Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 5 juin 2020, n° 423809, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A06633NU)
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par Fleur Chidaine, Avocate au Barreau de Saint-Denis, La Réunion, Séraphin et associés
le 17 Juillet 2020
Par décision du 5 juin dernier, le Conseil d’État est venu rappeler que la société mère européenne bénéficiaire de dividendes qui souhaite appliquer l’exonération prévue par l’article 119 ter du Code général des impôts (N° Lexbase : L3837KWZ) doit justifier être le bénéficiaire effectif desdits dividendes.
L’article 119 ter du Code général des impôts (N° Lexbase : L3837KWZ) prévoit que les dividendes distribués par une société française à une société mère ayant son siège dans un Etat de l’Espace Économique Européen sont sous certaines conditions exonérés de retenue à la source. Des conditions spécifiques sont prévues pour les sociétés mère ne pouvant imputer la retenue à la source dans leur état de résidence et par les Conventions fiscales internationales.
Cette exonération légale prend sa source dans la Directive 90/435/CEE, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mère et filles d’États membres (N° Lexbase : L7669AUL) ayant mené les États membres à instaurer une exonération de retenue à la source à compter du 1er janvier 1992 des bénéfices distribués par une société filiale résidente de ces États à une société mère résidente d’un autre de ces États. Cette Directive a, en ce qui concerne l’État français, en partie été codifiée à l’article 119 ter du Code Général des Impôts par la loi de finances rectificative pour 1991 (loi n° 91-1323 du 30 décembre 1991, de finances rectificative pour 1991 N° Lexbase : L5158IQ4). La Directive précitée ayant été refondue et le régime fiscal concerné repris par la Directive 2015/121 du 27 janvier 2015 (N° Lexbase : L6405I7D), l’article 119 ter du Code général des impôts a été modifié par l’article 29 de la loi 2015-1786 du 29 décembre 2015 (N° Lexbase : L1131KWS), lequel prévoit à ce jour que la retenue à la source prévue au 2 de l’article 119 bis n’est pas applicable lorsque la personne morale bénéficiaire :
- justifie auprès du débiteur ou de la personne qui assure le paiement de ces revenus qu’elle est le bénéficiaire effectif des dividendes ; et
- remplit les conditions suivantes :
Les faits au cas d’espèce concernaient la première des conditions listées ci-avant, savoir la justification par la société bénéficiaire du versement des dividendes de sa qualité de bénéficiaire effectif.
La société Atlantique Négoce, société de droit français ayant pour activité le négoce de ciment a versé en 2007 des dividendes au bénéfice de sa société mère, la société de droit luxembourgeois Enka, sur un compte bancaire ouvert dans un établissement bancaire localisé en Suisse.
Suite à une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2009, l’administration fiscale, après avoir relevé que la société déclarait avoir versé au cours de l’année 2007 des dividendes à sa société mère, a mis à sa charge une retenue à la source au taux de 25 % en application de l’article 119 bis du Code général des impôts dans sa rédaction applicable à l’époque. Elle considérait notamment que la distribution de dividendes de la société Atlantique Negoce au profit de la société suisse Campsores Holding SA par l'intermédiaire de la société luxembourgeoise Enka avait pour principal objet de faire échapper cette distribution à la retenue à la source prévue par le 2 de l'article 119 bis du code général des impôts, grâce à l'interposition des sociétés luxembourgeoise Enka, dépourvue de locaux et de personnel, et chypriote Waverley Star Investments Limited, dont il n'était pas démontré qu'elles poursuivaient une activité économique réelle et qui était partant constitutive d'un montage artificiel visant à masquer le véritable bénéficiaire des distributions.
Le schéma pouvait être résumé comme suit :
Le Conseil d’État rappelle dans la présente décision les termes de la Directive 90/435/CEE du 23 juillet 1990, telle que modifiée par la Directive 2003/123/CE du Conseil du 22 décembre 2003 (N° Lexbase : L1808DNB) en vertu desquels « les bénéfices distribués par une filiale à sa société mère sont exonérés de retenue à la source ». L’article 119 ter du Code général des impôts tel que pris pour la transposition de la Directive 90/435/CEE dans sa rédaction applicable au litige prévoyait que « pour bénéficier de l’exonération […] la personne morale doit justifier auprès du débiteur ou de la personne qui assure le paiement de ces revenus qu’elle est le bénéficiaire effectif des dividendes et qu’elle remplit les conditions [listés dans la suite de l’article] ». La société bénéficiaire doit en effet, outre cette première condition, justifier :
Le Conseil d’État rappelle enfin la teneur de la décision de la Cour de justice de l’Union européenne en date du 26 février 2019 « Skatterministeriet contre T Danmark et Y Denmarks Aps »[1] qui avait souligné que les mécanismes de la Directive 90/435/CEE « en particulier son article 5, sont conçus pour des situations dans lesquelles, sans leur application, l’exercice par les États membres de leurs pouvoirs d’imposition pourrait conduire à ce que les bénéfices distribués par la société filiale à sa société mère soient soumis à une double imposition […]. De tels mécanismes n’ont en revanche pas vocation à s’appliquer lorsque le bénéficiaire effectif des dividendes est une société ayant sa résidence fiscale en dehors de l’Union puisque, dans un tel cas, l’exonération de la retenue à la source desdits dividendes dans l’Etat membre à partir duquel ils sont versés risquerait d’aboutir à ce que les ces dividendes ne soient pas imposés de façon effective dans l’Union ».
Le Conseil d’État conclu sans surprise de l’ensemble de ces dispositions légales et jurisprudentielles que la qualité de bénéficiaire effectif des dividendes doit être regardée comme « une condition du bénéfice de l’exonération de retenue à la source prévue par l’article 5 de la Directive ». Il répond ainsi au premier des moyens des filiales françaises qui soutenaient que « les dispositions du 3 de l'article 119 ter du code général des impôts portent atteinte à la liberté d'établissement prévue par le traité instituant la Communauté européenne » et précise que la cour d’appel n’a pas commis d’erreur de droit en considérant que les sociétés requérantes n’étaient pas fondées à soutenir que les dispositions du 2 de l’article 119 ter du Code général des impôts, en ce qu’elles subordonnent le bénéfice de l’exonération à la condition que la personne morale justifie auprès du débiteur ou de la personne qui assure le paiement des dividendes qu’elle en est le bénéficiaire effectif, seraient incompatibles avec les objectifs de la directive.
En effet au cas présent, et au regard des objectifs précités de la directive parmi lesquels se situe toute exclusion du bénéfice du dispositif concernant les versements de dividendes au profit de sociétés ayant leur résidence fiscale hors de l’Union, l’administration fiscale se fondait sur les dispositions du 3 de l'article 119 ter du Code général des impôts pour remettre en cause l'exonération de la retenue à la source sur les dividendes litigieux et considérait que l'interposition de la société Enka SA entre les filiales françaises et la société mère de droit suisse avait eu comme objet principal ou comme l'un de ses objets principaux de bénéficier de l'exonération de retenue à la source prévue par l'article 119 ter du Code général des impôts.
Sur ce fondement, l’administration fiscale demandait aux requérantes de justifier de la qualité de bénéficiaire effectif de la société Enka à qui ces dernières avaient déclaré verser les dividendes litigieux. Au cas d’espèce, le Conseil d’État a jugé que l’administration fiscale avait à bon droit retenu « au terme d’une appréciation souveraine exempte de dénaturation qu’aucune des pièces produites par les requérantes n’était de nature à établir que cette société avait appréhendé les dividendes litigieux versés en 2007 » et n’avait en cela (i) ni méconnu les règles de dévolution de la charge de la preuve, (ii) ni commis d’erreur de droit. La société n’était notamment pas en mesure de fournir un relevé d’identité bancaire établissant qu’elle était bien la titulaire du compte bancaire ouvert en Suisse sur lequel les dividendes avaient été versés.
A noter que les juges de la cour administrative d’appel avaient considéré que la société requérante ne justifiait pas que la chaîne de participations remontant à la société suisse Campsores Holding n'avait pas comme objet principal ou comme un de ses objets principaux celui de bénéficier des dispositions du 1 de l'article 119 ter du Code général des impôts et que, dès lors, c'était à bon droit que l'administration avait fait application du 3 de cet article, en mettant à la charge de la société Atlantique Négoce une retenue à la source sur le montant des dividendes versés à sa société mère de droit luxembourgeois Enka au titre de l'année en litige. Il avait également été jugé que la circonstance que la société Enka remplissait les conditions prévues par les 1 et 2 de l'article 119 ter du Code général des impôts, pour bénéficier de l'exonération, à la supposer établie, était sans incidence sur le bien-fondé de l'imposition dès lors que l’objet principal ou l’un des objets principaux de l’opération se trouvait être de bénéficier de l’exonération.
Sur la question de la charge de la preuve, le Conseil d’État tranche également le débat porté devant lui par les parties et rappelle le principe selon lequel « sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve au contribuable, il appartient au juge de l’impôt, au vu de l’instruction et compte tenu, le cas échéant, de l’abstention d’une des partie à produire des éléments qu’elle est seule en mesure d’apporter et qui ne sauraient être réclamés qu’à elle-même, d’apprécier si la situation du contribuable entre dans le champ de l’assujettissement à l’impôt ou, le cas échéant, s’il remplit les conditions légales d’une exonération ».
Quel impact dans ma pratique ? le principe édicté par le 2 de l’article 119 ter en vertu duquel la société bénéficiaire doit être en mesure, pour bénéficier de l’exonération sur la perception des dividendes, de justifier de la qualité de bénéficiaire effectif, est formalisé par la documentation administrative BOI-RPPM-RCM-30-30-20-40 n° 120 qui prévoit que les « sociétés ou autres organismes établis en France qui effectuent des distributions en dispense de retenue à la source doivent, sur demande, produire une attestation de l’entité bénéficiaire des revenus en cause. Par ce document, établi sur papier libre, la société mère étrangère doit attester qu’elle respecte l’ensemble des conditions requises pour l’application du dispositif ». Or, cette même documentation prévoit que cette attestation doit pouvoir être étayée, sur demande de l’administration, par la fourniture de pièces justificatives par l’entité distributrice. L’ensemble de ces dispositions reste couvert par le 3 de l’article 119 ter suppléé de cette documentation administrative qui rappelle que « les sociétés concernées doivent être en mesure de montrer qu’elles n’ont pas mis en œuvre un montage artificiel ». Au cas présent, cette nouvelle décision vient rappeler l’importance de la démonstration de la qualité de bénéficiaire effectif, notamment en pratique. La fourniture d’un relevé d’identité bancaire aurait notamment pu appuyer une telle attestation afin de convaincre l’administration que la distribution litigieuse n’avait pas in fine pour bénéficiaire une société de droit étranger dont le siège se situe hors de l’Union Européenne et non une société de droit luxembourgeois telle que celle interposée. Il conviendra donc d’apporter une attention particulière aux groupes dans lesquels le siège de la société mère bénéficiaire effective se situe hors de l’Union avec interposition d’au moins une autre société bénéficiaire elle-même située dans un État membre de l’Union, et des conséquences en matière de retenue à la source en cas de versement de dividendes. |
[1] CJUE, 26 février 2019, aff. C-116/16 et C-117/16 (N° Lexbase : A1477WNZ).
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