Réf. : Cass. civ. 1, 5 février 2020, n° 18-23.752, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A37963DX)
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par Vincent Téchené
le 19 Février 2020
► Lorsqu’un utilisateur résidant en France fait l’acquisition, auprès d’un vendeur professionnel établi dans un autre Etat membre de l’Union européenne, d’un support d’enregistrement permettant la reproduction à titre privé d’une oeuvre protégée, et en cas d’impossibilité d’assurer la perception de la rémunération pour copie privée auprès de cet utilisateur, l’article L. 311-4 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L2491K97) doit être interprété en ce sens que cette rémunération est due par le vendeur qui a contribué à l’importation dudit support en le mettant à la disposition de l’utilisateur final.
Tel est l’enseignement d’un important arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 5 février 2020, promis à la plus large publicité (Cass. civ. 1, 5 février 2020, n° 18-23.752, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A37963DX).
L’affaire. Copie France a assigné une société luxembourgeoise qui propose à la vente sur internet des supports d’enregistrement utilisables pour la reproduction à usage privé d’oeuvres, aux fins d’obtenir sa condamnation au paiement d’une provision au titre de la rémunération pour copie privée dont elle serait redevable, ainsi que la communication de pièces. En appel, la société a été condamnée à payer à titre provisionnel la somme de 188 499,64 euros à valoir sur la rémunération pour copie privée due pour la période du 16 juin 2011 au 3 novembre 2017. Il lui a, par ailleurs, été ordonné de communiquer l’ensemble des déclarations mensuelles de sorties de stocks comprenant les quantités vendues chaque mois à des clients résidant en France, pour chacune des catégories de supports vierges d’enregistrement assujettis à la rémunération pour copie privée.
La société luxembourgeoise a donc formé un pourvoi en cassation.
La décision. Aux termes d’un raisonnement tout particulièrement étayé, la Haute juridiction rejette le pourvoi.
Elle rappelle, en premier lieu, que conformément à l’article L. 311-4, alinéa 1er, du Code de la propriété intellectuelle, la rémunération pour copie privée est versée par le fabricant, l’importateur ou la personne qui réalise des acquisitions intracommunautaires, au sens du 3° du I de l’article 256 bis du CGI (N° Lexbase : L1684IP3), de supports d’enregistrement utilisables pour la reproduction à usage privé d’oeuvres, lors de la mise en circulation en France de ces supports.
Cette disposition, bien qu’antérieure à la Directive «droits d’auteur» du 22 mai 2001 (Directive 2001/29 N° Lexbase : L8089AU7), doit, selon une jurisprudence constante, être interprétée à la lumière de cette Directive pour atteindre le résultat visé par celle-ci (CJCE, 13 novembre 1990, aff. C-106/89, point 8 N° Lexbase : A7475AHC ; CJCE, 5 octobre 2004, aff. C-397/01 à C-403-1, point 10 N° Lexbase : A5431DDI ; CJUE, 19 avril 2016, aff. C-441/14, points 30 et 31 N° Lexbase : A7754RIZ), sans que, toutefois, l’obligation d’interprétation conforme puisse servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national (CJUE, 4 juillet 2006, aff. C-212/04, point 110 N° Lexbase : A1488DQ8 ; CJUE, 19 avril 2016, aff. C-441/14, préc., point 32 ; Cass. civ. 1, 15 mai 2015, n° 14-13.151, FS-P+B N° Lexbase : A8773NHE).
En deuxième lieu, la Cour relève qu’aux termes de l’article 5 § 2, sous b), de la Directive 2001/29, les Etats membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou limitations au droit de reproduction, lorsqu’il s’agit de reproductions effectuées sur tout support par une personne physique pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales, à condition que les titulaires de droits reçoivent une compensation équitable qui prend en compte l’application ou la non-application des mesures techniques visées à l’article 6 aux oeuvres ou objets concernés. En outre, par un arrêt du 16 juin 2011 (CJUE, 16 juin 2011, aff. C-462/09 N° Lexbase : A6408HTI), la CJUE a dit pour droit qu’«[…] il incombe à l’Etat membre qui a institué un système de redevance pour copie privée à la charge du fabricant ou de l’importateur de supports de reproduction d’œuvres protégées, et sur le territoire duquel se produit le préjudice causé aux auteurs par l’utilisation à des fins privées de leurs œuvres par des acheteurs qui y résident, de garantir que ces auteurs reçoivent effectivement la compensation équitable destinée à les indemniser de ce préjudice. A cet égard, la seule circonstance que le vendeur professionnel d’équipements, d’appareils ou de supports de reproduction est établi dans un Etat membre autre que celui dans lequel résident les acheteurs demeure sans incidence sur cette obligation de résultat. Il appartient à la juridiction nationale, en cas d’impossibilité d’assurer la perception de la compensation équitable auprès des acheteurs, d’interpréter le droit national afin de permettre la perception de cette compensation auprès d’un débiteur agissant en qualité de commerçant».
Pour la Cour de cassation, il s’ensuit que, contrairement à ce qu’elle a précédemment jugé (Cass. civ. 1, 27 novembre 2008, n° 07-15.066, FS-P+B N° Lexbase : A4580EBA) -et comme énoncé ci-dessus-, lorsqu’un utilisateur résidant en France fait l’acquisition, auprès d’un vendeur professionnel établi dans un autre Etat membre de l’Union européenne, d’un support d’enregistrement permettant la reproduction à titre privé d’une oeuvre protégée, et en cas d’impossibilité d’assurer la perception de la rémunération pour copie privée auprès de cet utilisateur, l’article L. 311-4 du Code de la propriété intellectuelle doit être interprété en ce sens que cette rémunération est due par le vendeur qui a contribué à l’importation dudit support en le mettant à la disposition de l’utilisateur final.
Or, la cour d’appel a relevé, d’une part, que la société luxembourgeoise en cause ne pouvait pas se prévaloir de la clause des conditions générales de vente transférant au client final le paiement des «taxes spécifiques aux Etats comme par exemple des taxes sur les droits d’auteur», laquelle aurait pour effet d’annihiler l’effectivité de l’indemnisation due aux ayants droit au titre de l’exception de copie privée, d’autre part, que les commandes de supports d’enregistrement vierges effectuées par des consommateurs français, à partir de son site rédigé en français et permettant le paiement en euros, étaient livrées sur le territoire national. Ainsi, elle a pu constater qu’il s’avérait, en pratique, impossible de percevoir la rémunération équitable auprès des utilisateurs finaux et que la société luxembourgeoise avait contribué à l’importation des supports litigieux.
Dès lors, pour la Haute juridiction, c’est à bon droit, et sans se livrer à une interprétation contra legem du droit national ni faire produire un effet direct à la Directive 2001/29, que la cour d’appel en a déduit qu’en tant que commerçant vendant sur le territoire national des produits assujettis à la rémunération pour copie privée, la société luxembourgeoise était redevable du paiement de cette rémunération et que, par suite, son obligation à l’égard de la société Copie France n’était pas sérieusement contestable, au sens de l’article 809, alinéa 2, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L9113LTP).
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