La lettre juridique n°813 du 20 février 2020 : Procédure civile

[Jurisprudence] Ressemblances et dissemblances de l’appel incident et de l’appel provoqué

Réf. : Cass. civ. 2, 6 juin 2019, n° 18-14.901, F-P+B+I (N° Lexbase : A4226ZDU) ; Cass. civ. 2, 9 janvier 2020, F-P+B+I, n° 18-24.606, F-P+B+I (N° Lexbase : A47663AR)

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par Jimmy Serapionian, Avocat au barreau de Paris, LVI Associés, Chargé d’enseignement à l’université de Cergy-Pontoise, Membre de l’AJEDIM

le 20 Février 2020

En l’espace d’un peu plus de six mois, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a précisé les différences pratiques entre les procédures d’appel incident et d’appel provoqué par deux arrêts promis à une large publication (Cass. civ. 2, 6 juin 2019, n° 18-14.901, F-P+B+I et Cass. civ. 2, 9 janvier 2020, F-P+B+I, n° 18-24.606, F-P+B+I), que nous tenterons d’éclairer dans le cadre du présent commentaire croisé.

Rappelons d’ores et déjà que :

  • l’appel est une voie de recours ordinaire à l’encontre d’une décision de justice de premier ressort qui tend, selon les dispositions de l’article 542 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7230LEI), par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel. L’appel principal peut porter sur tout ou partie de la décision entreprise et à l’encontre de tout ou partie des parties en première instance ;
  • l’appel incident, non défini par le Code de procédure civile, constitue une voie de recours ouverte à l'intimé à l'appel principal afin de contester la partie de la décision de première instance, non contestée par le formulé par l'appelant et ainsi obtenir la réformation d'un jugement rendu en première instance ;
  • l’appel provoqué, non défini par le Code de procédure civile, constitue une voie de recours ouverte à l'intimé à l’encontre d’une partie non intimée sur l’acte d’appel principal mais partie en première instance.

Si les procédures d’appel incident et d’appel provoqué ne sont pas définies dans le Code de procédure civile, en revanche, leurs régimes applicables sont en partie énoncés dans ce dernier notamment aux articles 905 (N° Lexbase : L2324LUM), 909 (N° Lexbase : L7240LEU) et suivants, 910 (N° Lexbase : L7241LEW) et suivants et 911 (N° Lexbase : L7242LEX) et suivants. Notons à cet égard, que le code régit de manière strictement identique ces deux catégories d’appel, puisque les appel incident et appel provoqué sont systématiquement régis par les mêmes dispositions lesquelles renvoient indifféremment à l’appel incident ou à l’appel provoqué. Ces procédures apparaissent ainsi symétriques en tout point, hormis quant à leur champ d’application. Ainsi, en ce qui concerne les procédures à brefs délais issues de la réforme du 6 mai 2017, l’article 905-1 (N° Lexbase : L7035LEB) du Code de procédure civile dispose que : « L'intimé dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office par ordonnance du président de la chambre saisie ou du magistrat désigné par le premier président, d'un délai d'un mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant pour remettre ses conclusions au greffe et former, le cas échéant, appel incident ou appel provoqué. L'intimé à un appel incident ou à un appel provoqué dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office par ordonnance du président de la chambre saisie ou du magistrat désigné par le premier président, d'un délai d'un mois à compter de la notification de l'appel incident ou de l'appel provoqué à laquelle est jointe une copie de l'avis de fixation pour remettre ses conclusions au greffe ».

La jurisprudence, en revanche, vient sinon complexifier, à tout le moins apporter des éléments de distinction entre l’appel incident et l’appel provoqué, qui doivent impérativement être mis en œuvre sauf à risquer d’entraîner l’irrecevabilité de ces appel incident ou provoqué.

Ainsi, le premier arrêt commenté, rendu le 6 juin 2019 (portant sur l’appel provoqué), portait sur une demande indemnitaire introduite par l’Etat français à l’encontre d’une société étrangère, laquelle avait appelé en garantie en première instance une société française.

Le premier juge a condamné la société étrangère à verser une somme à l’Etat français, et a condamné la société française à garantir la société étrangère. L’appel ayant été interjeté par la société française, condamnée in fine uniquement à l’encontre de la société étrangère, sans intimer l’Etat français, se posait la question de la date limite à laquelle l’intimé, à savoir la société étrangère, pouvait régulariser appel provoqué ainsi que le formalisme applicable, sachant que l’appelant avait régularisé ses écritures d’appel le 20 septembre 2016.

Les faits objets de la seconde instance commentée, ayant donné lieu à l’arrêt rendu le 9 janvier 2020, sont relativement similaires puisque le litige de base opposait plus de deux parties devant le premier juge du fond. En revanche, dans cette espèce, appel a été interjeté à l’encontre de toutes les parties à la procédure initiale, bien que ce recours n’ait pas porté sur tous les chefs du jugement entrepris.

L’un des intimés n’ayant pas constitué avocat, se posait la question de la date limite à laquelle l’intimé ayant constitué avocat et souhaitant régulariser un appel incident, pouvait régulariser ses écritures, ainsi que le formalisme applicable, sachant que l’appelant avait régularisé ses écritures d’appel le 12 mai 2017.

Les deux arrêts ont adopté, à juste titre, des solutions radicalement différentes tant sur les délais applicables que sur le formalisme devant être mis en œuvre en cas d’appel incident et en cas d’appel provoqué, faisant, ainsi, apparaître ces deux procédures, de prime abord relativement proches, comme étant de parfaites fausses amies procédurales.

Il sera nécessaire d’évoquer ces deux différences substantielles mises en évidence par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en commençant par la question de l’applicabilité de l’article 911 du Code de procédure civile (I), puis par celle du formalisme applicable (II). Un récapitulatif, sous forme de tableau synoptique, sera dressé en fin de commentaire (III).

I - Applicabilité de l’article 911 du Code de procédure civile en cas d’appel provoqué et incident

L’ancien article 911 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0351IT8) disposait que :« Sous les sanctions prévues aux articles 908 à 910, les conclusions sont notifiées aux avocats des parties dans le délai de leur remise au greffe de la cour. Sous les mêmes sanctions, elles sont signifiées dans le mois suivant l'expiration de ce délai aux parties qui n'ont pas constitué avocat ; cependant, si, entre-temps, celles-ci ont constitué avocat avant la signification des conclusions, il est procédé par voie de notification à leur avocat ».

Ces dispositions ont été remplacées par le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 (N° Lexbase : L2696LEL), relatif aux exceptions d'incompétence et à l'appel en matière civile, qui modifia ainsi l’article 911 (N° Lexbase : L7242LEX) :

« Sous les sanctions prévues aux articles 905-2 et 908 à 910, les conclusions sont notifiées aux avocats des parties dans le délai de leur remise au greffe de la cour. Sous les mêmes sanctions, elles sont signifiées au plus tard dans le mois suivant l'expiration des délais prévus à ces articles aux parties qui n'ont pas constitué avocat ; cependant, si, entre-temps, celles-ci ont constitué avocat avant la signification des conclusions, il est procédé par voie de notification à leur avocat. La notification de conclusions au sens de l'article 910-1 faite à une partie dans le délai prévu aux articles 905-2 et 908 à 910 ainsi qu'à l'alinéa premier du présent article constitue le point de départ du délai dont cette partie dispose pour remettre ses conclusions au greffe ».

A - Inapplication de l’article 911 du Code de procédure civile à un appel provoqué

Par son arrêt du 6 juin 2019, la deuxième chambre civile a rappelé que la régularisation d’un appel provoqué n’était pas initiée à l’encontre d’une partie en cause d’appel, mais d’une partie en cause de première instance de sorte que les dispositions de l’article 911 ne sont pas applicables.

En effet, rappelons que, selon les faits de l’espèce, l’Etat français, partie en première instance n’était cependant pas partie en cause d’appel, raison pour laquelle aucun avocat n’était constitué. Il ne s’agissait donc pas d’une omission, plus ou moins volontaire de cette partie en première instance, mais du fait que l’appel principal n’ayant pas été dirigé contre elle, elle n’était tout simplement pas partie en appel.

Dès lors, l’appelant ayant régularisé ses écritures d’appel le 20 septembre 2016, l’intimé souhaitant régulariser son appel provoqué disposait du délai ouvert par l’article 909 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7240LEU), soit deux mois à l’époque des faits, remplacé par trois mois aujourd’hui, afin d’interjeter appel provoqué à l’encontre d’une partie tierce à la procédure d’appel.

Dans les faits, la société de droit étrangère, intimée principale et appelante provoquée, devait signifier son assignation à l’Etat français au plus tard le 20 janvier 2017, à savoir 20 novembre 2016 auquel s’ajoute le délai de distance de deux mois ouvert à une société de droit étranger.

En conclusion, l’appel provoqué visant à intégrer dans la procédure d’appel une nouvelle partie non visée par l’appel principal, cette dernière doit être mise en cause le plus rapidement possible, et en tout état de cause dans le délai prévu à l’article 909 du Code de procédure civile, à savoir trois mois (anciennement deux mois) après la régularisation de l’appel principal.

D’un point de vue strictement juridique, notons qu’aucun texte ne permettrait à l’intimé souhaitant interjeter appel provoqué de retarder son recours, qui doit donc s’inscrire dans le délai prévu à l’article 909 du Code de procédure civile, sans que les dispositions de l’article 911 du même code ne puissent trouver à s’appliquer.

B - Application de l’article 911 du Code de procédure civile à un appel incident

Dans le cadre du second arrêt commenté, rendu le 9 janvier 2020 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, la cour d’appel saisie d’un moyen d’irrecevabilité de l’appel incident, a fait application des dispositions applicables à l’appel provoqué, de sorte que son arrêt ne pouvait qu’être censuré par la juridiction suprême.

En effet, par sa décision soumise à la censure de la Cour de cassation, la cour d’appel en cause a jugé que les écritures d’appel incident doivent être délivrées au « co-intimé défaillant dans les deux mois suivants la notification des conclusions de l’appelant à peine d’irrecevabilité » sans que ce délai ne puisse être augmenté du délai d’un mois supplémentaire mentionné à l’article 911 du Code de procédure civile.

Dans le cadre du pourvoi, le demandeur au pourvoi, indiquait à juste titre que, dans le cadre de son appel incident, il devait certes déposer ses conclusions d’appel incident dans le cadre du délai de l’article 909 du Code de procédure civile (deux mois à compter de la régularisation des conclusions d’appelant au moment des faits, trois mois aujourd’hui), mais disposait également d’un délai d’un mois supplémentaire pour signifier ses conclusions en cas de co-intimé défaillant, en application de l’article 911 susvisé.

La Cour de cassation a naturellement suivi cette analyse en précisant que :

« en statuant ainsi, alors que la seule obligation pesant sur M. T était de signifier ses conclusions d'appel incident à M.G., régulièrement intimé par l'appelant, dans les délais prescrits par les articles 909 et 911 du code de procédure civile, soit avant le 12 août 2017, sauf à ce que M.G. constitue avocat avant la signification, la cour d'appel a violé les textes susvisés".

Ainsi, à l’inverse de l’appel provoqué, l’appel incident peut-être régularisé plus tardivement en cas de partie défaillante, alors que l’appel provoqué quant à lui se doit impérativement de respecter les délais préfixes de l’article 909 du Code de procédure civile sauf à être augmenté des délais de distance.

II - Formalisme applicable

A - Appel provoqué par voie d’assignation

Le recours de l’appel provoqué se fait exclusivement par voie d’assignation, valant conclusions. 

En effet, l'appel provoqué visant à intégrer une nouvelle partie dans la procédure d’appel, mais uniquement une partie déjà présente en première instance, l’intimé ne peut régulariser son appel provoqué que par voie d'assignation valant conclusions dans les trois mois de l'appel qui l'a provoqué (voir antérieurement à l’arrêt commenté : Cass. civ. 227 septembre 2018, n° 17-13.835, F-P+B N° Lexbase : A1947X8M).

Cette obligation processuelle résulte au demeurant de la lecture combinée des dispositions des articles 55 (N° Lexbase : L9076LTC), 68 (N° Lexbase : L1277H43) et 551 (N° Lexbase : L6702H7D) du Code de procédure civile. Rappelons à cet égard les dispositions de l’article 68 de ce code : « Les demandes incidentes sont formées à l'encontre des parties à l'instance de la même manière que sont présentés les moyens de défense. Elles sont faites à l'encontre des parties défaillantes ou des tiers dans les formes prévues pour l'introduction de l'instance. En appel, elles le sont par voie d'assignation ».

Or l'appel provoqué, dirigé contre un tiers à l'instance d'appel se doit d’être interjeté par une assignation citant cette personne à comparaître devant la cour d'appel comprenant les mentions obligatoires de l’article 56 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L9287LT7).

Par conséquent, la signification, par voie d’huissier de justice, d’un jeu de conclusions portant appel provoqué ne pouvait suffire et permettre à l’intimé, de remplir les conditions issues des articles 55 et suivants, et 68 du Code de procédure civile.

B ) Appel incident par voie de conclusions régularisées par RPVA ou signifiées par huissier

Dans le cadre du second arrêt commenté, rendu le 9 janvier 2020, la cour d’appel a également appliqué à la procédure d’appel incidente le formalisme prescrit à l’appel provoqué encourant ainsi de plus fort la censure du juge du droit.

En effet, dans cette affaire, la cour d’appel a décidé que « l’intimé appelant incident doit faire délivrer une assignation au co-intimé défaillant » de sorte que la signification des conclusions d’intimée valant appel incident n’était pas de nature à interrompre les délais fixés à l’article 909 du Code de procédure civile tels qu’augmentés par ceux de l’article 911 du même code.

Une telle décision contrevient nécessairement aux dispositions de l’article 911 du Code de procédure civile, auxquelles la cour d’appel à fait primer les dispositions des articles 55 et 68.

Rappelons en tant que de besoin que les dispositions de l’article 911 du Code de procédure civile prévoient un système à triple détente pour régulariser des écritures d’appel incident :

  • soit la partie adverse, appelante ou co-intimée, a constitué avocat dans le délai de l’article 909 du Code de procédure civile et dans ce cadre, les écritures doivent être notifiées à ce conseil dans le délai de l’article 909 du même code ;
  • soit la partie adverse, appelante ou co-intimée, n’a pas constitué avocat dans le délai de l’article 909 du Code de procédure civile et dans ce cadre, les écritures doivent lui être signifiées, par voie d’huissier dans un délai supplémentaire d’un mois suivant l'expiration des délais prévus ;
  • soit la partie adverse, appelante ou co-intimée, n’a pas constitué avocat dans le délai de l’article 909 du Code de procédure civile, mais constitue avocat dans le délai d’un mois suivant mais avant que l’intimé interjetant appel incident ne signifie ses écritures, alors les écritures doivent être notifiées à l’avocat ainsi constitué.

 

III - Récapitulatif : tableau synoptique entre l'appel incident et l'appel provoqué

Appel

Partie

Durée

Formalisme

Incident

Constituée

Trois mois à compter de la régularisation des écritures d’appel, sans prise en compte de l’article 911 du Code de procédure civile

Conclusions régularisées par RPVA

Non constituée

Trois mois à compter de la régularisation des écritures d’appel, plus la prise en compte de l’article 911 du Code de procédure civile

Conclusions signifiées par huissier

Provoqué

Etrangère à la procédure d’appel

Trois mois à compter de la régularisation des écritures d’appel, sans prise en compte de l’article 911 du Code de procédure civile, mais éventuellement augmenté des délais de distance

Assignation

 

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