Réf. : Règlement (UE) 2017/1939 du Conseil du 12 octobre 2017, mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen (N° Lexbase : L2117LHU)
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par Jérôme Simon, magistrat
le 25 Novembre 2020
Mots-clés : Parquet européen • procureurs européens • Parquet national financier • juridictions interrégionales spécialisées • Office européen de lutte contre la fraude • entraide internationale • intérêts financiers de l'Union
L’Union européenne disposera officiellement à compter du 20 novembre 2020 d’un nouveau bras armé chargé de coordonner l’action judiciaire au sein de 22 des 27 États membres en matière de lutte contre les atteintes financières au budget de l’Union : le Parquet européen. Ce focus propose une présentation de ce nouvel organe judiciaire européen, plus particulièrement concernant le statut, les compétences et les prérogatives dont seront dotés, en France, les procureurs européens délégués qui seront chargés, depuis Paris, de conduire les enquêtes et de mettre en œuvre les poursuites.
Le 28 septembre dernier, s’est tenue à Luxembourg une audience qui a posé un jalon historique dans le processus de création de l’Europe judiciaire.
Emmenés par leur nouvelle cheffe, vingt-deux procureurs européens ont prêté serment devant la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) d’exercer leurs fonctions « en pleine indépendance, dans l’intérêt de l’Union dans son ensemble, et à ne solliciter ni accepter aucune instruction d’aucune personne ou entité extérieure au Parquet européen » [1]. La tenue de cette audience marque symboliquement l’aboutissement d’un long processus engagé en 2001 par la Commission européenne avec la publication de son livre vert sur « La protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d'un Procureur européen » [2].
Ce processus s’est poursuivi par l’adoption en 2009 du Traité de Lisbonne relatif au fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) prévoyant en son article 86 la faculté pour tout ou partie des États membres d'instituer un Parquet européen (N° Lexbase : L2738IP4).
Il a finalement abouti, le 12 octobre 2017, à l’adoption d'un règlement instituant une coopération renforcée et créant le Parquet européen [3].
Lorsque ce nouvel organe judiciaire entrera officiellement en vigueur, le 20 novembre 2020, il réunira vingt-deux États membres sur les vingt-sept que compte l’Union. Mais si l’on excepte l’Irlande et le Danemark – qui bénéficient de régimes dérogatoires en matière de coopération policière et judiciaire – cette coopération renforcée inédite en matière judiciaire réunira en réalité vingt-deux États membres sur vingt-cinq. Seuls manqueront ainsi à l’appel la Pologne, la Hongrie et la Suède. Il peut toutefois être relevé que le Premier ministre suédois a publiquement indiqué l'an dernier qu'il envisageait que son pays rejoigne, à terme, le Parquet européen [4].
I. L'organisation du parquet européen
Sur le plan organique, le Parquet européen se répartira entre deux niveaux : un niveau centralisé et un niveau déconcentré.
Concernant le niveau centralisé, la cheffe du Parquet européen, son directeur administratif et les vingt-deux procureurs européens désignés par les États membres participants à la coopération renforcée seront installés à Luxembourg, véritable capitale judiciaire de l’Union européenne.
Le Parquet européen sera dirigé par Laura Kovesi, ancienne procureure en chef de la Direcția Națională Anticorupție, le parquet national anticorruption roumain. Cette dernière a été nommée par le Parlement européen et le Conseil pour un mandat non-renouvelable d'une durée de sept ans [5]. Elle dispose à ce titre de garanties statutaires de nature à la protéger de toute forme de pression extérieure puisqu'il est prévu qu'elle ne pourra être révoquée que sur décision de la CJUE à la suite d’une requête du Parlement européen, du Conseil ou de la Commission.
Laura Kovesi sera épaulée par deux adjoints ainsi que par un collège composé des vingt-deux procureurs désignés par chacun des États membres participants (parmi lesquels seront choisis lesdits adjoints) [6]. La France sera représentée au sein de ce collège par Frédéric Baab, un magistrat judiciaire qui dispose d'une solide maîtrise des rouages de la coopération judiciaire européenne pour avoir notamment été magistrat de liaison en Allemagne, conseiller auprès de la Représentation permanente française auprès de l'Union européenne à Bruxelles, conseiller diplomatique au cabinet de Christiane Taubira et enfin membre national français d'Eurojust à La-Haye.
Ce collège sera chargé du suivi général des activités du Parquet européen et de la définition de sa politique pénale mais n'aura pas de marges de manœuvres concernant la prise de décision dans des dossiers spécifiques. Cette compétence opérationnelle relèvera des chambres permanentes. Ces dernières seront composées de trois procureurs européens qui superviseront le déroulement des enquêtes et qui décideront des suites à leur donner, qu'il s'agisse d'un classement sans suite, d'une procédure de poursuite simplifiée (telle qu'une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ou une convention judiciaire d'intérêt public en France) ou d'un renvoi d'une affaire devant une juridiction nationale.
Au niveau déconcentré, le Parquet européen disposera du relai des procureurs européens délégués. Ceux-ci seront chargés, dans chaque État membre, du suivi opérationnel des enquêtes et de la mise en œuvre des poursuites à partir des orientations et des instructions qu'ils recevront des chambres permanentes. Le Règlement de 2017 prévoit qu'ils seront au minimum deux par État membre et qu'ils seront désignés par leurs États respectifs puis nommés par le collège du Parquet européen pour un mandat de cinq ans renouvelable. Le collège ne pourra refuser de nommer à ces postes les personnes désignées par les États que dans l'hypothèse où elles ne rempliraient pas les conditions requises par le règlement, à savoir être un membre actif du ministère public ou du corps judiciaire, offrir toutes les garanties d'indépendance et enfin disposer des qualifications requises et de l'expérience pratique pertinente.
Pour ce qui concerne la France, sur le plan matériel et humain, il est prévu que les procureurs européens délégués seront installés au sein du tribunal judiciaire de Paris où ils pourront se reposer sur le greffe, les assistants spécialisés et les fonctions support du Parquet national financier (PNF). Pour la réalisation de leurs enquêtes, ils pourront compter sur le savoir-faire de services spécialisés aux compétences déjà éprouvées dans le traitement de la grande délinquance économique et financière, notamment l'OCLCIFF [7], l'OCRGDF [8] ou encore le SEJF [9].
Sur le plan statutaire, les procureurs européens délégués français seront placés en position de détachement auprès du Parquet européen, comme le permet l'article 72 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature [10]. Cette mise en position de détachement sera prononcée par décret du président de la République, sur proposition du Garde des Sceaux, après avis du Conseil supérieur de la magistrature.
Afin de permettre aux futurs procureurs européens délégués français d’exercer leurs missions, le projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée, actuellement en cours d'examen par le Parlement, prévoit de modifier le Code de procédure pénale, le Code de l’organisation judiciaire et le Code des douanes [11].
Ces modifications, déjà adoptées par le Sénat mais qui doivent encore être approuvées par l'Assemblée Nationale, ont pour objet premier de garantir la totale indépendance des procureurs européens délégués français qui ne pourront recevoir d’instruction que du Parquet européen.
Ils ne pourront donc pas recevoir d’instructions générales du ministre de la Justice ou d’instruction générales ou particulières du procureur général de Paris.
Ils continueront par ailleurs à bénéficier des garanties prévues par l'ordonnance de 1958 précitée, notamment la liberté de parole reconnue à l'audience aux magistrats du parquet.
II. Les prérogatives des procureurs européens délégués français
Les modifications envisagées dans le projet de loi procèdent par ailleurs aux adaptations procédurales nécessaires pour permettre aux futurs procureurs européens délégués français de conduire leurs investigations et d’exercer les poursuites devant les juridictions françaises.
Il serait trop long et fastidieux d'en dresser l'inventaire complet. Il peut toutefois être procédé ici à un résumé des principaux traits marquants de ce texte qui consacrent, selon les termes du Conseil d'État, l'avènement d'un « modèle inédit de ministère public » [12].
La première originalité résulte de ce que les procureurs européens délégués exerceront, outre les attributions classiquement dévolues à un procureur de la République, également celles d'un procureur général près la cour d'appel, y compris pour l'exercice des voies de recours (futur article 696-109 du Code de procédure pénale).
La seconde et principale originalité du dispositif réside dans le fait que ces mêmes procureurs européens délégués pourront recourir à des actes qui relèvent habituellement, en droit national, de la compétence des juges d'instruction.
Il est ainsi prévu qu'ils conduiront leurs investigations conformément aux dispositions applicables à l'enquête de flagrance, à l'enquête préliminaire et à celles du Code des douanes (futur article 696-113 du Code de procédure pénale) et qu'en tant que de besoin ils pourront, sous réserve de certains aménagements, conduire leurs investigations conformément aux dispositions applicables à l'instruction (futur article 696-114 du Code de procédure pénale).
Pour ce qui concerne plus particulièrement ce second cas de figure, il importe de souligner que les dispositions relatives au réquisitoire introductif et au réquisitoire supplétif, ainsi que les autres dispositions du Code de procédure pénal prévoyant que le ministère public adresse des réquisitions ou des avis au juge d'instruction, ne seront plus applicables. En effet, dans ce cadre, c'est la même personne qui assumera les attributions habituellement dévolues au ministère public et au juge d'instruction (futur article 696-116 du Code de procédure pénale).
Les procureurs européens délégués auront donc la faculté d'accomplir des actes et de prendre des décisions qui relèvent habituellement de la compétence du juge d'instruction. Ils se verront ainsi reconnaître la faculté de procéder à des mises en examen, à des interrogatoires et confrontations ou encore à l'audition de témoins, y compris sous le statut de témoin assisté (futur article 696-118 du Code de procédure pénale). Ils pourront également se prononcer sur la recevabilité des constitutions de partie civile, décider d'un transport, délivrer une commission rogatoire, demander des expertises et émettre certains mandats (mandat de recherche, de comparution ou d'amener). La décision de décerner un mandat d’arrêt relèvera quant à elle du juge des libertés et de la détention (JLD), à charge ensuite pour les procureurs européens délégués de les mettre à exécution sous la forme d’un mandat d’arrêt européen (futurs article 696-124 et 696-125 du Code de procédure pénale). De même, le placement en détention provisoire ou sous bracelet électronique restera de la compétence du JLD (futurs article 696-120 et 696-21 du Code de procédure pénale). En revanche, le placement sous contrôle judiciaire pourra être décidé directement par les procureurs européens délégués, le projet de loi prévoyant toutefois la possibilité pour l'intéressé de contester ensuite cette décision devant le JLD (futur article 696-119 du Code de procédure pénale).
Sauf cas de flagrance ou assentiment exprès de l'intéressé, les perquisitions, visites domiciliaires et saisies resteront conditionnées à l'octroi d'une autorisation du JLD (futur article 696-126 du Code de procédure pénale).
De même les écoutes téléphoniques, la géolocalisation, les enquêtes sous pseudonyme et le recours aux techniques spéciales d'enquête resteront décidées par le JLD, sauf dans les cas exceptionnels permettant déjà au procureur de la République d'y recourir en flagrance ou en préliminaire (futur article 696-127 du Code de procédure pénale).
Pour ce qui est des mesures conservatoires portant sur les biens des mis en cause, il est prévu que, sauf en matière de saisies bancaires, les saisies spéciales (saisies de patrimoine, saisies immobilières) devront également être ordonnées par le JLD (futur article 696-128 du Code de procédure pénale).
L'exercice par les procureurs européens délégués de l'ensemble de ces prérogatives sera toutefois contrebalancé par la nécessité, réaffirmée par l'article 41 du Règlement de 2017, de respecter les droits des parties tels que consacrés dans la Charte des droits fondamentaux, notamment le droit à un procès équitable et les droits de la défense, ainsi que tous les droits procéduraux que le droit interne applicable accorde aux parties à une procédure pénale.
La possibilité d'exercer les droits en question est effectivement reprise dans le projet de loi. Il en ressort que lorsque le procureur européen délégué conduira les investigations selon les dispositions applicables à l'instruction, les personnes mises en examen ou placées sous le statut de témoin assisté et les parties civiles exerceront l'intégralité des droits qui leur sont reconnus par le Code de procédure pénale au cours de l'instruction et pourront, à ce titre, notamment formuler une demande d'acte auprès du procureur européen délégué, présenter une requête en annulation ou former un recours devant la chambre de l'instruction (futurs article 696-129 à 696-131 du Code de procédure pénale).
Concernant le contrôle des actes de procédure réalisés par les procureurs européens délégués, l'article 42 du Règlement de 2017 indique qu'il appartiendra aux juridictions nationales d'en contrôler la régularité conformément aux règles processuelles applicables au niveau national, sous réserve des cas de compétence de la CJUE saisie à titre préjudiciel en application de l'article 267 du TFUE ou dans le cadre d'un recours en annulation en application du 4ème alinéa de l'article 263 du même traité.
Enfin, sur la question de la mise en œuvre de l'entraide internationale, les articles 31 et 32 du même règlement créent un cadre ad hoc de coopération entre procureurs européens délégués appartenant à des États membres distincts qui va au delà des instruments de reconnaissance mutuelle existant tels que la décision d'enquête européenne. La mise en œuvre de ce nouveau mécanisme de délégation vise à permettre au procureur européen délégué en charge d'une affaire d'accéder de manière plus rapide et simplifiée à des éléments de preuves disséminés sur le territoire d'un ou plusieurs autres États membres, en tant que de besoin après avoir sollicité une autorisation juridictionnelle soit dans l'État à l'origine de la demande soit dans l'État d'exécution.
III. Le champ de compétence du parquet européen
S'agissant du champ de compétence matériel du Parquet européen, il ressort de la lecture combinée des articles 4, 22, 25 et 27 du Règlement de 2017, que les procureurs européens délégués seront compétents pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement les auteurs et complices des fraudes portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union qui sont prévues par la « directive PIF » [13]. En pratique cela correspondra à des affaires d'escroquerie, de corruption, de détournement de fonds publics, d’abus de confiance, de blanchiment et enfin à certains délits douaniers [14].
Mais toutes ces affaires n'auront pas vocation à être traitées par les procureurs européens délégués. Tout d'abord, parce qu’ils exerceront en la matière une compétence concurrente et non exclusive. Ensuite car il est prévu qu'ils ne se saisiront en principe que des faits de fraude portant sur des montants financiers d'une certaine ampleur.
S'agissant tout d'abord des fraudes ne portant pas sur la ressource TVA, il y aura lieu d'opérer une distinction selon que les faits en cause portent atteinte aux intérêts financiers de l'Union pour un montant supérieur ou inférieur aux seuils de 10 000 euros et 100 000 euros. Ainsi lorsque ce type de faits portera sur un préjudice supérieur à 100 000 euros, le Parquet européen disposera d'une compétence de principe pour en connaître. Lorsque de tels faits porteront sur un préjudice inférieur à 100 000 euros et supérieur à 10 000 euros, le Parquet européen pourra décider de s'en saisir eu égard au degré de gravité de l'infraction ou à la complexité de la procédure, ce en tenant compte en particulier de la nature de l'infraction, de l'urgence de la situation et de l'engagement des autorités nationales compétentes de prendre toutes les mesures nécessaires pour réparer intégralement le préjudice causé aux intérêts financiers de l'Union. Enfin, lorsque ce type de faits portera sur un préjudice inférieur à 10 000 euros, la compétence du Parquet européen ne pourra s'exercer que par exception, lorsque l'infraction en cause aura des répercussions à l'échelle de l'Union européenne ou en cas de mise en cause d'un fonctionnaire ou d'un agent ou d'un membre des institutions de l'Union.
S'agissant des escroqueries à la TVA, le Parquet européen ne pourra exercer sa compétence que lorsque deux conditions cumulatives seront réunies. En premier lieu, il conviendra de s'assurer que le préjudice total est d'au moins 10 millions d'euros [15]. En second lieu, les actes incriminés devront être en lien avec le territoire d'au moins deux États membres.
Enfin, seront également susceptibles de relever de la compétence du Parquet européen les infractions relevant de la participation à une organisation criminelle visant à commettre de telles infractions ainsi que pour toute autre infraction pénale connexe.
Il convient de noter que l'article 22 du Règlement de 2017 prend le soin de souligner expressément que les infractions pénales portant sur les impôts nationaux directs sont expressément exclues du champ de compétence du Parquet européen.
À terme, il n'est toutefois pas exclu que le Parquet européen puisse voir son champ de compétence étendu, le dernier alinéa de l'article 86 du TFUE prévoyant en effet la possibilité pour le Conseil ultérieurement d’« adopter une décision […] afin d'étendre les attributions du Parquet européen à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière ».
S'agissant du champ de compétence temporel du Parquet européen, il est prévu que les procureurs européens délégués seront compétents pour exercer leur compétence sur les faits commis à partir du 20 novembre 2017 (futur article 696-108 du Code de procédure pénale).
IV. L'articulation de l'action du parquet européen avec les juridictions nationales ainsi qu'avec les autres organes européens de lutte contre la fraude
Ainsi créé, le nouveau Parquet européen disposera d'un champ de compétence qui recoupera pour partie des investigations jusqu'alors exercées par les autorités judiciaires nationales françaises, qu'il s'agisse du PNF (compétent pour les faits d'escroquerie à la TVA, les atteintes à la probité de grande complexité et leur blanchiment ainsi que pour les faits de corruption internationale quel que soit le degré de complexité), des JIRS [16] (compétentes pour les affaires d'atteinte à la probité, les escroqueries, les abus de confiance, les délits douaniers et le blanchiment lorsque ces infractions présentent le caractère d'une grande complexité) et enfin des juridictions de droit commun (compétentes pour toutes les affaires d'atteintes à la probité, d'escroquerie, d'abus de confiance, de blanchiment et les délits douaniers ne présentant pas de complexité particulière).
Mais loin d'agir en concurrents, le Parquet européen et les autorités judiciaires nationales françaises devront apprendre à agir de concert et en complémentarité.
À cette fin, l'article 5 du Règlement de 2017 fait peser sur les autorités nationales une obligation générale d'assistance au profit du Parquet européen dans l'exercice de ses prérogatives. Son article 24 prévoit quant à lui que les autorités nationales seront tenues d'informer le Parquet européen de tout comportement délictueux à l'égard duquel celui-ci pourrait exercer sa compétence, y compris lorsqu'une enquête aura déjà été ouverte au niveau national afin de lui permettre d'exercer si besoin son droit d'évocation. Pour l'application de ces dispositions en droit français, le futur article 696-111 du Code de procédure pénale précise que les signalements au Parquet européen seront effectués par le procureur de la République compétent qui sera lui-même informé selon les modalités classiques prévues par le Code de procédure pénale (obligation pour les OPJ de l'informer des infractions dont ils ont connaissance au titre de l'article 19 du Code de procédure pénale, signalement par les fonctionnaires ou officier public au titre de l'article 40 du même code, information par le juge d'instruction des faits portés à sa connaissance en application de l'article 80 du même code). Il est intéressant de noter ici que cette obligation d'information des autorités judiciaires nationales au profit du Parquet européen perdurera dans le temps. L'article 27 dudit règlement précise en effet que, même lorsque ce dernier aura informé les autorités nationales de sa décision de ne pas exercer sa compétence, celles-ci devront néanmoins de nouveau l'informer en cas de découverte d'un élément nouveau susceptible de l'amener à revoir sa décision.
Afin de permettre au Parquet européen de se saisir des affaires qui lui seront signalées, le projet de loi prévoit que si un procureur européen délégué décide d'exercer sa compétence sur une infraction portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union, le procureur de la République ou le juge d'instruction saisi d'une enquête préliminaire ou d'une information judiciaire portant sur cette infraction devra alors se dessaisir à son profit (futur article 696-112 du Code de procédure pénale). En cas de difficultés, une procédure de résolution des cas de conflits de compétence positifs a été prévue par le législateur (futurs article 696-135 et 696-136 du Code de procédure pénale).
Concernant le cadre juridique applicable à l'issue d'un dessaisissement, logiquement, le futur article 696-115 du Code de procédure pénale précise que lorsque le procureur de la République se dessaisira au profit du Parquet européen, les investigations se poursuivront alors soit dans le cadre défini par le futur article 696-113 (c'est à dire selon les règles applicables pour les enquêtes de flagrance, préliminaire ou douanière) soit par le futur article 696-114 du Code de procédure pénale (c'est à dire selon les règles applicables pour l'information judiciaire). En revanche, quand le juge d'instruction sera amené à se dessaisir au profit d'un procureur européen délégué, les investigations devront alors nécessairement se poursuivre dans le cadre défini par le futur article 696-114 du Code de procédure pénale (c'est à dire selon les règles applicables pour l'information judiciaire).
Mais l'obligation d'information ne saurait être à sens unique. C'est ainsi que, réciproquement, pèsera sur le Parquet européen l'obligation, déclinée aux articles 24 et 26 du Règlement de 2017, d'informer les autorités judiciaires nationales de toute décision d'ouvrir ou de ne pas ouvrir une enquête dans une affaire susceptible de relever de sa compétence. L'article 39 du règlement dispose par ailleurs que lorsqu'une affaire sera classée sans suite, il appartiendra au Parquet européen de le notifier officiellement aux autorités nationales.
Enfin cette coopération et ces échanges mutuels d'information s'étendront également aux relations que devra entretenir le Parquet européen avec les autres organismes européens chargés de lutter contre la fraude aux intérêts financiers de l'Union que sont Eurojust, Europol et l'OLAF [17], respectivement pour favoriser une bonne coordination des enquêtes avec les États membres ne prenant pas part à la mise en œuvre du Parquet européen, pour signaler et analyser toute information pertinente au sujet d'infraction relevant de la compétence du Parquet européen et enfin pour permettre une coordination efficace et complémentaire entre enquête judiciaire et enquête administrative, tout particulièrement lorsque les faits en cause impliqueront du personnel de l'Union.
V. L'impact attendu de l'action du Parquet européen sur la lutte contre la délinquance en matière de fraude aux intérêts de l'Union commise sur le territoire français
Il ressort de l'analyse d'impact réalisée en 2013 à l'appui du dépôt de la proposition de règlement instituant le Parquet européen que le montant des fraudes affectant le budget de l'Union chaque année pourrait porter sur plusieurs millions d'euros. Compte tenu du caractère occulte de ce type de fraudes, il est toutefois délicat de disposer d'une évaluation fine à ce sujet, les estimations des pertes dues à ce type d'agissements se situant dans une fourchette allant de 1 à 20 % du budget global de l'Union au cours des dernières décennies [18]. Si aucune donnée chiffrée consolidée n'est disponible concernant l'ampleur du phénomène en France, il peut toutefois être noté que l'assiette financière sur laquelle de tels faits sont susceptibles d'être commis est particulièrement importante. La France est, avec 13,5 milliards d'euros de dépenses européennes reçus en 2017, le premier bénéficiaire des fonds européens, ceux-ci étant fléchés pour les deux tiers (9,2 milliards d'euros) vers la politique agricole commune [19].
En pratique, selon les données recueillies dans le cadre de l'étude d’impact réalisée par le Gouvernement à l'occasion du dépôt du projet de loi relatif au Parquet européen, le nombre de procédures concernées au niveau français peut être évalué à une centaine par an. Sur la période 2017/2018, la Chancellerie a ainsi recensé une quarantaine de procédures de ce type essentiellement suivies par le PNF et les JIRS de Marseille, Lyon, Nancy et Rennes, qui concernent pour une grosse moitié des faits d'escroquerie à la TVA (carrousels) dont le préjudice est supérieur à 10 millions d’euros et pour une petite moitié des suspicions de corruption, d'emplois fictifs ou de fraude aux subventions européennes. Par ailleurs, en 2018, une soixantaine de procédures administratives douanières ont été diligentées pour des délits douaniers relevant de la « Directive PIF » portant sur des montants supérieurs à 10 000 euros, en tant que tels susceptibles de relever dans l'avenir de la compétence du Parquet européen [20].
Comme le disait Robert SCHUMAN, « l'Europe ne se fera pas d'un coup, ni dans une construction d'ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d'abord une solidarité de fait » [21].
Indubitablement, la création du Parquet européen fait partie de ces réalisations concrètes.
La nomination et l'entrée en fonction dans les mois qui viennent des procureurs européens délégués français permettra à cet égard de décliner sur le plan opérationnel une ambition commune au service d'une vision engagée et volontaire de la construction de l'Europe judiciaire.
Il faut espérer que, grâce à son action déterminée, le Parquet européen jouera bientôt un rôle central dans la lutte contre la délinquance économique et financière dans notre pays et en Europe, jusqu'à en devenir, pourquoi pas, un symbole du renouveau du projet européen.
Suggestions de la rédaction : [Actes de colloques] Les mutations du parquet (colloque du 4 octobre 2019 à Clermont) : Mutations du ministère public sous l’influence du parquet européen - Faisons un rêve…, O. Cahn, Lexbase Pénal, décembre 2019 (N° Lexbase : N1487BYQ) Projet de loi relatif au Parquet européen : décryptage et analyse, A. Botton, Lexbase Pénal, mars 2020 (N° Lexbase : N2610BYC) La protection extensible des intérêts financiers de l’Union européenne par le parquet européen, H. Christodoulou, Lexbase Pénal, mai 2020 (N° Lexbase : N2821BY7). |
[1] CJUE, Installation du Parquet européen, communiqué de presse n° 118/20, 28 septembre 2020 [en ligne].
[2] Livre vert de la Commission européenne sur la protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d’un procureur européen (COM [2001] 715 final/n° E 1912) [en ligne].
[3] Règlement (UE) 2017/1939 du Conseil, du 12 octobre 2017, mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen (N° Lexbase : L2117LHU).
[4] Stefan Löfven, premier ministre de la Suède : « My government will propose to the Swedish Parliament that Sweden will join the European Public Prosecutor's Office to contribute in the fight against corruption and the embezzlement of EU funds », discours sur le futur de l’Europe prononcé à Bruxelles le 3 avril 2019.
[5] Décision (UE) 2019/1798 du Parlement européen et du Conseil, du 14 octobre 2019, portant nomination du chef du Parquet européen [en ligne].
[6] Frédéric Baab (France), Cătălin-Laurențiu Borcoman (Roumanie), Jaka Brezigar (Slovénie), Danilo Ceccarelli (Italie), Gatis Doniks (Létonie), Yvonne Farrugia (Malte), Teodora Georgieva (Bulgarie), Daniëlle Goudriaan (Pays-Bas), José Eduardo Guerra (Portugal), Petr Klement (République Tchèque), Tomas Krušna (Lituanie), Tamara Laptoš (Croatie), Katerina Loizou (Chypre), Ingrid Maschl-Clausen (Autriche), Juraj Novocký (Slovaquie), Andrés Ritter (Allemagne), Maria Concepción Sabadell Carnicero (Espagne), Gabriel Seixas (Luxembourg), Kristel Siitam-Nyiri (Estonie), Harri Tiesmaa (Finlande), Yves Van Den Berge (Belgique) & Dimitrios Zimianitis (Grèce).
[7] Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales.
[8] Office central pour la répression de la grande délinquance financière.
[9] Service d'enquête judiciaire des finances.
[10] Ordonnance n° 58-1270, du 22 décembre 1958, portant loi organique relative au statut de la magistrature (N° Lexbase : L5336AGQ).
[11] Projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée adopté par le Sénat le 3 mars 2020 après engagement de la procédure accélérée et déposé à l'Assemblée Nationale le 4 mars 2020 [dossier législatif].
[12] Conseil d'Etat, Assemblée Générale, Avis sur un projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée, séance du 23 janvier 2020 [en ligne].
[13]Directive (UE) 2017/1371 du Parlement européen et du Conseil, du 5 juillet 2017, relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union au moyen du droit pénal (N° Lexbase : L3366LGR).
[14] Infractions douanières prévues aux articles 411 (N° Lexbase : L8531LHG), 412 (N° Lexbase : L4125LSL), 413 bis (N° Lexbase : L6023LMZ), 414 (N° Lexbase : L3192LC9), 415 (N° Lexbase : L4128LSP), 416 bis (N° Lexbase : L6524I3Z), 417 (N° Lexbase : L5831ISR), 423 (N° Lexbase : L1029ANG), 424 (N° Lexbase : L3196LCD), 425 (N° Lexbase : L1031ANI) et 426 (N° Lexbase : L4126LSM) du Code des douanes.
[15] Etant précisé que par « montant total du préjudice », on entend le préjudice estimé qui résulte de l'ensemble du système de fraude, tant pour les intérêts financiers des États membres concernés que pour l'Union, à l'exclusion des intérêts et des sanctions.
[16] Juridictions interrégionales spécialisées.
[17] Office européen de lutte contre la fraude.
[18] Parlement européen, Unité évaluation ex-ante de l'impact, Analyse d'impact (SWD (2013) 275 final, SWD (2013)274 final (résumé)) concernant une proposition de la Commission de règlement du Conseil portant création du Parquet européen (COM(2013)534 final), décembre 2013 [en ligne].
[19] P. Joly, Fraude aux fonds européens : l'Union européenne protège-t-elle efficacement ses intérêts financiers ? , Rapport d'information n° 674 (2018-2019), fait au nom de la commission des finances, déposé le 17 juillet 2019.
[20] A noter toutefois que ladite étude d'impact prend le soin de souligner que la quasi-totalité les procédures administratives douanières en question ont été réglées par la voie transactionnelle douanière. Elle souligne par ailleurs que l'intentionnalité n'étant pas un élément constitutif de l'infraction douanière, il est difficile en l'état des qualifications prévues au Code des douanes de distinguer la part des procédures pouvant finalement entrer dans le champ de compétence du Parquet européen.
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