Réf. : Cass. civ. 1, 21 octobre 2020, n° 19-18.689, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A31903YS)
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par Mathilde Hoyer - Eugénie Petitprez - Rodolphe Bigot
le 26 Novembre 2020
Mots clés : responsabilité du fait des produits défectueux • herbicide • intoxication • agriculteur • Lasso • Monsanto •
La première chambre civile de la Cour de cassation approuve la cour d’appel de renvoi d’avoir condamné, sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux, la société Monsanto à indemniser un agriculteur ayant inhalé des vapeurs d’herbicide ; ce faisant, la Haute juridiction confirme la solution retenue par les juges du fond d’avoir caractérisé les conditions d’application de ce régime spécial, notamment la défectuosité de l’herbicide, et d’avoir refusé de consacrer un moyen d’exonération.
La première chambre civile de la Cour de cassation vient de mettre un terme, par un long arrêt en date 21 octobre 2020, à l’interminable et triste affaire dite de la « saga du Lasso », du nom de l’herbicide commercialisé par la fameuse société Monsanto, inventeur du Roundup, au cœur de nombreuses polémiques. Entre-temps, Bayer a racheté Monsanto, pour la modique somme de 63 milliards de dollars et s’apprête à verser 10 milliards de dollars pour faire cesser les poursuites sans reconnaître aucune faute cependant [1]. Comparaison n’est pas raison, mais aux États-Unis, le groupe allemand Bayer-Monsanto a été condamné, pour une seule affaire, le 13 mai 2019, à verser plus de 2 milliards de dollars (1,8 milliard d’euros) de dommages et intérêts à un couple affirmant que l’herbicide est à l’origine de leur cancer [2] !
Cet autre produit du groupe est au cœur des préoccupations environnementales en France également. Ce n’est que dernièrement que le tribunal administratif de Lyon a interdit, par un jugement du 15 janvier 2019, la commercialisation de ce désherbant [3]. C’est d’ailleurs « au nom du principe de précaution que le tribunal administratif de Lyon a annulé l’autorisation de mise sur le marché du Roundup Pro 360, un produit désherbant contenant du glyphosate et commercialisé par le groupe agrochimique Monsanto. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) avait autorisé cette commercialisation en mars 2017 » [4]. Le tribunal a été saisi dans ce cas par le comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique (CRIIGEN) ayant fait valoir que le glyphosate était probablement cancérogène pour les hommes. C’est ce qu’a aussi jugé le tribunal : « ce produit doit être considéré comme une substance dont le potentiel cancérogène pour l’être humain est supposé eu égard aux données animales ». En effet, le Roundup Pro 360 « est probablement cancérogène pour l’homme eu égard notamment au résultat des expériences animales » [5].
En France, si la présente décision de la Haute Cour est une avancée indéniable en matière environnementale et sanitaire, un grand pas en avant donc, de son côté le Parlement a – en même temps – reculé, en faisant deux pas en arrière [6]. Espérons que cela soit, à l’avenir, pour mieux sauter en direction de la préservation des espèces et de l’environnement ! Mais l’on peut en douter fortement. En effet, le Parlement a autorisé, à nouveau, le 4 novembre 2020, le retour temporaire des néonicotinoïdes, insecticides nocifs pour les abeilles – notamment –, pour soi-disant « sauver » la filière betterave, qui évoque pour l’année 2020 à raison des pucerons des pertes de rendement estimées « entre 13 et 20 % ». Le projet de loi [7] a ainsi permis, à titre dérogatoire, que les producteurs de betteraves à sucre utilisent jusqu’en 2023 des semences traitées avec des pesticides de la famille des néonicotinoïdes, interdits depuis 2018. D’aucuns ont pourtant défendu que « même dans une situation d’urgence, des alternatives étaient possibles »[8]. Mais une culture ultralibérale du haut rendement, fortement encouragée par les énormes commerçants de produits agrochimiques, domine le monde agricole depuis plusieurs décennies, au détriment de la santé des consommateurs et de l’équilibre des écosystèmes, au point qu’au Palais Bourbon, Madame Mathilde Panot ait promis un « signalement » devant la Cour de justice de la République pour « mise en danger délibérée de la vie d’autrui » [9].
S’agissant de l’autre produit nocif qui fait toujours l’actualité regrettablement, l’importance de l’arrêt au regard des règles de la responsabilité du fait des produits défectueux a amené la Haute Cour à faire un communiqué de presse sous la décision fraîchement rendue, accessible sur son site. Elle y a rappelé brièvement les faits de l’affaire : « le 27 avril 2004, lors de l’ouverture d’une cuve de traitement d’un pulvérisateur, un agriculteur a accidentellement inhalé les vapeurs d’un herbicide commercialisé par la société Monsanto agriculture France, jusqu’à son retrait du marché en 2007 ». Soit, déjà, seize ans de contentieux à subir pour la victime, en sus de ses divers préjudices…
Pour obtenir la réparation de son préjudice corporel par suite de son exposition à l’herbicide qu’il avait acquis auprès d’une coopérative agricole, commercialisé sous le nom de « Lasso » par la société Monsanto agriculture France, l’agriculteur victime a ainsi mis en cause son producteur notamment.
En 2012, à l’issue de la décision de première instance, l’agriculteur a obtenu la reconnaissance de la responsabilité de Monsanto dans son intoxication, sous l’angle du droit commun de la responsabilité qui démontrait ainsi son efficacité quant à la juste protection des victimes au regard d’éventuels régimes spéciaux [10]. Par suite d’un appel interjeté par Monsanto, cette dernière a à nouveau été condamnée au fond par un arrêt du 10 septembre 2015. Puis, par un arrêt du 7 juillet 2017, rendu en Chambre mixte, la Cour de cassation a réformé cette décision [11], estimant que l’action aurait dû être examinée, non pas sur la base du défaut d’information, mais sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux. L’affaire a alors été renvoyée devant la cour d’appel de Lyon, composée autrement.
Se conformant à cette exigence d’examen d’office du régime spécial d’ordre public, la cour d’appel de Lyon, par un arrêt en date du 11 avril 2019, rendu ainsi sur renvoi après cassation par une décision de Chambre mixte [12], a déclaré la société Monsanto responsable du dommage subi par l’agriculteur sur le fondement des articles 1245 (N° Lexbase : L0945KZZ) et suivants du Code civil [13]. Le producteur a, à nouveau, formé un pourvoi en cassation.
Dans son communiqué du 21 octobre 2020, du même jour que la décision, la Cour de cassation a admis la motivation de la cour d’appel sur sept points majeurs auxquels Monsanto n’a su résister.
Premièrement, le régime de responsabilité du fait des produits défectueux est applicable, en raison de la date de mise en circulation du produit, considérée comme postérieure à la date d’entrée en vigueur de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 (N° Lexbase : L2448AXX). Deuxièmement, la société Monsanto peut être assimilée au producteur dès lors qu’elle se présentait comme tel sur l’étiquette du produit. Troisièmement, le dommage survenu est imputable au produit, des indices graves, précis et concordants permettant d’établir un lien entre l’inhalation de celui-ci et ce dommage. Quatrièmement, le produit, ne présentant pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre, en raison d’un étiquetage ne respectant pas la réglementation applicable et d’une absence de mise en garde sur la dangerosité particulière des travaux sur ou dans les cuves et réservoirs, est défectueux. Cinquièmement, un lien causal entre le défaut et le dommage est établi. Sixièmement, la société n’est pas fondée à invoquer une exonération de responsabilité pour risques de développement. Septièmement, enfin, la faute de la victime, alléguée par la société Monsanto, est sans lien de causalité avec le dommage.
Il convient à présent, pour l’explication, de revenir sur chacun des arguments soulevés par Monsanto-Bayer donnant ainsi l’impression d’avoir tout tenté et résisté judiciairement coûte que coûte, les enjeux économiques justifiant les moyens. Pour l’un des aspects positifs d’un tel procès, la décision – osons-nous dire à rallonge – offre l’opportunité d’un rappel transversal des grandes règles de la responsabilité du fait des produits défectueux.
I. L’applicabilité du régime de la responsabilité des produits défectueux
La mise en circulation du produit conditionne la responsabilité du producteur puisque ce dernier peut s’exonérer en rapportant la preuve qu’il n’y avait pas procédé [14]. En outre, la date de mise en circulation est d’autant plus essentielle que c’est à cette époque qu’est apprécié le défaut de sécurité ainsi que l’état des connaissances scientifiques et techniques afin d’établir si le producteur peut invoquer le risque de développement. Elle fixe, également, le point de départ du délai butoir de dix ans à l’issue duquel la responsabilité du producteur est éteinte. De plus, la loi du 19 mai 1998 ne s’appliquant qu’aux produits mis en circulation après son entrée en vigueur [15], cette date détermine le champ d’application du régime de la responsabilité des produits défectueux. Information essentielle, « clé de voûte » [16] de ce régime spécial, la date de mise en circulation doit alors être établie avec précision.
Aux termes de l’article 1245-4, alinéa premier, du Code civil (N° Lexbase : L0624KZ7), « un produit est mis en circulation lorsque le producteur s’en est dessaisi volontairement ». Le principe étant celui de l’unicité de la mise en circulation, l’article 1245-4, alinéa second, dispose qu’« un produit ne fait l’objet que d’une seule mise en circulation ». Pourtant, la définition de la mise en circulation retenue par la Cour de justice des Communautés européennes, qui précise qu’« un produit doit être considéré comme ayant été mis en circulation (…) lorsqu’il est sorti du processus de fabrication mis en œuvre par le producteur et qu’il est entré dans un processus de commercialisation dans lequel il se trouve en l’état offert au public aux fins d’être utilisé ou consommé » [17], invite la jurisprudence à retenir qu’en raison de produits fabriqués en série, la date de mise en circulation doit être fixée au jour de la commercialisation de chacun des lots et non au jour de la commercialisation du premier exemplaire du produit [18].
Dans l’affaire commentée, la Cour de cassation réaffirme cette solution et considère que la commercialisation du lot étant postérieure à l’entrée en vigueur de la loi du 19 mai 1998, ses dispositions sont applicables au litige en cause. La date de mise en circulation retenue n’est pas celle de la commercialisation du prototype du produit Lasso, mais celle de la commercialisation du lot dans lequel se trouvait le produit litigieux. Cette interprétation a largement été applaudie par la doctrine à l’occasion d’autres décisions [19] en ce qu’elle est conforme à l’esprit et à la lettre du texte qui vise « le produit même qui a causé de dommage » [20] – « le spécimen qui s’est trouvé impliqué dans la réalisation du préjudice » [21]. Néanmoins, ne peut-elle pas être discutée au regard de l’espèce en cause ?
La défectuosité constatée, nous le verrons, tient à un défaut extrinsèque au produit, un défaut d’information sur l’étiquetage, et non à un défaut intrinsèque, résultant de la fabrication ou la conception qui aurait pu être propre à l’exemplaire ayant causé le dommage [22]. Dès lors, l’ensemble de la série est affecté du même vice. Plus encore, il est probable que l’intégralité des produits « Lasso » soit tout aussi défectueuse, du moins ceux commercialisés en France. Ce n’est pas tant cet exemplaire du produit qui se révèle défectueux, mais la totalité des produits « Lasso » commercialisés sous le même étiquetage. Au regard de ces considérations, la Cour de cassation aurait parfaitement pu fixer la date de la mise en circulation au jour de la première commercialisation dudit produit sous ce même conditionnement. Pourtant, la réponse de la Haute juridiction mérite d’être approuvée. Comme nous l’avons précédemment constaté, c’est au jour de la mise en circulation que le risque de développement doit être apprécié. Or, il apparaîtrait inique de ne pas tenir compte de la possible avancée scientifique entre la date de commercialisation du prototype et celle de la commercialisation du spécimen en cause : le producteur serait exonéré quoique l’état des connaissances scientifiques et techniques lui aurait permis de déceler l’existence du défaut. Dès lors, interprété strictement, l’article 1245-4 du Code civil (N° Lexbase : L0624KZ7) serait susceptible d’entrer en contradiction avec la ratio legis des différentes dispositions dont la date de mise en circulation conditionne l’application.
Par conséquent, la Cour de cassation approuve, à juste titre, la cour d’appel d’avoir fixé la date de mise en circulation au mois de juillet 2002, époque à laquelle Monsanto a livré le produit au distributeur et relève que la demanderesse « n’apporte aucun élément de preuve relatif à un stockage du produit de longue durée en son sein » [23]. L’on comprend qu’a contrario, si Monsanto avait longtemps stocké le produit, la date de mise en circulation aurait pu être reportée à une époque antérieure. La Cour de cassation apporte sans doute ici une réponse plus précise au premier moyen du pourvoi qui ne reprochait pas tant à la cour d’appel de Lyon d’avoir statué conformément aux solutions jurisprudentielles antérieures relatives aux produits fabriqués en série, mais lui faisait grief d’avoir considéré que la date de mise en circulation était celle où le distributeur, c’est-à-dire la société demanderesse, non impliquée dans le processus de commercialisation, l’avait commercialisé à son tour. La société estimait, également, qu’elle ne pouvait être assimilée au producteur sans qu’il soit démontré qu’elle entretenait avec le véritable producteur des liens étroits justifiant une telle analogie. L’argumentaire reposait finalement davantage sur la qualité de producteur assimilé que sur la date de mise en circulation stricto sensu.
Ces deux questions sont évidemment inextricablement liées puisqu’à considérer Monsanto agriculture France comme un simple distributeur, la date de mise en circulation du « Lasso » serait nécessairement reportée à une époque antérieure à sa commercialisation par ladite société. La Cour de cassation précise, néanmoins, que la demanderesse n’a pas démontré qu’elle avait stocké le produit pendant une longue durée : quand bien même la société Monsanto agriculture France n’aurait pas fabriqué le produit litigieux, la société ne démontre pas qu’il aurait été confectionné bien des années auparavant, à une époque antérieure à l’entrée en vigueur de la loi du 19 mai 1998. En d’autres termes, rien n’indique que ce lot ait été mis sur marché avant 2002, soit avant d’être livré à la coopérative.
La Cour de cassation répond simplement de façon méthodique et didactique à l’argumentaire des parties : la question étant celle de l’application de la loi dans le temps, il convenait de déterminer si la date de mise en circulation du produit était effectivement postérieure à l’entrée en vigueur de la loi du 19 mai 1998 avant de s’interroger sur le point de savoir quel était effectivement le producteur ou qui pouvait lui être assimilé. Puisque, s’agissant d’un produit fabriqué en série, il n’était pas nécessaire de rechercher la date de mise en circulation du prototype, mais celle de l’exemplaire ayant causé le préjudice et qu’il n’est pas démontré que la société demanderesse a stocké pendant plusieurs années ce lot, la cour d’appel a pu en déduire que le régime de responsabilité du fait des produits défectueux était applicable à l’espèce.
La Cour de cassation évacue finalement l’argumentaire de la demanderesse tant il n’est pas nécessaire, pour déterminer si la loi est ou non applicable, de rechercher la qualité de producteur, mais uniquement d’établir si la mise en circulation du produit avait eu lieu antérieurement ou postérieurement à l’entrée en vigueur de ladite loi. Cela revenait à constater, dans l’absolu, la mise en circulation dommageable, sans l’imputer, à ce stade, à la demanderesse. Ce n’est qu’à l’occasion du second moyen que la Cour de cassation confirmera l’assimilation de Monsanto au producteur.
II. Monsanto ou la qualité de producteur tel que présenté sur l’étiquette du produit
À raison du premier moyen, la Haute juridiction avait renoncé à se placer sur le terrain de la question de la qualité de producteur pour s’en tenir à celle de l’application de la loi dans le temps au regard de la date de mise en circulation. Elle n’a donc pas, à cette occasion, répondu à la seconde branche du premier moyen où la société demanderesse tentait de faire valoir qu’elle ne pouvait être assimilée au producteur qu’à condition que soit démontré qu’elle entretenait, avec le véritable producteur, des liens suffisamment étroits. Reste que les efforts de Monsanto, à l’occasion de cette branche, étaient vains.
D’une part, pour déterminer l’application de la loi dans le temps, la Cour de cassation renonce à rechercher qui était le producteur tant la date de mise en circulation apparaît suffisante [24]. Le premier moyen n’était donc pas l’occasion, pour la société, de démontrer qu’elle ne devait pas être assimilée au producteur.
D’autre part, il est inutile de vérifier si les processus de fabrication et de distribution étaient étroitement imbriqués puisque cette assimilation du distributeur au producteur, dégagée par la CJUE [25], n’a pas à être recherchée dès lors que Monsanto peut être entendu comme tel au regard de l’article 1245-2, alinéa second, du Code civil (N° Lexbase : L0622KZ3). Aux termes de cette disposition, la personne responsable peut être le producteur ou toute personne susceptible de lui être assimilée. Tel est le cas de celui « qui se présente comme producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif »[26]. Or, pour la cour d’appel, la société demanderesse est assimilable au producteur dès lors qu’est apposée sur le produit conditionné la mention « herbicide Monsanto » suivie de « siège social Monsanto agriculture France SAS », accompagnée de l’adresse de la société à Lyon ainsi que le numéro d’immatriculation de la société au RCS. Répondant aux conditions de l’assimilation légale, Monsanto ne pouvait exiger que soient recherchés les liens qui l’unissent au véritable producteur du « Lasso ».
Reste que la demanderesse réfute également, à l’occasion du second moyen, pouvoir être assimilée au producteur au regard de l’article 1245-2, alinéa second, du Code civil. Premièrement, selon Monsanto, ce faisceau d’indices est insuffisant en vue de démontrer qu’il se présentait ainsi, lui‑même, comme producteur dudit produit. Deuxièmement, la seule apposition de son nom sur l’emballage ne suffit pas à l’assimiler au producteur : encore faut-il que cette mention soit de nature à faire naître dans l’esprit du public, la croyance qu’il est le véritable producteur. Tel ne saurait être le cas, d’après la demanderesse, dès lors qu’il est précisé, sur l’étiquetage, que le produit est fabriqué à l’étranger et qu’y figure le nom du véritable producteur. Le public ne pouvait pas légitimement croire que Monsanto agriculture France était le véritable producteur. La Cour de cassation balaye l’argumentaire de la demanderesse. Au titre d’un contrôle léger de motivation, la Haute juridiction approuve la cour d’appel qui a considéré que, quoique le produit ait été fabriqué en Belgique et que deux autres sociétés apparaissent sur l’étiquette, il n’en reste pas moins qu’il est fait mention, sur l’étiquette, de la société Monsanto agriculture France. Ces présomptions apparaissent suffisantes. En effet, en admettant le principe même de l’« assimilation » au producteur, le législateur reconnaît qu’il n’est pas question de rechercher le « véritable » producteur, mais de considérer comme tel celui qui a apposé son nom sur l’étiquette. Chaque société dont le nom apparaît sur le conditionnement peut être assimilée au producteur.
Quant à la désignation du producteur assimilé, la Cour retient un critère objectif – il faut rechercher qui se présente comme le producteur –, et non subjectif – il est indifférent que le public ait pu le considérer comme tel. Cette approche nous semble devoir être approuvée. Ce régime de responsabilité vise « le producteur » [27]. L’utilisation de ce pronom personnel associé au terme générique de « producteur » est nécessaire tant le processus de production met en scène une multitude d’acteurs aux fonctions diverses : fabricant, distributeur, importateur, producteur de matière première ou encore producteur d’une partie de la composante. Par conséquent, lorsque le législateur précise que doit être assimilé au producteur celui qui a apposé sur le produit, son nom, sa marque ou tout autre signe distinctif, il a pour objectif d’éviter de faire peser sur la victime les difficultés que peut susciter la recherche des véritables intervenants dans le processus de production. À cet égard, il est exclu de rechercher quelle aurait pu être la croyance légitime de cette dernière quant à l’identité du producteur puisque, par définition, les intervenants peuvent être multiples et hétérogènes. Le public peut ne pas être en mesure de se forger une quelconque conviction sur l’identité du producteur ou, s’il y parvient, sa croyance peut parfaitement être erronée. En admettant le contraire, la victime aurait probablement le plus grand mal à identifier le véritable producteur. Par conséquent, il nous semble justifié de considérer que Monsanto agriculture France peut être assimilé au producteur compte tenu des mentions sur l’étiquetage. Par conséquent, le dommage pourrait être reproché à la demanderesse, à condition, entre autres, qu’il ait été causé par l’herbicide.
III. La survenance d’un dommage causé par l’herbicide
La preuve du lien causal entre le produit et le dommage doit être rapportée par la victime, ce que ne manque pas de rappeler la Cour de cassation lorsqu’elle cite, aux prémices de son attendu, l’article 1245-8 du Code civil (N° Lexbase : L0628KZB) [28]. Avant de démontrer l’existence de la défectuosité du produit et du lien causal entre ce défaut et le dommage, la victime doit prouver que ledit produit a bien participé à la réalisation de son dommage [29]. Cette preuve peut se révéler diabolique lorsque le dommage consiste à développer une pathologie : l’éventuelle incertitude scientifique quant aux effets du produit rend, le plus souvent, impossible la démonstration de ce lien causal par la victime [30]. Afin de venir à bout de cette difficulté, et après de nombreuses hésitations [31], la jurisprudence semble dissocier la causalité scientifique de la causalité juridique et admet le recours à la preuve indiciaire [32]. Ainsi, même en présence d’un doute scientifique, la preuve de l’aptitude du produit à causer telle ou telle pathologie – tel ou tel dommage – peut être administrée par des présomptions du fait de l’homme.
Généralement, ces indices sont tirés de l’état de santé antérieur de la victime [33], de l’existence d’un nombre significatif de cas répertoriés ayant subi le même dommage à la suite de l’administration du produit [34] ou encore de la proximité temporelle entre le dommage et l’administration du produit [35]. À l’occasion d’une décision rendue le 9 juillet 2009, la première chambre civile de la Cour de cassation a pris soin de relever l’ensemble de ces indices ayant permis aux juges du fond de déduire la participation du produit dans la réalisation du dommage [36]. L’on aurait pu s’attendre à ce que la Haute juridiction, dans la décision commentée, opère un contrôle lourd de motivation et exige des juges du fond qu’ils procèdent à de telles recherches et justifient leur décision en y faisant référence [37], comme l’y invitait la première branche du troisième moyen du pourvoi. En l’espèce, la Cour de cassation se refuse pourtant à toute injonction en la matière.
Au regard des règles probatoires, cette décision ne surprend pas. L’article 1382 du Code civil prévoit que le juge ne devrait admettre que les présomptions « graves, précises et concordantes ». Or, bien moins qu’une injonction, ces précisions ne constituent qu’un « conseil supplémentaire de sagesse et de mesure » [38] à l’intention du magistrat ; elles ne mettent, à sa charge, aucune obligation concrète [39]. En outre, en la matière, si l’on pouvait s’alarmer quant au risque de dissocier causalité juridique et scientifique dès lors que l’aptitude du produit à causer le type de dommage dont se plaint la victime peut être démontrée par de simples indices – quels qu’ils soient –, la difficulté ne se posait pas en ces termes dans la décision commentée. En l’espèce, la dangerosité abstraite du produit n’est pas discutée. L’argument du pourvoi tenant à faire valoir que les juges du fond n’auraient pas soulevé des indices qui, d’ordinaire, se révèlent déterminants en vue de démontrer, in concreto, l’aptitude du produit à causer les diverses pathologies contractées par la victime était voué à être rejeté. Puisque la causalité scientifique permet d’admettre que le « Lasso » est intrinsèquement dangereux, l’imputabilité concrète n’avait pas à être établie. Quant à l’imputabilité abstraite, elle n’était pas contestée : l’aptitude, in abstracto, du produit à causer le dommage n’avait pas à être démontrée. Les juges du fond pouvaient le tenir pour établi [40]. Ici, Monsanto tente finalement de faire jouer à son profit le faisceau d’indices qui, classiquement, est censé bénéficier à la victime. Lorsque l’aptitude scientifique du produit à causer ce dommage est acquise, la condition d’imputabilité est caractérisée. Au contraire, lorsque l’aptitude scientifique n’est pas acquise, la victime peut rapporter des présomptions en vue de rendre vraisemblable l’imputabilité. Quand il existe une incertitude, le système présomptif apparaît comme une faveur accordée à la victime, qui conserve une petite chance procédurale de s’en sortir. Or, il semble que Monsanto inverse le système de valeurs mis en place par le législateur. La demanderesse considère que le faisceau d’indices dégagé par la jurisprudence doit nécessairement être recherché : l’imputabilité abstraite, soit l’aptitude scientifique non contestée, serait insuffisante. Il conviendrait de rechercher, dans chaque situation, l’imputabilité concrète. À suivre ce raisonnement, la faveur accordée à la victime – la possibilité de prouver l’imputabilité par présomptions – se retournerait contre elle : elle ne pourrait plus se satisfaire du consensus scientifique à l’égard d’un produit, mais devrait démontrer in concreto que ce produit est bien la cause du dommage. À cet égard, il est heureux que la Cour de cassation, tout comme la cour d’appel, ne suive pas la demanderesse dans le détail de son argumentation. Monsanto n’aurait pas dû discuter l’imputabilité concrète, mais l’imputabilité abstraite. Cette dernière n’est donc pas contestée : le juge pouvait le tenir pour établi.
Il s’ensuit que la cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, pouvait se contenter de rechercher directement la preuve que le produit a effectivement provoqué le dommage : il faut que la victime démontre qu’elle a été exposée au produit à « un moment où celui-ci était susceptible de provoquer la maladie qu’il lui impute » [41]. Pour ce faire, la cour d’appel de Lyon retient qu’il résulte de trois attestations qu’un témoin avait été informé que la victime avait respiré le désherbant et que son épouse l’avait conduit à l’hôpital en demandant audit tiers d’y apporter l’étiquette du « Lasso », que ce dernier a pu constater que la victime titubait et qu’un médecin du travail avait bien été contacté par le service des urgences le même jour pour une demande de renseignement sur la toxicité dudit produit. Les juges du fond relèvent également qu’il ressort « du compte rendu de consultation que [la victime] a été hospitalisé pour avoir inhalé des produits toxiques, en l’occurrence un produit chloré associé à des solvants » et ajoutent que les experts désignés par le tribunal avaient constaté que « l’inhalation litigieuse a entraîné (…) tous signes cliniques révélateurs d’une atteinte neuronale et du tractus respiratoire au moment de l’intoxication du 27 avril 2004, ainsi qu’un stress post-traumatique ». Ce produit, susceptible de provoquer le dommage tel qu’il est survenu, avait bien été inhalé par la victime peu de temps avant l’apparition des symptômes et, par conséquent, était vraisemblablement la cause du dommage. La Cour de cassation opère alors un contrôle léger de motivation : elle reprend l’ensemble de ces présomptions et en conclut que la Cour d’appel de Lyon a pu effectivement déduire des indices rapportés, l’existence d’un lien causal entre l’exposition au produit et le dommage.
Dès lors, la seconde branche de ce même moyen n’avait guère plus de chance de prospérer. À cette occasion, Monsanto reproche à la cour d’appel d’avoir multiplié le recours aux preuves indirectes. La demanderesse estime qu’« une présomption ne peut (…) reposer sur un fait lui‑même inconnu dont la réalité n’a judiciairement été établie qu’au moyen d’un faisceau d’indices et d’attestations ». En d’autres termes, elle réprouve le raisonnement des juges du fond qui se sont fondés sur un fait inconnu – l’inhalation –, qui ne peut lui-même être démontré que par présomptions, pour en induire un autre fait inconnu – la causalité. Selon Monsanto, la présomption ne saurait être grave, précise et concordante dès lors qu’elle suppose le recours à plusieurs preuves indirectes.
Pourtant, d’une part, dès lors que l’aptitude du produit n’est pas contestée, seule la démonstration que le produit a effectivement provoqué le dommage est requise : étant établi, par présomptions, que le produit a effectivement été inhalé par la victime peu avant l’apparition des symptômes, les juges pouvaient parfaitement en déduire que le « Lasso » avait participé à la réalisation du dommage.
D’autre part, la multiplication des déplacements de l’objet de la preuve – l’imbrication des preuves indirectes – n’est pas exclue. Une fois le fait prouvé par présomptions, il est considéré comme établi. Il peut parfaitement être un indice, duquel peut être déduit un autre fait. Reste que le recours aux preuves indirectes n’est pas sans danger. Le déplacement de l’objet de la preuve peut rendre douteuse la réalité du fait établi et, « plus le détour s’allonge, plus le risque d’incertitude grandit » [42].
Néanmoins, à défaut de pouvoir établir chaque fait avec certitude, les juges sont parfois contraints de se satisfaire de vraisemblances, de fortes probabilités – ce qui était bien le cas, selon la Cour de cassation, lorsque la cour d’appel a admis l’existence du lien causal entre le produit et le dommage à la lumière d’un faisceau d’indices [43]. Le produit, mis en circulation par la demanderesse, a effectivement joué un rôle dans la réalisation du dommage. Encore faut-il s’assurer, pour l’application de ce régime de responsabilité, que ledit produit était effectivement défectueux.
IV. La défectuosité du produit
Avant de retenir que le produit était défectueux, dans son arrêt du 21 octobre 2020, la Cour de cassation a rappelé les dispositions de l’article 1386-4, devenu 1245-3 du Code civil (N° Lexbase : L0623KZ4), transposant l’article 6 de la Directive précitée. À ce titre, un produit est défectueux lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre et, dans l’appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l’usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation [44].
On retrouve ainsi la définition que la Directive, la loi no 83-660 du 21 juillet 1983 relative à la sécurité des consommateurs [45] et la Cour de cassation elle-même [46] avaient retenue. C’est donc, au sens de la loi, une notion spécifique à laquelle répond le « produit défectueux ». Il est susceptible d’affecter aussi bien des choses que des personnes. La défectuosité du produit n’est pas appréciée selon l’attente subjective de l’acquéreur. Elle fait l’objet, compte tenu de la lettre de la loi et précisément de l’emploi du pronom indéfini « on », d’une appréciation in abstracto.
Dans l’affaire sous commentaire, la Haute juridiction ne manque pas de souligner les autres dispositions relevées par la cour d’appel. D’une part, l’article 7 de la loi du 2 novembre 1943, modifiée par la loi n° 99-574 du 9 juillet 1999 (N° Lexbase : L1178AR3), impose que l’étiquette des produits visés mentionne les précautions à prendre par les utilisateurs. D’autre part, l’article 34 de l’arrêté du 6 septembre 1994, portant application du décret n° 94-359 du 5 mai 1994, dispose que tout emballage doit porter l’indication de la nature des risques particuliers et des protections à prendre pour l’homme, les animaux ou l’environnement sous forme de phrases types choisies de manière appropriée [47]. Ensuite, la fiche toxicologique établie par l’INRS en 1997 mentionne des recommandations relatives à la manipulation du chlorobenzène en préconisant notamment d’éviter l’inhalation de vapeurs, de prévoir des appareils de protection respiratoire pour certains travaux, et de ne jamais procéder à des travaux sur ou dans des cuves ou réservoirs ayant contenu du chlorobenzène sans prendre les précautions d’usage. Il retient, enfin, que l’étiquetage du produit ne répond pas à la réglementation dans la mesure où les risques liés à l’inhalation du chlorobenzène, présent en quantité importante dans le Lasso, ne sont pas signalés, pas davantage que la préconisation d’appareils de protection respiratoire pour le nettoyage des cuves [48].
La première chambre civile de la Cour de cassation retient ainsi que le moyen n’était pas fondé, la cour d’appel ayant pu déduire qu’« en raison d’un étiquetage ne respectant pas la réglementation applicable et d’une absence de mise en garde sur la dangerosité particulière des travaux sur ou dans les cuves et réservoirs, le produit ne présentait pas la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s’attendre et était dès lors défectueux » [49]. En d’autres termes, le produit est défectueux puisque l’étiquetage ne précise pas les risques liés à l’une des substances présentes en quantité importante dans le produit et ne contient aucune préconisation quant aux matériels de protection à utiliser.
Rappelons qu’en présence de ce régime de responsabilité sans faute, dite objective, le producteur n’a pas à prouver l’absence de défaut du produit. Il revient en réalité à la victime d’établir, selon l’article 1245-8 du Code civil (N° Lexbase : L0628KZB), la défectuosité du produit. La jurisprudence a rappelé à plusieurs reprises que l’implication du produit dans la réalisation du dommage ne suffit pas à établir son défaut [50]. En cela, on ne peut comparer la responsabilité du fait des produits au modèle préexistant de la responsabilité du fait des choses. Par conséquent, il s’agit d’une responsabilité du fait des produits défectueux – soulignons – seulement.
Tout produit, bien que ne se rapprochant pas systématiquement de la perfection, ne présente pas nécessairement, pour autant, un défaut. Ne sera donc engagée la responsabilité du producteur que si le défaut de son produit est prouvé. À l’instar de la définition qui était utilisée par la jurisprudence pour définir le contenu de l’obligation de sécurité du vendeur en droit commun, l’article 1245-3 du Code civil retient qu’« un produit est défectueux […] lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre. Dans l’appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit […] » [51].
Il n’est donc ni étonnant ni nouveau que la jurisprudence tienne compte de la présentation du produit comme source du défaut, qui sera parfois qualifié de défaut extrinsèque par la doctrine, par opposition au défaut intrinsèque résultant de la conception ou de la fabrication du produit [52]. On l’a vu, dernièrement, à propos de la présentation manquante, dans la notice du médicament nommé Dépakine, du risque tératogène d’une particulière gravité[53] et, auparavant, d’une plaquette d’information – d’un médicament destiné à effacer les rides – communiquée préalablement à une patiente ne mentionnant pas les effets indésirables [54] ou encore de l’absence de mention sur la notice des effets secondaires connus du vaccin [55]. On l’a aussi relevé au sujet d’autres produits, comme une bouteille de gaz [56] ou un béton [57], dont les conditions générales de vente étaient insuffisantes quant à l’information sur les risques. Naturellement, les effets nocifs constatés d’un médicament, par exemple une pilule contraceptive, peuvent être seuls de nature à caractériser un défaut du produit au sens de l’article 1245-3 du Code civil. Dans ce cas, la défectuosité du produit persiste malgré les précisions apportées par le producteur, à travers la notice, sur ses potentiels risques. Elle résulte de la mise en balance des effets nocifs constatés et des bénéfices attendus [58]. À l’inverse, n’est pas automatiquement défectueux le produit entaché, par nature, de dangerosité [59]. Mais en présence d’un produit appartenant à un groupe de produits présentant un risque anormalement élevé de causer un dommage aux personnes, sans pour autant qu’un défaut ait été constaté pour le produit concerné lui-même, la Cour de justice de l’Union européenne a admis qu’il soit considéré comme défectueux au sens de la directive de 1985, compte tenu du défaut potentiel de la série à laquelle il appartient [60]. Seuls les dispositifs médicaux implantés dans le corps du patient, ici des stimulateurs cardiaques, seraient envisagés par cette solution permettant d’alléger la charge probatoire de la victime n’ayant à rapporter qu’un défaut affectant des éléments du lot où, en définitive, le juge se satisfait du risque ou soupçon suffisamment avéré de défaut.
L’affaire Monsanto n’était donc pas concernée par cette dernière jurisprudence. Le demandeur devait rechercher le défaut du produit, ne pouvant se contenter de sa dangerosité. Certes, en l’espèce, le produit litigieux est dangereux par nature. Il s’agit davantage de démontrer la dangerosité « anormale » du produit. Celle-ci peut parfaitement résulter d’un défaut d’information sur les risques liés à l’utilisation du produit. Par conséquent, le défaut d’information est assimilé au défaut du produit. Tel que le prévoit la loi en visant « la présentation du produit », le défaut de sécurité est caractérisé par l’insuffisance d’information et de mise en garde contre les dangers éventuels du produit. On ne recherche pas le défaut intrinsèque du produit, mais le défaut de renseignement donné qui peut conduire au même résultat. En l’espèce, l’absence d’information spécifique sur le danger susceptible d’être encouru en cas de travaux sur ou dans les cuves et réservoirs imprègne le produit concerné d’un caractère défectueux en ce qu’il ne présente plus la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s’attendre.
V. Un lien causal établi entre le défaut et le dommage
Cinquième élément important de ce procès très médiatique, un lien causal entre le défaut et le dommage est établi, selon la Cour de cassation. Il mériterait d’être mieux distingué de la preuve du lien causal entre le produit et le dommage qui devait être préalablement rapportée par la victime [61]. La doctrine a mis en lumière que déterminer les caractéristiques du lien de causalité en matière de responsabilité du fait des produits défectueux dépend « de la définition donnée à la notion de défaut. Simple à première vue, la démarche se révèle être une impasse : dès lors qu’est défectueux un produit “ne présentant pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre”, force est d’admettre que l’identification du défaut dépend de la causalité elle-même. Non seulement l’analyse de la causalité est logiquement antérieure à celle du défaut mais elle paraît constituer un élément de qualification de ce dernier : le produit dépourvu de sécurité, c’est celui qui provoque un dommage (corporel) auquel on ne pouvait légitimement s’attendre. Deux éléments apparaissent dès lors : d’une part, le produit défectueux a causé le dommage ; d’autre part, on ne pouvait s’attendre à ce qu’il cause ce dommage » [62].
Ne pouvant s’arrêter sur ce paradoxe, au risque d’un déni de justice, les magistrats du quai de l’horloge ont tout d’abord rappelé le principe selon lequel, aux termes de l’article 1386-9, devenu 1245-8 du Code civil, transposant l’article 4 de la Directive précitée, le demandeur doit prouver le lien de causalité entre le défaut du produit et le dommage. Ils ont ensuite réitéré que cette preuve peut être apportée par tout moyen et notamment par des présomptions [63] ou indices graves, précis et concordants [64], en apportant enfin un tempérament : le lien causal ne peut cependant être déduit de la seule implication du produit dans la réalisation du dommage [65].
Pour rappel, la preuve du lien de causalité, qui pèse sur la victime, est difficile voire impossible à rapporter lorsque les connaissances scientifiques paraissent insuffisantes pour le caractériser de manière certaine. Faut-il, par conséquent, que le doute profite systématiquement au fabricant du produit [66] ? Face à cette difficulté, le juge peut s’adapter. Il a souvent recours, mais regrettablement pas toujours [67], aux présomptions de fait, en particulier dans les contentieux initiés à raison de médicaments ou des vaccins[68], en exigeant toutefois qu’elles soient graves, précises et concordantes, ce que semble réitérer, de façade du moins, la première chambre civile dans l’arrêt du 21 octobre 2020. En 2017, la Cour de justice de l’Union européenne a admis que le recours à des présomptions puisse être compatible avec les principes issus de la Directive. Ne sont cependant autorisées que des présomptions de fait, demeurant interdite une présomption de droit qui empêcherait la preuve contraire dès lors que les éléments factuels requis sont établis [69]. Dès lors, l’influence causale d’un vaccin dans le développement d’une maladie peut être présumée en l’absence de certitude scientifique. Toutefois, la Cour de Luxembourg a jugé contraire à la Directive le recours à une liste d’indices factuels dont la conjonction établirait nécessairement le défaut du produit. La distinction entre causalité scientifique et causalité juridique, souhaitée par de nombreux auteurs [70], était ainsi avalisée au sein de l’Union européenne. Cette solution a été mise en œuvre en droit interne dès le 18 octobre 2017 [71]. Dans l’affaire commentée, sans doute la Haute Cour aurait-elle pu admettre, pour faciliter la tâche de la victime, qu’une fois l’implication du produit dans le dommage et sa défectuosité prouvées, le rôle causal du défaut pouvait être présumé [72], a fortiori alors que par le passé ce rôle créateur et protecteur de la jurisprudence se manifestait plus encore dans le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux [73].
Dans ce domaine mystérieux de la causalité, empreint tantôt d’émotions [74], tantôt de considérations d’opportunités [75], le juge sait, régulièrement, être pragmatique [76] ou revenir à un certain « bon sens » [77] en se contentant d’une vraisemblance de causalité [78]. Néanmoins, marquée, du moins en France, d’une certaine défiance à l’encontre de la causalité scientifique [79], « la causalité exigée en matière de responsabilité civile n’est pas une causalité matérielle quelconque mais une causalité juridique » [80] comprise comme un rôle spécifique dans le déclenchement du dommage [81]. À ce titre, la Cour de cassation « se doit de contrôler la cohérence de la motivation qu’elle apprécie, mais aussi le bien-fondé du raisonnement conduisant à l’affirmation ou à la négation du rapport causal. On peut dire que le contrôle exercé en la matière est un contrôle étendu » [82]. Dans les hypothèses où le demandeur supporte le risque de preuve, les « véritables » présomptions – celles de fait et non de droit – ont un rôle plus rationnel à jouer [83]. Dans un environnement scientifique parfois incertain – la crise sanitaire en ayant fait une énième démonstration – une inégalité patente des armes – telle qu’une victime isolée, affaiblie, jetée dans le « ring du procès » face à une multinationale par exemple – peut conduire, en particulier avec les produits chimiques utilisés en médecine ou en agriculture, à une forme d’« intégrisme causal » [84] poussant la Cour de cassation à admettre une causalité « suffisante », plutôt que directe et certaine, cette dernière étant associée à un leurre [85]. Mis à part le traitement juridique particulier, suspect, que la Cour de cassation réserve à une partie du contentieux relatif au vaccin contre l’hépatite B en se refusant « à déduire, le cas échéant, le lien de causalité d’éléments propres à chaque espèce et tirés notamment d’indices tels que la proximité temporelle entre vaccination et apparition des premiers symptômes, ou absence d’autres causes probables tirées de la situation personnelle du patient » [86], il s’agit, plus largement, d’une politique jurisprudentielle qui cherche à protéger les justiciables essayant de faire valoir leurs demandes indemnitaires [87].
À ce titre, la cour d’appel avait admis le rôle causal du défaut du produit, lui-même assis sur les informations manquantes, dans la réalisation du dommage. Au soutien de son pourvoi, la demanderesse a soutenu que la cour d’appel aurait simplement constaté l’implication du produit dans le dommage et n’aurait pas établi le lien causal entre la défectuosité du produit et le dommage. Selon elle, la victime ne portait aucune protection alors que l’étiquetage préconisait le port d’un appareil de protection du visage et des yeux. À ce titre, pour la société Monsanto, il ne pouvait être établi aucun lien causal entre la défectuosité du produit liée au manque d’informations et le dommage puisque la victime n’avait même pas pris soin de respecter les quelques recommandations élémentaires qui figuraient bien sur le produit. Elle en concluait qu’en l’état, rien ne saurait établir que l’agriculteur aurait suivi les recommandations préconisant le port d’un appareil respiratoire si celles-ci avaient été apposées sur l’étiquette. En définitive, selon le producteur, le lien causal étant incertain [88], seule aurait pu être réparée la perte de chance d’éviter le dommage.
La première chambre civile de la Cour de cassation a néanmoins considéré que la cour d’appel n’avait pas dénaturé le rapport d’expertise et ne s’était pas seulement fondée sur l’implication du produit dans la survenue des troubles ressentis par l’agriculteur pour déduire l’existence d’un lien causal entre le défaut et le dommage subi par celui-ci [89]. À ce titre, selon la Haute Cour, les juges du fond ont préalablement retenu, d’une part, que les troubles présentés par la victime et constatés par le certificat médical initial et le stress post-traumatique ressenti sur le long terme étaient imputables à l’inhalation du Lasso, d’autre part, que ce produit était défectueux en en motivant au préalable les raisons. Puis les juges du fond ont relevé que cette inhalation est survenue accidentellement, lorsque, à l’issue d’une campagne d’épandage, l’intéressé a nettoyé la cuve de traitement, que la notice d’information du produit ne faisait apparaître ni la nécessité d’éviter l’inhalation de vapeurs et de réaliser en appareil clos toute opération industrielle ni celle de porter, dans ce cas, un appareil de protection respiratoire et de ne jamais procéder à des travaux sur ou dans des cuves et réservoirs contenant ou ayant contenu du chlorobenzène sans prendre les précautions d’usage, cette préconisation renvoyant à la recommandation de la fiche toxicologique relative au chlorobenzène [90]. Enfin, puisqu’il n’avait pas été soutenu en cause d’appel, la Cour de cassation a déclaré irrecevable le moyen nouveau soutenant que seule une perte de chance pourrait être retenue [91]. Il paraît étonnant que ce dernier moyen n’ait pas été soulevé en amont, ne serait-ce à titre très subsidiaire, car il paraît être le seul qui aurait peut-être pu avoir quelques chances de prospérer.
Enfin, dans son cinquième moyen divisé en trois branches, Monsanto invoque deux causes d’exonération : le risque de développement, spécifique à la responsabilité du fait des produits défectueux, et une cause d’exonération de droit commun, la faute de la victime. Après avoir tenté de démontrer que les conditions de sa responsabilité n’étaient pas réunies, la demanderesse essaye ainsi, au prix de deux ultimes arguments, d’en être libérée.
VI. L’exonération pour risque de développement
En vertu de l’article 1386-11, devenu l’article 1245-10 du Code civil (N° Lexbase : L0630KZD), la responsabilité du producteur est écartée lorsque « l’état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n’a pas permis de déceler l’existence du défaut ». C’est ce que l’on nomme l’exonération pour risque de développement [92]. La cour d’appel de Lyon avait rejeté cette cause d’exonération, au motif que les réglementations en vigueur s’agissant des produits phytopharmaceutiques, ainsi que la fiche toxicologique du produit établissent qu’au moment de la mise en circulation du produit, soit en juillet 2002, Monsanto avait toute latitude pour avoir connaissance du défaut du produit.
Ce raisonnement est contesté par la société Monsanto, à deux égards. D’abord, la société reproche à la cour d’appel d’avoir privé sa décision de base légale. Les éléments sur lesquels se sont fondés les juges du fond pour évaluer l’état des connaissances scientifiques et techniques seraient insuffisants. Dans la mesure où ni les réglementations mentionnées ni la fiche toxicologique ne faisaient mention des informations qui seraient omises sur l’emballage, la cour d’appel ne pouvait apprécier l’état des connaissances au regard de ces éléments. Ensuite, Monsanto reproche aux juges du fond de s’être placés en juillet 2002 afin d’apprécier l’état des connaissances scientifiques et techniques. En effet, selon la société, cet état doit s’apprécier au moment de la mise en circulation du produit. Or, la date de mise en circulation du produit ne serait pas juillet 2002, car cette date correspond à celle où le produit a été livré par un distributeur qui n’en était pas le producteur et non à celle où le producteur s’en est volontairement dessaisi.
Ces arguments ne convainquent pas la Haute juridiction, qui rejette l’argumentaire de Monsanto. Elle rappelle que, conformément à ce que décide la Cour de justice de l’Union européenne, l’état des connaissances scientifiques et techniques doit être apprécié objectivement, c’est-à-dire, plus précisément, selon le niveau le plus élevé des connaissances, indépendamment du secteur concerné [93].
Ainsi, en se fondant sur les réglementations en vigueur en matière de produits phytopharmaceutiques ainsi que sur la fiche toxicologique du produit, la cour d’appel s’est fondée sur des éléments objectifs, lui ayant permis de déduire à bon droit que Monsanto ne pouvait bénéficier de la faculté d’exonération pour risque de développement. De plus, selon la Cour de cassation, ces connaissances étaient accessibles au moment où le produit a été mis en circulation. La Haute juridiction relève que les juges du fond n’avaient pas à procéder à un nouvel examen de la date de mise en circulation du produit. Il ne faut en effet pas rechercher la date de mise en circulation réelle du produit, mais bien la date de mise en circulation telle que requise pour engager la responsabilité de celui qui serait assimilé au producteur. Autrement, la solution serait contre-productive : on protège d’abord la victime en lui permettant d’agir contre celui qui peut être assimilé au producteur, mais ensuite on permettrait à ce dernier de s’exonérer en démontrant qu’à la date de mise en circulation réelle, il ne pouvait avoir connaissance du défaut du produit. La date à prendre en compte est donc la date de mise en circulation retenue. Or, cette date a été fixée en juillet 2002 et la Cour de cassation a déjà approuvé la solution de la cour d’appel sur ce point [94]. L’argument est donc balayé.
La Cour de cassation rappelle ici une solution constante s’agissant de l’exonération du producteur pour risque de développement. De l’avis des auteurs et selon les indications jurisprudentielles, le risque de développement doit s’apprécier objectivement : il doit s’agir des connaissances scientifiques et techniques les plus avancées et non pas seulement de l’état des connaissances dans le seul secteur industriel concerné [95].
L’appréciation du risque de développement exonératoire obéit ainsi à une conception stricte : si seul l’état des connaissances dans le secteur concerné était pris en compte, cette cause d’exonération pourrait être invoquée avec trop de facilité, et ce d’autant plus si le domaine concerné est restreint [96]. C’est ainsi que cette cause d’exonération a été écartée dans une autre affaire médiatisée, celle du Médiator. Le laboratoire reprochait à la cour d’appel de s’être fondée sur la parenté du Médiator avec d’autres médicaments jugés dangereux. Pour le laboratoire, les juges ne pouvaient exclure l’exonération pour risque de développement au regard de connaissances techniques et scientifiques qui concernaient d’autres médicaments, et donc un autre secteur. La Cour de cassation a pourtant rejeté les arguments du laboratoire, confirmant ainsi l’appréciation stricte du risque de développement exonératoire [97].
Les connaissances techniques et scientifiques sont ainsi entendues objectivement et le risque de développement s’apprécie strictement, en ce que cet état des connaissances ne saurait se limiter au secteur concerné. Cette appréciation stricte peut s’expliquer par les réticences qui se sont fait entendre quant à la transposition en droit français du risque de développement comme cause d’exonération. Lors de la discussion au Parlement de la loi du 19 mai 1998, certains faisaient valoir que le risque de développement était difficilement assurable et que refuser cette cause d’exonération aux producteurs français les désavantagerait par rapport aux concurrents européens. D’autres considéraient que cette faculté d’exonération constituait un recul du droit des victimes [98]. En admettant cette cause d’exonération tout en ayant une appréciation stricte du risque de développement, l’on fait ainsi œuvre de compromis.
Ce rappel d’une solution constante par la Cour de cassation est à mettre en perspective avec le projet de réforme de la responsabilité civile, qui propose des modifications en matière de produits défectueux. De lege lata, l’exonération pour risque de développement est exclue si le dommage a été causé par un élément du corps humain, ou par un produit issu de celui-ci [99]. Cette exclusion s’explique par le contexte particulier dans lequel la législation sur les produits défectueux a vu le jour en France : marquée par l’affaire du sang contaminé, l’opinion publique n’aurait pas accepté que les fournisseurs puissent s’exonérer en invoquant le caractère indécelable de la vicissitude du sang [100]. De lege ferenda, le projet de réforme de 2017, dans son article 1298-1, propose d’aller plus loin : cette cause d’exonération serait également exclue concernant les produits de santé. La proposition de loi sénatoriale du 29 juillet 2020 ne reprend toutefois pas cette proposition [101]. Celle-ci s’étant heurtée à une résistance des laboratoires pharmaceutiques, elle constitue un sujet dit « bloquant », pour l’heure écarté [102]. Ce qu’il adviendra de la responsabilité du fait des produits défectueux avec le projet de réforme de la responsabilité est donc, pour l’heure, incertain. En rappelant une solution constante en matière d’exonération pour risque de développement, la Cour de cassation adopte ici une position de statu quo.
VII. La faute de la victime
Outre le risque de développement, Monsanto tente d’invoquer une cause d’exonération de droit commun, à savoir la faute de la victime, que le producteur peut soulever afin de voir sa responsabilité réduite ou supprimée conformément à l’article 1386-13, devenu 1245-12 du Code civil. En tant que cause d’exonération de droit commun, elle a été invoquée par Monsanto tout au long de la procédure, y compris lorsque sa responsabilité était recherchée sur le fondement de la responsabilité du fait personnel [103]. La cour d’appel de renvoi a écarté cet argument au motif que la cause exclusive du dommage subi par ce dernier résidait dans le manque d’information sur le produit et ses effets nocifs, un exploitant agricole n’étant pas, par nature, un chimiste. Monsanto conteste ce raisonnement. En effet, la cour d’appel a relevé que s’il est vrai que n’importe quel utilisateur normalement vigilant sait qu’il n’est pas raisonnable d’inhaler un désherbant, il peut penser que le port d’un appareil de protection des yeux et du visage est suffisant alors que ce n’est pas le cas. Or, l’agriculteur ne portait aucune protection du visage lorsqu’il a inhalé le produit. Par conséquent, Monsanto affirme que l’agriculteur a bel et bien commis une faute à l’origine de son propre dommage. Encore une fois, la Haute juridiction ne suit pas l’argumentation. Elle considère que la cour d’appel a pu déduire que la faute alléguée par la société était sans lien de causalité avec le dommage car, même si l’agriculteur avait porté une protection, celle-ci aurait de toute façon été inefficace à le protéger, en l’absence de protection respiratoire. La protection recommandée par Monsanto était désuète en effet. Ainsi, pour la Cour de cassation, la faute de la victime n’est pas de nature à exonérer Monsanto.
La Haute Cour approuve, ainsi, la solution des juges du fond et rejette le cinquième moyen pris en sa troisième branche. Pour comprendre cette approbation, il faut préciser brièvement ce qu’est le lien de causalité : il est l’élément qui relie un fait (fautif ou non) au dommage. Techniquement, le comportement de la victime est donc toujours l’une des causes du dommage. Elle participe nécessairement à la réalisation de son propre dommage, puisque c’est parce qu’elle est présente à un moment donné dans un endroit donné qu’un dommage survient. Ainsi, de fait, l’agriculteur, en utilisant un désherbant et en l’inhalant, participe à son propre dommage, que son comportement soit fautif ou non. Toutefois, pour exonérer le défendeur de sa responsabilité, l’on exige la démonstration d’une faute de la victime car, autrement, son indemnité serait systématiquement réduite. Mais cette exigence relève davantage d’un ajustement, ultérieur à la caractérisation de la causalité, destiné à protéger la victime au stade de l’imputabilité : il ne faut lui « reprocher » son propre fait que si ce dernier est fautif. Cela permet de préserver son droit à indemnisation.
Dès lors, en l’espèce, l’on comprend que la question de la caractérisation de la faute ne soit pas centrale. En effet, la Cour de cassation décide que la cour d’appel a pu déduire que la faute de l’agriculteur, alléguée par Monsanto, était sans lien de causalité avec le dommage. La Haute juridiction se prononce ainsi sur le rejet du lien de causalité, mais elle n’apporte pas de précisions sur la caractérisation de la faute, renvoyant à la faute simplement « alléguée » par Monsanto et opérant un contrôle de motivation léger. Finalement, l’on ne sait pas avec certitude si l’agriculteur a adopté un comportement fautif ou non ; en revanche, l’on sait que le lien de causalité n’est pas caractérisé. La décision se comprend puisqu’à ce stade, la Haute juridiction ayant exclu l’existence d’un lien causal, il n’y a pas lieu de procéder à l’imputabilité et donc de rechercher la faute de la victime. La Cour de cassation peut se détacher de la qualification de la faute, dès lors qu’elle a déjà confirmé l’absence de causalité. D’aucuns pourraient considérer qu’il n’y a pas nécessairement un grief technique à l’égard de la Cour de cassation sur ce point.
Néanmoins, la décision est-elle à l’abri de toute critique ? S’il n’est pas nécessaire de rechercher la faute de la victime lorsque le lien de causalité est exclu, encore faut-il s’assurer que le fait de la victime ne soit pas en lien avec le dommage. Or, ici, le fait d’exclure tout lien de causalité entre le dommage subi et le comportement de l’agriculteur ne va pas nécessairement de soi. En l’espèce, l’inhalation du produit par la victime lors de son utilisation constitue bien un fait à l’origine du dommage. De fait, il existe bien un lien entre le fait de la victime et le dommage qu’elle subit. Si l’agriculteur n’avait pas utilisé et inhalé le « Lasso », il n’aurait pas déclaré de pathologies. L’absence de lien causal n’est pas si certaine – du moins si l’on retient cette acception de la causalité.
À cet égard, la solution de la Cour de cassation peut être discutée. À considérer que le lien causal peut être établi, la question de l’imputabilité pouvait se poser : la nécessité de caractériser la faute de la victime resurgit. L’étape de l’imputabilité est incontournable, une fois le lien entre le fait de la victime et le dommage caractérisé ; elle est d’autant plus cruciale que la faute de la victime n’était pas totalement exclue en l’espèce. Sans être chimiste, l’on pourrait considérer qu’il n’est pas normalement raisonnable d’utiliser un désherbant chimique sans porter aucun équipement de protection. Les juges du fond relèvent que « tout utilisateur normalement vigilant sait qu’il est déraisonnable d’inhaler un désherbant tel que le Lasso » [104]. Entendue selon une appréciation objective [105], la faute de la victime peut se discuter. L’agriculteur a-t-il adopté le comportement d’une personne raisonnable en utilisant du « Lasso » sans aucune protection ? Il n’était donc pas si évident que Monsanto ne puisse pas s’exonérer en invoquant une faute de la victime. Si l’on veut bien admettre que le lien de causalité est le rapport entre le fait – et non la faute – de la victime et le dommage, il devait ici être établi. Le cas échéant, l’étape de l’imputabilité ne pouvait être ignorée : la faute de la victime aurait dû être appréciée.
Avec cette solution, nul doute que la Cour de cassation était attendue au tournant, en raison de l’importante médiatisation à laquelle cette affaire a donné lieu. En rappelant chaque point de la responsabilité du fait des produits défectueux et en excluant toute possibilité pour Monsanto de s’exonérer, la Haute juridiction ne chercherait-elle pas à faire passer un message aux entreprises qui mettent sur le marché certains produits chimiques ? Si ces produits causent des dommages, leur responsabilité peut être engagée et il ne sera pas si aisé de s’en libérer. Finalement, c’est bien David qui l’emporte contre Goliath. Au-delà du symbole, est-ce une victoire suffisante pour éviter, d’aventures, de telles pratiques commerciales ? Alors que la réforme de la responsabilité civile est en cours devant le Parlement, d’aucuns pourraient espérer qu’y soit intégrée – plutôt que retirée, manu militari, du débat parlementaire [106] – une forme de faute lucrative ou d’amende civile transcendant tous les régimes de responsabilité qui permette d’assigner clairement à la responsabilité civile un double rôle : indemnitaire, dans la continuité, mais aussi susceptible de répondre efficacement aux géants financiers seuls soucieux des intérêts à court terme de leurs actionnaires, en d’autres termes monétairement punitif, là où la restriction des qualifications pénales ne permet pas suffisamment à la responsabilité pénale d’assumer ce rôle. Car cumulés, tous les péchés ne sauraient être pardonnés !
[1] C. Boutelet, Pourquoi Bayer rachète Monsanto, Le Monde.fr, 15 septembre 2016 : « Le futur numéro un mondial des semences et pesticides entend contrôler toute la chaîne agricole ». – Adde C. Boutelet, Bayer : le rachat de Monsanto vire au cauchemar, Le Monde.fr, 29 mars 2019. - C. Boutelet, Roundup : Bayer va verser 10 milliards de dollars pour faire cesser les poursuites mais ne reconnaît aucune faute, Le Monde.fr, 25 juin 2020 : « Bayer a annoncé, mercredi 24 juin au soir, une avancée majeure dans ses déboires judiciaires aux États-Unis. Le groupe agrochimique et pharmaceutique allemand, qui a racheté l’américain Monsanto en 2018, a négocié un accord monumental avec les milliers de plaignants avec qui il était en procès dans l’affaire du glyphosate, un herbicide commercialisé par Monsanto sous le nom de Roundup. Cet accord “mettra un terme à environ 75 % des litiges” impliquant ce produit, “qui concernent environ 125 000 plaintes au total”, a déclaré Bayer dans un communiqué. Bayer s’est engagé à verser entre 10,1 milliards et 10,9 milliards de dollars (entre 9 milliards et 9,7 milliards d’euros) en échange de l’abandon des poursuites, et les éventuels litiges à venir sont désormais encadrés. Bayer a également soldé les poursuites sur deux autres dossiers attachés à Monsanto : le pesticide Dicamba et la pollution au polychlorobiphényle (PCB) dans l’eau. Pour le groupe allemand, cet accord représente la fin d’un feuilleton judiciaire qui a gravement terni sa crédibilité et son image depuis deux ans. L’accord annoncé mercredi prévoit une solution pour environ 75 % des plaintes liées au Roundup. Bayer a précisé que les 25 % restants seraient réglés dans les mois prochains. Une somme de 8,8 milliards à 9,6 milliards de dollars doit être distribuée aux plaignants contre l’abandon des poursuites en cours ; 1,25 milliard de dollars est réservé pour les plaignants à venir ».
[2] Roundup : Bayer condamné à payer 2 milliards de dollars à un couple américain, Le Monde avec AFP et Reuters, 13 mai 2019 : « c’est le troisième jugement d’affilée que perd Bayer aux États-Unis dans le dossier de l’herbicide controversé, qui doit faire face à plus de 13 400 actions en justice outre-Atlantique. En août 2018, c’était un tribunal de l’État de Californie qui avait condamné la firme agrochimique à verser 289 millions de dollars (253 millions d’euros) à Dewayne Johnson, un jardinier également atteint d’un LNH ».
[3] J.-M. Pastor, Glyphosate vs principe de précaution, sous TA Lyon, 15 janvier 2019, n° 1704067, Dalloz Actualité, 18 janvier 2019 : « Dès lors, malgré les précautions d’emploi fixées par la décision attaquée (qui préconise un délai minimal de 7 à 21 jours entre le traitement des cultures et la récolte et une distance de sécurité de cinq mètres pour les zones aquatiques adjacentes non traitées), “l’utilisation du Roundup Pro 360, autorisée par la décision attaquée, porte une atteinte à l’environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé”. Par conséquent, l’ANSES a commis une erreur d’appréciation au regard du principe de précaution défini par l’article 5 de la charte de l’environnement en autorisant le Roundup Pro 360 malgré l’existence de ce risque. La décision du 6 mars 2017 autorisant la mise sur le marché de ce produit est donc annulée ».
[4] J.-M. Pastor, op. cit., Dalloz Actualité, 18 janvier 2019.
[5] J.-M. Pastor, op. cit., Dalloz Actualité, 18 janvier 2019.
[6] M.-C. de Montecler, Le retour des néonicotinoïdes est acté par le Parlement, Dalloz Actualité, 6 novembre 2020.
[7] Projet de loi relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières [en ligne].
[8] Néonicotinoïdes : le Parlement autorise leur réintroduction pour sauver la filière betterave, Le Figaro avec AFP, le 4 novembre 2020.
[9] Ibid..
[10] Tribunal de Grande Instance Lyon, 13 février 2012, n° 07/07363, M. F. c/ Sté Monsanto agriculture France SAS ; cf. C. Quézel-Ambrunaz, Monsanto pris au “Lasso” du droit commun de la responsabilité civile, Gaz. Pal., 3 mai 2012, p. 5 : « La solution du tribunal mérite sans doute d’être approuvée, à tout le moins sur le principe de la responsabilité. Elle démontre de manière éclatante que la multiplication des régimes spéciaux n’est absolument pas nécessaire à la juste protection des victimes. À l’heure où, à l’échelle nationale comme européenne, il est question de réformer, d’harmoniser ou de recodifier le droit de la responsabilité civile, cela doit rester à l’esprit ».
[11] Cass. mixte, 7 juillet 2017, n° 15-25.651 (N° Lexbase : A8305WL8), Dalloz Actualité, 17 juillet 2017, obs. T. de Ravel d’Esclapon ; D. 2017. 1800, communiqué C. cass., note M. Bacache ; ibid. 2018. 35, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel‑Ambrunaz ; ibid. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD civ. 2017. 829, obs. L. Usunier ; ibid. 872, obs. P. Jourdain ; ibid. 882, obs. P.-Y. Gautier ; RTD eur. 2018. 341, obs. A. Jeauneau.
[12] Cass. mixte, 7 juillet 2017, préc. ; D. Bakouche, L’obligation pour le juge d’examiner d’office l’applicabilité au litige de la responsabilité du fait des produits défectueux, Lexbase, Droit privé, n° 710, septembre 2017 (N° Lexbase : N9912BWZ).
[13] CA Lyon, 11 avril 2019, n° 17/06027 (N° Lexbase : A2818Y9A) ; J.-M. Denieul, « Monsanto s’est pris les pieds dans le Lasso » : condamnation sur le fondement du régime spécial d’indemnisation des victimes de produits défectueux, Lexbase, Droit privé, n° 784, mai 2019 (N° Lexbase : N9057BXQ). – T. Coustet, Monsanto jugé responsable de l’intoxication d’un agriculteur, Dalloz Actualité, 3 mai 2019.
[14] C. civ., art. 1245-10, 1° (N° Lexbase : L0630KZD).
[15] Loi n° 98-389 du 19 mai 1998, relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, art. 21 (N° Lexbase : L2448AXX).
[16] O. Sabard, La mise en circulation et ses effets, Resp. civ. et assur., n° 1, janvier 2016, dossier 9.
[17] CJCE, 9 février 2006, aff. C-127/04 (N° Lexbase : A7245DMB).
[18] Cass. civ. 1, 20 septembre 2017, n° 16-19.643, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3786WSZ).
[19] Voir, par exemple, L. Neyret, La défectuosité : nouvel enjeu du contentieux du vaccin contre l’hépatite B, D., 2006, p. 1273 ; O. Sabard, op. cit. ; G. Viney, La responsabilité du producteur du Mediator, D., 2017, p. 2284 ; C. Corgas‑Bernard, L’affaire du Mediator devant la Cour de cassation, acte II, Lamy Droit civil, n° 153, 1er novembre 2017 ; J.‑S. Borghetti, La Cour de cassation rejette l’exonération pour risque de développement dans un litige relatif au Mediator, JCP G, n° 46, 13 novembre 2017, 1186.
[20] C. civ., art. 1245-15 (N° Lexbase : L0635KZK) ; Directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985, art. 10.
[21] G. Viney, La responsabilité du producteur du Mediator, note sous Cass. civ. 1, 20 septembre 2017, n° 16-19.643, D., 2017, p. 2284.
[22] Cf. infra, IV.
[23] Cass. civ. 1, 21 octobre 2020, n° 19-18.689, point 7.
[24] Cf. supra, I.
[25] CJUE, Grande chambre, 2 décembre 2009, aff. C 358/08, SA Aventis Pasteur c/ OB, (N° Lexbase : A2771EPC), D., 2010, p. 624, note J.‑S. Borghetti ; JCP G., 2010, n° 456, obs. Ph. Stoffel-Munck ; RTD civ., 2010, p. 340, obs. P. Jourdain.
[26] C. civ., art. 1245-5 al. 2nd, 1° (N° Lexbase : L0625KZ8).
[27] Voir, par exemple, C. civ., art. 1245 (N° Lexbase : L0945KZZ) ; C. civ., art. 1245-4 (N° Lexbase : L0624KZ7) ; C. civ., art. 1245-5 ; C. civ., art. 1245‑6 (N° Lexbase : L0626KZ9).
[28] La Cour de cassation indique « que le demandeur doit préalablement établir que le dommage est imputable au produit ». Pour une distinction entre les termes causalité, imputation et imputabilité, voir J. Fischer, Causalité, imputation, imputabilité : les liens de la responsabilité civile, in Mélanges offerts à Ph. le Tourneau (dir.), Dalloz, 2008, p. 283 et s.
[29] Voir F. G’sell-Macrez, Recherches sur la notion de causalité, thèse Paris I, 2005, n° 374 : « Il faut donc identifier le fait du produit de manière à ce que l’on puisse dire que le fait, pour ce produit, de présenter une telle caractéristique, a provoqué le dommage. (…) Il convient ici d’isoler une caractéristique permanente, inhérente au produit : composition, principe actif, mode de fonctionnement, etc. » (souligné par l’auteur).
[30] Sur la nécessité de contrôler cette condition, voir J.‑S. Borghetti, L’implication du produit dans la réalisation du dommage, condition méconnue de la responsabilité du fait des produits, RDC, 1er mars 2010, no 2, p. 619. – Contra, voir Ph. Brun, La responsabilité civile extracontractuelle, 5e éd., 2018, n° 251 : « Cette exigence parfois nommée “imputabilité du dommage à l’administration du produit”, ou “participation du produit à la survenance du dommage”, curieux démembrement de la causalité, a tout d’un avatar d’une causalité scientifique triomphante, prévalence d’autant plus suspecte que la jurisprudence judiciaire n’en est nullement coutumière ».
[31] Voir les positions divergentes des juges du fond concernant l’établissement du lien causal entre le vaccin contre l’hépatite B et les symptômes de la sclérose en plaques : CA Versailles, 2 mai 2001, n° 98/06839 (N° Lexbase : A3586ATY), RTD civ., obs. P. Jourdain ; TGI Lyon, 28 avril 2003, n° 99/07916, n° 99/09696, n° 02/00030 ; JCP G, 2003, II, 10166, note P. Mistretta. Quant à la Cour de cassation, elle a considéré que les juges du fond auraient dû rechercher la causalité scientifique pour établir le lien causal entre le produit et le dommage (Cass. civ. 1, 23 septembre 2003, no 01‑13.063 (N° Lexbase : A5811C94) et Cass. civ., 1, 24 janvier 2006, no 03-19.534, FS-P+B N° Lexbase : A6043DMR).
[32] Cass. civ. 1, 22 mai 2008, n° 05-20.317, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7001D8S) et n° 06-10.967, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7005D8X) ; Cass. civ. 1, 9 juillet 2009, n° 08-11.073, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7250EID) ; Cass. civ. 1, 18 octobre 2017, n° 15-20.791, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0214WWT). Plus généralement, sur cette évolution, voir J. Revel, « Produits défectueux », fasc. 20, art. 1386-1 à 1386-18, J.‑Cl. Civ. Code, 27 mai 2019, n° 17 et G. Viney, La responsabilité des fabricants de médicaments et de vaccins : les affres de la preuve, D., 2010, p. 391.
[33] Cass. civ. 1, 9 juillet 2009, n° 08-11.073, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7250EID) ; CA Versailles, 30 avril 2004, D., 2004, jur. 2071, note A. Gossement.
[34] CA Versailles, 2 mai 2001, D., 2001, p. 1592 ; RTD civ., 2001, p. 891, obs. P. Jourdain.
[35] CE, 24 juin 2009, RD sanit. soc., 2009, p. 962, obs. D. Cristol ; CA Versailles, 2 mai 2001, op. cit., loc. cit.
[36] Cass. civ. 1, 9 juillet 2009, n° 08-11.073, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7250EID) : « Qu’ayant (…) relevé que les premières manifestations de la sclérose en plaques avaient eu lieu moins de deux mois après la dernière injection du produit ; que ni Mme X... ni aucun membre de sa famille n’avaient souffert d’antécédents neurologiques, et que dès lors aucune autre cause ne pouvait expliquer cette maladie, dont le lien avec la vaccination relevait de l’évidence selon le médecin traitant de Mme X..., la cour d’appel, qui a souverainement estimé que ces faits constituaient des présomptions graves, précises et concordantes, a pu en déduire un lien causal entre la vaccination de Mme X..., et le préjudice subi par elle ».
[37] En ce sens, voir J. Revel, « Produits défectueux », op. cit., loc. cit.
[38] J. Normand, Le juge et le litige, Th. Lille, Bibliothèque de droit privé, Tome 65, L.G.D.J., 1965, p. 371.
[39] Par exemple, la Cour de cassation retient que le juge n’est pas tenu de respecter le critère objectif de pluralité des indices contrairement à ce que semble imposer le texte. Voir, par exemple, Cass. civ. 3, 28 novembre 1972, n° 71‑12.044 (N° Lexbase : A3767CKQ), p. 469.
[40] En ce sens, voir notamment T. Le Bars, La théorie du fait constant, JCP G., 1999, I, 178, p. 1969, spéc. p. 1971. – Adde : J. Normand, Le juge peut-il tenir pour non établi un fait allégué et non contesté ?, RTD civ, 1992, p. 447, spéc. p. 449 ; A. Bergeaud, Le droit à la preuve, Th. Bordeaux, Bibliothèque de droit privé, Tome 525, LGDJ, 2010, pp. 306 et 307. – Voir également Cass. civ. 2, 10 mai 1991, n° 89‑10.460 (N° Lexbase : A4281AHZ).
[41] G. Viney, La responsabilité des fabricants de médicaments et de vaccins : les affres de la preuve, D., 2010, p. 391.
[42] J.-L. Mouralis, Preuve : modes de preuve, Rép. Droit civil, Dalloz, janv. 2011, n° 615 (ancienne version).
[43] À propos des garanties encadrant le plerumque fit, voir F. Viney, La personne raisonnable, Contribution à l’étude de la distinction des standards normatifs et descriptifs, th. Paris I, dir. G. Loiseau, 2013, pp. 156 et s.
[44] Cass. civ. 1, 21 octobre 2020, n° 19-18.689, point 23.
[45] C. consom., art. L. 421-3 (N° Lexbase : L1081K78).
[46] Par application anticipée du texte : Cass. civ. 1, 28 avril 1998, n° 96-20.421 (N° Lexbase : A2844ACC).
[47] Cass. civ. 1, 21 octobre 2020, n° 19-18.689, point 24.
[48] Cass. civ. 1, 21 octobre 2020, n° 19-18.689, point 24.
[49] Cass. civ. 1, 21 octobre 2020, n° 19-18.689, point 25.
[50] Cass. civ. 1, 27 juin 2018, n° 17-17.469, FS-P+B (N° Lexbase : A5679XUU) ; Cass. civ. 1, 29 mai 2013, n° 12-20.903, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3723KEM) ; Cass. civ. 1, 22 octobre 2009, n° 08-15.171, F-D (N° Lexbase : A2640EMQ).
[51] Le projet de réforme de la responsabilité de 2017 reprenait, à l’article 1292, cette même définition.
[52] Ph. le Tourneau, Responsabilité des vendeurs et fabricants, 4ème éd., 2012/2013, Dalloz référence. – Ph. Brun, Le défaut du produit, RCA, 2016, dossier n° 10. – J.-S. Borghetti, note sous Cass. civ. 1, 26 septembre 2012, no 11-17.738, FS-P+B+I (N° Lexbase : A6301ITK) D., 2012, p. 2853.
[53] Cass. civ. 1, 27 novembre 2019, n° 18-16.537, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3461Z4X), Dalloz Actualité, 17 décembre 2019, obs. S. Hortala.
[54] Cass. civ. 1, 22 novembre 2007, n° 06-14.174, F-P+B (N° Lexbase : A7100DZY) ; D. 2008. Pan. 2894, obs. Ph. Brun et P. Jourdain ; RCA 2008, Comm. no 30, obs. C. Radé ; CCC 2008, Comm. no 64, obs. L. Leveneur ; RDC 2008. 306, obs. J.-S. Borghetti ; JCP G, 2008. I. 125, obs. Ph. Stoffel-Munck. – Dans le même sens, Cass. civ. 1, 25 juin 2009, no 08‑12.632, FS-D (N° Lexbase : A4171EIC), RDC, 2010. 621, note J.-S. Borghetti : « Qu’en se déterminant ainsi, quand le produit, eu égard à la gravité des effets nocifs constatés dont ni la notice d’information remise au praticien ni la brochure publicitaire destinée à la patiente ne faisaient état, n’offrait pas, dans ces circonstances, la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s’attendre, alors même qu’il avait fait l’objet d’un certificat de libre vente, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».
[55] Cass. civ. 1, 9 juillet 2009, n° 08-11.073, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7250EID), D. 2010. Pan. 49, obs. Ph. Brun ; JCP 2009. 308, note P. Sargos ; RTD civ. 2009. 723 et 735, obs. P. Jourdain ; RCA 2009. Étude 13, note C. Radé ; RDC 2010. 79, note J.‑S. Borghetti.
[56] Cass. civ. 1, 4 février 2015, n° 13-19.781 (N° Lexbase : A2454NBI).
[57] Cass. civ. 1, 7 novembre 2006, n° 05-11.604, F-P+B (N° Lexbase : A2977DS3).
[58] Cass. civ. 1, 26 septembre 2018, n° 17-21.271, FS-P+B (N° Lexbase : A1962X88), Dalloz actualité, 26 septembre 2018, obs. A. Hacene.
[59] Cass. civ. 1, 5 avril 2005, n° 02-11.947 (N° Lexbase : A7474DHB), n° 02-12.065 (N° Lexbase : A7474DHB), D. 2006. Pan. 1929, obs. Ph. Brun et P. Jourdain ; JCP 2005. I. 149, nos 7 s., obs. G. Viney ; RCA 2005, comm. n° 189, obs. C. Radé : « Attendu qu’en statuant ainsi sans rechercher si, au regard des circonstances et notamment de la présentation du produit, de l’usage que le public pouvait raisonnablement en attendre, du moment de sa mise en circulation et de la gravité des effets nocifs constatés, le produit était défectueux, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés ». – Comp. CA Paris, 23 septembre 2004, n° 02/16713, D. 2005. 1012, note Gorny ; Cass. civ. 1, 8 novembre 2007, no 06‑15.873, FS-P+B (N° Lexbase : A4175DZN), D. 2008. Pan. 2896, obs. Ph. Brun.
[60] CJUE, 5 mars 2015, aff. C-503/13 (N° Lexbase : A6837NC9), D. 2015. 2283, obs. M. Bacache ; D. 2015. 1247, note J.‑S. Borghetti ; RTD civ. 2015. 406, obs. P. Jourdain ; RDC 2015. 466, note G. Viney. – Comp. J. Traullé, Les dommages réparables, RCA 2016, dossier no 4.
[61] Cf. supra, III.
[62] F. G'sell-Macrez, Recherches sur la notion de causalité, thèse Paris I, 2005, n° 373.
[63] Sur la notion, cf. ex. multis : Ph. Malaurie, P. Morvan, Introduction au droit, LGDJ, Lextenso éd., 8ème éd., 2020, nos 161 et s..
[64] Cass. civ. 1, 21 octobre 2020, n° 19-18.689, point 29.
[65] Cass. civ. 1, 27 juin 2018, n° 17-17.469, FS-P+B (N° Lexbase : A5679XUU), Dalloz Actualité, 27 juillet 2018, obs. A. Hacene ; Cass. civ. 1, 29 mai 2013, n° 12- 20.903,FS-P+B+I (N° Lexbase : A3723KEM).
[66] P. Ancel, Droit des obligations, Dalloz, coll. « Séquences », 2e éd., 2020, p. 440.
[67] Par exemple : si la victime n’arrive pas à démontrer que la maladie et les dommages qui en découlent trouvent leur cause dans l’administration du vaccin, le lien de causalité fait défaut et, ainsi, la responsabilité pour faute du praticien ne peut être enclenchée : Cass. civ. 1, 14 novembre 2018, n° 17-27.980, FS-P+B (N° Lexbase : A7905YLD), Dalloz Actualité, 11 décembre 2018, obs. A. Hacene et M. Kebir.
[68] Cass. civ. 1, 22 mai 2008, deux arrêts, n° 05-20.317 (N° Lexbase : A7001D8S) et n° 06-10.967 (N° Lexbase : A7005D8X).
[69] CJUE 21 juin 2017, aff. C-621/15, Sanofi Pasteur c. CPAM Hauts-de-Seine (N° Lexbase : A1281WKN) ; D. 2017. 1807, note J.-S. Borghetti ; JCP G 2017, n° 908, obs. G. Viney ; RCA 2017. Focus 19, obs. L. Bloch. – Ph. Brun et C. Quézel-Ambrunaz, Preuve de la causalité et incertitude scientifique : la contribution substantielle de la CJUE, RLDC, 2017/151, n° 6339, p. 21 et s..
[70] Cf. notamment F. Leduc, Le lien de causalité, RCA, 2016, dossier n° 11. – F. Rome, Pitié pour les victimes !, D., 2010. Édito 2825. – Ph. Brun, Raffinements ou faux-fuyants ? Pour sortir de l’ambiguïté dans le contentieux du vaccin contre le virus de l’hépatite B, D., 2011. Doctr. 316. – Comp. C. Radé, Causalité juridique et causalité scientifique : de la distinction à la dialectique, D., 2012. Doctr. 112.
[71] Cass. civ. 1, 18 octobre 2017, deux arrêts, n° 14-18.118 (N° Lexbase : A0213WWS) et n° 15-20.791, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0214WWT).
[72] En ce sens, P. Jourdain, Responsabilité des fabricants de vaccin contre l’hépatite B : y aurait-il du nouveau ?, note sous Cass. civ. 1, 29 mai 2013, no 12-20.903, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3723KEM), RTD civ., 2013, p. 625.
[73] C. Quézel-Ambrunaz, Essai sur la causalité en droit de la responsabilité civile, préface Ph. Brun, th. Dalloz, 2010, n° 289 : citant Cass. civ. 1, 24 janvier 2006, n° 03-20.178, FS-P+B (N° Lexbase : A6044DMS), JCP G 2006, II, 10082, note L. Grynbaum.
[74] P. Eismein, Le nez de Cléopâtre ou les affres de la causalité, D. 1964. chron. 205.
[75] Ph. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, LexisNexis, 5e éd., 2018, n° 246.
[76] B. Starck, H. Roland, L. Boyer, Obligations, t.1, Responsabilité délictuelle, Litec, 5e éd., 1996, n° 1077.
[77] R. Demogue, Traité des obligations en général, t. VI, Librairie Arthur Rousseau Rousseau et Cie, 1931, n° 271.
[78] J. Fischer, Causalité, imputation, imputabilité : les liens de la responsabilité civile, in Mélanges offerts à Ph. le Tourneau (dir.), Dalloz, 2008, p. 283 et s..
[79] C. Radé, Causalité juridique et causalité scientifique, D. 2012. 112.
[80] Ph. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, LexisNexis, 5e éd., 2018, n° 248.
[81] P. Ancel, Droit des obligations, Dalloz, coll. « Séquences », 2e éd., 2020, p. 423.
[82] Ph. Brun, op. cit, LexisNexis, 5e éd., 2018, n° 248, in fine.
[83] Ph. Brun, Les présomptions dans le droit de la responsabilité civile, dir. N. Dejean de La Bâtie, th. Université de Grenoble, 1993.
[84] M. Girard, L’intégrisme causal, avatar de l’inégalité des armes ?, D. 2005. 2620.
[85] P. Sargos, La certitude du lien de causalité en matière de responsabilité est-elle un leurre dans le contexte d’incertitude de la médecine ? La causalité en matière de responsabilité ou le “droit Schtroumpf”, D. 2008. 1935.
[86] Ph. Brun, op. cit, LexisNexis, 5e éd., 2018, n° 251.
[87] Ph. Pierre, Les présomptions relatives à la causalité, in Les distorsions du lien de causalité en droit de la responsabilité, Actes du colloque de l’Université de Rennes, 15 et 16 décembre 2006, RLDC, juill.-août 2007, suppl. n° 40, p. 39 et s..
[88] La société Monsanto fondait son argumentation sur un rapport d’expertise mettant en exergue que le lien causal entre l’intoxication et les troubles ultérieurs n’était qu’incertain.
[89] Cass. civ. 1, 21 octobre 2020, n° 19-18.689, point 31.
[90] Cass. civ. 1, 21 octobre 2020, n° 19-18.689, point 30.
[91] Cass. civ. 1, 21 octobre 2020, n° 19-18.689, point 32.
[92] En ce sens, voir C. Caillé, Responsabilité du fait des produits défectueux, Rép. Droit civil, Dalloz, juin 2018, n° 79.
[93] CJCE, 29 mai 1997, aff. C-300/95 (N° Lexbase : A2009AIA), D., 1998, p. 488, note A. Penneau ; JCP G 1997, I, 4070, n° 31, obs. G. Viney.
[94] Cf. supra, I.
[95] En ce sens, J. Ghestin, Le nouveau titre IV bis du livre III du code civil “ De la responsabilité du fait des produits défectueux ”. L’application en France de la directive sur la responsabilité du fait des produits défectueux après l’adoption de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998, JCP G, 1998, I, 148.
[96] En ce sens, C. Caillé, op.cit., n° 82.
[97] Cass. civ. 1, 20 septembre 2017, n° 16-19.643, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3786WSZ), D., 2017, 2284, note G. Viney ; JCP G, 2017, 1186, note J.-S. Borghetti.
[98] Sur ces réticences, voir J.-S. Borghetti, La responsabilité du fait des produits, Étude de droit comparé, LGDJ, 2004, p. 520.
[99] C. civ., art. 1245-11 (N° Lexbase : L0631KZE).
[100] Sur cet aspect, voir J-S. Borghetti, op.cit., loc.cit. Il fallait en effet préserver la solution récente de la Cour de cassation, qui avait considéré que le caractère indécelable du caractère vicié du sang était sans incidence sur la responsabilité du fournisseur, Cass. civ. 1, 12 avril 1995, n° 92-20.747 (N° Lexbase : A4877ACM), JCP G, 1995, II, 22467, note P. Jourdain.
[101] Proposition de loi du 29 juillet 2020, n° 678, Sénat, présentée par MM. Ph. Bas, J. Bigot et A. Reichardt, Sénateurs [en ligne].
[102] Voir nos réflexions sur ce point, E. Petitprez et R. Bigot, Du projet de réforme de la responsabilité civile du 13 mars 2017 à la proposition de loi du 29 juillet 2020 – Tableau comparatif, Lexbase Droit privé, no 840, octobre 2020 (N° Lexbase : N4873BY7).
[103] C. Quézel-Ambrunaz, Monsanto pris au “Lasso” du droit commun de la responsabilité civile, Gaz. Pal., n° 124, p. 5, sur le jugement du TGI de Lyon du 13 février 2012 ; H. Seillan, Affaire Monsanto : obligation d’information du fabricant de produits chimiques, D., 2015, p. 2247, sur l’arrêt de la CA de Lyon du 10 septembre 2015.
[104] Cass. civ. 1, 21 octobre 2020, n° 19-18.689, point 39.
[105] La faute de la victime est en effet appréciée de la même manière que la faute du défendeur. En ce sens, dans les arrêts d’Assemblée plénière du 9 mai 1984 qui ont consacré une appréciation objective de la faute civile en abandonnant l’exigence de discernement, il était question d’une faute de la victime, en l’occurrence un mineur. Il a été admis que les juges du fond n’étaient pas tenus de vérifier si le mineur était capable de discerner les conséquences de ses actes pour diminuer son droit à réparation car il avait commis une faute ayant conduit à la réalisation de son propre dommage, Ass. Plén., 9 mai 1984, deux arrêts, n° 80-90.439 (N° Lexbase : A7962AA7), et n° 80-93.031 (N° Lexbase : A7961AA4), JCP G, 1984, II 20256, note P. Jourdain ; D. 1984, p. 525, note F. Chabas.
[106] E. Petitprez et R. Bigot, Du projet de réforme de la responsabilité civile du 13 mars 2017 à la proposition de loi du 29 juillet 2020 – Tableau comparatif, Lexbase, Droit privé, n° 840, octobre 2020 (N° Lexbase : N4873BY7).
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