Réf. : CE 5° et 6° ch.-r., 3 juin 2020, n° 429515, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A70253M7)
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N3904BYA
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le 01 Juillet 2020
Mots clés : Plan local d'urbanisme • Classement de parcelles en zone agricole • Cohérence avec les orientations générales et le PADD Le classement de parcelles en zone agricole peut s’opérer sans que leur caractère agricole soit avéré, mais en prenant en compte la vocation du secteur en bordure duquel ces parcelles se situent. |
Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler les modalités de classement des différentes zones dans les PLU ?
Loïc Prieur : Le Code de l’urbanisme prévoit que le règlement du PLU peut délimiter sur des documents graphiques des zones urbaines (U), des zones à urbaniser (AU), des zones agricoles (A) et des zones naturelles et forestières (N).
Les zones U correspondent aux secteurs déjà urbanisés et équipés de la commune. Les zones AU, ou zones d’urbanisation futures, sont des zones dans lesquelles les possibilités d’urbanisation dépendent des équipements publics. Si les équipements publics existent en périphérie de la zone et que leur capacité est suffisante pour desservir les futures constructions, la zone AU est immédiatement urbanisable (elle est souvent appelée zone 1AU). Les constructions seront réalisées en même temps que les équipements internes à la zone dans le respect des principes d’urbanisation fixés par les orientations d’aménagement et de programmation. Si les équipements publics à proximité de la zone sont insuffisants, la zone AU (souvent dite zone 2AU) ne sera pas ouverte à l’urbanisation. Elle ne pourra l’être que lorsque les équipements auront été réalisés. Il faudra alors modifier le PLU ou, si la zone AU a plus de neuf ans, le réviser, pour ouvrir la zone à l’urbanisation.
Les zones N permettent de préserver des secteurs de la commune en raison de leur intérêt écologique, de leur caractère naturel, mais également en raison de l’existence de risques.
Enfin, les zones A à propos desquelles l’arrêt du Conseil d’Etat apporte d’intéressantes précisions, concernent les secteurs à protéger en raison du potentiel agronomique, biologique ou économique des terres agricoles.
Le Code de l’urbanisme se borne à définir les grandes catégories. Les zones U, AU, N et A peuvent ensuite être subdivisées par le PLU en fonction de la vocation que les auteurs du PLU souhaitent donner à tel ou tel secteur.
Le zonage étant la traduction d’un parti d’aménagement, le choix d’une zone est avant tout affaire d’opportunité. Le juge administratif en tire les conséquences et il rappelle de manière constante qu’il ne lui appartient pas de s’immiscer dans les choix d’urbanisme faits par les auteurs du plan local d’urbanisme [1]. Le Conseil d’Etat résume ce principe de la manière suivante : « il appartient aux auteurs d'un plan local d'urbanisme de déterminer le parti d'aménagement à retenir pour le territoire concerné par le plan, en tenant compte de la situation existante et des perspectives d'avenir et de fixer en conséquence le zonage et les possibilités de construction ; qu'ils peuvent être amenés, à cet effet, à modifier le zonage ou les activités autorisées dans une zone déterminée, pour les motifs énoncés par les dispositions citées ci-dessus ; que leur appréciation sur ces différents points ne peut être censurée par le juge administratif qu'au cas où elle serait entachée d'une erreur manifeste ou fondée sur des faits matériellement inexacts » [2].
Lexbase : Qu'en est-il plus particulièrement des zones agricoles (zones A) ?
Anne-Cécile Belzon : Les zones A correspondent aux secteurs de la commune, équipés ou non, à protéger en raison du potentiel agronomique, biologique ou économique des terres agricoles (C. urb., art. R. 151-22 N° Lexbase : L0320KWR).
Cette définition est relativement large et permet aux collectivités de mobiliser l’un ou l’autre des critères, lors de la formalisation de leur projet d’aménagement.
La notion de “potentiel” agronomique, biologique ou économique des terres permet ainsi d’ouvrir le classement en zone A aux terrains qui ne présentent pas une utilisation agricole avérée lors de l’approbation du PLU, mais qui sont néanmoins susceptibles d’être affectés ou liés - notamment sur un plan économique - à l’usage agricole dans l’avenir.
Selon une jurisprudence désormais constante des cours administratives d’appel, la régularité du zonage A est également admise pour des terrains en eux-mêmes dépourvus de potentiel agricole, mais qui participent néanmoins à la préservation du potentiel agricole global de l’espace au sein duquel ils sont inclus.
Le contrôle du choix de zonage n’est donc pas effectué par le juge administratif à l’échelle des seules parcelles en cause, mais prend en compte le compartiment dans lequel elles se situent.
A titre d’exemple, la valeur agricole de la terre est jugée sans incidence sur la légalité d’un zonage A, dès lors que le terrain appartient à un ensemble cohérent plus vaste [3].
Un zonage A peut également être justifié pour des parcelles partiellement bâties, dès lors que celles-ci appartiennent à un compartiment agricole plus vaste séparé de la zone d’habitat par une route départementale, et que le zonage A permet de concourir à la satisfaction des objectifs que se sont donnés les auteurs du PLU, comme la lutte contre le mitage des espaces agricoles [4].
A l’inverse, un terrain bâti sur toute sa superficie et affecté à un usage industriel, situé dans la continuité des parties urbanisées de la commune et identifié comme disposant d’un potentiel de renouvellement urbain ne peut être légalement classé en zone A [5].
Le contrôle du juge administratif sur la délimitation des zones A repose donc sur un faisceau d’indices, lesquels sont analysés dans le cadre d’un raisonnement en trois temps :
- l’identification d’une éventuelle valeur agricole intrinsèque des parcelles (usage agricole avéré, terrain recensé comme présentant un potentiel agronomique…) ;
- l’analyse de la vocation de l’espace au sein duquel s’implante la parcelle ;
- et l’analyse de la cohérence du zonage A avec le parti d’aménagement de la collectivité.
Ainsi, lorsque le zonage A ne peut pas être justifié par la seule valeur agricole intrinsèque des terres, la recherche d’une cohérence d’ensemble et le parti d’aménagement de la collectivité jouent un rôle essentiel pour le juge administratif.
Lexbase : Comment le Conseil d’Etat s'est-il positionné sur ce point ?
Anne-Cécile Belzon : Dans son arrêt du 3 juin 2020, le Conseil d’Etat rappelle tout d’abord la nécessaire cohérence entre les orientations d’aménagement de la commune et la définition du zonage, et plus particulièrement de la zone A.
Il relève ensuite que les parcelles en cause sont situées dans une partie du territoire de la commune présentant très majoritairement un caractère agricole, avant d’en déduire que la cour administrative d’appel n’avait donc pas à rechercher si les parcelles litigieuses présentaient elles-mêmes un caractère de terres agricoles.
Le Conseil d’Etat valide ainsi le raisonnement de la cour administrative d’appel de Nantes, laquelle a relevé la vocation agricole du secteur en bordure duquel les parcelles se situent, la cohérence du zonage A avec le parti d’urbanisme de la commune consistant à ne pas permettre l’étalement de la zone urbaine contiguë à ce secteur sur le territoire de la commune voisine, ainsi qu’une artificialisation d’ampleur limitée des parcelles.
Ce faisant, il se place clairement dans la continuité du courant jurisprudentiel d’ores et déjà établi par les cours administratives d’appel, et consacre les critères désormais classiques permettant d’identifier une zone A : la vocation agricole de la parcelle ou du secteur dans lequel elle se situe, une artificialisation limitée, ainsi qu’une cohérence entre le zonage et les orientations d’aménagement.
Le Conseil d’Etat ne se contente toutefois pas de confirmer ces critères, et apporte une précision intéressante. Il relève ainsi que les parcelles en cause sont situées en “bordure” d’un secteur à vocation agricole.
La seule proximité avec un vaste espace agricole à protéger, en cohérence avec les orientations d’aménagement de la commune, apparaît ainsi suffisante pour valider la légalité d’un zonage A. Il ne serait alors plus nécessaire d’appartenir à un compartiment à vocation agricole, mais uniquement de lui être contigu.
En ce sens, la Haute juridiction apporte un éclairage nouveau et complémentaire sur l’identification des zones A, et vient renforcer significativement le rôle joué par le parti d’aménagement des collectivités dans la définition du zonage.
En effet, il ressort de l’arrêt du Conseil d’Etat du 3 juin 2020 que la protection résultant d’un zonage A peut s’étendre aux terrains dont l’urbanisation pourrait nuire à la préservation des terres agricoles avoisinantes.
L’espace dont la vocation agricole est prise en compte n’est plus uniquement celui auquel appartient la parcelle, mais peut aussi être le compartiment qui lui est contigu.
Au regard de l’arrêt du Conseil d’Etat du 3 juin 2020, peuvent ainsi faire l’objet d’un classement en zone A :
- les terrains disposant d’une valeur agricole intrinsèque ;
- et les terrains situés au sein ou à proximité immédiate des espaces ruraux, et dont l’urbanisation serait susceptible de nuire au potentiel des terres agricoles environnantes.
Le Conseil d’Etat semble ainsi permettre l’émergence de zones A jouant un rôle d’interface - sorte de zone A “tampon” - entre les espaces urbanisés et les terres affectées à l’agriculture.
Lexbase : La prise en compte de la vocation du secteur en bordure des parcelles n’offre-t-elle pas une trop grande marge d’appréciation au juge administratif ?
Loïc Prieur : Cette appréciation souple et très extensive de la notion de zone agricole peut surprendre. Elle doit néanmoins être mise en perspective avec l’assouplissement du régime des constructions, installations et aménagements autorisés en zone agricole amorcé depuis 2003.
Avant la loi « SRU » (loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000, relative à la solidarité et au renouvellement urbains N° Lexbase : L9087ARY), dans les plans d’occupation des sols, les espaces agricoles étaient classés en zone NC de richesse naturelle. La vocation de ces zones n’étaient pas toujours assez protectrices car le règlement pouvait autoriser des occupations parfaitement étrangères à l’activité agricole.
Les zones A issues de la loi « SRU » et surtout de son décret d’application étaient bien plus protégées car l’ancien article R. 121-3-7 du Code de l’urbanisme n’y autorisait que les constructions et installations nécessaires aux services publics ou d'intérêt collectif et à l'exploitation agricole.
Cette sanctuarisation des zones A a rapidement posé deux difficultés pratiques : les habitations existantes en zone A ne pouvaient plus être étendues et les bâtiments agricoles ne pouvaient plus changer de destination, ce qui interdisait par exemple à un exploitant à la retraite de transformer une étable en pierre en gîte touristique.
La question du changement de destination a été rapidement réglée. La loi « urbanisme et habitat » du 2 juillet 2003 (loi n° 2003-590 N° Lexbase : L6770BH9) a permis le changement de destination des bâtiments agricoles dès lors qu’ils présentent un intérêt architectural ou patrimonial. Les bâtiments en question doivent être désignés par le document graphique du PLU. Ce dispositif a été assoupli une première fois en 2014 par la loi « ALUR » (loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, pour l'accès au logement et un urbanisme rénové N° Lexbase : L8342IZY) puisqu’il vise désormais tous les bâtiments, agricoles ou non. La même année, la loi du 13 octobre 2014, d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt (loi n° 2014-1170 N° Lexbase : L4151I4I), a supprimé la condition d’intérêt patrimonial ou architectural des bâtiments. Pour éviter toute dérive qui aboutirait à fragmenter l’espace agricole, l’avis conforme de la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) est requis avant de délivrer le permis de construire.
Le problème des constructions non agricoles a, lui aussi, suscité des modifications significatives du régime des zones A. Afin de permettre l’extension des habitations existantes en zone A, de nombreux PLU comportaient un pastillage des constructions. Cette technique consistait à entourer les bâtiments d’une micro-zone souvent de type Nh. Le Conseil d’Etat a mis un terme à cette pratique en rappelant assez logiquement que l’objet des zones N n’était pas de permettre le contournement des zones A [6].
Le législateur a toutefois confirmé que le régime des zones A devait être assoupli. La loi du 12 juillet 2010, portant engagement national pour l’environnement (loi n° 2010-788 N° Lexbase : L7066IMN), permet désormais aux auteurs des PLU de délimiter des secteurs de taille et de capacités d’accueil limités (STECAL) au sein desquels des constructions non agricoles sont autorisées. Le règlement de ces zones (Ah ou Nh en général) fixe les conditions de hauteur, d’implantation et de densité permettant d’assurer l’intégration dans l’environnement et la compatibilité avec l’activité agricole. Les secteurs sont délimités après avis de la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF).
Depuis octobre 2014, dans les zones agricoles ou naturelles et en dehors des STECAL, les bâtiments d'habitation peuvent faire l'objet d'une extension dès lors que cette extension ne compromet pas l'activité agricole ou la qualité paysagère du site. Depuis la loi « Macron » (loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques N° Lexbase : L4876KEC), les annexes sont autorisées. Le règlement doit en préciser les modalités. Il est soumis pour avis à la CDPENAF (C. urb., art. L. 151-12 N° Lexbase : L2569KIY).
Les zones A ne sont donc plus des sanctuaires réservés aux seules activités agricoles mais des espaces dans lesquelles d’autres activités peuvent avoir une place. Dès lors que le législateur a réduit de manière significative l’ambition initiale de protection des zones agricoles il n’est donc pas illogique qu’aujourd’hui le Conseil d’Etat rappelle que les zones A ne doivent pas être réduites aux seuls espaces qui présentent un potentiel agricole avéré.
* Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique.
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