question préjudicielle. C’est ainsi que la Cour de cassation estime qu’il existe un doute raisonnable sur la réponse qui peut être apportée à la question soulevée, qui est déterminante pour la solution du litige qu’elle doit trancher. Il s’ensuit qu’il convient d’en saisir la Cour de justice de l’Union européenne en application de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (N° Lexbase : L2581IPB) et, jusqu’à ce que celle-ci se soit prononcée, de surseoir à statuer.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:475442